Cass. crim., 17 février 2016, n° 14-87.934
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme Chaubon
Avocat général :
M. Bonnet
Avocat :
SCP Waquet, Farge et Hazan
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Elhadj Y...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 5-12, en date du 19 novembre 2014, qui, pour recel, l'a condamné à deux mois d'emprisonnement avec sursis, trois ans d'interdiction des droits civiques et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'article préliminaire, les articles 321-1 et 432-14 du code pénal, 591 à 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et de réponse à conclusions, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. Y... coupable de recel du délit de favoritisme et en répression l'a condamné à une peine de deux mois d'emprisonnement avec sursis ;
" aux motifs qu'il résulte de la procédure et des débats que M. Gérard Z..., en sa qualité de président de SEMM, a élaboré une convention avec la société A'Conseil, représentée par son gérant M. Antonio A..., ayant pour objet de permettre, sans contrepartie pour la SEMM, l'attribution par cette dernière à M. Y..., précédent gérant de la société A'Conseil et administrateur de la SEMM, d'une rémunération mensuelle nette comprise entre 2 500 et 3 000 euros ; que nonobstant les dénégations des prévenus, ces faits ressortent ; que la convention datée du 30 juin 2008 avait pour objet la réalisation d'une étude d'opportunité et de faisabilité de deux complexes sportifs ; que la SEMM n'était pas habilitée pour réaliser des grands équipements tels que des complexes sportifs ; que la société A'Conseil, ayant elle-même pour objet l'assistance en gestion d'entreprise, n'était elle-même pas plus qualifiée à effectuer une telle étude portant sur des grands équipements ; que, alors qu'il n'est pas contesté que le contrat n'a reçu aucun commencement d'exécution, M. Z..., toujours en cette même qualité, a procédé, entre le 3 juillet 2008 et le 31 octobre 2008, à quatre paiements par chèque, chacun d'un montant de 4 937, 47 euros ; que les paiements des 31 juillet 2008 et 31 août 2008 ont eux-mêmes été suivis de paiements de 3 000 euros et 2 000 euros effectués le 5 août 2008 puis le 6 septembre 2008 par la société A'Conseil en faveur de M. Y... ; que cette fraude au préjudice de la SEMM est attestée par les déclarations circonstanciées de Mme Virginie B..., responsable juridique et financière de la SEMM, à laquelle M. Z..., en sa qualité de président, et M. Y..., en sa qualité d'administrateur, ont demandé de mettre au point la convention ; que M. Y... allègue que ces déclarations pourraient s'expliquer par les mauvaises relations qu'elle entretenait avec lui ; que, cependant, la production par son avocat au cours de l'audience d'appel d'un courriel du 18 juillet 2008 que Mme B...a envoyé à M. Z..., et que celui-ci ne conteste pas avoir reçu, corrobore définitivement les déclarations qu'elle a effectuées ; qu'en effet, par ce courriel, Mme B...adresse à M. Z...le projet de contrat sur la base d'une simulation de paie à 2 300 euros net ; qu'il estime, qu'il lui paraît inapproprié et disproportionné ; qu'il estime, qu'au regard des fonctions de M. Y... (élu administrateur), il engendre des risques de prise illégale d'intérêt, d'abus de biens sociaux ou d'avantage injustifié ; qu'il ne pense pas que la société A'Conseil soit compétente pour réaliser cette mission, son activité étant « le conseil en gestion d'affaires » ; qu'il expose que la SEMM n'est elle même pas compétente pour la réalisation de grands travaux publics ; que la cour note que Mme B...conclut ce courriel en écrivant que « tout ceci n'a pas vocation à vous ennuyer, et je n'ai par ailleurs rien contre M. Y..., mais mon rôle est de vous avertir en soulevant ces points, et en vous signalant que la signature de ce type de contrat pourrait vous causer des ennuis en cas d'audit » ; qu'il doit encore être observé que ce contrat, daté du 30 juin 2008, a, en réalité, été signé postérieurement et sans doute le 31 juillet 2008 ; que M. Z...reconnaît qu'il était en vacances le 30 juin 2008 ; que MM. Y... et A...déclarent tous deux qu'il a été signé le 30 juillet 2008 ; qu'il résulte du courriel adressé le 18 juillet 2008 par Mme B...qu'à cette date le contrat était encore à l'état de projet ; que concernant M. Z..., ces faits sont poursuivis sous les qualifications de favoritisme et d'usage de faux par un contrat antidaté ; que vu l'article 432-14 du code pénal, les articles 1, 2, 3 et 6 de l'ordonnance 2005-649 du 6 juin 2005, entrée en vigueur au 1er septembre 2005 et l'article 7 du décret 2005-1742 du 30 décembre 2005 ; qu'en ce qui concerne le délit de favoritisme, il résulte de la procédure, de première part, qu'à la date des faits M. Z...