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Décisions

CEDH, 25 septembre 1992, n° 13191/87

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME

PARTIES

Demandeur :

Pham Hoang

Défendeur :

France

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ryssdal

Juges :

M. Bernhardt, M. Vilhjálmsson, M. Gölcüklü, M. Matscher, M. Pettiti, M. Russo, M. Spielmann, Sir Freeland

CEDH n° 13191/87

24 septembre 1992

PROCEDURE

1. L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") le 7 juin 1991, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 13191/87) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet État, M. Tuan Tran Pham Hoang, avait saisi la Commission le 20 août 1987 en vertu de l’article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’État défendeur aux exigences de l’article 6 paras. 1, 2 et 3 c) (art. 6-1, art. 6-2, art. 6-3-c).

2. En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a manifesté le désir de participer à l’instance et a désigné son conseil (article 30).

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 28 juin 1991, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. Thór Vilhjálmsson, M. F. Matscher, M. J. Pinheiro Farinha, M. C. Russo, M. R. Bernhardt, M. A. Spielmann et Sir John Freeland, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43). Par la suite, M. F. Gölcüklü, suppléant, a remplacé M. Pinheiro Farinha, qui avait donné sa démission et dont le successeur à la Cour était entré en fonctions avant l’audience (articles 2 par. 3 et 22 par. 1 du règlement).

4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l’intermédiaire du greffier l’agent du gouvernement français ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et l’avocat du requérant au sujet de l’organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l’ordonnance rendue en conséquence et après deux prolongations de délai dues à une tentative infructueuse de règlement amiable, le requérant, le Gouvernement et le délégué de la Commission ont déposé leurs mémoires respectifs les 4 novembre 1991, 16 décembre 1991 et 2 février 1992.

5. Le 21 novembre 1991, le président avait autorisé l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, en vertu de l’article 37 par. 2 du règlement, à présenter des observations écrites sur un point déterminé. Le greffier les a reçues le 20 janvier 1992; le représentant du président de l’Ordre les a complétées par une note du 10 mars 1992.

6. Le 22 novembre 1991, la Commission a produit les pièces de la procédure suivie devant elle; le greffier l’y avait invitée sur les instructions du président.

7. Ainsi qu’en avait décidé celui-ci, les débats se sont déroulés en public le 21 avril 1992, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

Mme E. Belliard, directeur adjoint des affaires juridiques

au ministère des Affaires étrangères, agent,

M. B. Gain, sous-directeur des droits de l’homme

à la direction des affaires juridiques du ministère des

Affaires étrangères,

Mlle M. Picard, magistrat détaché

à la direction des affaires juridiques du ministère des

Affaires étrangères,

M. J. Camut, directeur adjoint des douanes

au ministère du Budget,

Mme C. Cosson, magistrat détaché

au service des affaires européennes et internationales au

ministère de la Justice, conseils;

- pour la Commission

M. H.G. Schermers, délégué;

- pour le requérant

Me A. Lestourneaud, avocat,

Me P. Potiez-Lestourneaud, avocate, conseils.

La Cour a entendu en leurs déclarations, de même qu’en leurs réponses à une question posée par elle, Mme Belliard pour le Gouvernement, M. Schermers pour la Commission, Me Lestourneaud et Me Potiez-Lestourneaud pour le requérant.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8. Ressortissant français né en 1963 à Saïgon, M. Tuan Tran Pham Hoang était au moment des faits domicilié à Aulnay-sous-Bois (France) et dépourvu d’emploi.

9. Le 3 janvier 1984, il fut interpellé à Paris avec quatre autres personnes originaires de Hong Kong, du Cambodge et du Vietnam, MM. Cheng Man Ming, Fu Wing Kin, Ngo Pan et Tran Gia Quong. Il se trouvait au volant d’une voiture vers laquelle se dirigeaient MM. Cheng et Fu, lesquels sortaient d’un hôtel et portaient deux sacs contenant 2 750 grammes d’héroïne-base et 85 d’héroïne presque pure, ainsi qu’une balance dont un plateau portait des traces d’héroïne. Deux autres personnes, MM. Jip Quang Duong et Hanh Phuoc, furent arrêtées à la suite d’une perquisition dans un appartement où s’était rendu le requérant et où la police découvrit des armes et 5 kg de caféine.

Depuis la fin de décembre 1983, des fonctionnaires de la brigade des stupéfiants et du proxénétisme menaient des opérations de surveillance et de filature; ils avaient eu vent de la préparation d’un trafic d’héroïne en relation avec des individus de Hong Kong.

10. Le 7 janvier 1984, un juge d’instruction inculpa le requérant d’infraction à la législation sur les stupéfiants et le plaça en détention provisoire. L’intéressé fut remis en liberté sous contrôle judiciaire le 6 mars 1984.

A. La procédure devant le tribunal de grande instance de Paris

11. Par une ordonnance du 25 mars 1984, le juge d’instruction renvoya en jugement le requérant et les six autres personnes susmentionnées, pour "avoir, à Paris, courant 1983-1984 et notamment jusqu’au 3 janvier, conclu une association ou entente dans le but de fabriquer, détenir et céder des produits stupéfiants, en l’espèce de l’héroïne".

12. A l’audience du 2 mai 1985, le directeur général des douanes invita le tribunal à

"Déclarer Cheng, Fu Wing, Ngo, Tran, Hanh, Jip et Pham coupables d’avoir du 1er décembre 1983 au 3 janvier 1984, sur le territoire douanier français, commis en tant que détenteurs ou intéressés à la fraude le délit douanier de 3e classe réputé contrebande de marchandises prohibées par véhicule autopropulsé et par une réunion de plus de six individus;

Les condamner de ce chef, conjointement et solidairement, à payer à l’administration des douanes:

- une somme de deux millions huit cent trente-cinq mille francs (2 835 000) pour tenir lieu de la confiscation de la marchandise qui sera détruite (art. 435 du C.D. [code des douanes]);

- une amende de deux millions huit cent trente-cinq mille francs (2 835 000) égale à la valeur de la marchandise de fraude (art. 414 du C.D.);

Prononcer la contrainte par corps et fixer sa durée au maximum;

Ordonner le maintien en détention jusqu’au paiement des pénalités douanières (article 388 nouveau du code des douanes) des détenus dans la limite de la durée de la contrainte par corps;

Le tout par application des articles 38, 215, 343, 373, 382, 388, 392, 399, 409, 416, 417, 419, 435 et 438 du code des douanes, de l’article 750 du code de procédure pénale et de l’arrêté du 11 décembre 1981 du ministre du Budget;

Sans préjudice de la peine d’emprisonnement prévue par l’article 416 du code des douanes qu’il plaira au ministère public de requérir en application de l’article 343-1 dudit code."

