Cass. crim., 7 avril 2010, n° 09-82.770
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Rapporteur :
M. Delbano
Avocats :
SCP Thomas-Raquin et Bénabent, SCP Tiffreau et Corlay
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
I-Sur la recevabilité du mémoire ampliatif en ce qu'il est déposé au nom de la société Aglaé :
Attendu que seul Jean-Marie X s'étant pourvu en cassation suivant déclaration faite en son seul nom le 16 mars 2009, le mémoire, en ce qu'il est établi au nom de la société Aglaé, est irrecevable ;
II-Sur le pourvoi de Jean-Marie X :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, 10 et 17 du traité instituant la Communauté européenne, 551, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
en ce que l'arrêt attaqué a rejeté les exceptions de nullité des citations à comparaître délivrées par les parties civiles ;
aux motifs que sur les nullités soulevées, que la société Aglaé et Jean-Louis X soulèvent in limine litis la nullité des citations à comparaître qui leur ont été délivrées en date des 16 mars 2005 et 26 décembre 2005 ; qu'ils font d'abord valoir que ces deux actes leur ont été délivrés, suivant les énonciations qui y figurent, à la requête de la société Tommy Hilfïger Licensing Inc, agissant par son vice-président domicilié en cette qualité audit siège , alors qu'en application de l'article 551, alinéa 4, du code de procédure pénale, la citation à prévenu, si elle est délivrée à la requête de la partie civile, doit mentionner les nom, prénoms, profession et domicile réel ou élu de celle-ci ; que le texte clair de l'article 551, alinéa 4, susvisé n'oblige le demandeur à mentionner les nom, prénoms, profession et domicile réel ou élu de celle-ci que s'il s'agit d'une personne physique, aucune disposition de la loi n'exigeant la mention de l'identité de la personne physique qui agit au nom de la personne morale ; que, contrairement à ce que soutiennent la société Aglaé et Jean-Louis X, il ne leur a pas été fait application d'un revirement de jurisprudence imprévisible, en méconnaissance des principes de sécurité juridique et de confiance légitime garantis par le droit communautaire, mais du texte précis de la loi, que les demandeurs à l'exception dénaturent en y ajoutant une disposition relative aux personnes morales qui n'y figure pas ; que le juge doit faire application du principe de valeur constitutionnelle de légalité de la loi pénale, posé par les articles VII et VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, qui commande d'appliquer à la lettre le texte de la loi, de sorte que les demandeurs à l'exception de nullité sont mal fondés à l'invoquer au soutien d'une demande qui tend à inviter le juge à méconnaître le texte clair et précis d'une disposition législative ; qu'il y a lieu d'ajouter que l'absence de mention de l'identité de la personne physique habilitée à agir au nom de la personne morale demanderesse n'a fait aucun grief à la société Aglaé et à Jean-Louis X, qui n'ont pas de besoin réel pour défendre leurs intérêts de connaître l'identité de la personne physique représentant en justice la personne morale, et étaient en outre parfaitement en mesure d'obtenir l'identité de cette personne, soit en la demandant à leur contradicteur, soit en consultant les systèmes d'information sur les sociétés commerciales, étant relevé, eu égard aux observations de la société Aglaé et de Jean-Louis X sur la nationalité de la société demanderesse, que les conventions internationales sur la procédure auxquelles la France est partie interdisent au juge de faire une distinction suivant que l'une des parties, en l'espèce le demandeur, est française ou étrangère ;
alors que les exigences du procès équitable ainsi que les principes de sécurité juridique et de confiance légitime s'opposent à ce qu'un prévenu soit, par l'application rétroactive d'une solution nouvelle résultant d'un revirement de jurisprudence, privé du droit de faire annuler un acte de procédure, quand cette annulation était encourue au regard de l'état de la jurisprudence à l'époque où l'acte en cause est intervenu ; qu'à l'époque des citations à comparaître litigieuses, en date des 16 mars et 26 décembre 2005, la Cour de cassation jugeait de façon constante qu'en vertu de l'article 551, alinéa 4, du code de procédure pénale, la citation délivrée à la requête d'une partie civile devait mentionner les nom, prénoms, profession et domicile réel ou élu de celle-ci, que lorsque la partie civile était une personne morale, cette exigence s'appliquait à la désignation de celui qui agit en justice au nom de la personne morale, et que l'absence d'une telle désignation faisait nécessairement grief au prévenu, de sorte que l'annulation de la citation était encourue (cf. par ex. : Cass. crim. 3 juin 2004, pourvoi n° 03-83. 