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Décisions

Cass. com., 1 juin 2022, n° 20-11.981

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Achat direct (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Bellino

Avocats :

SCP Alain Bénabent, SCP Bouzidi et Bouhanna

TGI Evry, du 12 juill. 2013

12 juillet 2013

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 novembre 2019), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 29 mars 2017, pourvoi n° 15-26.476), la société Achat direct, qui exerce une activité d'import-export de produits divers hors alimentaires, a conclu le 20 septembre 2007 avec M. [F] un contrat d'agence commerciale pour la représenter en exclusivité en France auprès des grandes et moyennes surfaces, rayon bazar et décoration.

2. Le 23 janvier 2013, la société Achat direct a rompu le contrat en reprochant à M. [F] divers manquements, notamment un défaut de loyauté pour avoir accepté les mandats d'entreprises concurrentes, en particulier de la société People Love It.

3. M. [F], contestant les motifs de la rupture et invoquant le non-paiement de ses commissions, a assigné la société Achat direct en paiement des indemnités de préavis et de cessation de contrat et des commissions dues. La société Achat direct s'est opposée à ces demandes et a sollicité, à titre reconventionnel, la condamnation de M. [F] à réparer le préjudice subi en raison de sa concurrence déloyale.

4. La société Achat direct a été placée en redressement judiciaire par un jugement du 21 septembre 2015, puis en liquidation judiciaire par un jugement du 18 janvier 2017, M. [P] étant désigné en qualité de mandataire liquidateur.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi incident, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi principal 

Enoncé du moyen

6. M. [P], ès qualités, fait grief à l'arrêt de dire que la société Achat direct a commis des fautes antérieures répétées et graves dans l'exécution de ses obligations résultant du contrat d'agent commercial et que la rupture du contrat est imputable à ces fautes et de fixer la créance de M. [F] aux sommes de 792 458 euros au titre de l'indemnité de cessation de contrat, 118 868,40 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 30 882,12 euros au titre des commissions dues pour les mois de juillet et septembre 2012, alors :

« 1°/ que l'indemnité compensatrice du préjudice subi par l'agent commercial en cas de cessation de ses relations avec le mandant n'est pas due lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ; que la faute grave est celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel ; que les fautes du mandant dans l'exécution du contrat d'agent commercial commises postérieurement à la faute grave de l'agent n'ont aucune incidence sur l'exclusion de son droit à indemnité ; qu'en l'espèce, pour condamner la société Achat direct à payer à M. [F] la somme de 792 458 euros au titre d'une indemnité de rupture, nonobstant la faute grave de ce dernier qu'elle avait pourtant expressément constatée, la cour d'appel a cru pouvoir retenir l'existence de fautes prétendument antérieures de la société Achat direct qui auraient été à l'origine de la rupture du contrat ; qu'en statuant ainsi cependant qu'il résultait de ses propres constatations que le défaut de loyauté de M. [F] constitutif de sa faute grave s'était matérialisé dès le 23 juin 2012, date à laquelle la société People Love It indiquait par courriel à l'agent commercial l'organisation de leurs relations faisant concurrence à la société Achat direct, tandis que le défaut de paiement des commissions reproché à la société Achat direct, portait sur des opérations datant de juillet et décembre 2012, respectivement facturées les 13 septembre et 4 décembre 2012, soit postérieurement à la faute grave de M. [F], la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 134-13, 1° du code de commerce ;

2°/ que l'indemnité compensatrice du préjudice subi par l'agent commercial en cas de cessation de ses relations avec le mandant n'est pas due lorsque la cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent, à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ; que lorsque l'agent commercial ne prend pas l'initiative de la rupture, il ne saurait prétendre que les fautes du mandant dans l'exécution du contrat sont à l'origine de la cessation des relations contractuelles pour réclamer une indemnité de rupture nonobstant sa propre faute grave avérée ; que même à considérer que les fautes de la société Achat direct soient antérieures à la faute grave de M. [F], ce dernier ne pouvait obtenir une indemnité compensatrice de rupture qu'autant que la cessation du contrat résultait de son initiative à raison de ces fautes ; qu'en jugeant que M. [F] pouvait prétendre à une indemnité de cessation de contrat après avoir constaté, d'une part, qu'il avait "commis une faute grave dans l'exécution du contrat d'agent commercial en s'engageant à représenter certains produits de la société People Love It" et, d'autre part, que c'est la société Achat direct qui avait "pris l'initiative de rompre le contrat le 23 janvier 2013 pour un manquement grave et avéré de Monsieur [F] à son obligation de loyauté", la cour d'appel a violé l'article L. 134-13, 2° du code de commerce. »

