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Décisions

CA Douai, 1e ch. sect. 2, 23 juin 2016, n° 15/00418

DOUAI

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Agnès T., CMC (SAS)

Défendeur :

OKAIDI (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Jean-Loup CARRIERE

Conseillers :

Myriam CHAPEAUX, Isabelle ROQUES

Avocats :

Me Isabelle C., Me Alexandra A. E., Me Martin G., Me Olivier B. membre de la SCP G. AVOCATS

Tribunal de Grande Instance de LILLE, 08…

8 janvier 2015

FAITS & PROCÉDURE

En septembre 2012, Mme Agnès T., styliste exerçant sous le nom d'agnès b., et la SAS C.M.C., exerçant sous l'enseigne agnès b. ont constaté que la société Okaïdi proposait à la vente dans ses magasins et sur son site internet, un cardigan référencé 58650 qu'elles ont jugé contrefaisant.

Un procès-verbal de constat d'achat d'un cardigan sur le site www.okaïdi.fr a été réalisé le 12 septembre 2012 par M. J., clerc habilité.

Mme Agnes T., exerçant sous le nom d'agnès b., et la société C.M.C. ont mis en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 septembre 2012 la société Okaïdi de lui communiquer les quantités vendues et celles présentes en stock.

Par courrier en réponse du 30 octobre 2012, la société Okaïdi a indiqué que ces produits allaient être retirés de la vente.

Suivant ordonnance du président du tribunal de grande instance de Lille en date du 8 novembre 2012, Mme T. et la SAS C.M.C. ont fait procéder à une saisie contrefaçon le 15 novembre 2012 au siège social de la SA Okaïdi.

Elles ont par la suite assigné la SA Okaïdi devant le tribunal de grande instance de Lille par acte extrajudicaire du 4 décembre 2012 aux fins de voir juger que la société défenderesse s'est rendue coupable de contrefaçon des droits d'auteur appartenant à Mme T. concernant le modèle de cardigan exploité sous la marque « agnès b. » par la société C.M.C. et d'actes de parasitisme et de concurrence déloyale sur le modèle commercialisé par la société C.M.C. ; faire interdiction à la défenderesse sous astreinte définitive de 1.000 € par infraction constatée de fabriquer, faire fabriquer, importer, commercialiser, détenir, d'offrir, vendre des produits contrefaisants, ou continuer à exploiter le modèle contrefaisant sous quelque forme que ce soit ; ordonner la saisie et la destruction de tous produits, documents, ou supports contrefaisants appartenant à la défenderesse et ce, en tous lieux où ils se trouveraient, sous astreinte de 2.000 €

par jour de retard ; condamner la société OKAÏDI à payer 800.000 € à titre de dommages et intérêts du fait de la contrefaçon de droits d'auteur au bénéfice de Mme T., 3.130.000 € à titre de dommages et intérêts au titre du parasitisme et de la concurrence déloyale, au bénéfice de la Société C.M.C. et 200.000 € à titre de dommages et intérêts du fait du préjudice moral de Mme T. ; ordonner la parution aux frais de la défenderesse du dispositif du jugement à intervenir dans 6 journaux au choix des demanderesses et dans la limite de 5.000 € HT par insertion, soit 30.000 € HT au total et ce sous astreinte de 1.000 € par jour de retard à compter de la signification du jugement ; ordonner la publication de cet avis, pendant une période ininterrompue de 15 jours, dans les deux jours suivant la signification du jugement à intervenir, sur la page d'accueil du site Internet http://www.okaidi.fr/ ou tout autre site qui lui serait substitué, dans une police de caractère similaire aux autres informations figurant sur cette page au jour du jugement, et sous astreinte de 5.000 € par jour de retard ; ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Par jugement(RG 12/10110) du 8 janvier 2015, le tribunal de grande instance de Lille a prononcé la nullité du procès-verbal de saisie contrefaçon du 15 novembre 2012 uniquement s'agissant de la saisie du cardigan rouge versé en pièce 4; dit que Mme T. est recevable à agir sur le fondement du droit d'auteur ; dit que la société C.M.C. est recevable à agir ; dit que Mme T. est bien fondée à revendiquer la protection au titre du droit d'auteur pour le modèle de cardigan en cause, au regard de son originalité ; dit que la société Okaïdi a commis des actes de contrefaçon de droits d'auteur appartenant à Mme T. ; dit que la société Okaïdi a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société C.M.C. : condamné la société Okaïdi à payer à Mme T. la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour la violation des droits moraux d'auteur ; débouté Mme T. de sa demande de dommages et intérêts pour la violation des droits patrimoniaux d'auteur ; condamné la société Okaïdi à payer à la société C.M.C. la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale ; fait interdiction à la société Okaïdi de fabriquer, faire fabriquer, importer, commercialiser directement ou indirectement, ou continuer à exploiter le modèle contrefaisant, sous astreinte de 150 € par infraction constatée ; ordonné la saisie et la destruction de l'intégralité des stocks, documents ou supports contrefaisants détenus par la société Okaïdi, dans le mois suivant la signification sous astreinte de 150 € par jour de retard ; débouté Mme T. et la société C.M.C. de leur demande tendant à voire ordonner la publication aux frais de la défenderesse du dispositif du jugement à intervenir dans six journaux aux choix des demanderesses dans la limite de 5.000 € HT par insertion, ainsi que sur la page d'accueil du site internet www.okaidí.fr ou tout autre site qui lui serait substitué et, ce, sous astreinte de 5.000 € par jour de retard ; condamné la société Okaïdi à verser à Mme Agnès T. et à la société C.M.C. la somme de 8.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; condamné la société Okaïdi au paiement des frais et dépens de l'instance, comprenant les frais de procès-verbal de constat du 12 septembre 2012 et du procès-verbal de saisie contrefaçon du 15 novembre 2012 ; ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration du 22 janvier 2015, la SAS C.M.C. a relevé appel de la décision.

Par conclusions en date du 17 mars 2015, la SA Okaïdi a formé un appel incident.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 février 2016.