539) ; que la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence (Cass. crim., 23 mai 2006, pourvoi n° 04-86. 541), en décidant que l'article 551, alinéa 4, du code de procédure pénale n'exige pas de mentionner l'identité de celui qui agit en justice au nom de la personne morale ; qu'en jugeant que ce texte n'exige pas la mention de l'identité de la personne physique qui agit au nom de la personne morale, et que l'absence de mention de cette identité n'aurait pu faire grief, la cour d'appel a fait une application rétroactive de la solution nouvelle résultant du revirement de jurisprudence susvisé, et privé les prévenus du droit de faire annuler les citations à comparaître litigieuses, quand cette annulation était nécessairement encourue au regard de l'état de la jurisprudence de la Cour de cassation à l'époque où lesdites citations avaient été délivrées ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les articles susvisés, ensemble les exigences du procès équitable et les principes de sécurité juridique et de confiance légitime ;
Attendu que le moyen, qui se borne à reprendre l'argumentation que, par une motivation exempte d'insuffisance comme de contradiction, la cour d'appel a écartée à bon droit, ne saurait être accueilli ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3 du code pénal, L. 716-9 et L. 716-10 du code de la propriété intellectuelle, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Louis X et la société Aglaé coupables des faits de contrefaçon qui leur étaient reprochés, condamné Jean-Louis X à une peine d'amende de 5 000 euros, condamné la société Aglaé à une peine d'amende de 20 000 euros, ordonné la confiscation des produits saisis le 2 mars 2005, ordonné une mesure de publication, et prononcé sur les intérêts civils ;
aux motifs que sur la culpabilité : que la société Tommy Hilfiger Licensing, société de droit américain, justifie être titulaire de la marque française dénominative Tommy Hilfiger , enregistrée sous le n° 1362238, déposée à l'INPI le 4 juillet 1986 sous le n° 804593 et régulièrement renouvelée, marque couvrant les vêtements masculins et féminins et notamment des chemises, pantalons, vestes, sweaters, shorts, ceintures, gilets et maillots de corps, vêtements de sport, manteaux et pardessus, vêtements de pluie, parkas au vu du certificat d'enregistrement de la marque ; qu'elle justifie tout autant avoir concédé l'exploitation de la dite marque en Europe à la société Tommy Hilfiger Europe BV par la production du contrat de licence exclusif, inscrit au Registre national des marques ; que les sociétés Hilfiger reprochent à la société Aglaé et à son gérant, Jean-Louis X de commercialiser dans leur boutique sise à Rennes, , des vêtements non originaux revêtus de leur marque et ce malgré une lettre recommandée avec accusé de réception qui leur a été adressée ; qu'aux termes du procès-verbal de saisie-contrefaçon, établi le 1er mars 2005, étaient saisis 233 articles litigieux revêtus de la marque soit 205 chemises et 28 blousons et étaient constatée notamment la présence sur une table de plusieurs chemises revêtues de la marque arguées de contrefaçon, accompagnées d'échantillons de tissus dont l'un similaire à celui d'une des chemises présentées ; qu'aux termes de l'article L. 713-1 du code de la propriété intellectuelle, l'enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque ; que les sociétés Tommy Hilfiger fondent leurs demandes sur les articles L. 716-9 et L. 716-10 du code de la propriété intellectuelle ; qu'aux termes de l'article L. 716-9 du code de la propriété intellectuelle, est puni de quatre ans d'emprisonnement et de 400 000 euros d'amende le fait pour toute personne, en vue de vendre, fournir, offrir à la vente ou louer des marchandises présentées sous une marque contrefaite ;- d'importer, d'exporter, de réexporter ou de transborder des marchandises présentées sous une forme contrefaisante,- de produire industriellement des marchandises présentées sous une