Les conclusions du directeur général indiquaient notamment:

"Les déclarations des prévenus et la surveillance des enquêteurs permettaient de dire que:

Cheng Man Ming et Fu Wing Kin ont quitté ensemble Bangkok le 26 décembre 1983 par avion, transportant une valise truquée qui contenait l’héroïne saisie. Arrivés à Athènes, Cheng a continué son voyage aérien jusqu’à Paris et chargeait Fu de transporter la valise par voie ferroviaire afin d’échapper aux contrôles minutieux opérés dans les aéroports parisiens.

En France, Ngo Pan a accompagné Cheng pour opérer différents achats: celui de la bassine qui aurait servi au mélange de l’héroïne et de la caféine [et] celui du sécateur qui a permis de découper la cachette de la valise truquée.

C’est dans la voiture automobile de Pham que devait être transportée l’héroïne saisie, et Tran devait convoyer cette marchandise chez Jip Quang Duong et Hanh Phuoc, au domicile desquels furent saisis les cinq kilogrammes de caféine.

Il est donc établi que les sept prévenus ont formé une réunion d’individus (que tous aient détenu ou non la marchandise de fraude) en vue d’importer de l’héroïne-base, de la transformer, de la détenir, de la transporter et de la mélanger à de la caféine en vue d’obtenir une marchandise dont la valeur sur le marché illicite aurait triplé du fait de ce mélange.

(...)

En droit

Attendu que les marchandises litigieuses sont nommément reprises à l’arrêté du 11 décembre 1981 du ministre du Budget fixant la liste des produits soumis aux dispositions de l’article 215 du code des douanes;

Attendu que ceux qui détiennent ou transportent les marchandises spécialement désignées par des arrêtés du ministre de l’Economie et des Finances doivent, à première réquisition des agents des douanes, produire soit des quittances attestant que ces marchandises ont été régulièrement importées, soit des factures d’achat, bordereaux de fabrication ou toutes autres justifications d’origine émanant de personnes ou sociétés régulièrement établies à l’intérieur du territoire douanier;

Attendu qu’à défaut des justifications d’origine ci- dessus, les marchandises en cause sont réputées avoir été importées en contrebande (art. 419 du C.D.);

Attendu qu’ainsi est constitué le délit réputé importation en contrebande de marchandises prohibées, en l’espèce 2 835 grammes d’héroïne-base ou presque pure d’une valeur de 2 835 000 f., prévu et puni par les articles 38, 215, 373, 414, 417, 419 et 435 du code des douanes; avec les circonstances aggravantes suivantes:

1. il s’agit de la marchandise la plus prohibée sur le plan douanier et la plus nocive au regard de la législation sanitaire;

2. (...) le délit a été commis par une réunion de six individus ou plus (art. 416 du C.D.);

3. (...) la marchandise allait être transportée par véhicule autopropulsé (art. 416 du C.D.).

Particularité du droit douanier

Art. 373 du C.D.: dans toute action sur une saisie, la preuve de non-contravention est à la charge du saisi.

Les prévenus ne peuvent pas se décharger de leur responsabilité pénale en invoquant leur bonne foi; cette dernière est tout à fait inopérante au regard du droit douanier.

Art. 409 du C.D.: toute tentative de délit est punissable comme le délit même. La marchandise de fraude allait être réceptionnée dans le véhicule de Pham, par ce dernier, Ngo et Tran.

Responsabilités

Attendu que le délit ci-dessus qualifié est imputable aux susnommés en tant que détenteurs - détenteurs juridiques - ou intéressés à la fraude;

Attendu que le détenteur des marchandises de fraude est réputé responsable de la fraude (art. 392 par. 1 du C.D.);

Attendu que (art. 399 du C.D.)

1. Ceux qui ont participé comme intéressés d’une manière quelconque à un délit de contrebande ou à un délit d’importation ou d’exportation sans déclaration sont passibles des mêmes peines que les auteurs de l’infraction et, en outre, des peines privatives de droits édictées par l’article 432 du code des douanes;

2. Sont réputés intéressés:

a) les entrepreneurs, membres d’entreprises, assureurs, assurés, bailleurs de fonds, propriétaires de marchandises et, en général, ceux qui ont un intérêt direct à la fraude;

b) ceux qui ont coopéré d’une manière quelconque à un ensemble d’actes accomplis par un certain nombre d’individus agissant de concert, d’après un plan de fraude arrêté pour assurer le résultat poursuivi en commun;

c) ceux qui ont, sciemment, soit couvert les agissements des fraudeurs ou tenté de leur procurer l’impunité, soit acheté ou détenu, même en dehors du rayon, des marchandises provenant d’un délit de contrebande ou d’importation sans déclaration.

3. L’intérêt à la fraude ne peut être imputé à celui qui a agi en état de nécessité ou par suite d’une erreur invincible;

Attendu que les condamnations contre plusieurs personnes pour un même fait de fraude sont solidaires, tant pour les pénalités pécuniaires tenant lieu de confiscation que pour l’amende et les dépens (art. 406 par. 1 du C.D.);

Attendu que les propriétaires des marchandises de fraude, ceux qui se sont chargés de les importer ou de les exporter [,] les intéressés à la fraude, les complices et adhérents sont tous solidaires et contraignables par corps pour le paiement de l’amende, des sommes tenant lieu de confiscation et des dépens (art. 407 du C.D.);

(...)"

13. Le 31 mai 1985, le tribunal de grande instance de Paris (16e chambre correctionnelle) relaxa, au bénéfice du doute, le requérant, ainsi que MM. Jip et Hanh, de tous les chefs de poursuite.

En ce qui concerne la procédure relative au délit pénal simple (paragraphe 11 ci-dessus), il releva:

"(...) rien ne prouve que Pham Hoang, dont l’intervention n’a été que ponctuelle, ait accepté en connaissance de cause de transporter dans sa voiture la marchandise et ses détenteurs;

(...)"