était administrateur (et président) de la SEMM ; que, de deuxième part, en signant ce contrat, il a manifestement voulu procurer à la société A'Conseil, MM. A...et Y... des avantages injustifiés, à savoir la conclusion d'une convention leur permettant de percevoir des fonds de la SEMM sans contrepartie ; que, de troisième part, alors que, même d'un montant inférieur aux seuils prévus par l'article 7 du décret 2005-1742 du 30 décembre 2005, ce marché d'étude d'opportunité et de faisabilité de deux complexes sportifs était soumis à l'obligation générale de mise en concurrence définie à l'article 6 de l'ordonnance 2005-649 du 6 juin 2005, il est constant et reconnu que M. Z...l'a signé sans mise en concurrence préalable, accomplissant ainsi un acte contraire aux dispositions législatives et réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public ; qu'alors que par ses fonctions de maire et de président de SEMM depuis 2001, il avait une connaissance toute particulière des marchés publics et des délégations de service public, et en tout état de cause il lui appartenait de s'entourer de tous conseils nécessaires, son allégation d'une erreur de droit est particulièrement irrecevable ; que sa mauvaise foi est patente alors que mis en garde préalablement par le courriel de Mme B...du 18 juillet 2008, il est passé outre et a persévéré dans une illégalité manifeste (¿) ; que, concernant M. Y..., celui-ci est prévenu d'avoir à Montévrain, du 30 juin 2008 au 31 décembre 2008, sciemment recelé des fonds qu'il savait provenir d'un délit commis au préjudice de la SEMM ; que nonobstant ses dénégations, il ressort clairement de l'exposé qui précède que cette convention a été forgée pour permettre de lui verser un salaire fictif ; que c'est par ce procédé qu'après les deux premiers chèques adressés par la SEMM à la société A'Conseil, cette société a immédiatement effectué des virements en sa faveur, le 5 août 2008 pour un montant de 3 000 euros et le 6 septembre 2008 pour un montant de 2 000 euros ; qu'alors que sa mauvaise foi est patente, le délit de recel est parfaitement caractérisé et le jugement sera confirmé de ce chef ;
" 1°) alors que le délit de recel suppose l'existence d'une infraction principale ; que le délit d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics n'est constitué que si son auteur a violé une disposition législative ou réglementaire ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public ; que tel n'est pas le cas de l'obligation générale définie à l'article 6 de l'ordonnance 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, qui se borne à rappeler le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ; que, dès lors, en se fondant sur un tel texte, pour déclarer M. Y... coupable de recel du délit de favoritisme reproché à M. Z..., mais sans viser les dispositions législatives ou réglementaires concrètes et précises ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats qui auraient été violées en l'espèce, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
" 2°) alors que le délit d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics n'est constitué que si son auteur a procuré ou tenté de procurer un avantage injustifié à autrui ; que le seul fait de bénéficier d'un marché public ne peut caractériser ledit avantage ; qu'en l'espèce, en retenant comme avantage illégitime l'obtention dudit marché, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'avantage injustifié et ainsi a privé sa décision de toute base légale au regard des textes et principes susvisés ;
" 3°) alors que M. Y... avait fait valoir dans ses conclusions régulièrement déposées que les sommes qu'il avait encaissées correspondaient au remboursement des frais qu'il avait avancés en sa qualité d'ancien dirigeant de la société A'Conseil et que cette société avait une autorisation de découvert suffisante pour le rembourser ; qu'en le condamnant du chef de recel, en se bornant à constater que la convention entre la SEMM et la société A'Conseil a été forgée pour permettre de lui verser un salaire fictif, mais sans s'expliquer sur ce moyen péremptoire, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des textes susvisés " ;