MOYENS & PRÉTENTIONS

Par conclusions n°2 déposées et notifiées par voie électronique le 18 août 2015, Mme T. et la SAS C.M.C. demandent à la cour, au visa des dispositions des Livres I et III du code de la propriété intellectuelle et des dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil , de confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Lille en date du 8 janvier 2015 , en ce qu'il a dit que Mme T. et la société C.M.C. étaient recevables à agir, dit que Mme T. était bien fondée à revendiquer la protection au titre du droit d'auteur pour le modèle de cardigan en cause, au regard de son originalité, dit que la société Okaïdi avait commis des actes de contrefaçon de droits d'auteur appartenant à Mme T., et des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société C.M.C., fait interdiction à la société Okaïdi de fabriquer, faire fabriquer, importer, commercialiser directement ou indirectement, ou continuer à exploiter le modèle contrefaisant, sous astreinte de 150 € par infraction constatée, ordonné la saisie et la destruction de l'intégralité des stocks, documents ou supports contrefaisants détenus par la société Okaïdi, dans le mois suivant la signification sous astreinte de 150€ par jour de retard, condamné la société Okaïdi au paiement des frais et dépens de l'instance, comprenant les frais de procès-verbal de constat du 12 septembre 2012 et du procès-verbal de saisie contrefaçon du 15 novembre 2012. Elles demandent à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Okaïdi à payer à Mme T. la somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts pour la violation de ses droits moraux d'auteur, débouté Mme T. de sa demande de dommages-intérêts pour la violation de ses droits patrimoniaux d'auteur, condamné la société Okaïdi à payer à la société C.M.C. la somme de 50.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale ; débouté Mme T. et la société C.M.C. de leur demande tendant à voir ordonner la publication aux frais de la société Okaïdi du dispositif du jugement dans six journaux au choix de Mme T. et de la société C.M.C., dans la limite de 5.000 € HT par insertion, ainsi que sur la page d'accueil du site internet www.Okaïdi.fr ou tout autre site qui lui serait substitué et, ce, sous astreinte de 5.000 € par jour de retard et en conséquence, de condamner la société Okaïdi au paiement de 500.000 € à titre de dommages-intérêts pour la violation des droits patrimoniaux d'auteur, au bénéfice de Mme T., de 200.000 € à titre de dommages-intérêts pour la violation des droits moraux d'auteur de Mme T., de 2.929.380 €, ou a minima, 2.628.016 €, à titre de dommages-intérêts au titre du parasitisme et de la concurrence déloyale, au bénéfice de la société C.M.C., d'ordonner la publication, aux frais de la société Okaïdi, du dispositif de l'arrêt à intervenir dans six journaux au choix des appelantes, dans la limite de 5.000 € HT par insertion, ainsi que sur la page d'accueil du site Internet www.Okaïdi.fr, ou tout autre site qui lui serait substitué, et ce sous astreinte de 5.000 € par jour de retard et de condamner également la société Okaïdi à la somme de 20.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile , ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Isabelle C. avocat .

Mme T. et la SAS C.M.C. font valoir que la saisie contrefaçon est valide, le vice l'affectant n'étant qu'un vice de forme et aucun grief n'étant démontré. En tout état de cause, elles soutiennent que la nullité ne pourrait être que partielle et très subsidiairement, qu'une nullité de cette saisie n'affecterait en rien la recevabilité de l'action. Elles affirment la titularité des droits d'auteur de Mme T. sur le cardigan litigieux et la commercialisation de celui-ci tant par internet que par un réseau de boutiques. Elles soulignent l'originalité du vêtement qui doit être considérée dans sa combinaison d'éléments. Elles affirment que la SA Okaïdi a commercialisé un modèle de cardigan reprenant les éléments qui font l'originalité de son modèle et s'est ainsi rendue coupable d'actes de contrefaçon sans que les différences minimes ou le risque de confusion évoqués puisse leur être opposés. Ces actes ont porté atteinte tant à son droit moral qu'à ses droits patrimoniaux. Ces actes, ainsi que le vil prix auquel la SA Okaïdi propose ces articles et leur qualité inférieure, caractérisent également une faute constitutive d'actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la SAS C.M.C. qui commercialise les cardigans pression et subit un préjudice distinct de celui de Mme T.. Elles demandent l'indemnisation de leur préjudice par la condamnation de la SA Okaïdi à leur payer les sommes évoquées ainsi que par des mesures de publication.

Par conclusions récapitulatives n°2 déposées et notifiées par voie électronique le 15 octobre 2015, la SA Okaïdi demande à la cour, au visa des dispositions des articles 558 et suivants du code de procédure civile , des articles L.111-1 et suivants, L.113-1, L.331-1-3, L.332-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle et de l'article 1382 du code civil , de donner acte à la société Okaïdi de son appel incident et de le déclarer recevable ; de déclarer irrecevables les demandes de la SAS C.M.C. et Mme T. ; de juger Mme T. et la société C.M.C. irrecevables à agir en raison de la nullité pleine et entière de la totalité de la procédure de saisie-contrefaçon qui tient lieu de support à leurs actions, notamment en jugeant radicalement nuls les procès-verbaux d'huissier en saisie-contrefaçon du 12 septembre 2012 et du 15 novembre 2012 ; à titre principal, elle demande à la cour de juger Mme T. tant irrecevable que mal fondée en sa demande au titre de la contrefaçon, en raison de l'absence d'originalité des modèles prétendument contrefaits des cardigans agnès b. référencés 8257M001 et E646M001 ; de rejeter les demandes de Mme T. au titre de la contrefaçon ; de rejeter les demandes de la société C.M.C. au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ; en conséquence, de débouter Mme T. et la société C.M.C. de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions. Elle demande à la cour la confirmation du jugement de première instance en ce qu'il a débouté Mme T. de sa demande de dommages et intérêts pour la violation de ses droits patrimoniaux, a débouté Mme T. et la société C.M.C. de leurs demandes tendant à voir ordonner la publication aux frais de la société Okaïdi du dispositif du jugement dans six journaux aux frais de Mme T. et de la société C.M.C., dans la limite de 5.000 € hors taxes par insertion, ainsi que sur la page d'accueil du site internet www.Okaïdi.fr ou de tout autre site qui lui serait substitué, et ce sous astreinte de 5.000 € par jour de retard. A titre subsidiaire, elle demande à la cour de constater que les demandes indemnitaires de Mme T. et de la société C.M.C. sont fantaisistes et disproportionnées ; de rejeter les montants indemnitaires réclamés par Mme T. et la société C.M.C. ; d'évaluer le préjudice subi par les demanderesses sur la base du seul bénéfice effectivement réalisé par la société Okaïdi sur la vente des produits litigieux ; de confirmer le jugement en ce qu'il a fixé le montant des dommages-intérêts dus à Mme T. à 10.000 € et à la société C.M.C. à 50.000 € ; en tout état de cause, de rejeter toutes les autres demandes formulées par Mme T. et la société C.M.C. ; de condamner solidairement Mme T. et la société C.M.C. à la somme de 20.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, tant de 1 ère instance que d'appel.

Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que la procédure de saisie-contrefaçon doit être annulée dans son entier compte tenu de l'irrégularité de fond commise tirée de l'excès de pouvoir commis par l'huissier de justice instrumentaire, sans qu'il ne soit besoin de rapporter la preuve d'un grief. Elle affirme que la preuve de la titularité des droits d'auteur de Mme T. n'est pas rapportée et que celle-ci n'est donc pas recevable dans son action. Elle souligne l'imprécision des appelantes quant aux modèles en cause et leurs dates de création, et le doute existant sur l'identité du créateur. Elle affirme que dès lors, Mme T. ne saurait se prévaloir de la présomption de titularité édictée par l'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle . Elle fait également valoir que les actions en contrefaçon et en concurrence déloyale sont irrecevables en raison de l'absence de preuve de la commercialisation des produits concernés. Au fond, elle soutient que l'originalité des modèles de cardigan agnès b. en cause, distincts du modèle d'origine créé en 1979, n'est pas démontrée. Au surplus, elle avance la banalité du modèle des cardigans agnès b., dont l'ensemble de caractéristiques mises en avant existaient dès les années 60 et appartiennent au fond commun de la mode. Les actes de contrefaçon ne sont à son sens pas établis, la preuve de la reprise à l'identique de la combinaison de l'ensemble des éléments caractéristiques n'étant pas rapportée et des différences notables existant entre les deux modèles. Elle estime également que les faits de concurrence déloyale, qui doivent être distincts de ceux de contrefaçon, ne sont pas établis, la différence de prix entre les produits étant justifiée par une différence de qualité et son préjudice propre de distributeur n'étant pas établi. Elle conteste tant dans son principe que dans son quantum l'évaluation faite par Mme T. et la SA C.M.C. de leurs préjudices.

SUR CE,

Sur la validité de la saisie contrefaçon

L'article L332-1 du code de la propriété intellectuelle dans sa version applicable prévoit notamment que le président du tribunal de grande instance peut ordonner par ordonnance rendue sur requête la saisie, quels que soient le jour et l'heure, des exemplaires constituant une reproduction illicite de l'œuvre, déjà fabriqués ou en cours de fabrication, ou des exemplaires, produits, appareils, dispositifs, composants ou moyens, fabriqués ou en cours de fabrication, portant atteinte aux mesures techniques et aux informations mentionnées respectivement aux articles L. 331-5 et L. 331-11, des recettes réalisées, ainsi que des exemplaires illicitement utilisés ; il peut également ordonner la saisie réelle des matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer illicitement les œuvres, ainsi que de tout document s'y rapportant ;

Il résulte par ailleurs de l'article 649 du code de procédure civile que la nullité des actes d'huissier de justice est régie par les dispositions qui gouvernent la nullité des actes de procédure

Par ordonnance du président du tribunal de grande instance de Lille en date du 8 novembre 2012 rendue sur requête de Mme T. et la SAS C.M.C., ces dernières ont été autorisées notamment à faire procéder à la description détaillée, ainsi qu'aux photographies et à la saisie réelle d'un exemplaire du modèle de cardigan référencé « 58650 », argué de contrefaçon contre paiement du prix.

Il résulte du procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé par M. Marc R., huissier de justice, en date du 15 novembre 2012 que celui-ci a procédé à la saisie de deux exemplaires du modèle de cardigan référencé 58650.

Il apparaît dès lors que l'huissier de justice a excédé les pouvoirs qui lui étaient conférés par l'ordonnance rendue sur requête par le président du tribunal de grande instance de Lille.

Dès lors, il y a lieu de prononcer sur le fondement de l'article 117 du code de procédure civile la nullité de la saisie réelle du second exemplaire du cardigan laquelle peut être isolée, rien ne faisant en conséquence obstacle à l'annulation partielle du procès-verbal de saisie-contrefaçon s'y rapportant, étant précisé que la preuve de la contrefaçon peut en tout état de cause être rapportée par tous moyens.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la recevabilité des actions en contrefaçon et en concurrence déloyale et parasitaire

Sur les droits d'auteur de Mme T. sur le cardigan

L'article L. 111-1, alinéas 1 et 2, du code de la propriété intellectuelle énonce que l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.

Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres I et III du présent code.

L'article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle précise que sont considérés notamment comme œuvres de l'esprit au sens du code les créations des industries saisonnières de l'habillement et de la parure. Sont réputées industries saisonnières de l'habillement et de la parure les industries qui, en raison des exigences de la mode, renouvellent fréquemment la forme de leurs produits, et notamment la couture, la fourrure, la lingerie, la broderie, la mode, la chaussure, la ganterie, la maroquinerie, la fabrique de tissus de haute nouveauté ou spéciaux à la haute couture, les productions des paruriers et des bottiers et les fabriques de tissus d'ameublement.

Enfin, l'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle prévoit que la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'œuvre est divulguée.

Pour contester la titularité des droits d'auteurs de Mme T., la SA Okaïdi fait valoir que Mme T. a modifié au cours de la procédure le modèle cardigan pression dont la contrefaçon était dénoncée. Elle soutient qu'il existe en réalité plusieurs modèles de cardigan pression et rappelle que la divulgation antérieure des caractéristiques en cause dans un premier modèle fait obstacle à l'originalité des modèles suivants. Elle observe également que les fiches techniques produites porte mention de dates de création du 31 juillet 2012 pour le modèle E646M001 et 23 mars 2012 pour le modèle 8257M001, incohérentes quand aux dates (1979 et 1987) avancées par Mme T. et en ce que la date de création du modèle original est postérieure à celle de sa variante. Ces fiches techniques portent également mention sur la ligne « création » du nom « Valérie V. », ce qui démontrerait que Mme T. n'est pas l'auteure de ces créations. Elle en déduit que Mme T. ne peut se prévaloir de la présomption édictée par l'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle.

