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Décisions

Cass. crim., 9 décembre 2020, n° 19-86.575

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

M. Pauthe

Avocat général :

Mme Moracchini

Avocat :

SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin

Limoges, du 20 sept. 2019

20 septembre 2019

M. R... U... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Limoges, chambre correctionnelle, en date du 20 septembre 2019, qui, pour escroquerie, abus de confiance et contrefaçon de chèques et usage en récidive, l'a condamné à trente mois d'emprisonnement dont six mois avec sursis et mise à l'épreuve devenu sursis probatoire, à trois ans d'interdiction de toute fonction ou emploi public, trois ans d'interdiction de gérer une entreprise commerciale et trois ans de privation des droits civiques, civils et de famille, et a prononcé sur les intérêts civils.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Pauthe, conseiller, les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat de M. R... U..., et les conclusions de Mme Moracchini, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 octobre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Pauthe, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. U... a été convoqué devant le tribunal correctionnel de Tulle pour avoir sur le département de la Corrèze, du 1er octobre au 31 décembre 2014, trompé Mme O... Y... en lui demandant d'assurer les fonctions de présidente en prête-nom de la société Sportdigies, en la séduisant et en lui promettant un emploi pour son fils, et de l'avoir ainsi déterminée à remettre la somme totale de 9 000 euros, pour avoir à Amiens et sur le département de la Corrèze, du 30 décembre 2014 au 13 janvier 2015, trompé M. K... N... en lui promettant un emploi et en lui faisant croire au développement de l'activité handisport de la société Sportdigies, pour le déterminer à lui remettre la somme de 7 170 euros, pour avoir détourné des fonds, valeurs ou biens quelconque remis pour financer l'activité de la société Sportdigies alors que cette activité était inexistante, en l'espèce la somme de 14 300 euros au préjudice de Mme M... V..., et la somme de 2 000 euros au préjudice de M. B... T..., et pour avoir falsifié sept chèques et en avoir fait usage et ce en état de récidive légale pour avoir été condamné définitivement le 7 février 2013 par le tribunal correctionnel de Brive-la-Gaillarde.

3. Les juges du premier degré ont déclaré M. U... coupable de ces faits et l'ont condamné à trente mois d'emprisonnement dont six mois avec sursis et mise à l'épreuve pendant deux ans, ainsi qu'à trois ans d'interdiction de toute fonction ou emploi public, d'interdiction de gérer et de privation de tous droits civiques, civils et de famille et a prononcé sur les intérêts civils.

4. M. U..., le procureur de la République et Mme Y... ont relevé appel de cette décision.

Sur les premier et deuxième moyens

5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a déclaré le prévenu coupable d'abus de confiance alors « que en retenant la culpabilité de Monsieur U... du chef d'abus de confiance cependant qu'elle avait constaté que ce dernier avait obtenu la remise des fonds pour un montant total de 14 300 euros à titre de prêt, la cour d'appel a méconnu l'article 314-1 du Code pénal. »
Réponse de la Cour

Vu l'article 314-1 du code pénal :

7. Il résulte de ce texte que l'abus de confiance ne peut porter que sur des fonds, valeurs ou biens remis à titre précaire.

8. Pour déclarer M. U... coupable d'abus de confiance, l'arrêt attaqué retient qu'il résulte des éléments de l'enquête que M. U... a obtenu la remise de fonds pour un montant total de 14 300 euros par Mme V... à titre de prêt, en lui signant des reconnaissances de dette, pour financer l'activité de la société Sportigies alors que cette société, qu'il avait créée, n'avait aucune activité et qu'il a utilisé les fonds à des fins personnelles en menant grand train, notamment en frais de restaurant et d'hôtel.

9. Par ces énonciations, qui n'établissent pas que les fonds ont été remis à titre précaire, la cour d'appel a méconnu le texte visé au moyen.

10. Dès lors la cassation est encourue de ce chef.

Et sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à aménagement dès à présent de la partie ferme de la peine d'emprisonnement, alors « que en se déterminant ainsi, cependant que M. U..., présent à l'audience, pouvait répondre à toutes les questions des juges leur permettant d'apprécier la faisabilité d'une mesure d'aménagement, la cour a méconnu les articles 132-25 à 132-28 du code pénal, 591 et 593 du dit code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 132-19 du code pénal dans sa rédaction alors en vigueur :

12. Il résulte de ce texte que le juge qui prononce une peine d'emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard de la gravité de l'infraction, de la personnalité de son auteur et du caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction et que, si la peine prononcée n'est pas supérieure à deux ans, ou à un an pour une personne en état de récidive légale, le juge, qui décide de ne pas l'aménager, doit en outre, soit constater une impossibilité matérielle de le faire, soit motiver spécialement sa décision au regard des faits de l'espèce, de la personnalité du prévenu et de sa situation matérielle, familiale et sociale.

13. Pour condamner le prévenu à trente mois d'emprisonnement dont six mois assortis du sursis avec mise à l'épreuve et dire n'y avoir lieu à aménagement de la partie ferme de la peine prononcée, l'arrêt attaqué énonce que M. U... est un délinquant d'habitude, que la société utilisée pour obtenir des fonds de ses victimes a été créée alors qu'il était en détention, précisément pour des faits d'escroquerie et qu'il a obtenu sa libération conditionnelle dans le cadre de la dernière peine d'emprisonnement à laquelle il avait été condamné avant les faits objet de la présente décision.

14. Les juges retiennent que les faits sont graves en ce que M. U... a eu recours à une mise en scène complexe et a trompé notamment les interlocuteurs institutionnels tels que le SPIP et la Pépinière d'entreprise de Tulle et ce, dans le seul but d'obtenir des fonds afin de mener une vie que ses revenus ne lui permettaient pas d'avoir et en faisant des victimes se retrouvant de son fait dans des situations financières difficiles.

15. Ils considèrent que les faits d'escroquerie et d'abus de confiance justifient à eux seuls le quantum de la peine d'emprisonnement prononcée par le tribunal, la partie ferme de l'emprisonnement apparaissant nécessaire au regard de la gravité des faits et de la personnalité du prévenu mais une partie de l'emprisonnement apparaissant devoir être assortie du sursis pour tenir compte à la fois du grand âge du prévenu et à titre de mesure d'accompagnement à sa sortie afin de garantir le paiement des sommes dues aux victimes.

16. En statuant par ces seuls motifs, sans se prononcer sur l'aménagement de la partie ferme de la peine d'emprisonnement prononcée au regard de la situation matérielle, familiale et sociale du prévenu, alors que la présence de ce dernier à l'audience permettait de l'interroger sur ce point, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé.

17. Dès lors, la cassation est également encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

18. La cassation sera limitée aux dispositions relatives à la déclaration de culpabilité du chef d'abus de confiance au préjudice de Mme V... et aux peines dès lors que la déclaration de culpabilité sur les autres chefs de prévention n'encourt pas la censure.

19. L'affaire sera renvoyée afin qu'il soit statué à nouveau dans les limites de la cassation ainsi prononcée, conformément à la loi, et, le cas échéant, aux dispositions des articles 132-19 et 132-25 du code pénal et 464-2 du code de procédure pénale, dans leur rédaction issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, applicables à partir du 24 mars 2020.

20. Il appartiendra à la juridiction de renvoi saisie, au cas ou une peine d'emprisonnement égale ou supérieure à un an serait prononcée, d'appliquer, en matière d'aménagement, les dispositions applicables à la date des faits poursuivis.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner le quatrième moyen, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Limoges, en date du 20 septembre 2019, mais en ses seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité du chef d'abus de confiance commis au préjudice de Mme V... et aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Poitiers.