Livv
Décisions

Cass. crim., 5 avril 1995, n° 94-81.783

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Hebrard

Rapporteur :

Mme Fayet

Avocat général :

M. Libouban

Avocats :

SCP Alain Monod, SCP Waquet, Farge et Hazan

Toulouse, 3e ch., du 3 mars 1994

3 mars 1994

Sur le moyen unique de cassation proposé en faveur de Pierre X... et pris de la violation des articles 59, 60 et 400, alinéa 2, du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X... coupable de complicité du délit de chantage commis par Voskarian ;

"aux motifs que les premiers juges ont, par des énonciations et des motifs que la Cour adopte, justement déclaré les prévenus coupables de l'infraction visée par la prévention ;

qu'il ne saurait être contesté que C..., repris de justice, au cours d'une réunion à laquelle participait son avocat, a commis le délit de chantage et non la tentative, au préjudice de Mme A... en la contraignant à renoncer à une action en justice sous la menace de dénonciation de faits à l'administration fiscale et d'atteintes physiques sur elle-même ou sur son concubin ;

qu'il est tout aussi établi que X... lui a fourni des renseignements et documents sachant qu'ils devaient lui servir à faire pression sur son ex-épouse pour l'amener à renoncer à l'exercice d'un droit sous la menace de dénonciation de faits de nature fiscale ou d'atteinte aux personnes et aux biens, notamment par le rappel de faits de même nature dont elle avait déjà souffert et que lui seul pouvait connaître ;

"alors que, dans ses conclusions d'appel, X... faisait valoir que C... n'a commis qu'une tentative de chantage non punissable dès lors qu'il a volontairement interrompu cette tentative en renonçant à faire recopier à Mme A... le projet de lettre destiné à formaliser la renonciation de celle-ci à son action en justice ;

qu'ainsi, en se fondant, pour retenir que le délit de chantage reproché à C... était constitué, sur le fait que Mme A... a informé par téléphone à X... de son intention de renoncer à son action en justice, sans répondre aux conclusions de ce dernier et sans qu'il puisse être déduit de ses motifs que l'appel téléphonique de Mme A... a précédé la décision de C... de ne pas lui faire recopier le projet de lettre, la cour d'appel a privé sa décision de motifs ;

"alors, en tout état de cause, que, dans ses conclusions d'appel, X... soutenait qu'il avait pris C... pour un policier de sorte qu'il pensait que l'intervention de ce dernier auprès de Mme A... se ferait en toute légalité ;

qu'ainsi, la cour d'appel qui, pour affirmer que X... savait que les renseignements et documents qu'il fournissait serviraient à ce dernier à commettre un chantage envers Mme A..., a tenu pour indifférente la méprise de X... sur la qualité de C... sans pour autant préciser les éléments desquels elles déduisaient sa connaissance de l'usage délictueux desdits renseignements et documents, n'a pas donné de base légale à sa décision" ;

Sur le premier moyen de cassation proposé en faveur de Jean-Louis Z... pris de la violation des articles 400, alinéa 2, du Code pénal, 388 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions, ensemble violation des règles de la saisine et des droits de la défense ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de complicité de chantage au préjudice de Mme A... ;

"aux motifs, propres de la Cour, sur le délit principal, qu'il ne saurait être contesté que C..., repris de justice, au cours d'une réunion à laquelle participait son avocat, Me Z..., a commis le délit de change -et non la tentative- au préjudice de Mme A... en la contraignant à renoncer à une action en justice sous la menace de dénonciation de faits à l'administration fiscale et d'atteintes physiques sur elle-même ou sur son concubin, M. Y... ;

"et aux motifs, repris du tribunal en ce qui concerne C..., qu'il avait indiqué à Pascale A... qu'il envisageait de la dénoncer auprès de l'administration fiscale ;

qu'à l'audience, celle-ci avait indiqué que C... lui avait précisé qu'au besoin, il inventerait quelque chose ;

qu'elle avait déclaré aux policiers avoir réalisé qu'il savait des tas de choses sur sa vie privée ;

"alors, d'une part, que le chantage défini par l'article 400, alinéa 2, du Code pénal, seul fondement des poursuites diligentées contre C..., suppose pour être constitué que le prévenu ait menacé sa victime de révélations ou d'imputations diffamatoires pour obtenir soit une signature, un engagement, une renonciation, soit la remise de fonds ou valeurs ;

que ne constitue pas un chantage, au sens de l'article 400, alinéa 2, du Code pénal, le fait de menacer une personne de la dénoncer auprès de l'administration fiscale en l'absence de l'évocation de faits précis qui seraient constitutifs d'infractions fiscales et susceptibles d'entraîner des poursuites de cette Administration ;

qu'il résulte des déclarations de Mme A... que C... se serait borné à la menacer de la dénoncer à l'administration fiscale sans autre précision ;

que ni la Cour, ni le tribunal dont les motifs ont été adoptés, n'ont relevé que le prévenu C... avait menacé Mme A... de révéler à l'administration fiscale des faits précis le concernant et qui seraient constitutifs d'une infraction fiscale qui lui soit imputable ;

que, dès lors, le délit de chantage n'était pas constitué, non plus que la complicité de ce délit reprochée au prévenu Fontenaud ;

"alors, d'autre part, que le fait d'évoquer devant une personne certaines circonstances particulières de sa vie de nature à lui faire apparaître que l'on dispose d'informations sur son compte ne constitue pas non plus une menace au sens de l'article 400, alinéa 2, du Code pénal dès lors, que les faits évoqués ne constituent aucune imputation diffamatoire que l'on menace de révéler ;

que, dès lors, cette énonciation inopérante des premiers juges ne caractérise pas le chantage ;