Au sujet de la procédure relative au délit douanier (paragraphe 12 ci-dessus), il nota:

"(...)

Attendu que sur le plan douanier, aucun acte matériel de complicité ou d’intéressement à la fraude ne peut être établi à l’encontre de Jip, Hanh et Pham;

Qu’à cet égard, il convient d’observer que l’intervention de la police s’est située avant même que n’ait pu se produire, de leur part, le moindre acte de détention de la marchandise prohibée; que donc, la question de leur bonne foi éventuelle n’a même pas à être posée;

(...)"

En revanche, le tribunal infligea aux autres prévenus des peines de six à douze ans d’emprisonnement.

B. La procédure devant la cour d’appel de Paris

14. Le directeur général des douanes interjeta appel, quant au délit douanier, contre la décision prise en faveur du requérant et de MM. Jip et Hanh. En vue de l’audience du 23 septembre 1985, il déposa les conclusions ci-après:

"Attendu qu’en ce qui concerne Pham il faut préciser que ce dernier a toujours affirmé ‘qu’il ignorait tout de l’opération à laquelle il a participé’; il ne peut pas être relaxé de ce fait puisque pour la constitution du délit douanier, le tribunal n’a pas à tenir compte de l’élément intentionnel (art. 373 du C.D.);

Que c’est Pham qui conduisait le véhicule automobile dans lequel Tran puis Ngo avaient pris place; que les enquêteurs les ont vus à plusieurs reprises se rendre dans des magasins pour acheter de l’acide chlorhydrique - marchandise servant à transformer l’héroïne-base en héroïne soluble;

Que les deux hommes, toujours pilotés par Pham, se sont rendus à l’hôtel de Cheng; que Cheng et Fu ont été capturés alors qu’ils allaient placer l’héroïne-base dans le véhicule de Pham;

Attendu qu’ainsi est établi que Pham allait être ‘le détenteur juridique’ des 2 835 grammes d’héroïne-base; que cette détention a échoué pour une raison indépendante de sa volonté;

Qu’en plus, le fait d’avoir piloté dans son propre véhicule deux trafiquants qui d’une part allaient chercher un élément de la marchandise de fraude, l’acide chlorhydrique, et d’autre part étaient sur le point de réceptionner une marchandise prohibée à titre absolu, l’héroïne-base, permet de dire qu’il est intéressé à la fraude;

En résumé: il est bien établi que Pham, Jip et Hanh ont bien formé une réunion d’individus avec les quatre autres en vue de détenir, de transporter, ou de tenter de transporter et de transformer de l’héroïne consommable et ce en tentant d’ajouter à de l’héroïne- base de l’acide chlorhydrique, puis au chlorhydrate d’héroïne ainsi obtenu de la caféine afin d’augmenter d’une part le poids de la marchandise à livrer sur le marché clandestin et d’autre part et surtout le bénéfice tiré du trafic;

Attendu qu’ainsi en ce qui concerne les trois intimés le tribunal n’a pas tenu compte des articles 373, 392, 399 et 409 du code des douanes;

Circonstances atténuantes

Attendu que le tribunal pouvait toutefois, en application de l’article 369 du C.D. en ce qui concerne Pham, Hanh et Jip, les faire bénéficier des circonstances atténuantes d’une part en réduisant la somme tenant lieu de confiscation et l’amende jusqu’au tiers de la valeur des marchandises de fraude (2 835 000: 3 = 945 000 f.) et d’autre part en libérant Pham de la confiscation du moyen de transport;

Particularité du droit douanier

Attendu que les délits d’infractions à la législation sur les stupéfiants sont indivisibles des délits de contrebande;

Que toutefois les délits douaniers sont des délits matériels prévus et punis par un droit exorbitant du droit commun, notamment par

369 par. 2: la bonne foi est strictement inopérante 373: en matière de saisie, la preuve de non- contravention est à charge du saisi 392: le détenteur 399: intéressement à la fraude

(...)"

15. Dans les conclusions qu’ils formulèrent par écrit pour l’audience du 2 décembre 1985, les deux conseils du requérant - Mes Lestourneaud et Pugliesi-Conti - avancèrent en particulier que les articles 369 par. 2, 373, 392 par. 1 et 399 par. 2 du code des douanes étaient "incompatibles avec les notions de procès équitable et de présomption d’innocence contenues dans l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) de la Convention européenne des Droits de l’Homme".

16. Le 10 mars 1986, la cour d’appel de Paris déclara le requérant "coupable d’avoir, à Paris et sur le territoire douanier, du 1er décembre 1983 au 3 janvier 1984, commis en tant que détenteur ou intéressé à la fraude le délit douanier de deuxième classe réputé importation en contrebande de marchandises prohibées par véhicule autopropulsé et par une réunion de plus de trois individus".

En répression, elle le condamna à "payer à l’administration des douanes, conjointement et solidairement avec Cheng Man Ming, Fu Wing Kin, Ngo Pan et Tran Gia Quong:

- une somme de 2 835 000 francs pour tenir lieu de la confiscation de la marchandise qui sera[it] détruite,

- une amende de 2 835 000 francs égale à la valeur de la marchandise de fraude,

sa solidarité étant dans les deux cas limitée à la somme de 1 000 000 francs".

Son arrêt contenait les motifs suivants:

"A. Sur les conclusions de la défense concernant Pham

Par des conclusions déposées devant la cour, les défenseurs de Pham Hoang Tuan Khanh demandent la confirmation de la décision de relaxe dont celui-ci a bénéficié et le débouté de l’administration des douanes, seule appelante contre ce prévenu, au motif que les articles 392-1, 373, 399-2 et 3 et 369 du code des douanes seraient incompatibles avec les dispositions des articles 6 (art. 6) de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques signé à New York le 16 décembre 1966, ratifiés par la France, consacrant les principes du ‘procès équitable’ et de ‘la présomption d’innocence en matière pénale’.

Ce moyen ne constitue pas une exception préjudicielle, dès lors que les conventions invoquées ne prévoient pas de recours préalable en interprétation devant les organismes juridictionnels créés pour leur application.

Touchant à la légalité des poursuites, il y a lieu de l’examiner bien qu’il n’ait pas été soulevé avant toute défense au fond.

