Livv
Décisions

CA Montpellier, ch. com., 24 mai 2022, n° 19/07804

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Milco (SAS)

Défendeur :

Sacodis (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Prouzat

Conseillers :

Mme Bourdon, Mme Rochette

Avocats :

Me Agier, Me Garrigue , Me Vacarie

T. com. Perpignan, du 1er oct. 2019, n° …

1 octobre 2019

FAITS, PROCEDURE - PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

La SAS Milco a pour activité la fabrication et distribution de charcuterie, salaisons et tous produits alimentaires.

Par acte sous seing privé en date du 14 mai 2014, elle a confié à la SARL Sacodis un mandat d'agent commercial, dans le cadre duquel cette dernière devait négocier de manière permanente la vente de la totalité des produits fabriqués sur un secteur géographique défini, à savoir les régions Provence Alpes Côte d'Azur, Occitanie et Nouvelle-Aquitaine auprès des grandes et moyennes surfaces -GMS- (toutes les enseignes hyper et supermarchés) en direct et des centrales de celles-ci.

Suite à un premier courrier en date du 7 juin 2017, dans lequel la société Milco envisageait la résiliation du contrat, l'objectif d'un chiffre d'affaires de vente de l'ordre de 1 000 000 euros en 2 ans n'étant pas atteint et celui-ci étant en baisse constante, par lettre recommandée en date du 28 mars 2018 (avis de réception signé le 30 mars 2018), la société Milco a résilié le contrat d'agent commercial pour faute grave au regard de l'absence de prospection régulière sur le secteur géographique confié et de l'effondrement des résultats.

Saisi par acte d'huissier en date du 7 septembre 2018 délivré par la société Sacodis, le tribunal de commerce de Perpignan a, par jugement du 1er octobre 2019 :

- Dit que la SARL Sacodis n'a commis aucune faute grave dans l'exécution de son contrat d'agent commercial avec la SAS Milco.

- Condamné la SAS Milco à payer à la SARL Sacodis :

- La somme de 2 984 euros (deux mille neuf cent quatre euros), au titre de l'indemnité de préavis.

- La somme de 17 904 euros, (dix-sept mille neuf cent quatre euros), au titre de l'indemnité de rupture du contrat, conformément aux dispositions contractuelles prévues entre les parties.

- Débouté la SARL Sacodis de sa demande de dommages-intérêts.

- Condamné la SARL Sacodis à restituer à la SAS Milco les fichiers, les grilles de prix, les échantillons, les tarifs et matériels publicitaires, les catalogues et photos, les imprimantes couleur, sous astreinte de 10 euros (dix euros) par jour de retard, passe le délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.

- Dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la décision.

- Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, alloué à la SARL Sacodis, la somme de 500 euros (cinq cents euros), qui lui sera versée par la SAS Milco.

- Condamné la SAS Milco aux dépens de l'instance (...).

Par déclaration reçue le 4 décembre 2019, la société Milco a régulièrement relevé appel de ce jugement.

Elle demande à la cour, en l'état de ses conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 25 août 2020, de :

- Faisant droit à son appel limité.

- Réformer la décision (...) en ce qu'elle a dit que la SAS Sacodis n'avait commis aucune faute grave dans l'exécution de son contrat d'agent commercial (...), en ce qu'elle l'a condamnée à payer à la société Sacodis la somme de 2 984 euros au titre de l'indemnité de préavis et la somme de 17904 euros au titre de l'indemnité de rupture du contrat et la somme de 500 euros au titre de l'article 700 ;

- Statuant à nouveau, dire et juger que la rupture du contrat a été prononcée pour faute grave.

- En conséquence débouter purement et simplement la société Sacodis de l'ensemble de ses demandes (...).

- A titre subsidiaire et si par extraordinaire la cour ne retenait pas l'existence d'une faute grave, réduire les demandes de la société Sacodis a de plus justes proportions tel que relaté dans les motifs des présentes écritures ;

- Confirmer le jugement de première instance pour le surplus, et en particulier pour avoir rejeté la demande de dommages et intérêts formulée par la société Sacodis au soutien de son appel incident, en tant que de besoin, la débouter.

- Condamner la société Sacodis à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que :

- Le secteur géographique confié est en complète déshérence et aucun nouveau client n'a été apporté.

- La baisse d'activité est fautive puisqu'elle résulte d'une insuffisance d'activité de l'agent commercial.

-  Depuis la signature du contrat, l'agent a perdu un magasin Auchan à [Localité 4] et n'a apporté aucun nouveau magasin (sauf Auchan Meriadeck avec un chiffre d'affaires de 300 euros/an).

- Elle gère en direct les magasins Auchan, l'agent commercial récupère des commissions sur ces magasins sans avoir développé de clientèle.

- La faute grave prive l'agent de toute indemnité de préavis et de toute indemnité compensatrice.

- Sur les 24 derniers mois précédant la rupture, les commissions s'élevaient à la somme de 9 592 euros HT, de laquelle il y a lieu de déduire l'activité Auchan, soit 6 168,04 euros HT.

Formant appel incident, la société Sacodis sollicite de voir, aux termes de ses conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 29 mai 2020 :

« - Vu les dispositions des articles L. 134-1 et suivants et R. 134-3 du code de commerce.

- Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Milco à lui payer une indemnité de préavis de 2 984 euros, une indemnité de rupture du contrat de 17 904 euros, outre 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

- Réformer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande à hauteur de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts, statuant à nouveau sur ce chef de demande.

Condamner la société Milco à lui payer la somme de 8 000 euros à :

Á titre de dommages et intérêts,

- Rejeter toutes conclusions contraires comme irrecevables et mal fondées.

- Rejeter toutes les demandes de la société Milco.

