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Décisions

Cass. com., 3 novembre 2004, n° 00-20.248

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Montpellier, 1re ch. civ. B, du 5 juill.…

5 juillet 2000

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par une convention signée le 15 septembre 1989, la société Tresch Bonnes caves alsaciennes (la société Tresch), aux droits de laquelle intervient la société Financial, s'est engagée à souscrire à une augmentation du capital de la société X pour un certain montant ; que la souscription convenue est intervenue et qu'estimant ultérieurement que la situation de la société X était différente de celle qui résultait des documents comptables et financiers qui lui avaient été présentés dans le cadre des négociations précédant sa souscription, la société Tresch a assigné la société X, M. X, actionnaire et président de la société, les autres actionnaires, Mme

Y et M. Y, en nullité de sa souscription à l'augmentation de capital pour vice du consentement et en paiement de la somme correspondant à cette souscription ; que la société Tresch a ensuite assigné en paiement du même montant la société d'expertise comptable Clavel, ainsi que la SCP de commissaires aux comptes Lozano-Kuntz ; que les différentes assignations ont été jointes ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Financial venant aux droits de la société Tresch fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à l'annulation pour dol du protocole du 15 septembre 1989 et de la décision de l'assemblée générale extraordinaire de la société X du 28 septembre 1989, ainsi qu'à la condamnation de M. X, de Mme Y née X, de M. Y, de la société de commissaires aux comptes Lozano-Kuntz et de la société d'expertise comptable Clavel et associés à lui payer la somme de 4 764 000 francs qu'elle avait versée au titre de l'augmentation de capital de la société X et à l'indemniser de son préjudice, alors selon le moyen :

1°) que la victime de manoeuvres dolosives ne peut se voir reprocher son absence de diligences, s'agirait-il d'un professionnel rompu à la vie des affaires ; qu'en retenant, à l'appui de sa décision, qu'il incombait à la société Tresch de procéder aux vérifications qui s'imposaient, après avoir constaté que la société Financial ne se prévalait pas d'un dol par réticence, mais reprochait à M. Daniel X de lui avoir fourni des bilans erronés ou incomplets, ce qui était constant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du Code civil ;

2°) qu'en relevant également "qu'en cause d'appel la société Financial admet avoir eu connaissance du bilan établi au 31 août 1989, et ce avant sa souscription de l'augmentation de capital intervenue le 14 novembre 1989 ", sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la perte de plus de 11 000 000 francs constatée par le bilan établi au 31 mars 1990 n'était pas en partie imputable à la comptabilisation d'éléments qui avaient été omis dans ce bilan intermédiaire, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du Code civil ;

3°) qu'en énonçant par ailleurs que "si Daniel X n'a pas contesté l'existence de ces inexactitudes et insuffisances de sa comptabilité, en revanche, le fait qu'il ait envisagé de transiger dans le sens favorable imposé par la société Tresch ne suffit pas à établir qu'il aurait avoué que ces manquements comptables procéderaient d'une intention frauduleuse de tromper son cocontractant", sans rechercher, elle-même, ainsi qu'elle y était invitée, en ayant notamment égard à son comportement postérieur, et, tout particulièrement à sa proposition de "rembourser" à la société Tresch la somme de 4 767 000 francs correspondant au montant de l'augmentation de capital, si ces inexactitudes et insuffisances de résultaient pas d'une intention frauduleuse de la part de M. Daniel X, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de 1116 du Code civil, ensemble l'article 12 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que le dol est constitué lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que sans ces manoeuvres l'autre partie n'aurait pas contracté ; que l'arrêt, par motifs propres et adoptés, relève, tout d'abord, que la société Tresch dans le cadre de pourparlers préalables à son entrée dans le capital de la société X a pu procéder à différentes analyses sur la situation comptable et matérielle de celle-ci et a détaché, avant de procéder à l'opération en cause, quatre représentants qui ont pu effectuer des investigations approfondies ; qu'il observe que si les comptes de la société X comportaient des anomalies dont certaines avaient une incidence significative sur le résultat et pouvaient attirer l'attention de la société Tresch sur la santé économique de cette société, ces anomalies ont été notées par le commissaire aux comptes dans son rapport sur les comptes de l'exercice clos le 31 mars 1989, antérieur à la souscription d'augmentation de capital ; qu'il relève, encore, que si les stocks étaient surévalués, l'une de ces surévaluations était loin d'être frauduleuse et l'autre n'était ni cachée ni de nature à fausser l'appréciation de la société Tresch qui ne pouvait ignorer, en tant que professionnelle, l'incertitude relative à la qualité des vins ; que l'arrêt précise, de surcroît, que les erreurs relevées par l'expert, ne portent pas sur des qualités substantielles de la société, dont il ne résulte d'aucune pièce produites que sa situation était obérée ; qu'il retient, enfin, que le fait que M. X ait envisagé de transiger dans le sens favorable imposé par la société Tresch ne suffit pas à établir qu'il aurait avoué que les manquements comptables procédaient d'une intention frauduleuse de tromper son cocontractant ; qu'appréciant ainsi souverainement les éléments de preuve qui lui étaient soumis et dont il ne résultait pas que des manoeuvres dolosives auraient été mises en oeuvre, ni que les inexactitudes constatées auraient été déterminantes du consentement de la société Tresch, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la société Financial, venant aux droits de la société Tresch, fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à la condamnation de la société X, de M. X, de M. Y et de Mme Y née X à exécuter l'obligation de garantie qu'ils avaient souscrite, alors selon le moyen :

