Cass. com., 1 juin 2022, n° 21-16.481
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Brival auto (SARL)
Défendeur :
ADA (SA), EDA (SA), ADA services (Sarlu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Darbois
Rapporteur :
Mme Comte
Avocats :
SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, SCP Piwnica et Molinié
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 janvier 2021), la société ADA, qui exerce l'activité de location de véhicules automobiles utilitaires et de tourisme, avec un réseau de commerçants indépendants bénéficiaires d'un contrat de franchise, et la société Brival auto (la société Brival), qui exploite un atelier d'entretien et de réparation de véhicules, ont signé, le 17 juin 2014, un contrat de franchise. Simultanément, la société Brival a conclu un contrat cadre avec la société EDA, filiale de la société ADA, pour la location de véhicules utilitaires, ainsi qu'un contrat de mise à disposition de logiciel informatique, dit « contrat pack services », avec la société ADA services, pour la gestion des locations et du parc de véhicules, en vue de l'ouverture d'une agence de location.
2. Par lettre du 29 mai 2017, la société ADA a notifié à la société Brival la résiliation de son contrat de franchise, en raison du défaut de paiement de prestations contractuelles réalisées par les sociétés ADA, EDA et ADA services.
3. Par acte du 5 septembre 2017, les sociétés ADA, EDA et ADA services ont assigné la société Brival en paiement des sommes dues au titre du contrat de franchise. Reconventionnellement, la société Brival a notamment demandé l'annulation du contrat de franchise pour dol et erreur.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La société Brival fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes et de la condamner à payer à la société ADA la somme de 15 825,98 euros TTC au titre des redevances de franchise, à la société EDA la somme de 32 940,17 euros TTC au titre des loyers impayés, et à la société ADA services la somme de 9 382,80 euros TTC au titre des loyers impayés, les trois sommes étant arrêtées au 31 mai 2017, et portant intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 22 avril 2017, alors « que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ; qu'il en va ainsi lorsque le franchiseur viole l'obligation précontractuelle d'information que l'article L. 330-3 du code de commerce fait peser sur lui, en ne fournissant pas au franchisé les informations essentielles permettant une présentation sincère et complète du réseau de franchise, dès lors que ces informations ont été déterminantes de la volonté du franchisé d'adhérer à ce dernier ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même relevé que s'agissant de la présentation du réseau ADA dans le DIP [document d'information précontratuelle], il est établi que ce document remis en 2014 à la société Brival Auto ne fait pas état des données postérieures au 31 décembre 2012. Contrairement aux prévisions légales (…), il n'y a aucune information donnée sur le nombre d'entreprises qui ont cessé de faire partie du réseau au cours de l'année précédant la délivrance du document. Les informations sur le nombre des départs du réseau données pour 2012 ne permettent pas de savoir, contrairement à la prescription légale, s'il s'est agi de contrats annulés ou résiliés, (…) de sorte que l'attention du candidat à la franchise n'a pas été attirée sur un élément essentiel de l'expérience du franchiseur sur l'année la plus récente, ce qui lui aurait permis de s'interroger utilement, selon le voeu de la loi, sur la vitalité du réseau et, en l'espèce, les causes de sa diminution. Contrairement à la volonté du législateur, le DIP ne fournit pas non plus le mode d'exploitation des entreprises du réseau dont il donne la liste, ce qui, joint au manquement retenu ci-dessus, n'a pas permis au candidat à la franchise de s'interroger sur l'expérience du franchiseur propre aux agences exploitées de manière non indépendante en fait du franchiseur, en particulier sur son propre jugement de rentabilité, dès lors qu'il est établi que des agences de ce type ont été fermées en 2013" ; qu'elle a encore constaté que l'intention déloyale du franchiseur de dissimuler dans le DIP l'état réel du réseau est caractérisée en l'espèce par la totale absence d'indication sur la réorganisation du groupe exploitant l'enseigne après 2009, date de fin de l'historique fourni, correspondant à une entrée en crise du secteur" et que le manquement du franchiseur à fournir dans le DIP les rapports au titre des deux derniers exercices en application du III de l'article L. 451-1-2 du code monétaire et financier, participe bien d'une intention du franchiseur, établie par ailleurs, de dissimuler à la société Brival Auto la gravité des risques d'échec de l'ouverture d'une agence à [Localité 3]" ; qu'en décidant néanmoins que s'agissant du dol, la société Brival Auto ne prouve pas non plus qu'elle n'aurait pas conclu le contrat de franchise si elle avait reçu l'ensemble des informations prévues par la loi" et qu'il n'est pas démontré que la remise du prévisionnel litigieux établi par le franchiseur, même pris avec les manquements du franchiseur à son obligation légale d'information, caractérise le dol", cependant qu'elle avait expressément constaté à la fois l'intention déloyale du franchiseur de dissimuler dans le DIP l'état réel du réseau" et le fait que cette dissimulation dolosive avait empêché la société Brival Auto de s'interroger utilement, selon le voeu de la loi, sur la vitalité du réseau et, en l'espèce, les causes de sa diminution", comme sur l'expérience du franchiseur propre aux agences exploitées de manière non indépendante en fait du franchiseur, en particulier sur son propre jugement de rentabilité", tout en occultant la gravité des risques d'échec de l'ouverture d'une agence à [Localité 3]", tous éléments indiquant le caractère nécessairement déterminant de l'erreur commise en conséquence de ces dissimulations par la société exposante, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de l'ensemble de ses constatations, en violation des articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce, ensemble l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. » Réponse de la Cour
Vu l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et les articles L. 330-3 et R. 330-3 du code de commerce :
5. Selon le premier de ces textes, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Selon les seconds, toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause, les comptes prévisionnels éventuellement fournis devant revêtir un caractère sérieux.
6. Pour rejeter la demande de nullité du contrat de franchise formée par la société Brival, au titre du dol, l'arrêt retient, s'agissant des informations légalement requises, qu'aucune information n'a été donnée par la société ADA, d'abord, sur le nombre d'entreprises qui ont cessé de faire partie du réseau au cours de l'année précédant celle de la délivrance du DIP, de sorte que l'attention de la société Brival n'a pas été attirée sur un élément essentiel de l'expérience du franchiseur sur l'année la plus récente, qui lui aurait permis de s'interroger utilement sur la vitalité du réseau et, en l'espèce, sur les causes de sa diminution, ensuite, sur le mode d'exploitation des entreprises du réseau dont la liste était donnée, ce qui n'a pas permis à la société Brival de s'interroger sur l'expérience de la société ADA propre aux agences exploitées, de fait, de manière non indépendante et dont certaines ont été fermées en 2013, puis sur la réorganisation du groupe exploitant l'enseigne après 2009, date de fin de l'historique fourni, correspondant à une entrée en crise du secteur, et, enfin, sur les deux derniers exercices. Il ajoute que la société ADA a, en revanche, communiqué un prévisionnel exagérément optimiste. Il en déduit que la société Brival ne prouve pas qu'elle n'aurait pas conclu le contrat de franchise si elle avait reçu l'ensemble des informations prévues par la loi, ni que la remise du prévisionnel litigieux caractérise le dol.
7. En statuant ainsi, après avoir retenu que l'omission des informations relevées participait d'une intention de la société ADA de dissimuler à la société Brival des éléments manifestant la gravité des risques d'échec de l'ouverture d'une agence, ce dont il se déduisait que ces informations, si la société Brival les avait connues, étaient de nature à l'empêcher de contracter, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.