Il n'est pas contesté que Mme T. exerce son activité de styliste sous le nom d'agnès b. et qu'en conséquence, c'est bien sous son nom que l'œuvre a été divulguée, ainsi qu'en atteste les copies des différents articles de presse, pour celles qui sont lisibles, produites.

Mme T. revendique l'originalité du cardigan pression créé en 1979 tirée de la combinaison des éléments suivants :

- coupe droite ajustable ;

- base resserable sur 2 niveaux par des pattes côtés pressionnées ;

- surpiqûres en forme de croix, sur la base des pattes pressionnées ;

- texture molletonnée ;

- encolure arrondie, avec double surpiqûre ;

- absence de poche ;

- fermeture avant pressionnée de haut en bas, en ligne serrée.

Il n'est pas contestable que le modèle portant la référence E646M00, en réalité présenté comme étant l'original créé en 1979, et sa version créée en 1987 sous la référence 18257M001 présentent tous les deux ces caractéristiques et que le second doit être considéré comme une version du premier. Les fiches techniques produites reprennent en effet exactement les mêmes indications, à l'exception de ce qui concerne les coloris et les pressions (pressions nacre pour le modèle le plus ancien et boutons pressions aluminium pour la référence la plus récente) qui n'ont pas à être prises en compte, les vêtements ayant en commun une structure identique de la combinaison d'éléments précités.

Enfin, les mentions relatives à l'item « création » (sans plus de précision quant à l'objet de la création) figure dans l'encart supérieur de la fiche technique qui comporte des mentions d'ordre général (n° de référence du modèle, tailles, saison, fournisseur). En dessous de la ligne « création » figure une ligne « modification » comportant exactement les mêmes renseignements. Dès lors, ces mentions n'apparaissent pas relatives à la création du vêtement mais à la création de la fiche technique, de sorte qu'un contrôle de version puisse être fait, ce que confirme la dernière case de ces fiches intitulée « mise au point suivi » qui porte sur les deux fiches à une date identique à celle de l'item « création » la mention « OK modèle reconduit ».

En conséquence, les éléments sont réunis pour permettre à Mme T. de bénéficier de la présomption de l'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle, sans que la SA Okaïdi n'apporte d'éléments propres à renverser celle-ci.

Mme T. doit être déclarée recevable dans son action.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la commercialisation du cardigan

La SA Okaïdi soutient que tant Mme T. que la SAS C.M.C. ne sont pas recevables à agir au titre de la contrefaçon et de la concurrence déloyale et parasitaire, faute de fournir une preuve suffisante de l'exploitation des cardigans pression en cause.

L'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle rappelle dans son premier alinéa que l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.

L'article L.122-4 du même code précise que toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.

Il résulte de la combinaison de ces articles que l'exploitation de l'œuvre n'est pas une condition nécessaire de l'action en contrefaçon.

Par ailleurs, les pièces de nature différentes (copies d'écran du site de vente internet agnès b., copies d'extrait de catalogues, attestations de nature comptables, facture fournisseur, factures adressées à la SAU Galeries Lafayette et à la société Little fashion gallery partiellement biffées, articles de presse mentionnant les prix de vente), datées de 1983 à 2013, produites par Mme T. et la SAS C.M.C., suffisent à démontrer la commercialisation ancienne et actuelle des produits en cause par la SAS C.M.C., dont il n'est pas contesté qu'elle dispose d'une licence de la marque et des modèles agnès b .

Elle présente dès lors un intérêt à agir et son action est recevable.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a constaté la recevabilité des actions tant de Mme T. que de la SAS C.M.C..

Sur la contrefaçon

L'article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle prévoit que toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.

L'article L.335-3, alinéa 1, du code de la propriété intellectuelle énonce qu'est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une œuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi.

Sur l'originalité du cardigan

La SA Okaïdi, pour s'opposer aux demandes de Mme T. sur le fondement de la contrefaçon, conteste l'originalité du cardigan pression dont Mme T. revendique être l'auteur aux motifs que le modèle de 1979 n'ayant pas été versé aux débats, il est impossible de considérer que les modèles portant les références 8257M001 et E646M001 puissent bénéficier de l'originalité reconnue au modèle de 1979 et qu'il appartient en tout état de cause à Mme T. de démontrer l'originalité de ces modèles, qui sont selon elle banals.

Il convient en réalité de retenir ainsi que précédemment énoncé que le produit référencé E646M001 correspond au modèle original créé en 1979 et commercialisé dès novembre 1979 dans la ligne des produits enfants selon attestation en date du 6 novembre 1996 de M. S., expert comptable de la société C.M.C. agnès b.. Le produit référencé 8257M001 n'est qu'une variation de ce modèle qui doit bénéficier de la protection conférée au modèle original.

Pour bénéficier de cette protection, l'œuvre ne doit pas forcément être nouvelle du moment que, reflétant la personnalité de son auteur qui en a assemblé les éléments connus de telle manière que l'œuvre porte l'empreinte de sa personnalité et qu'il est ainsi fait un effort personnel de création et de recherche esthétique, l'œuvre présente une originalité.

Selon Mme T., le vêtement dont elle est l'auteur se caractérise par les éléments suivants :

- coupe droite ajustable ;

- base resserable sur 2 niveaux par des pattes côtés pressionnées ;

- surpiqûres en forme de croix, sur la base des pattes pressionnées ;

- texture molletonnée ;

- encolure arrondie, avec double surpiqûre ;

- absence de poche ;

- fermeture avant pressionnée de haut en bas, en ligne serrée.

