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Décisions

Cass. crim., 7 septembre 2011, n° 10-84.263

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Rapporteur :

M. Bayet

Avocats :

SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Masse-Dessen et Thouvenin

Colmar, du 14 mai 2010

14 mai 2010

Sur le premier moyen de cassation proposé par le procureur général près la cour d'appel de Colmar, pris de la violation de l'article 592 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'il résulte des pièces de la procédure que, à l'audience du 29 janvier 2010, la cour d'appel, étant composée notamment de M. Jurd, président, et de MM. Limouzineau et Steinitz, conseillers, a, sur les réquisitions du ministère public tendant à la comparution du prévenu, renvoyé contradictoirement l'affaire à une date ultérieure avec obligation faite au prévenu d'être présent aux débats ; qu'à l'audience du 19 mars 2010, la cour d'appel, composée du même président et de MM. Picard et Steinitz, conseillers, le prévenu étant comparant en personne et après le rapport du conseiller Picard, a prononcé comme elle l'a fait sur le fond de la prévention ;

Attendu qu'en cet état, et dès lors que les dispositions de l'article 592 du code de procédure pénale, selon lesquelles sont déclarés nuls les arrêts rendus par les juges qui n'ont pas assisté à toutes les audiences, s'appliquent aux audiences au cours desquelles la cause a été instruite, plaidée ou jugée, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que, à l'audience du 19 mars 2010, la cour d'appel était composée conformément à la loi ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Mais sur le second moyen de cassation proposé par le procureur général près la cour d'appel de Colmar, pris de la violation de l'article 314-1 du code pénal ;

Et sur le premier moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Lyon-Caen-Fabiani-Thiriez pour les parties civiles, et pris de la violation des articles 314-1 du code pénal, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué, après avoir relaxé le prévenu pour l'ensemble des faits visés à la prévention, à l'exception de ceux relatifs à l'utilisation sans autorisation d'un salarié de l'association Emmaüs Haguenau, a refusé de faire droit à sa demande de réparation du préjudice matériel résultant des autres détournements poursuivis et du préjudice moral dont les parties civiles demandaient également réparation, et a refusé d'ordonner le remboursement des frais visés à l'article 475-1 du code de procédure pénale ;

"aux motifs que M. X... a reconnu spontanément et de façon constante qu'il avait bénéficié de remboursements de frais fictifs pour les montants mentionnés dans la prévention ; qu'il a également reconnu que sa maîtresse avait perçu pendant deux mois un salaire alors qu'elle n'exerçait aucun travail au sein de l'association ; qu'il a confessé qu'un salarié était venu, pendant ses heures de travail, faire des travaux à son domicile privé ; qu'il n'a contesté que très mollement les déclarations de nombreux salariés de l'association qui affirmaient qu'il ne travaillait pas les dimanches et jours fériés et que les primes exceptionnelles qu'il percevait étaient donc indues ; qu'il existe des éléments objectifs dans la procédure qui démontrent que les organes, les représentants, les salariés et les responsables externes de contrôle de cette association étaient parfaitement informés des agissements de son directeur ; qu'en effet, la comptable salariée expliquait que dès 2002 elle avait connaissance que M. X... percevait des primes exceptionnelles indues ; que les explications très embarrassées de l'expert comptable de l'association lors de son audition sont significatives ; qu'en effet ce professionnel, chargé de valider les comptes de cette association humanitaire ne s'était, par exemple, ni ému que M. X... avait, malgré des rémunérations mirobolantes, bénéficié d'un prêt de la part de son employeur, ni interrogé lorsque les remboursements des échéances avaient subitement cessé ; qu'il n'avait pas plus réagi ni vérifié quoique ce soit lorsqu'il constatait que M. X... bénéficiait concomitamment d'une voiture de fonction et de substantiels remboursements de frais kilométriques ; que M. Z... rédigeait et signait en juin 2003 un document qui officialisait en quelques sortes ces détournements ; que la rapidité avec laquelle M. A... diligentait un audit des comptes suite au décès de M. Z... et subséquemment, déposait plainte, établit que la situation était connue et qu'il avait simplement été décidé d'y mettre fin ; qu'en conséquence qu'il ne peut être reproché à M. X... d'avoir abusé la confiance de son employeur, les faits qui lui sont reprochés étant connus et validés en interne comme en externe par l'association Emmaüs Haguenau ; que, sur l'action civile, au regard des relaxes partielles intervenues et du montant du préjudice en relation directe avec la seule prévention pour laquelle M. X... a été déclaré coupable, il convient d'infirmer le jugement déféré en ses dispositions civiles et condamner M. X... à payer à l'association Emmaüs Haguenau la somme de 459,18 euros en réparation de son préjudice matériel, la victime étant déboutée du surplus de ses demandes pour avoir permis la mise en place et la pérennisation des situations qu'elle a dénoncées ; qu'il convient également de ne pas faire droit à ses demandes fondées sur l'article 475-1 du code de procédure pénale au titre des deux instances ; qu'il convient de débouter l'association Emmaüs France de sa demande comme n'ayant personnellement subi aucun préjudice en relation directe avec l'infraction pour laquelle M. X... a été déclaré coupable ;