Les conclusions de la défense ne relèvent aucune violation des règles concernant le déroulement de la procédure proprement dite suivie à l’instruction ou à l’audience, mais elles font valoir que les textes du code des douanes invoqués par la partie poursuivante réputent responsable de la fraude le détenteur de la marchandise et intéressés à la fraude ceux qui entrent dans des catégories déterminées, sans tenir compte de la bonne foi ou de l’élément intentionnel, et qu’ils édictent ainsi une présomption de culpabilité qui les rend incompatibles avec les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et du Pacte international prescrivant que ‘toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement...’ et que ‘toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie’.

Il est rappelé que la Cour européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg a jugé que la présomption d’innocence figure parmi les éléments du procès équitable et que l’application de textes dispensant la partie poursuivante de la charge de la preuve désavantage le prévenu, supprime à son détriment l’égalité des armes et, en définitive, le prive d’un procès équitable.

Mais, s’il est vrai que l’administration des douanes n’a pas à rapporter la preuve de la mauvaise foi du détenteur de la marchandise de fraude ou de l’intéressé à la fraude, elle doit toutefois établir le fait matériel de la détention et démontrer que le prévenu a participé comme intéressé d’une manière quelconque à un délit de contrebande ou d’importation sans déclaration ou qu’il appartient à l’une des catégories de ceux qui sont réputés avoir un intérêt direct à la fraude.

C’est la spécificité des infractions douanières, commises en tous leurs éléments dès que la marchandise de fraude franchit la frontière, qui oblige le législateur à les définir comme des délits contraventionnels constitués dès que le fait matériel qui en révèle l’existence est constaté sur le territoire français.

La nature particulière de ces infractions ne prive pourtant pas le contrevenant de toute possibilité de défense, dès lors que la loi prévoit que le détenteur peut s’exonérer par la preuve de la force majeure et que l’intérêt à la fraude ne peut être imputé à celui qui a agi en état de nécessité ou par suite d’une erreur invincible.

Il résulte des pièces de la procédure que Pham, qui a été placé en détention provisoire le 7 janvier 1984 et remis en liberté sous contrôle judiciaire le 6 mars 1984 et a été relaxé par les premiers juges, a constamment été traité comme présumé innocent et a eu toute possibilité de faire valoir les moyens que la loi lui laisse de s’exonérer.

Dans ces conditions, il n’existe pas, en l’espèce, d’incompatibilité entre les textes critiqués et les principes définis par les conventions invoquées, dès lors que l’administration des douanes poursuit contre Pham un délit d’importation en contrebande de marchandises prohibées de manière absolue, s’agissant de 2 835 grammes d’héroïne-base ou presque pure, marchandise dont l’importation est strictement interdite en raison de sa nocivité pour la santé publique et de l’atteinte que sa consommation cause aussi bien à l’intégrité physique de ses usagers qu’à l’ordre social.

En présence d’un fléau qui frappe plus particulièrement les jeunes et se propage de manière inquiétante, les textes du code des douanes critiqués, dont il a été fait application dans le respect des règles édictées par le code de procédure pénale, apparaissent comme la réponse donnée, dans le cadre constitutionnel et les limites de la souveraineté d’un État européen, à des infractions d’une particulière gravité réclamant une sanction appropriée et spécifique.

Il n’y a donc pas lieu de déclarer ces textes inapplicables.

B. Sur la culpabilité de Pham

Il est constant que, dans l’après-midi du 3 janvier 1984, Pham a conduit dans son automobile Peugeot 104 le nommé Ngo, qui jouait un rôle important dans l’importation de l’héroïne et recherchait dans divers magasins de l’acide chlorhydrique pour mélanger l’héroïne pure introduite en France par Cheng et Fu.

Il était présent à 13 heures dans l’appartement du 110 boulevard de la Chapelle quand les 5 kg de caféine y ont été livrés par un Asiatique présenté par les autres prévenus comme le chef du réseau de trafiquants.

Il a accepté de conduire Tran et Ngo au rendez-vous pris par ceux-ci avec Cheng et Fu.

Au moment où il a été interpellé, il attendait que Cheng prenne place dans son automobile pour le conduire dans l’appartement de Tran, boulevard de la Chapelle.

Il était donc sur le point de détenir la marchandise de fraude qui n’a pas été placée dans son véhicule uniquement en raison de l’intervention des policiers.

C’est donc à juste titre que l’administration des douanes fait valoir que la tentative est considérée comme le délit même, que c’est pour une raison indépendante de sa volonté que Pham n’a pas eu la détention matérielle de l’héroïne qui allait être placée dans son automobile et que le fait d’avoir piloté dans son propre véhicule deux trafiquants qui étaient sur le point de réceptionner la marchandise prohibée permet de dire qu’il était intéressé à la fraude.

Il n’allègue pas avoir agi en état de nécessité et les circonstances dans lesquelles il a été impliqué dans l’action et interpellé ne lui permettent pas de soutenir qu’il a agi par suite d’une erreur invincible."

C. La procédure devant la Cour de cassation

17. Le jour même du prononcé de l’arrêt, M. Pham Hoang se pourvut en cassation. Son client n’étant pas en mesure d’assumer de nouvelles dépenses, Me Lestourneaud sollicita auprès du président de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, le 10 mars 1986, la commission d’un avocat d’office. Il écrivait: "Les principes dont [le requérant] entend se prévaloir devant la Cour sont complexes et les conseils d’un avocat à la Cour de cassation s’avèrent indispensables pour suivre la procédure." Il réitéra cette demande par une lettre du 21 mars 1986.

18. Le 26 mars, le président de l’Ordre lui répondit en ces termes:

"Il n’existe pas d’aide judiciaire en matière pénale, devant la Cour de cassation, au profit des condamnés, dont le nombre est infini.

Dans certains cas exceptionnels, concernant les peines les plus graves, je commets gratuitement l’un de mes confrères aux fins d’examen.

Mais M. Pham Hoang ne rentre pas dans cette catégorie et je ne peux faire droit à sa demande."

19. Le 7 août 1986, le requérant adressa au greffe de la Cour de cassation une lettre recommandée; il signalait qu’il versait au dossier, à titre de mémoire en défense, une copie des conclusions d’appel déposées le 2 décembre 1985 par ses deux conseils (paragraphe 15 ci-dessus).

