Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 19 mai 2022, n° 19/15978

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mme Renard, Mme Soudry

Avocats :

Me Ohana, Me Baechlin

TGI, du 11 juill. 2019

11 juillet 2019

FAITS ET PROCÉDURE :
 
La société Lederer est spécialisée dans la fabrication de vêtements et de chaussures.
 
Madame [D] [J] est un agent commercial, domiciliée en Italie, à Florence.
 
Le 03 février 2009, la société Lederer a conclu un contrat d'agent commercial avec Madame [D] [J] pour que cette dernière effectue la promotion de la marque « Max et moi » et vende les collections de vêtements de la marque.
 
La collaboration a été ultérieurement précisée par un avenant du 15 décembre 2010, prévoyant que Madame [D] [J] serait l'agent exclusif de la société Lederer sur toute l'Italie.
 
Par courrier du 28 novembre 2014, la société Lederer a mis fin au contrat d'agent commercial de Madame [D] [J] au motif que le chiffre d'affaires réalisé par l'agent était trop faible. La résiliation a pris effet au 31 décembre 2014.
 
Par courrier du 17 décembre 2014, Madame [D] [J] a informé la société Lederer de son refus d'accepter la rupture du contrat et les conditions de cette rupture.
 
Elle a réclamé également à la société Lederer le solde de la facture en date du 28 novembre 2014 d'un montant de 600,76 euros et de la facture en date du 25 novembre 2014 d'un montant de 9 124,24 euros.
 
Le 1er avril 2015, le conseil italien de Madame [D] [J] a mis en demeure la société Lederer de payer l'indemnité de résiliation du contrat, consistant en la somme de 30 865,48 euros à titre d'indemnité de cession de la relation contractuelle, de 4 853 euros à titre d'indemnité pour l'absence de préavis.
 
Par acte d'huissier de justice en date du 27 juin 2016, Madame [D] [J] a fait assigner la société Lederer devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins d'obtenir une indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 3 934,23 euros HT, une indemnité de cessation du contrat d'un montant de 31 473,86 euros HT et la réparation de son préjudice suite à la rupture de son contrat d'agent commercial, évalué à 10 000 euros.
Par jugement du 11 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Paris a :
 
-Rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Lederer ;
 
-Déclaré la demande de Madame [D] [J] recevable ;
 
-Condamné la société Lederer à payer à Madame [D] [J] la somme de 3 934,23 euros HT au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;
 
-Condamné la société Lederer à payer à Madame [D] [J] la somme de 31 473,86 euros HT au titre de l'indemnité de cessation du contrat ;
 
-Débouté Madame [D] [J] de sa demande de dommages-intérêts ;
 
-Condamné la société Lederer à payer à Madame [J] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
 
-Condamné la société Lederer aux dépens ;
 
-Rejeté les demandes plus amples ou contraires.
 
Par déclaration du 30 juillet 2019, la société Lederer a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :
 
Rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Lederer ;
 
Déclaré la demande de Madame [D] [J] recevable ;
 
Condamné la société Lederer à payer à Madame [D] [J] la somme de 3 934,23 euros HT au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;
 
Condamné la société Lederer à payer à Madame [D] [J] la somme de 31 473,86 euros HT au titre de l'indemnité de cessation du contrat ;
 
Condamné la société Lederer à payer à Madame [J] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
 
Condamné la société Lederer aux dépens.
 
 Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 29 mai 2020, la société Lederer demande à la cour de :
 
Vu l'article L134 -12 et suivants du code de commerce,
 
In limine litis ,
 
Dire que Madame [J] est déchue de son droit d'agir,
 
Dire la demande de prescription recevable conformément à l'article 72 du code de procédure civile,
 
En conséquence la débouter de toutes ses demandes,
 
Dire que le lieu d'exécution du contrat est l'Italie,
En conséquence déclarer la juridiction de céans incompétente au profit des juridictions italiennes,
 
-Infirmer la décision rendue en ce qu'elle a condamné la société Lederer à verser à Madame [J] :
 
3 934,23 euros HT au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
 
31 473,86 euros HT au titre de l'indemnité de cessation du contrat,
 
4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
 
Et statuant à nouveau,
 
A titre subsidiaire,
 
Dire et juger que Madame [J] a commis plusieurs fautes graves justifiant la rupture du contrat,
 
Débouter en conséquence Madame [J] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusion,
 
Condamner Madame [J] à verser à la Société Lederer la somme de 4 000 euros, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
 
A titre infiniment subsidiaire,
 
Si par extraordinaire la Cour de céans devait considérer la rupture comme abusive :
 
Dire et juger que Madame [J] ne justifie pas de la réalisation de son chiffre d'affaires,
 
Constater que le chiffre d'affaires réalisé par Madame [J] est en très faible progression malgré le développement et la notoriété de la marque,
 
Constater que l'agent ne justifie pas d'un préjudice,
 
Considérer que l'agent a bénéficié du réseau du Mandat,
 
Réduire à de plus juste proportion le montant des condamnations allouées par le Tribunal.
 
Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 25 novembre 2021, Madame [D] [J] demande à la cour de :
 
Vu les articles L. 134-11, L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, vu l'article 1240 du code civil, vu les articles 30 et suivants, 42 et 562 du code de procédure civile,
 
-Rejeter la demande nouvelle et infondée de la société Lederer tendant à voir juger que Mme [J] serait déchue de son droit d'agir,
 
-Rejeter la demande infondée de la société Lederer tendant à voir juger que la Cour d'appel de Paris serait territorialement incompétente,
 
- Confirmer le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 11 juillet 2019 en ce qu'il a décidé de :
-Rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la société Lederer,
 
-Déclarer recevable la demande de Madame [J],
 
-Condamner la société Lederer à payer la somme de 3 934,23 euros HT à Madame [J] au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
 
-Condamner la société Lederer à payer la somme de 31 473,86 euros HT à Madame [J] au titre de l'indemnité de cessation du contrat,
 
-Condamner la société Lederer à payer une somme de 4 000 euros à Madame [J] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
 
-Condamner la société Lederer aux dépens,
 
-Débouter la société Lederer de sa demande relative à l'article 700 du code de procédure civile,
 
-L'infirmer en ce qu'il a débouté Madame [J] de sa demande de dommages et intérêts,
 
Y ajoutant,
 
- Ordonner à la société Lederer de délivrer à Madame [J] les attestations de chiffre d'affaires réalisé sur le territoire italien, entre le mois d'octobre 2010 et le mois de décembre 2014, certifiées par le commissaire aux comptes,
 
- Condamner la société Lederer à payer une somme de 10 000 euros à Madame [J] en vertu de l'article 1240 du code civil,
 
-Condamner la société Lederer à payer une somme de 5 000 euros à Madame [J] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
 
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 2 décembre 2021.
 
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
 
 MOTIFS
 
Sur la compétence de la juridiction
 
La société Lederer fait valoir que le litige est régi par le règlement (CE) n°1215/2012 du 12 décembre 2002, dit Buxelles I bis qui prime sur le droit national selon la jurisprudence de la CJUE, que l'article 2 de l'amendement au contrat attribue comme territoire exclusif à Mme [J] l'Italie, que le lieu d'exécution de l'obligation servant de base à la demande doit être déterminé comme étant l'Italie puisque Mme [J] y réside et exerce son activité, que l'article 7 1° §1b du règlement Buxelles I bis, énonce qu' « Aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est pour la vente de marchandises, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées », que les juridictions françaises sont donc incompétentes pour statuer sur ce litige.
 
Madame [D] [J] réplique que le mandat a été donné à Paris, le contrat a été signé à Paris, c'est à Paris et en langue française qu'il a été mis fin au contrat, que dans un contrat d'agent commercial, l'indemnité de fin de contrat est une dette indépendante du caractère licite ou non de la rupture du contrat, que d'après l'article 42 du code de procédure civile, en l'absence de disposition contraire, le tribunal du domicile du défendeur est seul compétent, que la société Lederer étant immatriculée au RCS de Paris, la juridiction française est compétente.
Le règlement « Bruxelles I Bis » adopté le 12 décembre 2012 par le Parlement et le Conseil européen remplace le règlement « Bruxelles I » qui avait été adopté le 22 décembre 2000. Il est entré en vigueur le 10 janvier 2015 et applicable aux actions judiciaires intentées à compter de cette date. L'assignation ayant été délivrée le 27 juin 2016, le règlement « Bruxelles I Bis » est applicable au présent litige.
 
L'article 4 du réglement Bruxelles I bis énonce que sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.
 
L'article 7 du règlement précise qu'une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre :
1) « a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande »;
b) aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est : pour la vente de marchandises, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,
En l'espèce, Mme [J] a fait assigner la société Lederer dont le siège social est situé 14, Rue Martel 75010 Paris devant le tribunal de grande instance de Paris, conformément aux dispositions de l'article 4 du règlement Bruxelles I Bis .
Mme [J] réside en Italie et exerce son activité sur le territoire italien. Cependant elle est à l'origine de l'assignation et elle poursuit la société Lederer devant le tribunal de grande instance du siège social de celle-ci. Les dispositions subsidiaires prévues à l'article 7 du règlement, édictées en faveur du défendeur assigné devant le tribunal d'un autre État membre que celui de son domicile ne trouvent pas à s'appliquer en l'espèce.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence alléguée par la société Lederer.
 
