CA Bordeaux, 4e ch. civ., 6 février 2019, n° 16/04519
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
ALIE-NOR (SCI)
Défendeur :
PREM DEPOT LOGISTIQUE (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Monsieur Robert CHELLE
Conseillers :
Madame Elisabeth FABRY, Monsieur Dominique PETTOELLO
Avocats :
Max B., Annie T., Philippe G
Selon acte sous seing privé du 1er décembre 2011, la SCI Alie-nor a consenti à la SARL Prem Dépôt Logistique (PDL) un bail commercial portant sur un local de 650 m² situé à [...]. Il était stipulé un loyer de 4 635,15 euros TTC avec, pendant un an, une remise de 650 euros par mois à raison de travaux que le locataire prenait à sa charge.
Le preneur a entendu résilier le bail par courrier du 6 mai 2014 à effet au 31 décembre 2014 et par courrier du 24 novembre 2014, le bailleur a opposé l'absence de validité d'un congé donné par courrier et non par acte extra judiciaire.
Saisi en référé le président du tribunal de grande instance de Libourne a ordonné une expertise et rejeté la demande en paiement de sommes à titre de provision sur les loyers impayés par décision du 16 avril 2015, laquelle a été frappée d'appel.
Par acte d'huissier du 15 avril 2015, la société PDL a fait assigner la société Alie-nor devant le tribunal de grande instance de Libourne aux fins à titre principal de validation du congé.
Par jugement contradictoire du16 juin 2016, le tribunal de grande instance de Libourne a ainsi statué :
Valide le congé délivré par la SARL Prem Dépôt Logistique à la SCI Alie-nord concernant le local situé,
Condamne la SARL Prem Dépôt Logistique à payer à la SCI Alie-nor la somme de 10 800 euros,
Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Dit n'y avoir lieu à allocation d'une quelconque somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Fait masse des dépens et dit qu'ils seront supportés par moitié par chacune des parties.
Par déclaration faite au greffe le 8 juillet 2016, la société Alie-nor a interjeté appel total de la décision.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières écritures en date du 17 mai 2017, auxquelles il convient de se référer pour le détail de ses moyens et arguments, la SCI Alie-nor demande à la Cour de :
Vu le bail contractuel liant les parties
Vu les pièces versées aux débats,
Vu les dispositions du Code de Commerce (art 145-4 et 145-9)
Vu l'article 1134 et s. du code civil devenus 1103 et s.
Dire et juger la SCI requérante recevable et bien fondée,
Réformer la décision entreprise,
Prononcer la nullité du congé et en conséquence,
Condamner la SARL Prem Dépôt Logistique à s'acquitter des loyers depuis le mois de janvier 2015 dont le montant est diminué des loyers perçus selon le bail précaire du 1er décembre 2016 soit la somme de 143.422,32 euros (décembre 2017 compris)
Dire que la SARL Prem Dépôt Logistique devra payer les loyers dus jusqu'à l'issue de la période triennale en cours et, sauf à délivrer un congé valable à cette issue, celle d'après
Condamner à la SARL Prem Dépôt Logistique au titre de la taxe foncière à hauteur de 12.035,41 euros au titre des taxes foncières 2015 (5.907,16 euros) et 2016 (6.128,25 euros).
Condamner la société Prem Dépôt à payer la somme de 7 563,63 euros TTC à la SCI Alie-nor au titre des travaux de remise en état.
Débouter la société Prem Dépôt au titre de ses demandes afférentes aux travaux d'aménagement lors de la prise du local
Condamner la SARL Prem Dépôt Logistique à la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens
Et y ajoutant
Condamner la SARL Prem Dépôt Logistique à la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens y compris les frais d'expertise.
Elle fait valoir que le congé n'est pas valable pour ne pas avoir été délivré par la seule modalité admise à cette date, à savoir l'acte extra judiciaire. Elle ajoute que si la nullité est relative, elle peut cependant s'en prévaloir sans articuler un grief. Elle précise que le local est demeuré vide pendant deux ans. Elle s'explique sur les sommes dues au titre des loyers. Elle s'oppose à la demande reconventionnelle en dommages et intérêts et conteste avoir commis une faute faisant valoir qu'elle n'est pas un professionnel de l'immobilier. Elle invoque enfin des frais de remise en état.