Pour démontrer la banalité du vêtement en cause, la SA Okaïdi produit différentes études relatives au cardigan menées sur sa demande entre 2012 et 2015 par Mme Aude Le G., qu'elle présente comme historienne de la mode. La synthèse de l'étude du 29 octobre 1992 précise que « le cardigan molleton pressionné sur le devant n'est pas une invention de la marque agnès b. II résulte d'un courant très présent dans la mode de la fin des années 1950 et des années 1960, qui privilégie des formes simples et des confortables, dans des tons unis qui s'assortissent à des maillots dans des ensembles qualifiés de twin sets ; le molleton de coton ou mélangé est un matériau privilégié dans la mode enfantine des années 1960, notamment dans un courant « active wear » qui se développe d'abord chez les anglo-saxons à l'initiative de marques comme Ladybird ; l'utilisation des boutons pression dans la mode, et particulièrement dans la mode enfantine, pour la fermeture de gilets notamment se développe également dans les années 1960, là aussi pour des raisons toutes nouvelles de praticité ; les pattes de serrage à l'arrière des vestes, manteaux, cardigan, sont exploitées sur des tenues sportswear (costumes touristes) chez le garçonnet dès les années 1920 comme en attestent les gravures des catalogues commerciaux de l'époque ; l'association de tous ces éléments (molleton, patte de serrage, coupe et pressions) se retrouve dès les années 1960 dans la mode enfantine et féminine et a été largement repris également dans les années 1990 par des marques de gammes variées ».

Cependant, la combinaison des différents éléments - coupe droite ajustable ; pattes côtés pressionnées ; surpiqûres en forme de croix sur la base des pattes pressionnées ; texture molletonnée ; encolure arrondie ; absence de poche ; boutons pression, certes connus séparément, ne se retrouve en réalité dans aucune des illustrations antérieures à 1979 produites et l'auteur de l'étude ne précise pas ni ne démontre en quoi l'ensemble des éléments se retrouverait antérieurement à cette date dans une combinaison identique à celle revendiquée par Mme T..

Il apparaît en conséquence que ce modèle constitue une création originale révélant l'effort créatif de l'auteur par des choix discrétionnaires exprimant sa personnalité et l'effet esthétique particulier qui en résulte, Mme T. ayant pu exprimé dans différents articles de presse produits le fait qu'elle s'était effectivement inspirée d'éléments déjà existant notamment dans son enfance ainsi que de ses propres aspirations pour des vêtements pratiques et intemporels, pour en faire une combinaison particulière.

Sur les actes de contrefaçon

Il sera en premier lieu rappelé qu'en matière de contrefaçon d'œuvre, la notion de confusion est inopérante. Afin d'établir la contrefaçon, il doit être effectué une comparaison des éléments qui caractérisent l'originalité de l'œuvre tels que précédemment définis dans les deux produits en cause.

Or il résulte tant de la comparaison visuelle que de la comparaison des fiches techniques produites par Mme T. et la SAS C.M.C. concernant tant le produit dit contrefait que le produit dit contrefaisant que :

l'un comme l'autre sont de texture molletonnée ;
l'un comme l'autre ont une coupe droite ;
l'un comme l'autre présentent une encolure ronde avec double surpiqûre ;
l'un comme l'autre possèdent de côté en bas du dos deux pattes de resserrage rectangulaires réglables par double pression de chaque côté et avec une surpiqûre en forme de croix sur la base ;
l'un comme l'autre ne possèdent pas de poches ;
l'un comme l'autre présentent une fermeture par boutons pression rapprochés ;

La SA Okaïdi met en avant des différences tenant à la différence du revers du col, à la différence du nombre de boutons pour une taille équivalente et à la différence de largeur des emmanchures.

Après comparaison des modèles, il apparaît que ces différences sont insignifiantes pour un consommateur.

Elle pointe par ailleurs les différences de forme et de couleur des boutons pression, ainsi que les différences tenant aux inscriptions sur les boutons, et l'existence d'une petite plaque en métal figurant sur ses produits.

S'il est exact qu'il existe des différences dans la forme et l'inscription portée par les boutons, il n'en demeure pas moins que ceux-ci reprennent directement un élément de la création originale de Mme T. laquelle inclut dans la combinaison d'éléments retenue des boutons en métal portant l'inscription manuscrite de la marque. La différence de couleur, s'agissant de deux boutons de même matière, est insignifiante.

L'existence de la petite plaque métallique en bas de la face avant du cardigan de marque Okaïdi avec mention de cette marque est également inopérante à contrebalancer les ressemblances existant quant à la combinaison d'éléments protégés.

Au total, la cardigan de la SA Okaïdi, nonobstant les différences mises en avant, présente la même structure de combinaison d'éléments caractérisant le cardigan pression créé par Mme T., combinaison protégée par le droit d'auteur.

Dès lors, il y a lieu de confirmer le jugement de première instance qui a retenu l'existence d'actes de contrefaçon du droit d'auteur de Mme T..

Sur la concurrence déloyale et parasitaire

Par application des articles 1382 et l383 du code civil, tout fait quelconque de l''homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui trouve ses limites dans la création d'un risque de confusion dans l' esprit de la clientèle sur l' origine du produit, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.

Le parasitisme, qui s'apprécie dans le même cadre que la concurrence déloyale dont il est une déclinaison mais dont la constitution est toutefois indifférente au risque de confusion, consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et déloyalement sans bourse délier des investissements, d'un savoir-faire ou d'un travail intellectuel d' autrui produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel.

La SA Okaïdi soutient en premier lieu que la SAS C.M.C. n'est pas fondée à agir sur des faits identiques à ceux constituant les actes de contrefaçon.

Cependant, l'action de la SAS C.M.C. n'est pas fondée sur la sanction d'un droit privatif mais sur la faute au titre de la responsabilité civile, la SAS C.M.C. étant licenciée exclusive de la marque et des modèles agnès b. qu'elle commercialise sous cette enseigne, selon attestation de M. Pierre F., directeur administratif et financier de la SA C.M.C. en date du 31 mars 2015.

Elle est donc fondée à agir en concurrence déloyale à l'égard de la SA Okaïdi.

La SA Okaïdi fait ensuite valoir que les actes de concurrence déloyale et parasitaire ne sont pas établis.

