Cass. crim., 19 septembre 2000, n° 99-83.868
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
Mme Mazars
Avocat général :
M. Lucas
Avocats :
SCP Thomas-Raquin et Bénabent, M. Foussard
REJET du pourvoi formé par :
- X... Arnaud, Y... Frédéric, Z... Jean-Christophe, l'association Jules Verne Aventure, parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 19 mai 1999, qui a déclaré les trois premiers irrecevables en leur action civile et a débouté la quatrième de ses demandes, après relaxe de la société Connivence du chef de contrefaçon d'une oeuvre de l'esprit.
LA COUR,
I. Sur le pourvoi en ce qu'il est formé par l'association Jules Verne Aventure ;
Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;
II. Sur le pourvoi en ce qu'il est formé par les autres demandeurs ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article L. 113-3 du Code de la propriété intellectuelle, des articles L. 122-1, L. 335-3 et suivants du même Code, de l'article 1382 du Code civil, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt déclare irrecevable l'action en contrefaçon d'une oeuvre littéraire et artistique engagée par MM. Y..., Z... et X... en leur qualité de coauteurs et tendant à voir condamner la société Connivence pour cette contrefaçon ;
" aux motifs qu'aux termes de l'article L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle, " est dite de collaboration l'oeuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques " ; que l'article L. 113-3 du même Code dispose : " L'oeuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs. Les coauteurs doivent exercer leurs droits d'un commun accord. En cas de désaccord, il appartient à la juridiction civile de statuer (...) " ; que, pour la réalisation d'une bande dessinée, le scénario et la création graphique sont indissociables ; qu'en conséquence, pour chacun des albums réalisés, le dessinateur Marcel A... et le scénariste doivent être qualifiés de coauteurs ; que la qualité de coauteur de Marcel A... n'est d'ailleurs pas contestée par les parties civiles ; qu'il résulte des pièces du dossier que, par acte d'huissier délivré le 11 août 1997, l'Association " Jules Verne Aventure ", Frédéric Y..., Jean-Christophe Z... et Arnaud X... ont " dénoncé " à Marcel A... la citation directe délivrée le même jour à la société Connivence, à Alain B... et à Dorothée B... ; que Marcel A... ne s'est pas associé aux poursuites ainsi engagées ; que Marcel A... a ultérieurement été cité par la société Connivence, Alain B... et Dorothée B... en qualité de témoin ; qu'il a effectivement déposé sous serment à la barre du tribunal le 6 mai 1998 ; qu'il a déclaré avoir normalement perçu les sommes qui lui étaient dues et ne pas avoir de grief à formuler à l'encontre de la société Connivence ; que, pour l'application de l'article L. 113-3 précité, la jurisprudence distingue, au plan de l'action en justice, la défense du droit moral et la défense des droits patrimoniaux ; que la jurisprudence peut se résumer ainsi : chaque coauteur peut intenter seul une action en justice pour la défense de son droit moral (Civ. 1re, 4 octobre 1988) ; en revanche, la recevabilité d'une action en contrefaçon pour la défense des droits patrimoniaux implique la mise en cause de tous les coauteurs (même décision) ; que, dans leur citation directe, les scénaristes font grief à la société Connivence d'avoir exploité les albums de bandes dessinées sans leur autorisation ; que, conformément à l'article L. 122-1 du Code de la propriété intellectuelle, le droit d'exploitation d'une oeuvre relève des droits patrimoniaux ; que l'action en justice engagée par les scénaristes a donc pour unique objet la défense de leurs droits patrimoniaux ; qu'il incombait aux scénaristes, conformément à l'article L. 113-3 précité, de rechercher l'accord du dessinateur Marcel A... sur le principe d'une action à l'encontre de la société Connivence, ou de faire trancher judiciairement le désaccord avant d'engager les poursuites ; que tel n'a pas été le cas, puisque les scénaristes se sont bornés à informer Marcel A... de l'action qu'ils engageaient ; que les dispositions légales ont d'autant moins été respectées que, lors de sa comparution en qualité de témoin devant le tribunal, Marcel A... a clairement fait savoir qu'il ne voulait pas s'associer aux poursuites, n'ayant aucun grief à formuler à l'encontre de la société Connivence ; que, par voie de conséquence, l'action en contrefaçon des trois scénaristes ne satisfait pas aux exigences de l'article L. 113-3 et est irrecevable ; que la Cour fera droit à l'exception d'irrecevabilité de l'action des scénaristes soulevée par la défense ;