20. La Cour de cassation (chambre criminelle) rejeta le pourvoi le 9 mars 1987, par les motifs ci-après:

"Vu le mémoire personnel régulièrement produit et le mémoire en défense;

Attendu que ce mémoire n’offre en lui-même à juger aucun point de droit et ne vise aucun texte dont la violation serait alléguée; qu’ainsi, ne répondant pas aux exigences de l’article 590 du (...) code [de procédure pénale], il n’est pas recevable;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme;"

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. La législation et la jurisprudence relatives aux infractions douanières

21. Les infractions douanières constituent en France des infractions pénales présentant diverses particularités.

Le code des douanes réprime pour l’essentiel la contrebande (articles 417 et 422) et les importations ou exportations sans déclaration (articles 423 à 429). Seule la première entre ici en ligne de compte. Elle "s’entend des importations ou exportations en dehors des bureaux ainsi que de toute violation des dispositions légales ou réglementaires relatives à la détention et au transport des marchandises à l’intérieur du territoire douanier" (article 417 par. 1), par exemple - mais non exclusivement - s’il s’agit de marchandises prohibées à l’entrée (article 418 par. 1, à combiner avec l’article 38).

22. Les principales dispositions du code des douanes mentionnées en l’espèce sont les suivantes:

Article 369 par. 2

"Les tribunaux ne peuvent relaxer les contrevenants pour défaut d’intention."

La loi no 87-502 du 8 juillet 1987 modifiant les procédures fiscales et douanières a abrogé ce paragraphe, mais elle n’a pu jouer en l’espèce.

Article 373

"Dans toute action sur une saisie, les preuves de non-contravention sont à la charge du saisi."

Article 392 par. 1

"Le détenteur de marchandises de fraude est réputé responsable de la fraude."

Prise à la lettre, cette disposition semble édicter une présomption irréfragable. Une évolution jurisprudentielle en a cependant tempéré la rigueur: la chambre criminelle de la Cour de cassation affirme désormais tant le pouvoir d’appréciation souveraine, par les juges du fond, des "éléments de conviction soumis au débat contradictoire" (voir par exemple l’arrêt Abadie du 11 octobre 1972, Bulletin (Bull. crim.), no 280, p. 723) que la possibilité, pour le prévenu, de s’exonérer en établissant l’existence d’un "cas de force majeure" résultant "d’un événement non imputable" à lui et qu’il "était dans l’impossibilité absolue d’éviter", telle "l’impossibilité absolue (...) de connaître le contenu [d’un] colis" (voir par exemple l’arrêt Massamba Mikissi et Dzekissa du 25 janvier 1982, Gazette du Palais, 1982, jurisprudence, pp. 404-405, et l’arrêt Salabiaku du 21 février 1983, dont des extraits se trouvent reproduits dans le volume no 141-A de la série A, p. 10, par. 15).

Article 399

"1. Ceux qui ont participé comme intéressés d’une manière quelconque à un délit de contrebande ou à un délit d’importation ou d’exportation sans déclaration sont passibles des mêmes peines que les auteurs de l’infraction et, en outre, des peines privatives de droits édictées par l’article 432 ci-après.

2. Sont réputés intéressés:

a) les entrepreneurs, membres d’entreprises, assureurs, assurés, bailleurs de fonds, propriétaires de marchandises et, en général, ceux qui ont un intérêt direct à la fraude;

b) ceux qui ont coopéré d’une manière quelconque à un ensemble d’actes accomplis par un certain nombre d’individus agissant de concert, d’après un plan de fraude arrêté pour assurer le résultat poursuivi en commun;

c) ceux qui ont, sciemment, soit couvert les agissements des fraudeurs ou tenté de leur procurer l’impunité, soit acheté ou détenu, même en dehors du rayon, des marchandises provenant d’un délit de contrebande ou d’importation sans déclaration.

3. L’intérêt à la fraude ne peut être imputé à celui qui a agi en état de nécessité ou par suite d’erreur invincible."

Selon la jurisprudence française, l’intérêt se distingue de la complicité pénale définie par les articles 59 et 60 du code pénal, auxquels se réfère l’article 398 du code des douanes (27 avril 1967, Bull. crim., no 137).

Par "erreur invincible", il faut entendre une erreur relative à un fait matériel, commise dans des conditions excluant, de la part de son auteur, toute faute ou négligence et qu’il ne pouvait pas éviter, même après les vérifications voulues; il ne s’agit pas d’une simple question de bonne foi (24 novembre 1980, Bull. crim., no 313). D’après un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, du 12 novembre 1985, "l’article 399 par. 2 du code des douanes exige, pour qu’une personne soit déclarée coupable d’intéressement à une fraude commise par des tiers, qu’il soit constaté par le juge que le prévenu a eu conscience de coopérer à une opération irrégulière pouvant aboutir à une fraude douanière, quand bien même il en eût ignoré les modalités" (Bull. crim., no 350).

Article 409

"Toute tentative de délit douanier est considérée comme le délit même."

B. Le pourvoi en cassation en matière pénale et l’aide judiciaire

23. Le ministère d’avocat n’est pas obligatoire pour se pourvoir en cassation en matière pénale. Un condamné peut former lui-même un tel pourvoi et exposer par écrit ses moyens (articles 568, 584 et 585 du code de procédure pénale). Toutefois, le droit de plaider est réservé aux membres de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation ("les avocats aux Conseils").

24. Pendant de nombreuses années, aucun texte n’a réglé le problème de l’assistance aux personnes jouissant de ressources insuffisantes pour assurer l’exercice de leurs droits devant les juridictions répressives.

L’article 4 de la loi no 72-11 du 3 janvier 1972 relative à l’aide judiciaire et à l’indemnisation des commissions et désignations d’office prévoyait seulement:

"L’aide judiciaire est accordée tant en matière gracieuse qu’en matière contentieuse.

Elle s’applique à:

Toute instance portée, soit devant une juridiction relevant de l’ordre judiciaire à l’exclusion des juridictions pénales, soit devant le Conseil d’État, les cours administratives d’appel, les tribunaux administratifs ou le Tribunal des conflits;

Toute action concernant une personne civilement responsable, exercée devant les juridictions de jugement;

Toute action de partie civile devant les juridictions d’instruction et de jugement;

Tout acte conservatoire;

Toute voie d’exécution, soit d’une décision de justice, soit d’un acte quelconque."