Il résulte des pièces produites que la SA Okaïdi a commercialisé en importantes quantités des vêtements contrefaisant, reprenant le modèle original, à des prix substantiellement inférieurs aux prix des modèles originaux (14,95 à 17,95 € alors que les modèles agnès b. sont vendus entre 75 à 85 €), différences accentuées par des offres promotionnelles, avec un vêtement dont elle ne conteste pas la moins bonne qualité de la matière (mélange de coton et polyester en lieu et place de coton) et des finitions, sans pour autant que cela ne soit visible de façon évidente pour le consommateur d'attention moyenne.

Ce faisant, créant une confusion dans l'esprit du consommateur, tirant profit de la notoriété du produit contrefait et utilisant l'effort intellectuel, commercial et promotionnel de la SAS C.M.C., elle attire la clientèle de cette dernière et dévalorise la marque agnès b. en banalisant son modèle. Elle cause donc un trouble à la SAS C.M.C. dans l'exercice de son activité et sa paisible exploitation du modèle en cause.

Les actes de concurrence déloyale et parasitaire sont ainsi caractérisés.

Sur les préjudices

Sur la compétence des juridictions françaises

L'article 4 du règlement (UE) n ° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale prévoit que sous réserve de ce règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. L'article 7, 2), précise au titre des compétences spéciales qu'une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire.

L'article 46, alinéa 3, du code de procédure civile dispose que le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi.

Il résulte en conséquence de ces différentes dispositions que le fait dommageable ayant été commis sur le territoire français en ce que les ventes se sont faites à partir de celui-ci et que le préjudice a été subi sur ce territoire, la juridiction française est compétente pour en connaître et statuer y compris pour ce qui concerne les ventes effectuées à l'étranger qui doivent être prises en compte dans l'appréciation du préjudice.

Il sera ajouté que le fait que certaines des ventes effectuées à l'étranger soient des ventes intragroupe ou des ventes faites à des affiliés ou partenaires étrangers de la SA Okaïdi et non directement au consommateur final est indifférent.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la masse contrefaisante

Il résulte du procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé par M. Marc R., huissier de justice, en date du 15 novembre 2012 que la SA Okaïdi a commandé 52.540 exemplaires et en a vendus 24.972, via son réseau de magasins et son site internet okaïdi.fr. Cependant, seuls trois bons de commande sont annexées au constat pour fonder ces estimations (commande n° 180288 du 22-12-2011 pour 33899 articles, commande n°180301 du 22-12-2011 pour 405 articles, commande n° 182954 du 16-03-2012 pour 9596 articles) pour un total de 43.900 articles. Seul ce dernier chiffre apparaît donc devoir être retenu.

L'huissier de justice note que 5.869 exemplaires sont au jour du constat disponibles en magasin et 543 sont en stock en entrepôt. Il relève que selon la taille, les produits sont achetés 3,33 ou 4,30 USD HT et revendus 14,95 ou 17,95 € HT.

La SA Okaïdi produit une attestation en date du 21 décembre 2012 de son commissaire aux comptes, M. Laurent G. de la SA PricewaterhouseCoopers Audit, qui prend toute précaution nécessaire quant à l'étude conduite sur la demande de son client alors que les comptes 2012 ne sont pas clôturés. Cette attestation porte sur la cohérence en regard des règles comptables d'un document intitulé « analyse de rentabilité sur produits incriminés » en réalité produit par la SA Okaïdi. Ce dernier document mentionne pour le produit référencé 58650 sur la période allant du 1er janvier 2012 au 23 novembre 2012 des quantités achetées à hauteur de 43.507 exemplaires et des quantités vendues à hauteur de 30.677 exemplaires.

La SA Okaïdi produit par ailleurs une attestation de son directeur général M. Patrick D., dressée le 50 novembre 2013, indiquant que la société Okaïdi, implantée sur le territoire français, a distribué directement le modèle Okaïdi référencé 0058650 à l'intégralité de son réseau de magasins en France et à l'international ; que la SA Okaïdi a vendu sur le territoire français 24.978 pièces, ventes ventilées de la façon suivante: 20.274 pièces vendues par les magasins détenus en succursale, 4704 pièces vendues par les magasins franchisés ; que la SA Okaïdi a vendu à l'international 5.920 pièces, ventes ventilées de la façon suivante: 4112 pièces vendues par les magasins détenus en succursale; 1.808 pièces vendues par ses partenaires internationaux. Il reconnaît donc la vente de 30.898 pièces contrefaites.

Cette attestation ne respecte par les formes prescrites par l'article 202 du code de procédure civile. Il sera cependant rappelé que les prescriptions de l'article 202 du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité, le juge appréciant souverainement si l'attestation non conforme présente des garanties suffisantes pour emporter sa conviction.

Or le chiffre de ventes sur le territoire français (24.978) déclaré par M. D. est très proche des constations de l'huissier de justice (24.972), lequel ne précise pas le lieu des ventes. Par ailleurs, le chiffre total de 30.898 ventes se rapproche du chiffre de 30.677 ayant fait l'objet de l'attestation de l'expert comptable.

Par ailleurs, un constat a été dressé le 13 mars 2015 par M. Nicolas Emmanuel S., huissier de justice, des opération de destruction du stock de produits jugés contrefaisant en exécution du jugement du 8 janvier 2015. Il a constaté la présence de 245 cartons contenant des cardigans de toutes tailles et de toutes couleurs, le nombre de cardigans par carton étant variable. Il atteste de la destruction des vêtements. Si le nombre exact d'exemplaires détruits n'a pas été précisé par l'huissier de justice ni même apprécié, la SAS C.M.C. ne saurait être suivie dans sa démonstration hypothétique sur ce nombre, visant à contester le nombre de vêtements contrefaisants en réalité vendus.

Il doit donc être retenu au vu des pièces produites qu'ont été commandés et vendus par la SA Okaïdi respectivement 43.900 et 30.898 articles, étant précisé qu'aucun motif ne conduit à exclure pour l'appréciation du préjudice subi les ventes qui n'auraient pas été faites au consommateur final.

Sur le préjudice de la SAS C.M.C.

Il sera en premier lieu rappelé que les dispositions de l'article L.331-1-3 du code de la propriété intellectuelle ne concernent que l'action en contrefaçon et non l'action en concurrence déloyale et parasitaire fondée sur l'article 1382 du code civil pour laquelle il appartient à la SAS C.M.C. de démontrer la valeur de son préjudice, distinct de celui résultant de la contrefaçon et dont seul Mme T. peut se prévaloir.