Dans ses dernières écritures en date du 6 mars 2017, auxquelles il convient de se référer pour le détail de ses moyens et arguments, la société PDL demande à la Cour de :
Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes ou non-fondées,
Vu le congé délivré par la SARL Prem Dépôt Logistique le 6 mai 2014,
Vu la remise des clés du local,
Vu la reprise effective des locaux par la SCI Alie-nor et le bail consenti sur lesdits locaux par la SCI Alie-nor,
Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Libourne le 16 juin 2016 en ce qu'il a validé le congé délivré par la SARL Prem Dépôt Logistique à la SCI Alie-nor.
En conséquence,
Confirmer le jugement en ce que celui-ci a débouté la SCI Alie-nor de sa demande d'arriérés de loyers, postérieurement au 31 décembre 2014.
Subsidiairement,
Vu les dispositions des articles 1134 et 1147 du Code Civil,
Vu le congé délivré par la SARL Prem Dépôt Logistique, le 6 mai 2014,
Vu la qualité de professionnel de l'immobilier de la SCI Alie-nor,
Vu la location par la SCI Alie-nor du local, objet du litige,
Dire et juger que la SCI Alie-nor a fait preuve d'une déloyauté à l'égard de la SARL
Prem Dépôt Logistique.
Dire et juger que le comportement de la SCI Alie-nor est fautif.
En conséquence,
Condamner la SCI Alie-nor à payer, à titre de dommages et intérêts, à la SARL Prem Dépôt Logistique la somme de 166.864,68 euros au titre du préjudice subi.
Débouter la SCI Alie-nor de sa demande de condamnation de la SARL Prem Dépôt Logistique au paiement des loyers depuis le 1er janvier 2015.
En tout état de cause,
Réformer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné la SARL Prem Dépôt Logistique au paiement d'une somme de 10.800 euros à titre de l'arriéré de loyers.
Débouter la SCI Alie-nor de sa demande de condamnation à hauteur de 7.563,63 euros au titre de la remise en état du local.
Vu les dispositions de l'article R 145-8 du Code de Commerce et 555 du Code Civil,
Vu le rapport d'expertise judiciaire,
Vu les travaux conséquents réalisés par la SARL Prem Dépôt Logistique,
Condamner la SCI Alie-nor à verser à la SARL Prem Dépôt Logistique, à titre d'indemnités, s'agissant des travaux réalisés, la somme de 96.379,99 euros HT.
Dire et juger, le cas échéant, que cette somme pourra se compenser avec la somme de 7.563,63 euros TTC au titre de la remise en état du bardage détérioré.
Condamner la SCI Alie-nor au paiement d'une somme de 8.387,84 euros au titre de la restitution du dépôt de garantie.
Condamner la SCI Alie-nor au paiement d'une somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Condamner la SCI Alie-nor aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais d'expertise judiciaire.
Elle fait valoir que le formalisme de la résiliation du bail commercial a été modifié, la lettre recommandée étant désormais admise depuis l'entrée en vigueur de la loi dite Pinel. Elle indique admettre que cette loi n'est pas applicable au congé par elle délivré mais fait valoir que la nullité n'étant que relative, le bailleur ne peut en l'espèce s'en prévaloir pour ne pas avoir subi de préjudice. Elle invoque la reprise de possession du local et sa location. Subsidiairement, elle invoque la responsabilité du bailleur qui avait la possibilité de l'informer que le congé n'était pas délivré dans la forme prévue alors que le bailleur a une pratique certaine des baux commerciaux. Elle sollicite des dommages et intérêts équivalents aux loyers sur une période triennale. Elle conteste le rappel de loyers faisant valoir que la remise mensuelle de 650 euros a perduré après la période d'un an. Elle invoque des travaux d'aménagement.
