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Décisions

Cass. com., 7 juillet 2004, n° 02-18.384

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. TRICOT

cour d'appel de Lyon, 10 juill. 2002

10 juillet 2002

Attendu, selon l'arrêt partiellement confirmatif attaqué, que Mme Z..., titulaire d'un brevet français n° 86.09412 délivré le 30 mars 1990, ainsi que d'un brevet européen n° 0.251.945 délivré le 2 mai 1991, couvrant tous deux des procédés de fermeture automatique destinée à des conteneurs utilisés notamment pour la collecte en cartons des déchets médicaux, et la société Cardis, devenue la société ORNVI, agissant sur le fondement de contrats de licence conclus avec la titulaire de ces brevets, ont poursuivi les sociétés Smurfit-Socar, Ipodec Normandie et Raynaud en contrefaçon des revendications 1, 2, 5, 6 et 7 de ce brevet français, et 1, 4 et 5 de ce brevet européen ; que la cour d'appel a accueilli cette demande, ordonné la poursuite de l'expertise, fixé une provision, et rejeté les recours en garantie formés par la société Ipodec Normandie et par la société Raynaud ;

Sur le moyen unique du pourvoi formé par la société Smurfit-Socar, le premier moyen de la société Ipodec Normandie, et le premier moyen de la société Raynaud, ces derniers pris en leurs diverses branches, les moyens étant réunis :

Attendu que ces sociétés font grief à l'arrêt d'avoir dit qu'elles avaient contrefait les revendications 1, 2, 5, 6 et 7 du brevet français n° 86.09412, alors, selon les moyens :

1 / qu'il résulte de l'article L. 614-13 du Code de la propriété intellectuelle que, dans la mesure où un brevet français a été délivré au même inventeur ou à son ayant cause, le brevet français cesse de produire effet à la date à laquelle la procédure d'opposition est close ;

qu'en retenant en l'espèce que le brevet européen n° 0.251.945 ne s'était pas substitué au brevet français n° 86.09412 au motif que les revendications principales des dits brevets, qui couvrent tous les deux des procédés de fermeture automatique d'emballage, ne seraient pas identiques, sans se livrer à aucune analyse de ces revendications faisant apparaître que les moyens essentiels de l'invention du brevet français ne se retrouvaient pas dans le brevet européen, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé que les deux brevets ne couvraient pas la même invention, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 614-13 du Code de la propriété intellectuelle ;

2 / qu'il résulte de l'article L. 614-13 du Code de la propriété intellectuelle que lorsqu'un brevet français couvre une invention pour laquelle un brevet européen a été délivré au même inventeur, le brevet français cesse de produire effet dans la mesure de ce qui est repris par le brevet européen ; qu'en retenant en l'espèce que le brevet européen n° 0.251.945 ne s'était pas substitué au brevet français n° 86.09412 dès lors que les revendications principales de chacun de ces brevets n'étaient pas identiques et que, dans le brevet européen, ne figurait pas la revendication 7 du brevet français, sans rechercher si la teneur des autres revendications de ces deux brevets n'était pas identique et en constatant même que les revendications 2 et 3 du brevet européen étaient identiques aux revendications 5 et 6 du brevet français, la cour d'appel a violé l'article L. 614-13 du Code de la propriété intellectuelle ;

3 / qu'en application de l'article 64-1 de la Convention de Munich, un brevet européen portant sur un procédé s'étend au produit obtenu directement par ce procédé ; qu'en espèce, en l'absence même de revendication spécifique à cet égard, le brevet européen couvrait donc l'emballage obtenu par le procédé objet de l'invention ; qu'en retenant néanmoins que ce brevet européen ne couvrait pas le brevet français dans la mesure où n'y figurait pas la revendication 7 de celui-ci ayant pour objet un emballage, c'est-à-dire le produit obtenu par le procédé breveté, la cour d'appel a encore statué par un motif inopérant, en violation de l'article 64-1 de la Convention de Munich ;