marque contrefaisante,- de donner des instructions ou des ordres pour la commission des actes ; qu'aux termes de l'article L. 716-10 du code de la propriété intellectuelle : est puni de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende le fait pour toute personne :- de détenir sans motif légitime, d'importer ou d'exporter des marchandises présentées sous une marque contrefaisante,- d'offrir à la vente ou de vendre des marchandises présentées sous une marque contrefaisante,- de reproduire, d'imiter, d'utiliser, d'apposer, de supprimer, de modifier une marque collective de certification en violation des droits conférés par son enregistrement et des interdictions qui découlent de celui-ci. ; que la société Aglaé, visée par les poursuites, a pour activité l'exploitation de points de vente de vêtements dégriffés ou de stocks d'usine ; qu'elle précise que les lots qu'elle revend sont acquis auprès de grossistes dans le cadre de ventes de vêtements dégriffés et de destockage d'usines ; qu'elle ajoute que, depuis 2003, elle distribue des vêtements griffés Tommy Hilfiger , s'approvisionnant, en 2003, auprès de la société ITC déstockeur des sociétés Tommy Hilfiger , à compter de mai 2004 auprès des sociétés espagnoles Stock secret et TMI et à compter de janvier 2005 auprès de la société Transmoda international ; que la contrefaçon réside, selon les parties civiles, dans l'apposition de la marque sur des produits non originaux ; que les parties civiles font valoir d'abord que l'étiquette d'entretien, dans les chemises arguées de contrefaçons, sont situées dans l'encolure, à la différence des chemises originales ; que tel n'est pas le cas en effet des étiquettes dans les chemises originales pour lesquelles l'étiquette d'entretien est placée à l'intérieur de la chemise sur la couture ; qu'aucun élément produit au débat ne permet d'attester d'un changement des sociétés Tommy Hilfiger quant au choix de l'emplacement de cette étiquette ; que, par ailleurs, force est de constater que Tommy Hilfiger Europe n'utilise pas en haut une boutonnière verte Kelly comme dans les chemises arguées de contrefaçon, que, de même Tommy Hilfiger Europe n'utilise pas de points de couture verts pour l'ourlet comme dans les chemises arguées de contrefaçon ; que l'étiquette cartonnée ne contient pas, dans les chemises arguées de contrefaçon, les lettres imprimées en relief ; qu'enfin, il est démontré par la production au débat de chemises originales et par la comparaison avec les produits argués de contrefaçon que les boutons sur les chemises originales sont différents et que les coutures sont croisées et non horizontales comme dans les chemises arguées de contrefaçon ; que ces éléments, qui ne sont pas d'ailleurs contestés de façon sérieuse par les prévenus, démontrent le caractère contrefaisant des produits saisis et ce sans qu'il soit besoin de retenir pour ce faire l'expertise des produits par la directrice de la protection des marques Tommy Hilfiger, expertise qui ne peut qu'être contestée en ce qu'elle est réalisée par une personne travaillant pour la marque des sociétés Tommy Hilfiger ; que peu important pour les prévenus de donner comme élément de comparaison une chemise Tommy Hilfiger achetée au Printemps et présentant, selon eux, les mêmes caractéristiques que celles qu'ils vendent, aucun élément ne permettant de s'assurer qu'il s'agit là d'un produit original ; que l'ensemble de ces éléments sont suffisants à eux seuls pour emporter la conviction de la cour sur l'apposition de la marque sur des produits non originaux, et donc sur la contrefaçon desdits articles ; que les documents produits par les prévenus quant à l'origine desdits produits, pour établir qu'il s'agit de vêtements originaux sont dès lors dépourvus de tout sérieux, le manque de sérieux étant d'ailleurs corroboré par l'identité d'un des fournisseurs-la société Stock Secret qui déjà condamnée pour contrefaçon de produits Tommy Hilfiger par jugement du tribunal de grande instance de Nantes en date du 7 novembre 2008 et pour l'autre société invoquée par l'absence de toute pièce attestant que la société Transmoda international est le fournisseur de la société Tommy Hilfiger ; que, quant à la 3ème société invoquée, la société ITC, les prévenus reconnaissent eux mêmes que cet approvisionnement a cessé plus de deux ans avant la saisie contrefaçon, rendant de fait inopérant le lien