Par ordonnance en date du 19 décembre 2018, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction et renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience du 9 janvier 2019.
Il est constant qu'à la date où le congé a été délivré, les dispositions de l'article L 145-4 du code de commerce, antérieure à la loi du 18 juin 2014, imposaient pour le congé à l'issue d'une période triennale la forme d'un acte extra judiciaire.
Le congé délivré par remise en main propre contre émargement du bailleur ne respecte pas cette forme. Il ne respecterait d'ailleurs pas davantage la forme issue de la loi dite Pinel, laquelle prévoyait une lettre recommandée avec demande d'avis de réception.
C'est bien la nullité qui est encourue à ce titre.
S'il s'agit d'une nullité relative, cela emporte seulement la possibilité d'une ratification et non les conséquences que les premiers juges en ont tirées. Il ne peut être imposé à celui qui se prévaut de la nullité, en l'espèce le bailleur destinataire d'un congé qui ne revêtait pas la forme prévue, la preuve d'un grief. En effet, le régime de la nullité n'est pas celui des vices de formes entachant les actes de procédure et donc de l'article 114 du code de procédure civile. La cour ne peut que constater qu'en délivrant le congé sous la forme d'un courrier remis en main propre, le preneur n'a pas satisfait à une formalité obligatoire.
C'est ainsi la nullité du congé qui est encourue et le jugement ne peut qu'être réformé de ce chef. Il convient donc d'en apprécier les conséquences.
A ce titre, le bailleur réclame le paiement des loyers pour la seconde période triennale de janvier 2015 à décembre 2017, soit 167 422,32 euros TTC dont il déduit la somme de 24 000 euros perçue en paiement de loyers au titre d'une location précaire et partielle des dits locaux en 2016/2017. Il réclame en outre la somme de 12 035,41 euros au titre de la taxe foncière due pour 2015 et 2016 et les loyers dus jusqu'à l'issue de la période triennale en cours et le cas échéant la suivante en l'absence de congé valablement formalisé.
Il ressort des écritures et pièces des parties que la locataire a quitté les lieux le 31 décembre 2014 et que le bailleur avait les clés de ses locaux à disposition, selon les termes de l'ordonnance du juge de référés du tribunal de grande instance de Libourne en date du 16 avril 2015, au plus tard à compter de cette date, qu'il a pu les relouer au moins partiellement, selon ses propres dires pour douze mois à compter du 1er décembre 2016, selon un bail renouvelable sous conditions. Le bailleur demande le paiement des loyers pour la période de janvier 2015 à décembre 2017, soit la somme de 167 422,32 euros TTC diminuée de celle de 24 000 euros perçue en paiement de loyers au titre de la location de 2016/2017. La demande de paiements de loyers postérieurs au 31 décembre 2017 est présentée en forme hypothétique non chiffrée et non actualisée, elle ne peut qu'être rejetée par la cour en l'absence de justifications particulières. C'est donc bien la somme de 143 422,32 euros qui est due par la locataire pour des loyers non payés au titre du bail querellé.
Subsidiairement, la société locataire veut faire valoir la faute du bailleur, professionnel de l'immobilier qui ne l'a pas conseillée sur l'irrégularité de son congé. Toutefois, elle procède par affirmation pour établir le caractère professionnel de la SCI en déduisant de deux tableaux, relevé de propriété et inventaire des locaux loués (pièces 10 et 11) sans aucune valeur probatoire, une multitude de baux que celle-ci est amenée à régulariser censés établir ce professionnalisme.
Sur ce point, le gérant de la SCI bailleresse justifie d'un refus de la chambre de commerce de Libourne de lui attribuer une carte professionnelle d'activités immobilières en l'absence des qualifications requises.
La SCI ne peut donc être tenue d'une obligation de conseil en qualité de professionnelle de l'immobilier et sa déloyauté invoquée par le preneur n'est pas démontrée, s'agissant de la simple application d'une clause du contrat de bail conforme à la législation en vigueur à cette date. La demande de dommages et intérêts de la locataire à hauteur des loyers réclamés du fait de la continuation du bail est donc rejetée.