Réponse de la Cour

7. Ayant relevé que M. [F] s'était engagé à représenter certains produits de la société People Love It, société concurrente de la société Achat direct, et que cet engagement s'était concrétisé à tout le moins par une demande d'ouverture de compte auprès de la société Carrefour au mois de novembre 2012, cependant qu'il n'en avait pas informé préalablement son mandant et qu'il n'avait pas obtenu son autorisation, ce qui caractérisait un manquement à ses obligations de loyauté et de non-concurrence, l'arrêt constate que M. [F] a réclamé à la société Achat direct, avant que celle-ci ne résilie le contrat d'agent commercial le 23 janvier 2013, le paiement des commissions dues pour les opérations réalisées au mois de juillet 2012, facturées le 13 septembre 2012, outre les documents permettant, d'une part, l'établissement des factures pour les opérations réalisées pendant les mois de septembre à décembre 2012 et, d'autre part, la vérification du montant des commissions dues. Il retient que le non-respect par la société Achat direct de ces obligations contractuelles, qui sont des obligations essentielles du contrat d'agent commercial, revêtent une gravité particulière et qu'il est établi que de tels faits s'étaient déjà produits auparavant en novembre 2011 et janvier 2012.

8. En l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que les manquements du mandant étaient antérieurs à ceux de l'agent commercial et les avaient provoqués, la cour d'appel a pu retenir que ces manquements graves et répétés justifiaient que la rupture du contrat, bien que la société Achat direct en ait pris l'initiative, soit imputée à la faute du mandant, et non à la faute grave de l'agent commercial, et que celui-ci pouvait donc prétendre à une indemnité compensatrice de préavis et à une indemnité de cessation de contrat dans les conditions prévues aux articles L. 134-11 et L. 134-13 du code de commerce.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

10. M. [P], ès qualités, fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes de provision, d'expertise et de production de pièces au titre d'une concurrence déloyale, alors « que les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information ; que l'agent commercial ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants sans accord de ce dernier ; que la violation par l'agent commercial de ses obligations légales de loyauté et de non-concurrence engage sa responsabilité contractuelle, indépendamment de l'existence de tout acte de concurrence déloyale ; que pour débouter la société Achat direct de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de M. [F] pour violation de son obligation de loyauté et de non-concurrence, la cour d'appel, après avoir relevé qu'une telle violation était caractérisée par l'engagement pris par M. [F] "de représenter certains produits de la société People Love It et en contactant la société Carrefour pour obtenir le référencement de la société People Love It", a jugé qu'"aucun acte de concurrence déloyale n'[était] toutefois établi" ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à exclure la responsabilité contractuelle de M. [F], la cour d'appel a violé l'article L. 134-3 du code de commerce, ensemble l'article L. 134-4 du même code. »

Réponse de la Cour

11. L'arrêt retient que si M. [F] a manqué à son obligation de loyauté à l'égard de la société Achat direct en prenant l'engagement de représenter certains produits de la société People Love It et en contactant la société Carrefour pour obtenir le référencement de cette société, aucun acte de concurrence déloyale n'est toutefois établi puisqu'il n'est pas démontré que la société People Love It ait effectivement été référencée par la société Carrefour à la suite de l'intervention de M. [F]. En l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que n'était pas établie l'existence d'un acte de concurrence effective résultant de l'intervention fautive de M. [F], susceptible de générer le préjudice financier allégué par le mandant, c'est à bon droit que la cour d'appel a rejeté les demandes de provision, d'expertise et de production des pièces comptables de la société Achat direct.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen du pourvoi incident, qui n'est qu'éventuel, la Cour :

REJETTE les pourvois