Selon l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, la situation antérieure à la réforme de 1991 (paragraphe 25 ci-dessous) se présentait ainsi:

"(...)

A défaut de texte, la tradition des barreaux français a (...) toujours été d’assurer la défense en matière pénale au bénéfice des personnes ne pouvant assumer les frais de leur défense, sur commission d’office du bâtonnier; le défaut de ressources ne fait l’objet d’aucun contrôle et est, en la matière, présumé.

S’il apparaît que l’intéressé auquel un défenseur a été commis d’office devant les juridictions du fond, généralement sur sa demande, mais, parfois, pour la régularité de la procédure, sur la demande d’un juge d’instruction ou du président de la juridiction (par exemple en ce qui concerne les assises), a des ressources, la commission d’office peut, sur sa demande, être transformée en désignation d’office, l’avocat initialement commis ayant alors le droit à des honoraires, sous le contrôle du bâtonnier.

Les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation ont, de tout temps, contribué de leur côté à une défense gratuite en matière pénale; cependant, compte tenu du petit nombre des avocats aux Conseils et du caractère ‘extraordinaire’ de la voie de recours qu’est le pourvoi en cassation, il a été nécessaire de procéder à une adaptation.

Cette adaptation a été de deux ordres:

D’une part, le président de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation n’a jamais commis directement d’office un confrère; il désignait, dans le cas où une commission d’office était susceptible d’être accordée, un avocat pour examiner le dossier; celui-ci rendait compte au président et, pour le cas où il avait découvert un moyen de cassation, la désignation en vue de l’examen du dossier était transformée de manière informelle en commission d’office.

Cet examen préalable correspondait à l’examen préalable par le Bureau d’aide judiciaire et avait les mêmes ressources.

L’avocat désigné produisait, lorsqu’un moyen était susceptible d’être développé, un mémoire en tant qu’avocat bénévole.

D’autre part, un avocat n’était pas désigné d’office sur toute demande.

En fait, l’examen du dossier était ordonné de droit lorsqu’une condamnation avait été prononcée par une cour d’assises, ainsi qu’au cas de renvoi à une cour d’assises, et au cas de prononcé d’une peine d’emprisonnement par un tribunal correctionnel lorsque le demandeur était détenu. L’examen du dossier était également prescrit en faveur des condamnés par une juridiction correctionnelle, non détenus, dont la peine dépassait un certain seuil, ce seuil paraissant avoir varié dans le temps.

Dans tous les cas, le président qui indiquait ne pouvoir désigner d’office un confrère ajoutait une réserve; il indiquait qu’il ferait examiner le dossier par un de ses confrères si son attention était attirée sur une question de droit susceptible d’être soumise au contrôle de la Cour de cassation. En fait, l’examen du dossier était ordonné assez libéralement dès lors qu’un avocat devant une juridiction du fond attirait l’attention du président de l’Ordre sur une question précise.

Il faut noter que ces précautions étaient nécessaires, non seulement en raison du petit nombre d’avocats aux Conseils, mais en raison du caractère suspensif qui s’attache au pourvoi en cassation en matière pénale (sauf en ce qui concerne les condamnations civiles); il ne fallait pas, en effet, que, sous couleur d’accorder l’examen d’office du dossier (ou d’accorder une commission d’office), dans des cas où le pourvoi n’était pas soutenable, l’examen de celui-ci fût systématiquement retardé.

Il ne faut pas perdre de vue en effet que lorsqu’un avocat est inscrit sur un dossier, un délai lui est accordé. Par ailleurs, lorsqu’un mémoire est produit, la Cour de cassation est obligée de rendre un arrêt motivé, après examen par un conseiller rapporteur, cependant que lorsqu’un pourvoi n’est pas soutenu, l’affaire est automatiquement portée à un rôle dit `rôle de forme’, parce que la Cour de cassation n’examine essentiellement que la régularité formelle de l’arrêt; elle s’assure, en réalité, également que le maximum légal de la peine n’a pas été dépassé.

En 1985, le président de l’Ordre des avocats aux Conseils qui avait alors été élu s’est ému de l’augmentation du nombre des demandes de commissions d’office, dont il était saisi, et du nombre de désignations d’office pour examen qu’il était amené à ordonner, en suivant les critères précédents; on était en effet passé de 110 désignations pour examen en 1975 à 200 désignations d’office en 1985.

Il a cru devoir, de sa propre initiative, modifier légèrement sinon véritablement les critères, tout du moins la lettre qui était précédemment adressée à ceux qui demandaient une commission d’office ou aux avocats qui la demandaient pour eux; il a cessé de mentionner systématiquement, sur la lettre envoyée en réponse aux demandes dont il était saisi, qu’un avocat serait chargé d’office de l’examen si un moyen de droit lui était signalé; il a, d’autre part, fait passer le critère de la désignation d’office, pour les demandeurs non détenus, à une condamnation à deux ans de prison (au lieu, semble-t-il, d’un an précédemment).

En fait lorsqu’un moyen lui était signalé, il ordonnait, comme par le passé, l’examen d’office; il en était de même lorsque la situation morale du demandeur le justifiait.

Ces mesures ont fait baisser le nombre des examens ordonnés de 200 en 1985 à 170 en 1986.

Le président élu en 1988 a pris la décision d’ordonner, sans aucune distinction, l’examen de tous les dossiers dès lors qu’une demande de commission d’office lui était faite; on passa de 189 examens de dossiers en 1987 à 220 examens de dossiers prescrits en 1988, pour arriver à 342 examens de dossiers en 1990, avec une baisse à 315 dossiers en 1991.

(...)"

25. La loi no 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique dispose désormais:

"L’aide juridictionnelle est accordée en matière gracieuse ou contentieuse, en demande ou en défense, devant toute juridiction.

Elle peut être accordée pour tout ou partie de l’instance.

Elle peut également être accordée à l’occasion de l’exécution d’une décision de justice ou de tout autre titre exécutoire."