S'agissant de la somme due au titre de la taxe foncière, elle est conforme aux termes du bail et n'est pas spécialement contestée par le preneur en son montant est par ailleurs justifié. La société PDL sera donc condamnée à paiement de ce chef.
S'agissant des travaux de remise en état, le tribunal avait rejeté ces demandes en l'absence de justificatifs, notamment le rapport d'expertise invoqué par les parties désormais présenté à la cour (pièce 17 de l'appelante).
La société Alie-nor réclame la somme de 7 563,63 euros telle qu'établie dans son rapport d'expertise judiciaire remis le 11 avril 2016 par M. Patrick B.. Le montant de cette somme n'est pas contesté par la société PDL qui oppose la somme, établie dans la même expertise, des travaux d'aménagement qu'elle a entrepris à partir de son entrée dans les lieux au titre d'un précédent bail à partir de 2002, soit 96 379,99 euros HT.
C'est à juste titre que le bailleur lui oppose les termes du nouveau bail signé le 1er décembre 2011 qui ne prévoit aucune disposition particulière concernant ces travaux, le preneur bénéficiant par ailleurs d'une remise sur le loyer de 450 euros TTC mensuel ... la première année à titre de remise en valeur du local.
La demande de la société PDL est donc rejetée et elle sera condamnée au paiement de la somme de 7 563,63 euros au titre des travaux de remise en état.
La société PLD demande la réformation du jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 10 800 euros à titre d'arriérés de loyers. Il ressort du contrat de bail que le loyer était fixé à la somme de 4 650,62 euros par mois et qu'une remise de 450 euros était prévue pour la première année. La locataire ne le conteste pas mais invoque qu'un accord s'était dégagé entre les parties justifié par les factures du bailleur alors que celui-ci invoque une erreur. La locataire ne démontrant pas la volonté commune de maintenir la remise et son motif, c'est à juste titre que le tribunal l'a condamnée à paiement et sa décision sera confirmée de ce chef.
S'agissant de la demande de la société PLD de restitution des dépôts de garantie effectués en leur temps à hauteur de 8 387,84 euros. La constitution de cette somme et son paiement effectif ne sont pas clairement établies, le contrat de bail querellé stipulait que le dépôt de garantie de Prem serait conservé au titre du loyer TTC de janvier 2012 et le bailleur a refusé l'offre de la locataire de s'acquitter de sa condamnation après compensation avec ce montant et la société PDL ne s'est pas opposée à la mesure d'exécution forcée. Sa demande à ce titre sera donc rejetée.
L'appel est bien fondé et l'intimée succombe en toutes ses demandes. Elle sera donc condamnée au paiement de la somme de 4 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise.
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement du16 juin 2016 prononcé par le tribunal de grande instance de Libourne sauf en ce qu'il a condamné la SARL Prem Dépôt Logistique à payer à la SCI Alie-nor la somme de 10 800 euros.
statuant à nouveau pour le surplus,
Dit nul et de nul effet le congé délivré par la SARL Prem Dépôt Logistique à la SCI Alie-nor,
Condamne la SARL Prem Dépôt Logistique à payer la somme de 143 422,32 euros correspondant aux loyers dus pour la période de janvier à décembre 2017 ;
Condamne la SARL Prem Dépôt Logistique au titre de la taxe foncière à hauteur de 12 035,41 euros pour les années 2015 et 2016 ;
Condamne la SARL Prem Dépôt à payer la somme de 7 563,63 euros TTC à la SCI Alie-nor au titre des travaux de remise en état ;
Déboute la SARL Prem Dépôt de sa demande en dommages et intérêts présentée à titre subsidiaire ;
Condamne la SARL Prem Dépôt à payer la somme de 4 000 euros à la SCI Alie-nor par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires;
Condamne la SARL Prem Dépôt à payer les entiers dépens de la procédure.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Robert CHELLE, Président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, Greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.