4 / que si un brevet français couvre une invention pour laquelle un brevet européen a été délivré au même inventeur ou à son ayant cause, le brevet français cesse de produire ses effets à la date à laquelle la procédure d'opposition est close, et la substitution n'a lieu que dans la mesure où il couvre le brevet français ; qu'il résulte des constatations du jugement et de l'arrêt que le brevet européen couvre le brevet français, sauf en ce qui concerne sa revendication n° 7 ; qu'ainsi, le brevet français ne subsiste que dans sa revendication n° 7 ; qu'en décidant dès lors que le brevet européen ne s'était pas substitué au brevet français, la cour d'appel n'a pas déduit de ses constatations les conséquences légales qui en découlaient et a violé l'article L. 614-13 du Code de la propriété intellectuelle ;

5 / qu'en se bornant à énoncer que les revendications principales des brevets français et européen ne sont pas identiques, sans donner aucun motif de nature à expliquer en quoi ces brevets ne seraient pas identiques, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 614-13 du Code de la propriété intellectuelle ;

6 / que si un brevet français couvre une invention par laquelle un brevet européen a été délivré au même inventeur, le brevet français cesse de produire ses effets à la date à laquelle la procédure d'opposition est close ; qu'en se bornant, pour dire que le brevet européen de Mme Z... ne s'était pas substitué au brevet français qui lui avait été antérieurement délivré, à affirmer que les revendications principales de ces deux brevets n'étaient pas identiques, sans se livrer à une analyse de ces revendications, faisant apparaître que les moyens essentiels de l'invention du brevet français ne se seraient pas retrouvés dans le brevet européen, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 614-13 du Code de la propriété intellectuelle ;

7 / que lorsqu'un brevet français couvre une invention pour laquelle un brevet européen a été délivré au même inventeur, le brevet français cesse de produire ses effets dans la mesure de ce qui est repris par le brevet européen ; qu'en se bornant, pour dire que le brevet européen ne s'était pas substitué au brevet français qui lui avait été antérieurement délivré, à affirmer que les revendications principales de ces deux brevets n'étaient pas identiques et que la revendication n° 7 du brevet français ne se retrouvait pas dans le brevet européen, sans rechercher si la teneur des autres revendications des deux brevets était ou non identique, la cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 614-13 du Code de la propriété intellectuelle ;

8 / qu'en retenant que le brevet européen ne s'était pas substitué au brevet français, tout en constatant par ailleurs que les revendications n° 2 et 3 du brevet européen étaient identiques aux revendications n° 5 et 6 du brevet français, ce dont il résultait que celui-ci avait cessé de produire ses effets à l'égard de celles-là, la cour d'appel a violé l'article L. 614-13 du Code de la propriété intellectuelle ;

9 / qu'un brevet européen portant sur un procédé s'étend au produit obtenu directement par ce procédé ; que dès lors, en retenant que le brevet européen de Mme Z... ne couvrait pas le brevet français dont elle est également titulaire dans la mesure où n'y figurait pas la revendication n° 7 de celui-ci ayant pour objet un emballage, bien qu'en l'absence de revendication spécifique à cet égard, le brevet européen ait nécessairement couvert cet emballage en sa qualité de produit obtenu par le procédé breveté, la cour d'appel a violé l'article 64-1 de la Convention de Munich du 5 octobre 1973 ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant constaté dès lors que les brevets couvraient tous deux des procédés de fermeture automatique, que leurs revendications principales respectives, dont elle a précisé les termes, n'étaient pas identiques, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une analyse de leurs revendications principales, que ses constatations rendaient inopérantes, et dont découlait l'absence d'identité des revendications secondaires, et partant, d'une substitution partielle de brevet, a légalement justifié sa décision ;

Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt ne retient pas l'identité des revendications n° 2 et 3 du brevet européen et des revendications n° 5 et 6 du brevet français, mais relève seulement que le dispositif argué de contrefaçon reproduit, tant les unes que les autres, par mise en oeuvre d'un même procédé ;