 
 
 
Sur la demande de la société Lederer tendant à voir déclarer Mme [J] déchue de son droit d'agir
La société Lederer soutient que :
- L'article L.134-12 du code de commerce dispose que l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi mais doit notifier au mandant qu'il entend faire valoir ses droits dans le délai d'un an à compter de la cessation du contrat.
 
- Par courrier recommandé du 28 novembre 2014, la société Lederera a fait connaître à son agent la fin de leurs relations commerciales, que par courrier du 17 décembre 2014, Mme [J] faisait savoir à la société qu'elle était attristée de recevoir un avis de résiliation du contrat d'agence, sans pour autant exprimer son intention d'obtenir réparation d'un préjudice.
 
- Mme [J] a formulé des demandes pour la première fois aux termes de son assignation en date du 27 juin 2016, soit plus d'un an après la cessation du contrat.
 
Madame [D] [J] réplique que :
 
- Les articles 562 et 564 du code de procédure civile posent le principe selon lequel les parties ne peuvent soumettre de demandes nouvelles en appel.
 
- Pour la première fois en cause d'appel, la société Lederer se prévaut des dispositions de l'article L.134-12 du code de commerce.
 
- Dans son courrier du 17 décembre 2014, elle souligne que les délais préavis légaux n'avaient pas été respectés, et qu'elle n'acceptait pas la décision de rupture des relations commerciales.
 
- La mise en demeure effectuée par le conseil italien le 1er avril 2015 renouvelle également l'intention de Mme [J] de faire valoir ses droits.
 
En invoquant la déchéance du droit d'agir de Mme [J], la société Lederer ne forme pas une demande nouvelle mais oppose un moyen tendant à faire écarter les prétentions adverses ce qui est autorisé par les articles 563 et 564 du code de procédure civile.
 
L'article L.134-12 du code de commerce énonce qu’ « en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
L'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits.
Les ayants droit de l'agent commercial bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l'agent. »
 
Ce délai court à compter de la cessation effective des relations contractuelles et n'est soumis à aucune formalité.
 
Par lettre recommandée en date du 28 novembre 2014 avec avis de réception, la société Lederer a mis fin au contrat d'agent commercial de Mme [J] ainsi : « Chère Madame, nous vous informons par la présente que nous mettons fin au contrat qui nous lie à partir du 31/12/2014. »
 
Par courrier du 17 décembre 2014, Mme [J], répondait : « Nous ne pouvons accepter votre décision avec un tel retard de communication » et « Nous attendons donc une réponse de votre part à tous ces sujets dans les plus brefs délais. » Madame [J] se plaignait que le délai de préavis n'avait pas été respecté, que cette décision entraînait pour elle des préjudices économiques et une atteinte à sa réputation du fait que les clients avaient été informés avant elle de la rupture du contrat.
 
Par lettre recommandée du 1er avril 2015, adressée à la société Lederer, le conseil de Mme [J] a sollicité en faveur de celle-ci le versement de la somme de 30 865,48 euros au titre de l'indemnité de cessation de la relation contractuelle et celle de 4853 euros au titre de l'indemnité de préavis.
 
Cette demande formulée dans le délai d'un an de la fin du contrat répond aux conditions de l'article L.134-12 du code de commerce et doit être déclarée recevable.
 
Sur la rupture du contrat d'agent commercial
 
La société Lederer fait valoir que Mme [J] n'a pas développé le chiffre d'affaires ni prospecté de nouveaux clients, qu'elle s'est contentée de renouveler les commandes clients déjà existants alors même que la société Lederer a multiplié les investissements pour promouvoir sa marque, que cette inertie totale dans le démarchage et la prospection manifeste un désintérêt manifeste et généralisé dans l'exécution de son mandat, caractérisant une faute grave, que Mme [J] aurait dû en outre obtenir l'autorisation préalable de la société Lederer avant de prospecter dans un autre pays, qu'en dehors de tout accord, cette dernière a empiété sur le secteur commercial situé en Allemagne d'un autre agent commercial outrepassant ses droits et commettant une faute grave.
 
Mme [J] répond qu'un préavis de 1 mois lui a été accordé, ce qui démontre qu'aucune faute grave ne lui était reprochée, qu'aucun objectif chiffré n'avait été formalisé par écrit, qu'il ne peut donc lui être reproché un chiffre d'affaires insuffisant, que la société Lederer ne rapporte pas non plus la preuve d'un délaissement total de l'activité, que l'exclusivité dont elle bénéficiait en Italie ne lui interdisait pas de prendre des commandes dans le reste du monde.
 