1°) "alors que les fonds d'une association sont détournés dès lors qu'ils sont utilisés à des fins sans lien avec l'objet social de celle-ci, l'autorisation donnée par un organe ou un représentant d'une telle association d'utiliser ces fonds à des fins autres que l'objet social n'étant pas de nature à exclure l'infraction ; que, dès lors, qu'elle admettait que les fonds en cause qui étaient présentés comme remboursant des frais kilométriques de déplacement pour l'association, qui étaient en réalité indus ou comme rémunérant une activité qui s'était avérée inexistante, la cour d'appel qui, par ces motifs, constatait que les paiements en cause ne pouvaient être en lien avec l'objet social de l'association, dès lors qu'ils n'étaient pas dus à titre de salaire, mais qui estime que les détournements ne sont pas établis en s'appuyant sur la prétendue connaissance des faits par les organes ou dirigeants de l'association et même celle de salariés ou de tiers contrôlant l'activité de l'association, a méconnu l'article 314-1 du code pénal ;

2°) "alors que les fonds d'une association sont détournés si leur utilisation n'a pas été autorisée par l'un de ses organes ou représentants ayant le pouvoir d'en déterminer l'affectation, peu important la connaissance des faits par des tiers ou des membres de l'association ; que, pour exclure l'abus de confiance, la cour d'appel affirme que les organes et représentants de l'association, comme les salariés ou les intervenants extérieurs connaissaient la situation ; que de tels motifs faisant état d'une connaissance des faits par tous, étaient insuffisants pour exclure les abus de confiance, dès lors qu'il n'a pas été constaté qu'avant de les percevoir, le prévenu avait été autorisé à percevoir les fonds en cause par un organe ou un représentant de l'association compétent pour le faire ayant pris sa décision en toute connaissance de cause ;

3°) "alors qu'en constatant la connaissance par la comptable de l'association du caractère indu des primes exceptionnelles et une éventuelle connaissance du caractère indu de certains versements par l'expert-comptable, la cour d'appel n'a pu caractériser la connaissance par les organes et représentants de l'association du fait que les versements en cause constituaient un complément de rémunération, dès lors qu'ayant admis que les versements en cause avaient été dissimulés sous l'apparence de sommes dues à un autre titre qu'un complément de rémunération, elle n'a pas constaté ce qui aurait permis aux organes et représentants de l'association de savoir que ces sommes étaient indues et ainsi caractériser éventuellement une autorisation au moins implicite de percevoir les fonds visés à la prévention à titre de rémunération exclusive de tout détournement ;

4°) "alors que, pour exclure l'abus de confiance, la cour d'appel relève en outre que la rapidité avec laquelle le nouveau président de l'association avait diligenté l'audit et déposé plainte, établissait que la situation était connue ; qu'un tel motif ne suffit pas à caractériser l'acceptation de la remise des fonds par l'association, la cour d'appel n'ayant pas constaté que ce nouveau président, M. A..., était un organe ou représentant de l'association ayant eu le pouvoir d'autoriser l'attribution des fonds au directeur de cette structure au moment de leur versement ;

5°) "alors que la cour d'appel constate, pour exclure les abus de confiance que, par un contrat de 2003, l'ancien président de l'association avait "officialisé" les "détournements" ; qu'en l'état de tels motifs, n'expliquant pas en quoi un tel contrat permettait d'établir l'accord par le président de l'association du paiement de sommes faussement présentées comme des frais kilométriques ou des primes et d'exclure les abus de confiance, malgré le constat de la réalité des détournements, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

6°) "alors que la négligence de la victime d'une infraction contre les biens ne peut justifier la limitation de son droit à réparation ; que d'autre part, les intérêts des organes et représentants d'une personne morale étant distincts de ceux de cette personne, celle-ci ne peut se voir reprocher une quelconque participation aux détournements de ses propres fonds par les premiers, ceux-ci auraient-ils participé auxdits détournements ne pouvant plus être considérés comme agissant alors en son nom et pour son compte ; qu'en refusant d'indemniser l'association Emmaüs en considérant que l'association avait permis la mise en place de la situation dénoncée, confondant l'association et ses organes et représentants, qui plus est, sans relever que son comportement révélait une véritable intention de s'associer à l'infraction et non une simple négligence, la cour d'appel a méconnu les articles 2 et 3 du code de procédure pénale" ;

Les moyens étant réunis ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 314-1 du code pénal ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, pour relaxer M. X..., directeur de l'association Emmaüs Haguenau, de certains des faits d'abus de confiance, commis entre janvier 2002 et le 17 janvier 2007, portant notamment sur des frais kilométriques fictifs liés à l'utilisation de véhicules automobiles lui appartenant, au paiement de salaires de complaisance à une personne ne travaillant plus au sein de l'association ainsi qu'au versement à son bénéfice de primes exceptionnelles dues aux autres salariés, les juges du second degré retiennent que ces faits, validés par le président de l'association en juin 2003, étaient connus des membres de l'association Emmaüs Haguenau ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'il résulte de ses propres constatations que les fonds de l'association ont été frauduleusement détournés, peu important que ses membres ou des tiers aient été au courant de ces détournements, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs et sans qu'il soit besoin de statuer sur I'autre moyen de cassation proposé :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Colmar, en date du 14 mai 2010, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.