CA Montpellier, 2e ch., 29 janvier 2013, n° 12/01556
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Alu Production Languedoc Roussillon (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bachasson
Conseillers :
M. Prouzat, Mme Olive
Avocat :
SCP BMDPS
FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES
La société Alu Production Languedoc Roussillon a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Perpignan en date du 20 décembre 2006.
Mme G., désignée mandataire liquidateur, a constaté que le capital social de 27 000 euros réparti en 300 parts entre les trois associés, M. R., M. L. et M. Jean-André T., n'avait pas été entièrement libéré pour la quote-part incombant à ce dernier (100 parts d'une valeur nominale de 100 euros chacune).
Après mises en demeure infructueuses adressées à M. Jean-André T., Mme G., ès qualités, a obtenu une ordonnance portant injonction de payer la somme de 7 200 euros à l'encontre de ce dernier rendue par le président du tribunal d'instance de Perpignan le 25 novembre 2009. Sur opposition de M. Jean-André T., le tribunal d'instance a fait droit à l'exception d'incompétence soulevée par ce dernier, par jugement du 7 juillet 2010 et a renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Perpignan.
En l'état de l'exception de minorité invoquée par M. Jean-André T., né le 2 février 1989, Mme G., ès qualités, a fait délivrer une assignation en intervention forcée à M. André T. et à son épouse, Mme Odile P., en leur qualité de parents civilement responsables.
Par jugement du 25 octobre 2011, le tribunal a ordonné la jonction des instances.
Par jugement du 7 février 2012, la juridiction consulaire, après s'être déclarée compétente pour connaître de l'affaire dans son ensemble a notamment :
- dit que Mme G. a qualité pour agir en sa qualité de représentant des créanciers ;
- retenu la responsabilité de M. Jean-André T. ainsi que celle de ses parents ;
- condamné M. Jean-André T. et Mme Odile T. solidairement à payer à Mme G. la somme de 9 000 euros ;
- condamné M. Jean-André T. à payer à Mme G. la somme de 900 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. Jean-André T. et Mme T. aux dépens de l'instance.
M. Jean-André T. et Mme Odile T. ont régulièrement interjeté appel de ce jugement, en vue de son infirmation demandant à la cour de se déclarer incompétente au profit du tribunal de grande instance de Perpignan, à titre principal et au cas d'évocation de constater que Mme G. n'a pas qualité pour exiger la libération du capital social et, en tout état de cause, rejeter ses demandes. M. T. sollicite la restitution de la somme de 2 000 euros versée par erreur. Ils concluent à l'allocation d'une somme de 3 000 euros pour procédure abusive ainsi qu'une somme de 2 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils soutiennent que :
- l'assignation délivrée aux époux T. avait pour but de les déclarer responsables des actes accomplis par leur fils mineur Jean-André T., sur le fondement de l'article 1384 du code civil ;
- la mise en oeuvre de cette responsabilité relève de la compétence du tribunal de grande instance de Perpignan ;
- le premier juge a considéré que M. Jean-André T. avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité et par ricochet celle de ses parents, en souscrivant des parts d'une société alors qu'il était mineur ;
- une telle analyse n'est pas conforme aux dispositions légales et jurisprudentielles ; en effet, lorsque l'un des associés d'une SARL est mineur, l'article L. 235-1 du code de commerce écarte l'annulation de la société sauf si elle concerne l'ensemble des associés ;
- dans un tel cas, seul le retrait de M. Jean-André T. était possible avec rachat de ses parts par la société ou les autres associés ; il ne s'agit pas de responsabilité civile mais de la simple application des règles en matière de constitution de société et de protection des personnes incapables ;
- le défaut de capacité du mineur lors de son engagement ne constitue pas un dommage pour la société puisque les seules personnes qui pourraient s'en plaindre sont les autres associés qui, en l'espèce, savaient que M. Jean-André T. était mineur ;
- l'action de Mme G. engagée au nom de la société n'est pas recevable à défaut d'intérêt à agir dans la mesure où la société n'est pas victime du défaut de respect de ses engagements par un mineur ;
- la faute reprochée à M. Jean-André T. est d'avoir adhéré à un contrat de société dans lequel il a pris l'engagement d'apporter un capital dont la totalité n'a pas été libérée ; une telle faute n'est pas constitutive d'un dommage de nature à engager la responsabilité parentale d'autant que les époux T. ignoraient l'opération dont s'agit ;
- M. André T. a versé par erreur à Mme G. la somme de 2 000 euros qui devra lui être restituée.