Et attendu, enfin, que les sociétés Smurfit-Socar et Raynaud n'ayant pas demandé à la cour d'appel de dire que le brevet européen couvrait l'emballage visé à la revendication n° 7 du brevet français en application de l'article 64 de la Convention de Munich du 5 octobre 1973, le grief est nouveau et mélangé de fait et de droit ;

D'où il suit que, pour partie irrecevable, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi formé par la société Ipodec Normandie :

Attendu que cette société fait grief à l'arrêt d'avoir dit qu'en fabriquant, en détenant, en offrant à la vente et en vendant en toute connaissance de cause des conteneurs d'emballage identiques à ceux inventés par Mme Z..., et pour lesquels la société Cardis, devenue société ORNVI, a une licence exclusive, elle a contrefait certaines revendications des brevets français et européen, et de l'avoir condamnée in solidum avec d'autres à réparer le préjudice, alors, selon le moyen, que l'utilisation d'un produit contrefait, lorsqu'elle est commise par une autre personne que le fabricant du produit contrefait, n'engage la responsabilité de son auteur que si elle a été commise en connaissance de cause ; que doit donc être établie par celui qui l'utilise, la connaissance du caractère contrefaisant du produit litigieux ; qu'étant une entreprise de collecte et de traitement des déchets médicaux, la société Ipodec Normandie n'était pas présumée connaître les caractéristiques des emballages fournis ; que pour considérer qu'elle avait commis des actes de contrefaçon, les juges du fond se sont bornés à relever qu'elle ne pouvait ignorer l'existence des brevets, le contrat d'exclusivité liant les sociétés Raynaud et Cardis, le changement de fournisseur d'emballages et la similitude entre les cartons diffusés par les fournisseurs successifs ;

qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la connaissance qu'avait la société Ipodec Normandie du caractère contrefaisant des emballages litigieux, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l'article L. 615-1 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu qu'en relevant par motifs adoptés que, du fait de ses activités de vendeur et de collecteur, la société Ipodec Normandie n'a pu manquer de constater la similitude des caisses livrées par la société Raynaud à partir de la fin de l'année 1994 avec celles précédemment fournies par la société Cardis, comportant systématiquement la mention "emballage breveté", la cour d'appel a caractérisé la connaissance par la société Ipodec Normandie du caractère contrefaisant des emballages qui lui étaient désormais fournis, et a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi formé par la société Raynaud :

Attendu que cette société fait grief à l'arrêt d'avoir dit qu'elle avait contrefait les revendications 1, 2, 5, 6 et 7 du brevet français n° 86.09412, et 1, 4 et 5 du brevet européen n° 0.251.945, alors, selon le moyen, que pour justifier devant la cour d'appel avoir ignoré que les cartons qu'elle revendait contrefaisaient ceux inventés par Mme Z... et vendus par la société Cardis, d'une part, elle se prévalait d'un courrier que lui avait adressé la société TCD, auprès de laquelle elle s'était d'abord fournie, et qui se fournissait elle-même auprès de la société Smurfit-Socar, lui indiquant notamment : "vous trouverez ci-joint la photocopie du courrier adressé à Cardis, ceci afin de vous permettre de vendre notre nouveau produit (cartons) en toute tranquillité par rapport aux prétentions éventuelles de la société Cardis et de nous laisser en cas de litige l'entière responsabilité de cette commercialisation, et ajoutant : "par ailleurs, nous avons la preuve, si besoin est, que des conseils en brevets ont déconseillé à Cardis d'entamer une procédure qui ne pourrait aboutir aux prétentions de contrefaçon", et, d'autre part, soulignait que la société Smurfit-Socar lui avait confirmé à plusieurs reprises qu'elle possédait une antériorité sur le brevet de Mme Z... ; qu'en affirmant que la société Raynaud avait commis des actes de contrefaçon en connaissance de cause en vendant des emballages identiques à ceux inventés par Mme Z..., mais non fournis par la société Cardis, sans répondre à ces conclusions de nature à établir le contraire, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'en retenant, par motifs adoptés, que la société Raynaud connaissait de façon approfondie les éléments techniques et matériels des produits distribués, et en particulier les emballages litigieux, qu'elle reconnaissait avoir été l'agent exclusif de la société Cardis, et qu'elle ne pouvait soutenir qu'elle ignorait la portée des brevets déposés par Mme Z..., la cour d'appel, qui a ainsi caractérisé la connaissance par cette société du caractère contrefaisant des conteneurs ensuite commercialisés par ses soins, a répondu, pour les écarter, aux conclusions dans lesquelles la société Raynaud se prévalait de son ignorance à ce propos ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le pourvoi incident formé par Mme Z... et par la société ORNVI :