Après accord entre la Cour de cassation et l’Ordre des avocats aux Conseils, un régime d’aide juridictionnelle en matière pénale a été mis en place.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

26. M. Pham Hoang a saisi la Commission le 20 août 1987. Il se plaignait d’avoir été condamné sur la base de présomptions légales de culpabilité contraires à l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) de la Convention parce qu’incompatibles avec les droits de la défense et avec la présomption d’innocence. Il invoquait aussi l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) dans la mesure où il n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de l’examen de son pourvoi en cassation.

27. La Commission a retenu la requête (no 13191/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 26 février 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut à la non-violation de l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) (sept voix contre cinq) et à la violation de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt[*].

CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR

28. A l’audience, le requérant a invité la Cour, d’une part, à rejeter l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement; d’autre part, à constater une violation des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 6 (art. 6-1, art. 6-2, art. 6-3) de la Convention.

Il a en outre sollicité l’octroi d’une satisfaction équitable.

29. Quant à lui, le Gouvernement a confirmé en substance les conclusions de son mémoire. Il demandait à la Cour d’écarter le premier grief, tiré de l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2), pour non-épuisement des voies de recours internes ou, subsidiairement, pour défaut de fondement et de repousser le second, relatif à l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c), par ce dernier motif.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 PARAS. 1 ET 2 (art. 6-1, art. 6-2)

A. Sur l’exception préliminaire du Gouvernement

30. D’après le Gouvernement, le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes, faute d’avoir mis la Cour de cassation en mesure de juger son pourvoi: il ne lui aurait indiqué ni les dispositions de l’arrêt de la cour d’appel qu’il contestait, ni en quoi elles avaient enfreint le droit interne ou la Convention.

31. Bien que la Commission affirme le contraire, la Cour a compétence pour connaître de l’exception (voir en dernier lieu l’arrêt Tomasi c. France du 27 août 1992, série A no 241-A, p. 33, par. 77). En revanche, elle ne saurait l’accueillir car, dans les circonstances de la cause, le refus de désigner un avocat d’office rendit inefficace le recours dont il s’agit (paragraphe 40 ci-dessous).

B. Sur le fond

32. Selon M. Pham Hoang, sa condamnation a porté atteinte aux principes du procès équitable et de la présomption d’innocence. La cour d’appel de Paris aurait retenu contre lui quatre présomptions, fondées sur les articles 369 par. 2, 373, 392 par. 1 et 399 du code des douanes (paragraphe 22 ci- dessus), et non une seule comme dans l’affaire Salabiaku c. France (arrêt de la Cour du 7 octobre 1988, série A no 141-A), alors pourtant que la gravité considérable de l’enjeu exigeait un respect plus vigilant des droits de la défense.

Il y aurait eu violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 6 (art. 6-1, art. 6-2) de la Convention, ainsi libellés:

"1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie."

Le Gouvernement combat cette thèse et la Commission n’y souscrit pas.

33. Ainsi que l’a souligné l’arrêt Salabiaku du 7 octobre 1988, l’article 6 (art. 6) commande aux États contractants d’enserrer dans des limites raisonnables, prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense, les présomptions de fait ou de droit qui se rencontrent dans leurs lois répressives (p. 16, par. 28 in fine). La Cour n’a pas pour autant à mesurer in abstracto les articles 369 par. 2, 373, 392 par. 1 et 399 du code des douanes à l’aune de la Convention: sa tâche consiste à déterminer s’ils ont été appliqués en l’espèce d’une manière compatible avec la présomption d’innocence et plus généralement avec la notion de procès équitable (ibidem, pp. 14 et 17, paras. 25 et 30).

34. Aux conclusions qui l’invitaient à déclarer inapplicables les quatre textes dudit code incriminés par le requérant, la cour d’appel répondit notamment ce qui suit:

"La nature particulière [des] infractions [douanières] ne prive (...) pas le contrevenant de toute possibilité de défense, dès lors que la loi prévoit que le détenteur peut s’exonérer par la preuve de la force majeure et que l’intérêt à la fraude ne peut être imputé à celui qui a agi en état de nécessité ou par suite d’une erreur invincible.

Il résulte des pièces de la procédure que Pham, qui a été placé en détention provisoire le 7 janvier 1984 et remis en liberté sous contrôle judiciaire le 6 mars 1984 et a été relaxé par les premiers juges, a constamment été traité comme présumé innocent et a eu toute possibilité de faire valoir les moyens que la loi lui laisse de s’exonérer." (paragraphe 16 ci-dessus)

De fait, M. Pham Hoang ne se vit pas privé de toute possibilité de défense; il pouvait, en vertu du paragraphe 3 de l’article 399, essayer de démontrer avoir "agi en état de nécessité ou par suite d’erreur invincible" (paragraphe 22 ci-dessus). La présomption de "responsabilité" qui pesait sur lui ne revêtait pas un caractère irréfragable. A ce sujet, la cour d’appel constata qu’il n’invoquait pas un tel "état de nécessité" et que les circonstances ne lui permettaient pas non plus d’exciper de pareille "erreur invincible" (paragraphe 16 ci-dessus).

35. En outre, dans ses motifs l’arrêt du 10 mars 1986 ne cita aucune des dispositions contestées du code des douanes quand il statua sur la culpabilité du prévenu, même s’il se fonda en substance sur les articles 399 et 409 pour juger celui-ci "intéressé à la fraude" et auteur d’une tentative de délit douanier (paragraphes 16 et 22 ci-dessus). Retraçant les circonstances de l’arrestation du requérant, la cour d’appel prit en compte un faisceau d’éléments de fait. Elle nota que durant l’après-midi du 3 janvier 1984 il avait conduit, au volant de sa propre voiture, un important trafiquant jusqu’à plusieurs magasins aux fins de l’achat d’acide chlorhydrique; elle ajouta qu’il avait été présent, un peu auparavant, dans l’appartement où le chef du réseau avait apporté 5 kg de caféine et qu’il avait accepté d’amener les nommés Tran et Ngo sur les lieux de la livraison de l’héroïne. Elle releva enfin que s’il n’avait "pas eu la détention matérielle" de celle-ci, c’était "uniquement en raison de l’intervention des policiers", donc "pour une raison indépendante de sa volonté" (paragraphe 16 ci-dessus).

36. Il appert, dès lors, qu’elle ne manqua pas de peser les diverses données en sa possession, de les apprécier avec soin et d’appuyer sur elles son constat de culpabilité. Se gardant de tout recours automatique aux présomptions qu’instituent les clauses litigieuses du code des douanes, elle ne les appliqua pas d’une manière incompatible avec l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) de la Convention (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Salabiaku précité, série A no 141-A, pp. 17-18, par. 30).