- Ajoutant au jugement, condamner la société Milco au paiement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure devant la cour d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens de l'appel. »

Elle expose en substance que :

- L'insuffisance de résultats ne peut pas constituer la preuve d'une faute grave de l'agent commercial, de plus la connaissance par le mandant d'une telle baisse pendant une certaine durée implique qu'il l'a acceptée.

- L'indemnité compensatrice doit être évaluée à 24 mois de commissions correspondant à la moyenne des trois dernières années d'activité en intégrant la totalité des commissions perçues, soit 8 953 euros HT en moyenne par an.

- La rupture lui a causé un préjudice particulièrement important.

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 22 février 2022.

MOTIFS de la DECISION :

1- Selon l'article L. 134-4 du code de commerce, les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties.

Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information ; l'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat.

L'article L. 134-12 suivant prévoit qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ; l'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits; les ayants-droits de l'agent commercial bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l'agent.

L'article L. 134-13 précise que la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants :

1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;

2° La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;

3° Selon un accord avec le mandant, l'agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence.

Constitue la faute grave visée à l'article L. 134-13, celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel.

Une baisse des résultats ne peut être qualifiée de faute grave que si elle procède d'une attitude délibérée ou d'une incompétence flagrante de l'agent commercial, dont il appartient au mandant de rapporter la preuve.

En l'espèce, le contrat d'agent commercial ne comprend aucune clause d'objectifs de réalisation d'un chiffre d'affaires, mais seulement une obligation de faire, en ce que l'agent commercial doit « faire tous les efforts requis par la diligence professionnelle pour promouvoir le développement des ventes », ce qui ne constitue qu'une obligation de moyens.

Le courrier de résiliation en date du 28 mars 2018 fait grief à la société Sacodis de n'avoir apporté qu'un client sur son secteur géographique (Leclerc [Localité 5]) avec un faible chiffre d'affaires, d'avoir perdu un client Auchan ([Localité 4] Lac) avec un chiffre d'affaires conséquent et apporté un autre client Auchan (Mériadeck) avec un faible chiffre d'affaires dans le cadre d'une insuffisance d'activité.

Toutefois, la société Milco ne rapporte aucun défaut de diligences de son agent commercial telle que l'absence de visites de clients habituels ou de salons professionnels dans le cadre de sa prospection et ne démontre dès lors aucun délaissement du secteur confié. Elle reconnaît, dans ce courrier, même si elle en conteste les effets, que ses grossistes interviennent sur le même secteur à des tarifs moins élevés (- 15 %). Elle ne remet pas en cause, dans ce même courrier, l'existence de la concurrence.

Elle avait elle-même constaté en juin 2017 que le chiffre d'affaires attendu ne correspondait pas à la réalité de l'activité de son agent commercial, faisant état à cette date, d'une chute de - 42 % par rapport à l'année précédente (alors qu'elle s'est révélée n'être que de - 16 % sur l'année entière) sans en tirer les conséquences adaptées alors qu'il lui appartient de mettre en mesure l'agent commercial d'exécuter son mandat.

Elle ne peut reprocher à la société Sacodis de percevoir des commissions sur les magasins Auchan, qu'elle indique gérer en direct, alors que ceux-ci sont inclus dans le secteur confié et qu'elle verse elle-même les commissions, désormais, critiquées.

Il en résulte que la société Milco n'établit pas que la cessation du contrat a été provoquée par la faute grave de l'agent commercial.

L'article 8 du contrat d'agent commercial prévoit la possibilité par chaque partie de résilier, par lettre recommandée avec avis de réception, le contrat, sous réserve de respecter un préavis de quatre mois et qu'en cas de résiliation par le mandant non justifiée par une faute grave de l'agent, celui-ci doit verser une indemnité compensatrice correspondant à la somme des commissions des vingt-quatre derniers mois.

Le courrier de résiliation du 28 mars 2018 est dépourvu de préavis.

Les magasins Auchan n'ayant pas été exclus du secteur confié, les commissions afférentes font partie de la base de la rémunération de l'agent commercial définie par l'article 5 tandis que le montant de chaque indemnité doit être calculé en application du contrat liant les parties conformément aux dispositions de l'article 1134 alinéa 1 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Ainsi, la société Milco est tenue de verser une indemnité de préavis de 1 619 euros (moyenne mensuelle des commissions sur les 24 derniers mois x 4 mois) et une indemnité compensatrice à hauteur de 9 716,83 euros (somme des commissions mensuelles perçues entre le mois d'avril 2016 et celui de mars 2018).

2- La société Sacodis, qui se contente d'en réclamer l'indemnisation, ne justifie pas de l'existence d'un préjudice "particulièrement important" (sic), ayant découlé de la rupture du contrat, et sa demande de dommages-intérêts à ce titre ne pourra prospérer.

Le jugement sera donc confirmé, sauf en ce qui concerne le montant des condamnations prononcées au profit de l'agent commercial.

3 -Succombant principalement sur son appel, la société Milco sera condamnée aux dépens tandis que ni l'équité, ni aucune considération d'ordre économique ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dans la présente instance, les demandes des parties sur ce fondement étant rejetées.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire.

Réforme le jugement du tribunal de commerce de Perpignan en date du 1er octobre 2019, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Milco à payer à la société Sacodis la somme de 2 984 euros au titre de l'indemnité de préavis et celle de 17 904 euros au titre de l'indemnité de rupture.

Statuant à nouveau de ces chefs,

Condamne la SAS Milco à verser à la SARL Sacodis la somme de 1619 euros au titre de l'indemnité de préavis.

Condamne la SAS Milco à verser à la SARL Sacodis la somme de 9716,83 euros au titre de l'indemnité compensatrice.

Confirme le jugement entrepris dans le surplus de ses dispositions.

Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Milco aux dépens d'appel.