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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 9 septembre 2021, n° 19/04570

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

CROIX DE CHAUTAGNE (SCI)

Défendeur :

METRISE E2 (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme GONZALEZ

Conseillers :

Mme BLANCHARD, Mme GONZALEZ

TGI Grenoble, du 4 nov. 2019

4 novembre 2019

Suivant acte authentique du 22 novembre 2001, la Sci La Croix de Chautagne a donné à bail commercial à la Sarl Metrise deux lots d'un tènement industriel situé sur la commune d'Echirolles pour une durée de 9 ans avec effet au 1er août 1997 pour prendre fin le 31 juillet 2006 et moyennant un loyer annuel de 54.881,60 euros.

A son terme, le bail s'est prolongé tacitement.

Le 2 avril 2013 le tribunal de commerce de Grenoble a prononcé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde au bénéfice de la société Metrise, convertie en redressement judiciaire le 28 janvier 2014.

Par jugement du 2 septembre 2014, le tribunal de commerce a arrêté le plan de cession du fonds de commerce et des actifs de la société Metrise au profit de la Sas Metrise E2 et a prononcé notamment le transfert du bail commercial de la société La Croix de Chautagne.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 mars 2016, la société Metrise 2 a entendu résilier le bail au 30 septembre 2016.

La bailleresse a contesté la validité de ce congé par un courrier recommandé avec accusé de réception du 12 septembre 2016.

Suivant acte d'huissier du 27 septembre 2016, la locataire a fait sommation à la Sci La Croix de Chautagne d'être présente aux opérations de constat le 30 septembre 2016.

Par acte d'huissier du 30 septembre 2016, la société Metrise E2 a fait délivrer à la société La Croix de Chautagne un congé pour le 31 mars 2017 pour la préservation de ses droits.

Sur l'assignation délivrée par la Sci La Croix de Chautagne en nullité du congé du 18 mars 2016 et paiement de loyers, le tribunal de grande instance de Grenoble a, par jugement du 4 novembre 2019 :

- dit que le congé délivré le 18 mars 2016 par la Sas Metrise E2 par lettre recommandée avec accusé de réception est régulier,

- débouté la Sci La Croix de Chautagne de sa demande de condamnation aux loyers jusqu'au 31 mars 2017,

- relevé son incompétence pour connaître de la demande de révision du loyer,

- condamné la Sci La Croix de Chautagne à payer à la Sas Metrise E2 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la Sci La Croix de Chautagne aux dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la Selarl D., avocats,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Suivant déclaration au greffe du 12 novembre 2019, la Sci La Croix de Chautagne a relevé appel de cette décision.

Au terme de ses conclusions n°2 notifiées le 15 avril 2021, la Sci La Croix de Chautagne demande à la cour de:

- juger recevable l'appel interjeté par la Sci La Croix de Chautagne,

- réformer la décision de première instance en ce qu'elle s'est déclarée incompétente au profit du juge des loyers commerciaux,

- dire et juger nul le congé en date du 18 mars 2016,

- juger la société Metrise E2 redevable du montant des loyers du 1er octobre 2016 au 31 mars 2017,

- condamner la société Metrise E2 à régler à la Sci La Croix de Chautagne la somme de 27.989,64 euros correspondant aux loyers impayés du 1er octobre 2016 au 31 mars 2017,

- réformer la décision dont appel ayant condamné la Sci La Croix de Chautagne à 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, - condamner la société Metrise E2 à régler à la Sci La Croix de Chautagne en 2.800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

La Sci La Croix de Chautagne soutient que le congé ne pouvait être valablement donné que par acte d'huissier, se prévalant des dispositions de l'article L.145-9 du code de commerce dans sa rédaction résultant de la loi du 6 août 2015.

Elle considère que sa demande d'application de la clause de révision du loyer ne relève pas de la compétence exclusive du juge des loyers commerciaux en vertu de l'article R.145-23 du code de commerce qui permet au tribunal de grande instance de connaître de la fixation du prix du bail renouvelé lorsqu'il en est saisi accessoirement à une autre demande.