Au soutien de sa demande de dommages-intérêts à hauteur de 2.929.380 € (ou a minima 2.628.016 €) constitué selon elle par un manque à gagner, la SAS C.M.C. fait valoir un préjudice constitué de la commercialisation des cardigans contrefaisants à moindre coût par la société Okaïdi, le caractère quasi-servile de la copie, la qualité inférieure de la copie, la très grande ampleur de la contrefaçon, l'effet de gamme recherché par la société Okaïdi, l'ancienneté, l'originalité et la notoriété du cardigan « agnès b. », l'importance des ventes de cardigans pression agnès b. , les investissements réalisés par la SAS C.M.C. pour la promotion de ses collections et les capacités de production de la société la SAS C.M.C.. Elle évalue en conséquence ce manque à gagner à 2.469.380 € ou a minima 2.168.016 € pour le gain manqué ( marge moyenne pratiquée par la société C.M.C. sur le cardigan pression (47 €) x quantités commandées (52.540) ou a minima vendues (46.128) par la SA Okaïdi) et 460.000 € pour atteinte au modèle de cardigan pression « agnès b. » et à l'image de la marque « agnès b. », compte tenu de la notoriété de la marque et du cardigan considérés. Elle produit des attestations sur sa capacité de production, ses volumes de ventes et les investissements réalisés au cours de l'année 2012.

Par une attestation du 31 mars 2015 respectant les prescriptions de l'article 202 du code de procédure civile , M. Pierre F., directeur administratif et financier de la SAS C.M.C., certifie que par un contrat de licence en date du 25 janvier 1980, la SAS C.M.C. a été autorisée à fabriquer à titre exclusif l'ensemble des modèles créés par Mme T. incluant le cardigan à pression et à en assurer la distribution à travers le monde. Il indique qu'au cours de l'année 2012, 73.305 cardigans ont été fabriqués et 66.618 ont été vendus.

Aucune pièce ne vient cependant corroborer ces éléments qui, se limitant à l'année 2012, privent la cour d'un élément d'appréciation dans le temps de la perturbation engendrée, alors que l'ensemble des modèles fabriqués pour cette année par la SAS C.M.C. n'a pas été totalement écoulé. Il n'apparaît pas en tout état de cause que le préjudice subi puisse être équivalent au nombre de modèles vendus par la SA Okaïdi (dont il est rappelé qu'il a été retenu pour 30.898 exemplaires) multiplié par la marge réalisée sur ses propres modèles par la SAS C.M.C. (soit pour le cardigan pression enfant bleu Saint Malo de taille 12 ans 46,72 € selon les données établies par la SAS C.M.C. communiquées dans le cadre de l'attestation du commissaire aux comptes relative au prix de vente en boutique et au prix d'achat en France pour l'année 2012) comme le soutien la SAS C.M.C..

Par une seconde attestation du 2 avril 2015 respectant les prescriptions de l'article 202 du code de procédure civile , M. Pierre F. indique que chaque année la SAS C.M.C. réalise d'importants investissements financiers et humains (presse, communication, internet, défilés) en vue de promouvoir les produits des collections agnès b.. Il ajoute qu'au titre de l'année 2012, ces investissements se sont élevés à 3.883.978 €.

Ces éléments, également limités à l'année 2012, non confortés par la production d'autres pièces, ne permettent aucunement de connaître le montant des investissements notamment publicitaires propres au modèle contrefait sur la période considérée.

L'effet de gamme quant à lui n'est aucunement précisé ni démontré, un seul modèle étant en cause.

Ainsi que l'a relevé le premier juge, le document intitulé « analyse de rentabilité sur produits incriminés » inclut dans le cadre de l'attestation de son expert comptable produite par la SA Okaïdi montre un chiffre d'affaire comptable HT monde de 264.593,47 € pour 30.677 exemplaires vendus soit 8,63 HT par exemplaire avec un coût d'achat de 115.584,50 € pour 43.507 exemplaires, soit 2,66 € par exemplaires. la SA Okaïdi justifie de ses campagnes de promotions (le 2e acheté à 50%) qui expliquent que le chiffre d'affaire ne corresponde pas aux prix constatés lors de la saisie-contrefaçon des produits litigieux (14,95 € et 17,95 €).

La marge brute par exemplaire est donc de 5,97 €, soit pour 30.898 exemplaires vendus de 184.461,06 €. Les coûts liés à la production et à l'écoulement des produits présentés dans le document ne sauraient être pris en compte puisque calculés d'une part sur la seule année 2011 et se rapportant à l'ensemble des produits et non à la seule référence en cause. Il est cependant certain que le bénéfice tiré par la SA Okaïdi de la vente des cardigans est inférieur à la marge brute.

Enfin, il est indéniable que la distribution fautive, en grande quantité, par la SA Okaïdi d'un modèle contrefaisant porte atteinte à l'image et de la marque agnès b. qui bénéficie d'une particulière renommée, et à l'image du modèle original, emblématique de la marque, et dont l'une des caractéristiques est d'être intemporel en ce qu'il ne s'inscrit pas dans un courant de mode éphémère, le banalisant, l'avilissant puisque d'une qualité moindre et le rendant moins attractif, engendrant un manque à gagner.

Ce préjudice doit cependant être tempéré par le fait, ainsi que l'a relevé le premier juge et que le démontre les recherches de Mme Le G. produites par la SA Okaïdi, que le cardigan pression avec encolure ronde et sans poche est un modèle très répandu dans la mode enfantine en dehors des marques en cause dans la présente procédure, et que les publics concernés ainsi que les réseaux de distribution sont différents.

Au regard de ces différents éléments, il y a lieu de fixer à 150.000 € la somme due par la SA Okaïdi à la SAS C.M.C. au titre des dommages-intérêts pour concurrence déloyale.

Le jugement sera infirmé uniquement en ce qui concerne le montant des dommages intérêts.