entre les vêtements saisis et cette société ; que les marchandises arguées de contrefaçon n'ont pu de ce fait avoir été mises sur un territoire de la Communauté économique européenne ou de l'Espace économique européen avec le consentement des sociétés parties civiles ; que la société Aglaé invoque sa bonne foi, précisant que la société Stock secret lui aurait garanti le caractère authentique des produits ; que force est de relever toutefois que la notion de bonne et mauvaise foi est étrangère à la notion de contrefaçon, puisque les articles L. 716-9 et L. 716-10 du code de la propriété intellectuelle, tels qu'ils résultent de la loi du 29 octobre 2007, ne nécessitent pas, pour être constitués, que soit caractérisée l'existence d'un élément intentionnel, une simple négligence ou inadvertance suffisant ; qu'il y a lieu de rappeler, par ailleurs, comme le rappellent fort justement les parties civiles, que les prévenus sont des professionnels du commerce et ne pouvaient ignorer, pour vendre depuis plusieurs années, affirmaient-ils, des chemises tommy Hilfiger le caractère contrefaisant de celles qui ont été saisies et ce alors qu'à la lecture du procès-verbal de saisie contrefaçon, la marque était une accroche pour la société, la marque étant mise en évidence à la vue des passants derrière la vitrine ; qu'enfin les prévenus n'ont pas répondu à la mise en demeure qui leur a été adressée par les sociétés Tommy Hilfiger de retirer les produits de la vente ; qu'ils ne pouvaient dès lors ignorer, à cette date, la position des parties civiles et ce alors qu'ils ont persisté dans la vente des dits produits ; qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, les prévenus ne peuvent qu'être déclarés coupables des actes de contrefaçon visés par la prévention, le jugement étant confirmé de ce chef ;
que sur les actions civiles, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a déclaré recevables les constitutions de parties civiles des sociétés Tommy Hilfiger ; que les prévenus doivent être déclarés entièrement responsables du préjudice subi ; que la société Tommy Hilfiger Licensing INC voit la marque dont elle est propriétaire atteinte et ce alors qu'elle a investi des frais importants de publicité sur la dite marque ; que pour l'atteinte à sa marque et l'atteinte seule, la société Tommy Hilfiger Licensing INC n'exploitant pas la marque en France, la société Tommy Hilfiger Licensing INC doit voir réparer son préjudice par la somme de 10 000 euros ; que le jugement sera infirmé de ce chef ; que la société Tommy Hilfiger Europe exploite, quant à elle, la marque ; que, du fait de la contrefaçon, qui a porté sur au moins trois cents articles, elle voit son exploitation atteinte ; qu'elle ne produit toutefois aucun élément comptable permettant de connaître son préjudice réel ; qu'au vu du nombre d'articles saisis, et de la teneur du procès-verbal de saisie contrefaçon, qui atteste d'une commercialisation plus importante que le nombre effectivement saisi, il échet de fixer le préjudice de la société Hilfiger Europe à la somme de 15 000 euros, en l'absence d'autres éléments produits par elle sur l'étendue de son préjudice ; qu'il apparaît équitable de condamner les prévenus solidairement à verser aux sociétés Tommy Hilfiger la somme globale de 3 000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénal, au titre des frais irrepetibles exposés tant en première instance qu'en cause d'appel ;
1°) alors que les délits prévus aux articles L. 716-9 et L. 716-10 du code de la propriété intellectuelle supposent un élément intentionnel ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
2°) alors que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ; qu'en affirmant que les prévenus ne pouvaient ignorer le caractère contrefaisant des produits litigieux, sans rechercher, comme elle y était invitée, si leurs fournisseurs leur avaient donné des informations permettant de croire qu'il s'agissait de produits originaux, et si ces informations étaient d'autant plus crédibles que ces mêmes fournisseurs leur avaient livré par ailleurs des produits revêtus de la marque Tommy Hilfiger, dont l'authenticité avait été reconnue par les parties civiles, la cour d'appel a entaché sa décision d'une insuffisance de motifs ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable, et a ainsi justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.