Cass. crim., 13 mars 1990, n° 88-87.015
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Berthiau
Rapporteur :
M. Zambeaux
Avocat général :
Mme Pradain
Avocat :
Me Brouchot
Vu le mémoire produit ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l'article 2.2° de la loi n° 88-828 du 20 juillet 1988, de l'article 400 du Code pénal, de l'article 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a refusé de constater l'amnistie du délit de chantage reproché à X... ;
" aux motifs que le législateur n'avait pas pris en compte le comportement de X..., les travaux préparatoires de la loi du 20 juillet 1988 n'apportant rien en ce sens ; que l'application stricte de l'article 2.2° nécessitait à l'évidence que le prévenu soit partie prenante personnellement et directement au conflit du travail, et non par " ricochet " pour bénéficier de l'amnistie ;
" alors qu'il était constant et qu'il a été dûment constaté par les juges du fond que les faits reprochés au prévenu (menaces verbales) avaient été commis à l'occasion d'un conflit de nature prud'homale entre une salariée qu'il représentait, et son employeur ; que, de ce simple fait, le prévenu devait bénéficier de l'amnistie, et que la cour d'appel a ajouté à la loi d'amnistie des conditions qui n'y figurent nullement " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que selon l'article 2.2° de la loi du 20 juillet 1988 sont amnistiés les délits commis à l'occasion de conflits du travail ;
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que X..., délégué syndical, mandataire de Y... dans une procédure prud'homale intentée par celle-ci contre son ancien employeur, Z..., pour licenciement irrégulier a, en 1986, réclamé à celui-ci le versement d'une indemnité de 130 000 francs pour mettre fin à l'action engagée, en le menaçant de révéler au fisc des prélèvements excessifs opérés dans les fonds de sa pharmacie ;
Attendu qu'en refusant à X..., par les motifs exactement rapportés au moyen, le bénéfice de l'article 2.2° de la loi d'amnistie précitée, la cour d'appel a fait une fausse application de ce texte ;
Qu'en effet, d'une part, il appartient aux juges d'appliquer la loi dans ses termes ; que, d'autre part, en exigeant que le prévenu soit " partie prenante et directement " au conflit du travail alors que les faits reprochés ont, d'après les constatations de l'arrêt, été commis à l'occasion d'un tel conflit, entrant dans les prévisions du livre V du Code du travail, les juges ont ajouté à la loi une condition non prévue par celle-ci ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Attendu que l'action publique est éteinte par l'amnistie, mais qu'il échet de statuer sur le premier moyen de cassation au regard de l'action civile restant en cause ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 400 du Code pénal et de l'article 593 du Code de procédure pénale, et défaut de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X... coupable du délit de chantage et l'a, pour cette raison, condamné à 18 mois d'emprisonnement avec sursis et 6 000 francs d'amende ainsi qu'à payer diverses sommes à Z..., partie civile ;
" aux motifs que Z... avait déposé plainte pour chantage le 11 septembre 1986, en soutenant que X..., qui défendait les intérêts de son ancienne employée, Mlle Y..., par lui licenciée, dans le litige prud'homal en cours, lui avait indiqué qu'il se faisait fort de stopper ledit litige contre paiement d'une somme de 130 000 francs ; que X... l'avait menacé de contrôles du fisc et de l'URSSAF et de dénonciations diverses ; que Z... avait attiré X... dans un piège en lui faisant croire qu'il acceptait l'arrangement ; que les éléments du dossier démontraient que X... s'était bien rendu coupable pénalement d'extorsion de fonds ; qu'il était sans intérêt, pour la responsabilité pénale de s'attarder aux mobiles présentés par X... ;
" alors que le délit de chantage n'est pas constitué par la menace de révéler des irrégularités susceptibles d'entraîner des poursuites d'ordre fiscal, dès lors que ces irrégularités sont en relation directe avec la cause que défend légitimement l'auteur de la menace ; que la cour d'appel devait rechercher, comme elle y était invitée, si les irrégularités commises par Z..., et susceptibles d'intéresser le fisc, n'étaient pas en relation avec le procès l'opposant à Mlle Y..., que défendait X... " ;
" et alors que le délit de chantage est un délit intentionnel, de sorte que le juge répressif ne peut en aucun cas affirmer que les mobiles pour lesquels la menace a été proférée lui sont indifférents, lorsqu'il s'agit de se prononcer sur la responsabilité pénale du prévenu " ;
Attendu, d'une part, que, contrairement à ce qui est allégué, il ne saurait être reproché à la cour d'appel de ne pas s'être expliquée sur le moyen de défense pris de ce que la menace de révéler des irrégularités susceptibles d'entraîner des poursuites fiscales serait en relation directe avec la cause que soutenait le prévenu ; qu'en effet, si la victime d'une infraction ne commet pas un chantage en menaçant l'auteur de porter plainte, il ne saurait en être de même de celui qui, pour obtenir une transaction, menace de dénoncer une infraction fiscale laquelle, par sa nature même, est étrangère à un litige entre particuliers ; que, d'autre part, en refusant de prendre en considération le mobile invoqué par le prévenu, la défense de la dignité de Y... , l'arrêt attaqué, qui a caractérisé en tous ses éléments le délit prévu par l'article 400, alinéa 2, du Code pénal n'a pas davantage encouru les griefs du moyen qui doit être écarté ;
Par ces motifs :
Sur l'action publique :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry du 16 novembre 1988 ;
CONSTATE l'extinction de l'action publique par amnistie ;
DIT qu'il n'y a lieu à renvoi ;
Sur l'action civile :
REJETTE le pourvoi.