Sur le préjudice de Mme T. au titre de la contrefaçon

L'article L.331-1-3 du code de la propriété intellectuelle , modifié par la loi n° 2014-315 du 11 mars 2014, prévoit que pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1° Les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée;

2° Le préjudice moral causé à cette dernière;

3° Et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits.

Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

Les dommages-intérêts ainsi alloués sont composés tant du préjudice patrimonial que du préjudice moral.

Mme T. sollicite que lui soit allouée une somme de 500.000 € au titre du préjudice patrimonial, retenant un nombre de 46.128 cardigans contrefaits, une redevance perçue sur chaque cardigan vendu par Mme T. de 4,13 € selon attestation en date du 31 mars 2015 de Mme Nathalie K., secrétaire générale, versée aux débats et des bénéfices réalisés par la SA Okaïdi qu'elle évalue à 275.845 €, outre la prise en compte de la notoriété de la marque et de l'atteinte portée à l'image de celle-ci et du cardigan.

Mme T. fait valoir que le vêtement en cause est très étroitement lié à sa personnalité et constitue une « pièce culte » de la maison agnès b. Elle soutient qu'il doit être tenu compte du nombre de cardigan contrefaits et du fait qu'il s'agisse d'une copie servile de qualité inférieure. Elle réclame en conséquence une somme de 200.000 € au titre du préjudice moral.

Concernant les conséquences économiques négatives, Mme T. ne démontre pas de pertes subies. En revanche, le manque à gagner peut être fixé à 127.608,74 € (30.898 x 4,13 €).

Ainsi qu'indiqué précédemment, la marge brute réalisée par la SA Okaïdi pour les 30.898 exemplaires vendus est de 184.461,06 €. Le bénéfice est moindre mais ne peut être calculé exactement faute d'élément précis produits par la SA Okaïdi. Par ailleurs, les éléments produits par les parties ne permettent pas de déterminer le montant des économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels retirées par la SA Okaïdi de l'atteinte aux droits de Mme T..

Enfin, le préjudice moral subi par Mme T. doit être apprécié compte tenu de la notoriété et de l'ancienneté du produit dont elle est le créateur, de la vente massive du produit contrefaisant sur une période toutefois limitée, et de la dépréciation et de la banalisation qui en sont résultées de sa création.

En considération de ces éléments, la réparation du préjudice tant patrimonial que moral subi par Mme T. du fait des actes de contrefaçon sera évalué à 50.000 €.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de Mme T. au titre de sa demande de dommages intérêts pour la violation des droits patrimoniaux d'auteur et quant au montant de la somme qui lui a été allouée pour la violation de ses droits moraux d'auteur.

Sur l'interdiction de fabriquer et exploiter le modèle et la destruction des stocks

La demande d'infirmation de la SA Okaïdi portant sur ce chef de condamnation n'est pas motivée.

La sanction apparaît justifiée et au surplus, la SA Okaïdi affirme avoir détruit l'intégralité des stocks ainsi que le montre le constat d'huissier produit.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la demande de publication

Mme T. et la SAS C.M.C. conteste le rejet par le premier juge de leur demande de publication du dispositif du jugement.

Elles estiment que la SA Okaïdi a continué à vendre son cardigan litigieux suite à la mise en demeure qui lui a été faite et qu'il apparaît indispensable d'informer les acteurs du prêt-à-porter commercialisant des copies des sanctions prononcées dans une optique dissuasive et afin de démontrer leur volonté d'agir en contrefaçon.

Il y a lieu de constater qu'aucune vente du vêtement contrefait référencé n° 58650 n'a été démontrée postérieurement à l'année 2012, la SA Okaïdi apportant la preuve de la diffusion à son réseau de distribution très rapidement après la mise en demeure du 21 septembre 2012 d'instructions en vue de la cessation immédiate des ventes (mél du 28 septembre 2012 de Mme T., rappel dans le magasine Okaïdi Hebdo du 19/1/2012).

Dès lors, la publication du dispositif de la décision sur la page d'accueil du site internet www.Okaïdi.fr destiné au grand public n'apparaît aucunement nécessaire plus de trois ans après les faits ni de nature à réparer le préjudice.

En revanche, cette publication aux frais de la SA Okaïdi dans des publications destinées à des acteurs du prêt-à-porter, limitée à trois publications (journaux, magazines, ou sites Internet) sans que le coût maximum de chaque publication n'excède 2.500 € TTC apparaît de nature à permettre la réparation intégrale du préjudice et sera ordonnée.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile .

La SA Okaïdi, partie perdante, doit être condamnée aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ainsi qu'à payer à Mme T. et la SAS C.M.C. la somme de 5.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement,

Confirme le jugement (RG 12/10110) du 8 janvier 2015 rendu par le tribunal de grande instance de Lille, sauf en ce qu'il a fixé à 10.000 € la somme que la SA Okaïdi a été condamnée à payer à Mme T. à titre de dommages intérêts pour la violation de ses droits moraux d'auteur, qu'il a débouté Mme T. de sa demande dommages intérêts pour la violation des droits patrimoniaux d'auteur, qu'il a fixé à 50.000 € la somme que la SA Okaïdi a été condamnée à payer à Mme T. à titre de dommages intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale et qu'il a débouté Mme T. et la SA Okaïdi de leur demande tendant à ordonner la publication aux frais de la SA Okaïdi du dispositif du jugement dans six journaux au choix de Mme T. et de la SAS C.M.C. dans la limite de 5.000 € HT par insertion ;

Statuant à nouveau,

Condamne la SA Okaïdi à payer à Mme T. en réparation du préjudice découlant des atteintes à ses droits d'auteur la somme de 50.000 € ;

Condamne la SA Okaïdi à payer à la SAS C.M.C. la somme de 150.000 € en réparation de la concurrence déloyale ;

Ordonne la publication aux frais de la SA Okaïdi du dispositif de l'arrêt dans trois publications au choix de Mme T. et de la SAS C.M.C. pour un montant maximal de 2.500 € TTC chacune ;

Y ajoutant,

Condamne la SA Okaïdi aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile , ainsi qu'à payer à Mme T. et la SAS C.M.C. ensemble la somme de 5.000 € par application de l'article 700 du même code au titre des frais irrépétibles de la procédure d'appel ;

Rejette toute autre demande.