Mme G., ès qualités, a conclu à la confirmation du jugement, au rejet des moyens adverses et à l'allocation de la somme de 5 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle réplique que :
- les époux T., au domicile desquels réside M. Jean-André T., ne pouvait pas ignorer les agissements de celui-ci lorsqu'il était mineur d'autant que la société Alu Production Languedoc Roussillon a en fait été constituée par M. T., père, qui ne pouvait pas y participer et a fait figurer son fils en ses lieu et place dans le capital social ;
- s'agissant d'une action en libération du capital social, le tribunal de commerce de Perpignan est exclusivement compétent pour en connaître et les civilement responsables ont été attraits dans la cause aux fins de représenter le mineur et non dans le cadre d'une action en responsabilité civile ;
- elle n'a pas sollicité l'annulation de la société au visa de l'article L. 235-1 du code de commerce mais la libération du capital social ;
- M. Jean-André T. est infondé à invoquer son retrait de la société alors qu'il ne l'a jamais sollicité et qu'il s'est engagé à souscrire les parts sociales ;
- elle a qualité à agir puisqu'elle est chargée de représenter l'intérêt des créanciers et que le défaut de libération du capital social lèse ces derniers ;
- le moyen tiré de l'annulation de la souscription entraînant le rachat par les autres associés est inopposable à la masse des créanciers ;
- les époux T. ont engagé de plein droit leur responsabilité civile en leur qualité de parents et la fin de recevoir soulevée tardivement n'est pas recevable.
C'est en cet état que la procédure a été clôturée par ordonnance du 29 novembre 2012.
MOTIFS DE LA DECISION
En préliminaire, la cour observe que M. André T. n'est pas dans la cause, le jugement du tribunal de commerce de Perpignan ne le mentionne pas en qualité de partie et ne prononce aucune condamnation à son encontre.
Les demandes faites à l'encontre de M. T. en cause d'appel ne sont donc pas recevables ainsi que celles faites à son profit, à titre reconventionnel.
L'exception d'incompétence soulevée dans le cadre de l'action dirigée contre Mme T. n'a aucune incidence sur l'instance en cause d'appel, en l'état de l'effet dévolutif de l'appel et de la plénitude de juridiction dont est investie la cour de ce siège, en application de l'article 79 alinéa 1er du code de procédure civile.
M. G., liquidateur de la société Alu Production Languedoc Roussillon qui défend les intérêts des créanciers de la société, a qualité et intérêt à agir sur le fondement de la responsabilité délictuelle, à l'encontre de M. Jean-André T. et de Mme T. Son action est recevable.
Si le mineur non émancipé peut participer à la constitution d'une société à responsabilité limitée en étant dûment représenté, la souscription de parts sociales à son profit doit être autorisée par ses deux parents dans le cadre d'une administration légale pure et simple ou par le juge des tutelles, à défaut d'accord entre ces derniers, en vertu de l'article 389-5 du code civil.
En l'espèce, la société Alu Production Languedoc Roussillon a été constituée le 6 octobre 2005 entre M. L., M. R. et M. Jean-André T., qui était âgé de 16 ans et n'était pas représenté. Le capital social fixé à 30 000 euros réparti à hauteur de 10 000 euros chacun a été libéré à hauteur de 3 000 euros.
L'article L. 235-1 du code de commerce dispose qu'en ce qui concerne les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions, la nullité de la société ne peut résulter ni d'un vice du consentement ni de l'incapacité, à moins que celle-ci n'atteigne tous les associés fondateurs
La souscription ainsi que la libération par M. Jean-André T., mineur non émancipé, de parts sociales non autorisées par ses deux parents ou par le juge des tutelles est nulle et de nul effet et aurait pu donner lieu soit à une régularisation, soit à un remplacement de l'intéressé, soit à une diminution du capital social.
Lors de l'ouverture de la liquidation judiciaire ayant entraîné la dissolution de la société, M. Jean-André T. était toujours mineur et la nullité tenant à la participation sans représentation et à la souscription non autorisée de parts sociales n'était pas régularisée.
En conséquence, Mme G., ès qualités, ne pouvait pas solliciter la libération d'un apport frappé de nullité.
Aucune faute ou fait dommageable ne peut être reproché à M. Jean-André T. du fait de la souscription de parts sociales non autorisée durant sa minorité, étant observé que son incapacité n'a pas été dissimulée aux associés et aux tiers puisque sa date de naissance est mentionnée sur les statuts dûment publiés. Sa responsabilité délictuelle ne saurait donc être recherchée par Mme G., ès qualités.
Il s'ensuit que la responsabilité délictuelle de Mme Odile P., en sa qualité de civilement responsable, n'est pas encourue, en application de l'article 1384 alinéa 4 du code civil.
Mme G., ès qualités, sera déboutée de ses demandes et le jugement sera infirmé.
Il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou de l'autre partie.
Les dépens de première instance et d'appel resteront à la charge de Mme G., ès qualités.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement entrepris ;
Dit que l'action de Mme G., ès qualités, à l'encontre de M. Jean-André T. et de Mme Odile P. épouse T. est recevable ;
Constate que M. André T. n'est pas partie en première instance ;
Dit que les demandes faites à son encontre en cause d'appel sont irrecevables ;
Dit que la demande de restitution de la somme de 2 000 euros faite au profit de M. André T. est irrecevable ;
Et statuant au fond, en vertu de l'article 79 du code de procédure civile ;
Déboute Mme G., ès qualités, des demandes faites à l'encontre de M. Jean-André T. et de Mme Odile P. épouse T. ;
Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou de l'autre partie ;
Condamne Mme G., ès qualités, aux dépens de première instance et d'appel.