L'article L.134-12 du code de commerce, dont les dispositions sont d'ordre public, indique qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
 
L'article L.134-13 précise toutefois que la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants :
1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;
2° La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;
3° Selon un accord avec le mandant, l'agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence.
 
Il est admis que la faute grave, privative d'indemnité de rupture, se définit comme celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat et rend impossible le maintien du lien contractuel ; elle se distingue du simple manquement aux obligations contractuelles justifiant la rupture du contrat.
Pour justifier l'insuffisance de l'activité de Madame [J], la société Lederer verse aux débats une attestation de M. [V] Lederer, responsable commercial de la société Lederer indiquant que « Madame [J] a été alertée à plusieurs reprises sur le faible chiffre d'affaires réalisé sur son secteur commercial et sur son travail insuffisant de prospection de clients... Lors de ces échanges, Madame [J] a été mise en garde plusieurs fois sur le fait qu'elle ne respectait pas ses obligations contractuelles... notre ancien agent commercial a également été alerté sur son inaction quant au travail de prospection, n'ayant apporté aucun nouveau client depuis le début de son contrat. Madame [J] a également été prévenue que des clients nous avaient informé que la collection n'était pas exposée sur le show-room, ce qui constituait une inexécution particulièrement grave de son contrat... enfin, nous avons demandé à Madame [J] de cesser d'exercer en dehors de la zone commerciale qui lui était réservée en l'absence de toute autorisation préalable de la société Lederer suite aux plaintes de l'agence allemande [H] [X]. »
 
Aux termes d'un courrier en date du 22 décembre 2014 adressé à Mme [J], M.Lederer indiquait 'le chiffre d'affaires développé sur le marché italien n'est pas du tout à la hauteur de nos espérances...depuis le début de notre collaboration Max & Moi s'est développé sur tous les secteurs et nous ne pouvons pas nous contenter du chiffre d'affaires réalisé en Italie. »
 
Il est produit un courriel adressé par Mme [B] à M.Lederer, le 11 octobre 2019 en réponse à une lettre du 7 octobre 2019, aux termes duquel elle indique n'avoir pu voir la collection Max & Moi à Milan. Aucune date n'est cependant précisée dans ce courriel.
 
Si manifestement, l'insuffisance du chiffre d'affaires de Mme [J] est à l'origine de la rupture du contrat d'agent commercial, la preuve d'aucune faute ou négligence grave n'est rapportée. L'attestation de M.Lederer est dépourvue de valeur probante en ce qu'elle émane d'une partie au procès non corroborée par des courriers de mise en garde adressés à l'agent commercial durant l'exercice de son activité professionnelle. Quant au courriel de Mme [B], il ne permet pas de dater sa visite au show-room et est à lui seul insuffisant pour caractériser une faute de Mme [J].
 
La société Lederer produit les chiffres d'affaires réalisés par Madame [J] et ceux réalisés par les agents commerciaux situés dans le sud-est de la France et au Benelux sur deux saisons identiques. Cette comparaison ne peut s'avérer probante en ce qu'aucun élément ne permet de vérifier que ces différents marchés sont similaires. Il sera d'ailleurs fait observer que les trois agents commerciaux réalisent des chiffres d'affaires très différents.
 
Les chiffres d'affaires réalisés par Madame [J] révèlent que ceux-ci sont très irréguliers d'une saison à l'autre et que s'ils sont corrects pour la saison d'hiver, ils sont médiocres pour toutes les saisons d'été. Les chiffres d'affaires des deux autres agents commerciaux sont également très inférieurs lors de la saison d'été par rapport à celle d'hiver.
Par courrier en date du 3 février 2009, aux termes duquel la société Lederer confie à Mme [J] la représentation de la marque Max& moi, il est mentionné :
 
« Vous serez agent exclusif sur toute l'Italie. Reste du monde exclusivité du client après notre accord ».
 
Aux termes de cette proposition, Mme [J] avait l'obligation d'obtenir l'autorisation de la société Lederer avant de prospecter dans un autre pays.
 
 
 
Les courriels échangés entre la société Lederer et Mme [J] démontrent que cette dernière contactait son mandant lorsque des clients étrangers au territoire italien étaient intéressés par l'achat de vêtements de la marque Max & moi.
 
Mme [J] justifie qu'elle a présenté le client allemand [H] [X] à la société Lederer qui l'a remerciée par courriel du 7 décembre 2012.
 