II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 PAR. 3 c) (art. 6-3-c)

37. M. Pham Hoang se plaint aussi de n’avoir pu obtenir la commission d’office d’un avocat devant la Cour de cassation. Selon lui, l’importance et la complexité des principes juridiques en jeu exigeaient pareille assistance, dans l’intérêt de la justice, dès lors qu’il avait prouvé son impécuniosité. Le président de l’Ordre des avocats aux Conseils la lui aurait pourtant refusée sans même avoir recherché s’il existait un moyen sérieux de cassation. Il en résulterait une violation du paragraphe 3 c) de l’article 6 (art. 6-3-c) de la Convention, ainsi libellé:

"Tout accusé a droit notamment à:

(...)

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent;

(...)"

La Commission arrive à la même conclusion.

38. Le Gouvernement, lui, souligne que le ministère d’un avocat n’est pas obligatoire en matière pénale devant la Cour de cassation. Le requérant aurait d’ailleurs bénéficié, pour former son pourvoi, du concours de l’un des conseils qui l’avaient défendu en appel. Seul aurait pu se poser le problème de sa représentation pendant les débats, mais elle n’eût revêtu aucune utilité puisque la Cour de cassation rejeta le pourvoi comme n’offrant aucun point de droit à juger.

39. La Cour rappelle que dans le système de la Convention, le droit de l’accusé à l’assistance gratuite d’un avocat d’office constitue un élément, parmi d’autres, de la notion de procès pénal équitable (voir en dernier lieu l’arrêt Quaranta c. Suisse du 24 mai 1991, série A no 205, p. 16, par. 27). L’alinéa c) de l’article 6 par. 3 (art. 6-3-c) l’assortit de deux conditions. La première, l’absence des "moyens de rémunérer un défenseur", ne prête pas ici à controverse. En revanche, il y a lieu de rechercher si les "intérêts de la justice" commandaient d’accorder à M. Pham Hoang une telle assistance.

40. Les observations de l’Ordre des avocats aux Conseils donnent à penser que le refus opposé au requérant se produisit pendant une période de transition, marquée par une politique différente de la pratique antérieure et de celle qui suivit (paragraphe 24 ci-dessus); depuis lors, la législation française a étendu à la matière pénale les compétences du bureau d’aide juridictionnelle existant auprès de la Cour de cassation (paragraphe 25 ci-dessus).

Il n’en demeure pas moins que la procédure s’annonçait lourde de conséquences pour le demandeur, relaxé en première instance mais reconnu coupable, en appel, d’importation en contrebande de marchandises prohibées et condamné à payer de fortes sommes à l’administration des douanes (paragraphe 16 ci-dessus).

En outre et surtout, M. Pham Hoang entendait contester devant la Cour de cassation la compatibilité des articles 369 par. 2, 373, 392 par. 1 et 399 par. 2 du code des douanes avec l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) de la Convention. Du moins cela semble-t-il ressortir de sa lettre du 7 août 1986 au greffe de la haute juridiction: il y déclarait verser au dossier, à titre de mémoire en défense, une copie des conclusions déposées en son nom, le 2 décembre 1985, devant la cour d’appel et qui soulevaient le problème (paragraphes 15 et 19 ci-dessus). Or il lui manquait la formation juridique indispensable pour présenter et développer lui-même les arguments appropriés sur des questions aussi complexes. Seul un conseil expérimenté aurait pu s’en charger en essayant, par exemple, d’amener la Cour de cassation à infléchir sa jurisprudence dans le domaine considéré (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Artico c. Italie du 13 mai 1980, série A no 37, p. 17, par. 34).

41. Partant, les "intérêts de la justice" exigeaient en l’espèce la désignation d’un avocat d’office. Faute de l’avoir obtenue, le requérant a été victime d’une violation de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c).

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)

42. Selon l’article 50 (art. 50),

"Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."

43. La Cour n’a relevé aucun manquement aux exigences des paragraphes 1 et 2 de l’article 6 (art. 6-1, art. 6-2). Les prétentions que M. Pham Hoang formule à propos de la procédure suivie devant la cour d’appel de Paris, à savoir le versement de 20 000 francs français (f.) pour frais et dépens ainsi que la reconnaissance de son bon droit pour compenser le "réel sentiment d’injustice" éprouvé, n’entrent donc pas en ligne de compte.

44. Du chef de l’infraction au paragraphe 3 c) (art. 6-3-c), le requérant revendique d’abord une indemnité de 25 000 f. pour le "préjudice matériel" qu’aurait occasionné la "perte d’une chance de mener à bien son pourvoi en cassation avec l’aide gratuite d’un avocat".

La Cour ne saurait spéculer sur le résultat auquel le recours aurait abouti en cas d’octroi de l’assistance judiciaire; l’intéressé le concède du reste. En conséquence, il échet d’écarter la demande dans le cas d’espèce.

45. M. Pham Hoang allègue aussi que le refus de lui accorder les services d’un conseil lui a inspiré "un réel sentiment d’abandon", mais le dommage moral ainsi causé peut, selon lui, être valablement réparé par le constat d’une violation de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c). La Cour en décide ainsi.

46. Le requérant sollicite enfin 50 000 f. pour honoraires d’avocat devant la Commission puis la Cour et 13 690 f. 85 pour frais de transport et de séjour, moins les 16 155 f. versés par le Conseil de l’Europe par la voie de l’aide judiciaire.

Le premier de ces montants se révèle trop élevé en raison du rejet du grief tiré des paragraphes 1 et 2 de l’article 6 (art. 6-1, art. 6-2). Eu égard aux observations des comparants, aux autres éléments en sa possession et à sa propre jurisprudence en la matière, la Cour estime que l’intéressé a droit au remboursement d’une somme globale nette de 30 000 f.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITE,

1. Rejette l’exception préliminaire du Gouvernement;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2);

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c);

4. Dit que le constat de cette violation constitue une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral subi;

5. Dit que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 30 000 f. (trente mille francs français) pour frais et dépens;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

________________________________________

[*]L'affaire porte le n° 66/1991/318/390.  Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

[*]Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990.