Selon ses dernières écritures notifiées le 27 avril 2021, la Sas Metrise E2 entend voir :

- à titre principal,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que le congé délivré le 18 mars 2016 par la Sas Metrise E2 à la Sci La Croix de Chautagne par lettre recommandée avec accusé de réception est régulier,

- dire et juger en conséquence que la résiliation du bail commercial liant la Sas Metrise E2 à la Sci La Croix de Chautagne est intervenue le 30 septembre 2016,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la Sci La Croix de Chautagne de sa demande de condamnation aux loyers jusqu'aux 31 mars 2017,

- réformer le jugement déféré concernant l'incompétence prononcée au profit du juge des loyers commerciaux,

- débouter, comme étant mal fondée, la Sci La Croix de Chautagne de l'intégralité de ses demandes de paiement,

- à titre infiniment subsidiaire,

- prendre acte du congé délivré par acte extrajudiciaire le 30 septembre 2016,

- fixer le cas échéant la résiliation du bail commercial au 31 mars 2017,

- dire et juger que le montant mensuel du loyer dû pour la période de six mois ayant couru du 1er octobre 2016 au 31 mars 2017 est de 3.887, 45 euros ht,

- en tout état de cause,

- dire et juger nulle et à défaut réputée non écrite ou encore sans objet la clause d'échelle mobile contenue au bail notarié du 22 novembre 2001,

- donner acte à la Sci La Croix de Chautagne de l'abandon de ses prétentions relatives à la révision et aux arriérés de loyers,

- condamner la Sci La Croix de Chautagne à payer à la Sas Metrise E2 la somme de 2.830,38 euros ttc en remboursement du trop-versé sur les loyers,

- condamner la Sci La Croix de Chautagne à payer à la Sas Metrise E2 la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et 5.000 euros sur le même fondement en cause d'appel,

- condamner la même aux entiers dépens tant de première instance que d'appel, dont distraction au profit de la Selarl D. Avocats, ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La société Metrise E2 considère que son congé est valable compte tenu des modifications apportées au formalisme de l'article L.145-9 du code de commerce par la loi Pinel du 18 juin 2014, et soutient que les dispositions de la loi du 6 août 2015 ont maintenu la possibilité pour le preneur de donner congé par lettre recommandée avec avis de réception, ne supprimant cette faculté que pour le bailleur.

Elle estime que la bailleresse a commis un abus de droit en attendant la fin du préavis pour élever sa contestation.

Elle fait valoir que compte tenu de la compétence accessoire résultant de l'article R.145-23 du code de commerce, le tribunal de grande instance avait l'obligation de statuer sur la demande de révision du loyer.

Elle relève que la bailleresse n'ayant pas, jusqu'alors, fait application de la clause d'échelle mobile, elle y a renoncé et soutient que cette clause est viciée à défaut de prévoir la périodicité de la révision et pour entraîner la prise en compte d'une période de variation de l'indice supérieure à la durée de la période échue depuis la révision précédente.

Elle relève que la bailleresse a perçu un montant de loyers supérieur à celui qu'elle admet elle-même être dû.

La procédure a été clôturée le 29 avril 2021.

MOTIFS DE LA DECISION :

1°) sur la validité du congé :

Selon les termes de l'article L.145-9 du code de commerce, un bail commercial ne cesse que par l'effet d'un congé ou d'une demande de renouvellement, à défaut, il se prolonge tacitement au-delà du terme fixé par le contrat.

Le bail formalisé par écrit le 22 novembre 2001 à effet du 1er août 1997, est parvenu à son terme le 31 juillet 2006 et s'est poursuivi au-delà de cette date par l'effet de la tacite prolongation.

La société Metrise E2 a entendu y mettre un terme en délivrant à la Sci La Croix de Chautagne, par lettre recommandée du 18 mars 2016, un congé pour le 30 septembre 2016, date ne correspondant pas à la fin d'une période triennale.