1°) qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que M. Daniel X avait souscrit une obligation de garantie, portant sur l'exactitude des bilans des 31 mars et 31 août 1989 ; qu'en considérant qu'il avait simplement contracté une obligation de faire dont la méconnaissance pouvait tout au plus donner lieu à la réparation du préjudice qu'elle avait causé à la société Tresch, cependant que celle-ci avait contracté en toute connaissance de cause, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;

2°) qu'en retenant que la société Tresch avait contracté en toute connaissance de cause, les comptes rectifiés ayant été connus en temps utile, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la perte de plus de 11 000 000 francs constatée par le bilan établi au 31 mars 1990 n'était pas en partie imputable à la comptabilisation d'éléments qui avaient été omis dans le bilan intermédiaire qui avait été établi au 31 août 1989, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard des articles 1116 et 1134 du Code civil ;

Mais attendu qu'après avoir rappelé que les termes de l'engagement souscrit par M. X consistaient à déclarer "expressément que les bilans et les annexes comptables clôturés par X SA les 31 mars 1989 et 31 août 1989 sont exacts dans leurs actifs et passifs et comportent, notamment, tous les engagements passifs (bilantiels et hors bilan) et provisions nécessaires de toute nature de la société" et qu'il se portait "personnellement garant envers Tresch Alsa Caves et envers X SA de ces déclarations", l'arrêt retient exactement que cet engagement ne vaut pas garantie de payer le passif qui serait révélé postérieurement au protocole, mais constitue seulement une obligation de produire des bilans et annexes comptables exacts, dans leurs actifs et passifs ; qu'ayant ensuite rappelé qu'il avait déjà été constaté que la société Tresch n'avait pas été trompée sur la santé économique de la société X et avait contracté en connaissance de cause, ce dont il résultait que le lien de causalité entre le manquement de M. X à l'engagement ainsi souscrit et le préjudice invoqué par la société Tresch n'était pas établi, la cour d'appel qui n'avait pas à suivre cette société, dans le détail de son argumentation, a, par une décision légalement justifiée, pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la société Financial, venant aux droits de la société Tresch, fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer la somme de 50 000 francs à M. X à titre de dommages et intérêts, alors selon le moyen :

1°) que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en retenant, tout à la fois, d'abord, que contrairement à ses affirmations, M. Daniel X n'avait pas été victime de "prédateurs" qui avaient cherché à l'évincer, et, ensuite, que ses espoirs de rapprochement avec le groupe Tresch avaient été déçus, puisque celui-ci ne lui avait finalement proposé "que le dépôt de bilan ou le rachat des autres actions pour le franc symbolique", la cour d'appel, qui a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

2°) qu'en se bornant à relever que "M. X son fondateur, après avoir escompté tirer les meilleurs bénéfices d'un rapprochement avec le groupe Tresch, dont la puissance économique apparaît à la lecture d'un hebdomadaire spécialisé et produit aux débats, ne s'est vu finalement proposer d'autre choix de la part de celui-ci que le dépôt de bilan ou le rachat des autres actions pour le franc symbolique, alors que des propositions concrètes lui étaient soumises pour redresser l'entreprise", la cour d'appel n'a pas caractérisé la faute qui aurait été commise par la société Tresch, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu qu'après avoir rejeté l'existence d'une stratégie de la part de la société Tresch visant à prendre le contrôle, à moindre frais, de la société X et examinant le comportement de la première face à l'importance des pertes réalisées par la seconde, l'arrêt relève, d'un côté, que la société Tresch, lorsqu'elle a souscrit à l'augmentation de capital de la société X, connaissait sa véritable situation financière et comptable, puis, d'un autre côté, qu'alors que des propositions concrètes lui étaient soumises pour redresser l'entreprise, propositions qui se sont d'ailleurs ultérieurement révélées efficaces, la société Tresch n'a proposé d'autre solution que le dépôt de bilan ou le rachat des autres actions de la société pour le franc symbolique, ce dont il ressort que cette société, alors qu'elle avait pris une participation dans une entreprise dont elle connaissait la mauvaise situation financière, a adopté, ultérieurement, un comportement radical et totalement défavorable tant à la société qu'à son dirigeant qui en était actionnaire, constitutif d'une faute à l'égard de ce dernier ; qu'ainsi la cour d'appel a, sans se contredire, légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais sur le quatrième moyen :

Vu l'article 1382 du Code civil ;

Attendu que pour condamner la société Financial, venant aux droits de la société Tresch, au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive à M. Y et à Mme Y née X, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que l'action a été inutilement diligentée à l'encontre de ceux-ci et que Mme X a, en outre, fait l'objet d'une saisie conservatoire et d'une mise sous séquestre de parts sociales ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans caractériser les circonstances qui auraient fait dégénérer en abus le droit de la société Tresch d'ester en justice, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Et sur le cinquième moyen :

Vu l'article 1382 du Code civil ;

Attendu que pour condamner la société Financial, venant aux droits de la société Tresch, au paiement de dommages-intérêts à la société Lozano-Kuntz pour procédure abusive, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que la responsabilité de cette société, à la supposer établie, n'aurait été que subsidiaire ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans caractériser les circonstances qui auraient fait dégénérer en abus le droit de la société Tresch d'ester en justice, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Financial, venant aux droits de la société Tresch Alsacaves, au paiement de dommages-intérêts à M. Y et Mme Y, née X, et à la société Lozano-Kuntz, l'arrêt rendu le 5 juillet 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.