"alors, enfin, que la prévention ne reprochait pas à C... d'avoir menacé Mme A... et M. Y... d'atteintes à leur intégrité physique ;

qu'en retenant cette circonstance pour déclarer le chantage constitué, la cour d'appel a excédé les limites de sa saisine ;

que, dès lors, la déclaration de culpabilité du chef de chantage fondée sur cette circonstance est illégale, comme la déclaration de culpabilité du chef de complicité de chantage reprochée au prévenu Fontenaud" ;

Sur le second moyen de cassation proposé en faveur du même demandeur et pris de la violation des articles 400, alinéa 2, 59 et 60 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de complicité de chantage au préjudice de Mme A... ;

"aux motifs qu'il importait peu pour la caractérisation du délit de complicité de chantage reproché à Jean-Louis Z... qu'il ait été instruit au préalable de l'action qui allait se commettre, dès lors qu'il était établi qu'au cours de cette réunion -dans un climat qu'il avoue malsain- il avait pris conscience que C... exerçait des pressions sur Mme A..., ex-épouse de son client X..., relativement à des conflits dont il connaissait la nature et qu'il avait conforté par sa présence et sa non-intervention les agissements de C... qui l'avait désigné à Mme A... comme son homme de main ;

"et aux motifs repris au tribunal que, si la passivité ne constituait pas habituellement un acte de complicité, il en était autrement lorsque les fonctions de la personne concernée appelaient de sa part une action ;

qu'il en était ainsi de la part d'un avocat assistant à un chantage caractérisé sans réagir ;

que sa seule présence, surtout muette, confortait Lucien C... et correspondait même exactement à ce que l'on pouvait attendre de lui si on voulait utiliser sa présence pour impressionner les interlocuteurs ; qu'enfin, le fait qu'à la fin de repas, Jean-Louis Z... ait accompagné Lucien C..., Pascale A... et Michel Y... jusqu'à la cabine téléphonique où Pascale A... avait téléphoné à Pierre X... qu'elle renonçait à son action, n'était plus un acte purement passif, mais nécessitait un minimum d'activité ;

que s'il était vrai qu'il n'avait probablement pas d'intérêt direct dans cette affaire et que l'on comprenait mal cette attitude, elle était dans la logique d'une perte de valeurs éthiques qu'illustraient ses rapports curieux avec Lucien C... à qui il écrivait une carte par laquelle il lui assurait qu'il était plus qu'un client, qu'il laissait le tutoyer et le surnommer de manière ridicule ;

"alors, d'une part, que la complicité d'un délit n'est constituée que si le complice a, avec connaissance, aidé ou assisté l'auteur de l'action soit dans les faits qui l'ont préparée ou facilitée, soit dans ceux qui l'ont consommée ;

que la complicité suppose toujours, en outre, un acte positif ;

que, si exceptionnellement l'abstention peut être considérée comme un acte de complicité, il est alors nécessaire que le prévenu ait su qu'une infraction allait être commise et que sa présence volontaire lors de sa réalisation ait eu pour but d'encourager l'auteur de l'infraction ;

qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que le prévenu Z... n'a porté aucune aide, aucune assistance au prévenu C... dans les faits qui ont préparé ou facilité le chantage reproché à ce dernier ; qu'il résulte des constatations mêmes des juges du fond qu'il n'avait pas été préalablement instruit de l'action qui allait se commettre, qu'il ignorait l'objet de la présence des consorts B... dans le restaurant où il avait pris son dîner en compagnie de C... et qu'il avait assisté passif à une conversation qu'il a jugée malsaine sans y prendre la moindre part ;

que le fait que sa présence, même muette, ait pu conforter C... et correspondre à ce que l'on attendait de lui pour impressionner les interlocuteurs, ne peut être constitutif de la complicité qui lui est reprochée dès lors qu'il est établi qu'il n'avait pas été préalablement informé de la démarche que C... se proposait d'effectuer et que sa présence, lors de l'entretien, n'était pas volontaire et destinée, par une décision préalable, à cautionner les agissements de C... ;

qu'ainsi, aucune complicité punissable ne pouvait être reprochée au prévenu Fontenaud et que la déclaration de culpabilité n'est pas légalement justifiée ;

"alors, d'autre part, que l'annonce du titre d'avocat du prévenu eût été de nature, non point à rassurer Pascale A... et Michel Y..., mais au contraire, à donner force et crédit aux propos de C... ;

que, dès lors, il ne peut être reproché au prévenu de n'en avoir point fait état et que cette énonciation inopérante qui ne caractérise pas une abstention punissable ne justifie pas la déclaration de culpabilité ;

"alors enfin, que, en ne s'expliquant pas sur les conclusions du prévenu qui avait fait valoir qu'il n'était pas physiquement en mesure de s'opposer à C... et qu'il se trouvait sous l'emprise psychologique de ce dernier, ce qui excluait qu'il ait pu vouloir adhérer moralement à ce qui se passais et, par conséquent, apporter aide ou assistance même morale à la commission de l'infraction, la cour d'appel n'a pas légalement justifié la déclaration de culpabilité" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel qui n'avait pas à répondre plus qu'elle ne l'a fait à l'argumentation des prévenus, a, sans excéder sa saisine, caractérisé en tous ses éléments constitutifs tant matériels qu'intentionnel, le délit de chantage objet des poursuites et, sans insuffisance, établi la participation des demandeurs, en qualité de complices de cette infraction ;

Que les moyens, qui reviennent à remettre en question l'appréciation souveraine par les juges du fond des circonstances de la cause et des éléments de preuve soumis au débat contradictoire, ne sauraient être accueillis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.