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Décisions

Cass. com., 19 janvier 2010, n° 09-11.201

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Avocat :

Me Bertrand

Paris, du 16 janv. 2009

16 janvier 2009

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 janvier 2009), que la société Elf Aquitaine est titulaire de plusieurs brevets relatifs à un procédé, dit Stelf, d'obtention de chaleur et de froid, par un système mettant en oeuvre une réaction chimique entre solide et gaz ; que la société Paul X, intéressée par l'application de ce procédé dans le domaine du textile, a, après avoir fait réaliser plusieurs études de faisabilité et un prototype de gilet, conclu avec la société Elf Aquitaine le 22 février 1993 un contrat de licence exclusive d'exploitation des brevets relatifs au procédé Stelf, à l'exception du brevet portant sur le réactif Impex, dont la société Elf Aquitaine était co-titulaire avec la société Le Y Lorraine, pour lequel seule une licence d'utilisation était consentie ; qu'un avenant a été signé le 22 janvier 1998 afin d'autoriser la société Paul X à utiliser un réactif comprenant du charbon actif ou un matériau pouvant absorber du CO2 et du graphite expansé ; que les sociétés Paul X et Paul X technologies ont assigné la société Elf Aquitaine et la société Elf Antar, devenue Total France, qui s'est substituée dans l'exécution du contrat à la société Elf Aquitaine, en annulation, caducité et résiliation du contrat de licence ;

Attendu que les sociétés Paul X et Paul X technologies font grief à l'arrêt d'avoir dit que les sociétés Elf Aquitaine et Total France avaient rempli leurs obligations contractuelles, d'avoir prononcé la résiliation sans indemnité du contrat de licence et de son avenant, et de les avoir condamnées in solidum au paiement d'une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, alors, selon le moyen :

1°) que le contrat de licence de brevet impose au breveté le respect d'une obligation de délivrance, consistant à mettre le licencié en jouissance du droit d'exploiter l'invention objet du brevet concédé ; que la licence d'utilisation d'un produit breveté, ayant par nature pour objet de permettre au licencié d'exploiter le produit breveté, oblige le titulaire du brevet à délivrer au licencié ledit produit ; qu'en l'espèce, en n'accordant à la société Paul X technologies qu'une "licence d'utilisation" du réactif Impex et en s'en réservant la fabrication avec son co-breveté, la société Le Y Lorraine, la société Elf Aquitaine s'est par là même engagée à assurer, de manière directe ou indirecte, l'approvisionnement de sa licenciée en Impex, sauf à priver celle-ci de son droit d'exploiter le produit breveté ; qu'en se bornant à énoncer, pour écarter tout manquement de la société Elf Aquitaine à son obligation de délivrance, que l'indisponibilité de l'Impex n'était pas imputable à faute à la société brevetée, celle-ci ne s'étant pas engagée à fournir ce réactif à la société Paul X technologies, sans rechercher si en concédant à la société Paul X technologies une licence d'utilisation du brevet couvrant le produit Impex, la société Elf Aquitaine n'avait pas par là même l'obligation générale de mettre matériellement ledit produit à la disposition de sa cocontractante afin que celle-ci puisse l'exploiter conformément à l'objet de la licence dont elle était bénéficiaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1719 du code civil ;

2°) que l'obligation de délivrance, consistant à mettre matériellement le produit breveté à la disposition du licencié qui ne dispose sur celui-ci que d'un droit d'utilisation, est une obligation de résultat, dont la seule inexécution est en soi fautive ; qu'en l'espèce, la société Elf Aquitaine, en concédant la seule utilisation du réactif Impex à la société Paul X technologies et en s'en réservant la fabrication, a contracté une obligation de résultat s'agissant de l'approvisionnement en Impex de sa cocontractante ; que cette obligation de résultat a été contractuellement assortie d'une obligation de moyens par laquelle la société Elf Aquitaine s'est engagée à faire ses meilleurs efforts pour que ce soit la société Le Y Lorraine qui fournisse à la société Paul X technologies les quantités d'Impex nécessaires à ses productions ; que l'échec de cette voie d'approvisionnement, même non fautif, ne dispensait nullement la société Elf Aquitaine de son obligation de délivrance de l'Impex, qu'il lui appartenait alors d'exécuter en recherchant une solution alternative à celle impliquant la société Le Y Lorraine ; qu'en décidant cependant que la société Elf Aquitaine "justifie être intervenue conformément à son obligation de moyens en déployant ses meilleurs efforts pour obtenir des quantités nécessaires aux productions de la société X " et qu'elle ne "peut se voir reprocher de ne plus pouvoir proposer de l'Impex", n'ayant "aucune obligation de présenter des solutions alternatives", la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1719 du code civil ;

3°) que les conclusions d'appel de la société Paul X technologies ne prétendaient nullement que le réactif Soldex était dénué de toute application industrielle ; qu'elles faisaient en revanche valoir qu'il était connu et admis par les parties que le Soldex était notoirement impropre à la fabrication industrielle à grande échelle, étant réservé à la phase de mise au point, notamment pour permettre la réalisation de prototypes et que c'était le produit Impex qui devait être utilisé pour le développement et l'exploitation industriels de l'application envisagée du procédé Stelf, ce qui expliquait la licence d'utilisation dont ce produit avait fait l'objet ; qu'en retenant que l'argumentation des sociétés Paul X et les motifs des premiers juges reposeraient sur le postulat que le procédé Stelf ne pouvait recevoir une "application industrielle" qu'avec le réactif Impex et que, même si les brevets relatifs à ce produit indiquaient que les procédés antérieurs utilisant le Soldex étaient d'application industrielle difficile, "l'absence de toute application industrielle du réactif Soldex n'est pas démontrée", sans rechercher si tout en étant susceptible d'une application industrielle, le réactif Soldex était efficacement exploitable dans le cadre d'un développement industriel du procédé Stelf, la cour d'appel, qui n'a pas ainsi répondu au moyen des conclusions des sociétés Paul X et a statué par un motif inopérant, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant retenu qu'aucun des articles du contrat de licence et de son avenant ne portait engagement de la société Elf de fournir un réactif, mais que celle-ci avait l'obligation, aux termes de l'article 2-5, de faire ses meilleurs efforts, dans le cadre de son accord avec la société Le Y Lorraine, pour que la société Paul X obtienne les quantités de produit "Impex" nécessaires à ses productions, à des prix raisonnables, la cour d'appel en a déduit à bon droit que la société Elf n'avait contracté, en ce qui concerne l'approvisionnement en produit "Impex", qu'une obligation de moyens, et a, par ces motifs, légalement justifié sa décision ;

Et attendu, en second lieu, que la cour d'appel, qui a relevé que le procédé Stelf était techniquement réalisable et pouvait être mis en oeuvre avec plusieurs réactifs, la société Elf ne s'étant pas engagée à fournir ceux-ci, et que le domaine d'application industrielle pour des vêtements avait été choisi par la société Paul X qui en assumait les risques industriels, n'avait pas à répondre à des conclusions inopérantes ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.