(...) qu'il n'y a pas lieu pour la Cour de rechercher si la société Connivence était autorisée à exploiter les albums en cause ;
" alors qu'aux termes de l'article L. 113-3 précité, la recevabilité de la demande d'un coauteur agissant en justice pour la défense de ses droits patrimoniaux n'est subordonnée qu'à la mise en cause des coauteurs de l'oeuvre et doit être, en cet état, admise même si ces coauteurs ne s'associent pas à cette action, dès lors qu'ils ne s'y opposent pas ; que la cour d'appel a, en l'espèce, méconnu cette règle en déclarant irrecevable l'action en justice de MM. Y..., Z... et X... après avoir constaté, dans les motifs de son arrêt, que ceux-ci avaient mis en cause par acte d'huissier Marcel A..., en qualité de coauteur et avoir simplement relevé que ce dernier, qui avait comparu, ne s'était pas associé à cette action dans laquelle ses intérêts financiers personnels n'étaient pas en cause " ;
Attendu que Jean-Christophe Z..., Frédéric Y... et Arnaud X..., coauteurs de trois albums de bandes dessinées, inspirés des romans de Jules Verne, dont les dessins ont été réalisés par Marcel A..., reprochant à la société Connivence d'avoir procédé, sans l'autorisation des auteurs, à une réédition des ouvrages sous forme de coffret, ont fait citer cette société devant le tribunal correctionnel pour la voir déclarer coupable de contrefaçon d'une oeuvre de l'esprit et obtenir réparation de leur préjudice ;
Attendu que, pour les déclarer irrecevables en leur action civile, la juridiction d'appel, après avoir retenu que cette action a pour unique objet la défense de leurs intérêts patrimoniaux, énonce que les parties civiles se sont bornées à dénoncer la citation au dessinateur, Marcel A... ; qu'elle ajoute que, cité comme témoin à la requête de la prévenue, il a déclaré qu'il n'entendait pas se joindre aux poursuites ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il ressort que les parties civiles n'ont pas régulièrement mis en cause le dessinateur, coauteur de l'oeuvre de collaboration, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle ;
Qu'en effet, si la victime d'une infraction pénale peut mettre en mouvement l'action publique en se constituant partie civile, il résulte de l'article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle que le coauteur d'une oeuvre de collaboration, qui prend l'initiative d'agir du chef de contrefaçon devant la juridiction répressive pour la défense de ses droits patrimoniaux, est tenu, à peine d'irrecevabilité de sa demande de dommages-intérêts, de mettre en cause les coauteurs de l'oeuvre ;
Qu'ainsi le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.
Analyse
CONTREFAçON - Propriété littéraire et artistique - OEuvre de collaboration - Action civile des coauteurs - Absence de mise en cause des autres coauteurs - Recevabilité.
Si la victime d'une infraction pénale peut mettre en mouvement l'action publique en se constituant partie civile, il résulte de l'article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle que le coauteur d'une oeuvre de collaboration, qui prend l'initiative d'agir du chef de contrefaçon devant la juridiction répressive pour la défense de ses droits patrimoniaux, est tenu, à peine d'irrecevabilité de sa demande de dommages-intérêts, de mettre en cause les coauteurs de l'oeuvre. Dès lors, justifie sa décision, la cour d'appel qui déclare irrecevables en leur action civile, trois coauteurs d'une oeuvre de collaboration qui se sont bornés à dénoncer au quatrième coauteur la citation directe qu'ils ont fait délivrer au prévenu du chef de contrefaçon, cette dénonciation ne constituant pas un appel en cause régulier de ce coauteur. (1).
ACTION CIVILE - Recevabilité - Contrefaçon - Propriété littéraire et artistique - OEuvre de collaboration - Action civile des coauteurs - Absence de mise en cause des autres coauteurs
CONFER :
(1°).
(1) Cf. Chambre civile 1, 1995-12-05, Bulletin 1995, I, n° 450, p. 314 (rejet).
A comparer : Chambre criminelle, 1995-12-13, Bulletin criminel 1995, n° 378 (1°), p. 1104 (cassation partielle).