Attendu que, pour déclarer M. Y... coupable de recel du délit de favoritisme commis par M. Z..., l'arrêt prononce par les motifs repris aux moyens ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte, d'une part, que M. Z..., président de la société d'économie mixte de Montévrain, a signé avec la société A'Conseil, un marché d'étude portant sur l'opportunité et la faisabilité de deux complexes sportifs qui était soumis à l'obligation de mise en concurrence en vertu de l'article 6 de l'ordonnance 2005-649 du 6 juin 2005, sans accomplir cette formalité légale et alors que l'objet du marché n'entrait pas dans les compétences de ladite société et, d'autre part, que M. Y..., administrateur de la société A'Conseil, a obtenu, grâce à ce marché, le versement de sommes correspondant à un salaire fictif, la cour d'appel a, sans insuffisance, ni contradiction, justifié sa décision, sans méconnaître la disposition conventionnelle invoquée ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 131-26, 321-1, 321-3, 321-9, 432-35 du code pénal, 591 à 593 du code de procédure pénale, contradiction de motifs, manque de base légale, excès de pouvoirs ;
" en ce que l'arrêt attaqué a, dans son dispositif, confirmé le jugement entrepris et y ajoutant condamné M. Y... à une interdiction des droits civiques portant sur le droit de vote et l'éligibilité pour une durée de trois ans, emportant interdiction et incapacité d'exercer une fonction publique ;
" alors que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier sa décision ; qu'une contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait pas, sans contradiction, confirmer dans ses motifs la peine d'emprisonnement de deux mois avec sursis prononcée par les premiers juges, puis dans son dispositif, confirmer le jugement sur la peine et y ajoutant condamner M. Y... à une interdiction des droits civiques portant sur le droit de vote et l'éligibilité pour une durée de trois ans, emportant interdiction et incapacité d'exercer une fonction publique " ;
Attendu que le moyen, qui se fonde sur une erreur matérielle contenue dans l'arrêt attaqué, susceptible d'être rectifiée suivant la procédure prévue aux articles 710 et 711 du code de procédure pénale, est irrecevable ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 475-1, 480-1, 591 à 593 du code de procédure pénale, défaut de motif, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a constaté que le jugement est définitif en ce qu'il a condamné M. Y... avec d'autres prévenus, solidairement, à payer à la société SEMM, la somme de 3 500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;
" 1°) alors qu'en application des articles 500, 509 et 515 du code de procédure pénale, l'affaire est dévolue à la cour d'appel dans la limite fixée par l'acte d'appel et par la qualité de l'appelant ; qu'en l'espèce, l'appel interjeté par M. Y... sur les seules dispositions pénales suffisait à saisir la cour d'appel des condamnations prononcées au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ; que, dès lors, en constatant que le jugement est définitif en ce qu'il a condamné M. Y... avec d'autres prévenus, solidairement, à payer à la société SEMM, la somme de 3 500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés ;
" 2°) alors qu'en toute hypothèse, dès lors, que la SEMM avait interjeté appel des dispositions civiles, la cour d'appel était tenue de statuer sur les dispositions civiles, quitte à les confirmer ; que, dès lors, en se bornant à décider du caractère définitif de ces dispositions, la cour d'appel a violé les textes susvisés et excédé ses pouvoirs ;
" 3°) alors que la solidarité édictée pour les restitutions et dommages et intérêts n'est pas applicable au paiement des frais non recouvrables ; que, dès lors, en confirmant la condamnation solidaire de M. Y... avec d'autres prévenus à verser la somme allouée à la société SEMM, partie civile, au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé " ;
Attendu que, pour constater que le jugement est définitif en ce qu'il a condamné M. Y...avec d'autres prévenus, solidairement, à payer à la société d'économie mixte de Montévrain, partie civile, la somme de 3 500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, l'arrêt énonce que le prévenu a limité son appel aux dispositions pénales ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations et, dès lors que le sort de la partie civile ne saurait être aggravé lorsqu'elle a seule fait appel des intérêts civils, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article 509 du code de procédure pénale ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.