Si pendant la tacite prolongation, il peut être mis un terme au bail par l'effet d'un congé donné six mois à l'avance et pour le dernier jour du trimestre civil, l'article L.145-9 du code de commerce dans sa rédaction issue de l'article 207 de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 en vigueur à la date du congé litigieux, ce dernier devait être donné par acte extrajudiciaire, qu'il émane du bailleur ou du preneur, l'article L.145-9 n'opérant aucune distinction.

La société Metrise E2 a régulièrement donné congé par acte d'huissier du 30 septembre 2016 pour le 31 mars 2017 et le terme du bail doit être fixé à cette date.

En conséquence, le congé donné le 18 mars 2016 par lettre recommandée est nul et de nul effet, ce qui conduira la cour à infirmer le jugement qui l'a déclaré régulier et qui a débouté la Sci La Croix de Chautagne de sa demande en paiement des loyers jusqu'au 31 mars 2017, un éventuel abus de droit ne pouvant se résoudre qu'en dommages-intérêts et non redonner effet à un acte nul.

2°) sur la révision des loyers :

Lorsque la demande de fixation du loyer est présentée de manière accessoire à une demande principale relevant de sa compétence exclusive, telle que la validité d'un congé, le tribunal de grande instance doit statuer sur cette demande.

Le jugement sera infirmé en ce que le tribunal s'est déclaré incompétent pour en connaître.

Au demeurant, selon les termes de ses dernières écritures, la Sci La Croix de Chautagne demande paiement des loyers ayant courus du 1er octobre 2016 au 31 mars 2017 sur la base du loyer d'origine, soit 3.887,45 euros ht par mois renonçant à se prévaloir d'une quelconque indexation.

La société Metrise E2 sera condamnée à lui payer la somme de 23.324, 70 euros ht, soit 27.989, 64 euros ttc.

3°) sur la clause d'indexation :

Le bail notarié du 22 novembre 2001 contient une clause de révision du loyer devant intervenir pour la première fois le 1er janvier 2005.

Dans ses conclusions notifiées le 15 avril 2021, la Sci La Croix de Chautagne n'a pas repris les termes de ses demandes en paiement d'arriérés de loyers résultant de la révision du loyer, renonçant ainsi expressément à se prévaloir de cette clause d'indexation.

La demande visant à voir dire et juger cette clause nulle, à défaut réputée non écrite ou sans objet que la société Metrise E2 a maintenu dans le dispositif de ses conclusions malgré la renonciation de la bailleresse à toute indexation du loyer d'un bail résilié est elle-même devenue sans objet.

4°) sur la demande reconventionnelle en répétition de l'indû :

La société Metrise E2 réclame remboursement d'un indû de loyer au motif qu'il lui a été facturé et qu'elle s'est acquittée du paiement d'un loyer mensuel d'un montant de 3990 euros ht, ce dont elle justifie, au lieu du montant dû tel que le reconnaît la bailleresse de 3887, 45 euros ht par mois.

Sa demande de remboursement ne se heurte à aucune contestation de la Sci La Croix de Chautagne qui sera condamnée à lui rembourser la somme de 2830, 38 euros ttc.

Il y aura lieu d'ordonner la compensation des créances réciproques.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

INFIRME le jugement du tribunal de grande instance de Grenoble en date du 4 novembre 2019,

statuant à nouveau,

DECLARE nul et de nul effet le congé donné par la Sarl Metrise E2 le 18 mars 2016 pour le 30 septembre 2016,

FIXE le terme du bail au 31 mars 2017,

CONSTATE que la Sci La Croix de Chautagne renonce à se prévaloir de la clause d'indexation du loyer,

DIT que la demande visant à voir déclarer cette clause nulle ou non écrite est sans objet,

CONDAMNE la Sarl Metrise E2 à payer à la Sci La Croix de Chautagne la somme de 27.989, 64 euros ttc,

CONDAMNE la Sci La Croix de Chautagne à rembourser à la Sarl Metrise E2 la somme de 2830, 38 euros ttc,

ORDONNE la compensation de ces créances réciproques,

DEBOUTE les parties de leur demande de condamnation réciproque fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la Sarl Metrise E2 aux dépens de première instance et d'appel.

SIGNE par Mme BLANCHARD, Conseiller, pour la Présidente empêchée et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.