Attendu que ces parties font grief à l'arrêt de les avoir déclarées irrecevables à agir en contrefaçon sur le fondement du brevet européen dont Mme Z... est titulaire, alors, selon le moyen, que, dans des conclusions demeurées sans réponse, la société ORNVI faisait valoir que la société Smurfit-Socar avait eu connaissance, dès le 6 février 1995, date de la demande en contrefaçon, du contrat de licence concédé par Mme Z... à la société Cardis, aux droits de laquelle se trouve la société ORNVI, sur le brevet européen n° O 251 945 ; qu'en se bornant à constater que la société Cardis, puis la société ORNVI ne pouvaient justifier d'une inscription au Registre européen des brevets, sans répondre au moyen péremptoire des conclusions de la société ORNVI tiré de la connaissance qu'avait la société Smurfit-Socar de la licence concédée sur le brevet européen lui rendant opposable cette licence, la cour d'appel a privé sa décision de motifs, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant constaté que le contrat en cause n'avait pas fait l'objet de l'inscription au Registre européen des brevets exigée par l'article L. 614-11 du Code de la propriété intellectuelle, seul applicable en pareil cas, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre aux conclusions inopérantes tirées de la connaissance de ce contrat par la partie adverse, a statué par une décision motivée ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le troisième moyen du pourvoi formé par la société Ipodec Normandie, pris en sa seconde branche :

Vu l'article 1213 du Code civil ;

Attendu que pour rejeter le recours en garantie formé par cette société à l'encontre de la société Raynaud, l'arrêt retient qu'ayant agi en connaissance de cause, la société Ipodec Normandie ne peut demander à être garantie de toute condamnation ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il lui revenait, sur le recours dont elle était saisie, de fixer la charge finale de la réparation entre co-obligés en considération de la gravité de leurs fautes respectives, la cour d'appel a violé le texte susvisé par refus d'application ;

Et sur le troisième moyen du pourvoi formé par la société Raynaud :

Vu l'article 1213 du Code civil ;

Attendu que pour rejeter le recours en garantie formé par cette société à l'encontre de la société Smurfit-Socar, l'arrêt retient qu'ayant agi en connaissance de cause, la société Raynaud ne peut demander à être garantie de toute condamnation ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il lui revenait, sur le recours dont elle était saisie, de fixer la charge finale de la réparation entre co-obligés en considération de la gravité de leurs fautes respectives, la cour d'appel a violé le texte susvisé par refus d'application ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté l'action en garantie de la société Ipodec Normandie à l'encontre de la société Raynaud, ainsi que celle de la société Raynaud à l'encontre de la société Smurfit-Socar, l'arrêt rendu le 10 juillet 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

CONDAMNE la société Smurfit-Socar, la société Ipodec Normandie, la société Raynaud, Mme Z... et MM. X... et Y..., ès qualités, aux dépens de leur pourvoi respectif, et la société Smurfit-Socar aux dépens de leur pourvoi respectif ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille quatre.