Au mois de mars 2014, la société [H] [X] s'est plainte que Madame [J] empiétait pour ses ventes sur le territoire allemand ce qui a amené la société Lederer à intervenir auprès de cette dernière comme en attestent les courriels échangés entre les parties.
 
À l'exception de cet incident, aucune autre vente en dehors du territoire italien n'a été reprochée à Madame [J]. Cet unique incident ne caractérise pas une faute grave.
 
Les faits reprochés à Madame [J] ne peuvent constituer en l'espèce une faute grave au sens de l'article L 134-13 qui la priverait des indemnités de rupture et de préavis prévus par les textes légaux régissant le statut des agents commerciaux.
 
La décision des premiers juges ayant écarté l'existence d'une faute grave dans le mandat d'agent commercial de Madame [J] sera donc confirmée.
 
Sur l'indemnité de cessation du contrat.
 
La société Lederer fait valoir que l'indemnité demandée au titre de la cessation du contrat n'est pas due de plein droit à l'agent, que ce dernier doit justifier d'un préjudice correspondant, qu'en l'absence d'information sur le chiffre d'affaires des trois dernières années réalisé par Mme [J], elle ne justifie pas du montant des investissements qu'elle a engagés, permettant de justifier de l'indemnité biennale d'usage.
 
Madame [D] [J] répond qu'en l'absence de démonstration de faute grave, l'agent commercial a droit à une indemnité de cessation du contrat laquelle selon l'usage professionnel doit être évaluée à deux années de commissions brutes.
 
L'article L.134-12 du même code, dont les dispositions sont d'ordre public, indique qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
 
Il ne peut être dérogé au versement de cette indemnité. Les hypothèses dans lesquelles le paiement cette indemnité est exclue ont été en l'espèce écartées.
 
L'indemnité de rupture est destinée à réparer le préjudice subi par l'agent du fait de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune. Son quantum n'étant pas réglementé, il convient de fixer son montant en fonction des circonstances spécifiques de la cause, même s'il existe un usage reconnu qui consiste à accorder l'équivalent de deux années de commissions, lequel usage ne lie cependant pas la cour.
 
L'indemnité est fixée en fonction du préjudice subi par l'agent commercial et du montant des commissions perçues. Ces éléments ne peuvent cependant aboutir à supprimer le principe même de l'indemnité, contrairement à ce qu'allègue la société Lederer.
 
 
La société Lederer fait valoir que Madame [J] ne justifie pas du montant des commissions perçues. Cependant, dans la mesure où la société Lederer a versé à son agent commercial le montant des commissions correspondant au pourcentage du chiffre d'affaires réalisé, elle ne peut les contester par principe sans justifier que le montant réclamé ne correspond pas au montant versé. En conséquence, il sera retenu une moyenne de commissions annuelles sur les trois dernières années de 15 736,93 euros.
 
La demande de Madame [J] tendant à voir ordonner à la société Lederer de lui délivrer les attestations de chiffre d'affaires réalisé sur le territoire italien, entre le mois d'octobre 2010 et le mois de décembre 2014, certifiées par le commissaire aux comptes sera rejetée.
 
Madame [J] ayant exercé son activité pendant quatre années, a développé la marque Max & moi sans pouvoir bénéficier de cet investissement à plus long terme ce qui justifie que l'indemnité de rupture soit fixée à deux ans de commissions. Le jugement sera confirmé en ce que le tribunal a fixé à 15 736,93 € X 2= 31 473,86 € le montant de l'indemnité de cessation du contrat.
 
Sur l'indemnité de préavis
 
La société Lederer allègue qu'un délai d'un mois a été octroyé à Mme [J] pour s'organiser et restituer les collections, qu'elle ne peut pas réclamer trois mois de préavis.
 
Mme [J] réplique que le préavis d'un mois était totalement factice dans la mesure où le nom de son successeur a été diffusé aux clients avant même qu'elle ne soit informée de la rupture du contrat d'agent commercial et que le préavis aurait dû être de trois mois.
 
L'article L.134-11 du code de commerce énonce que :
 
« La durée du préavis est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes. En l'absence de convention contraire, la fin du délai de préavis coïncide avec la fin d'un mois civil.
 
Les parties ne peuvent convenir de délais de préavis plus courts. (…)
 
Ces dispositions ne s'appliquent pas lorsque le contrat prend fin en raison d'une faute grave de l'une des parties ou de la survenance d'un cas de force majeure.»
 
Le contrat ayant duré quatre ans, Madame [J] peut prétendre à un délai de préavis de trois mois.
 
Par lettre du 28 novembre 2014 avec avis de réception, la société Lederer mettait fin au contrat d'agent commercial avec Mme [J] à compter du 31 décembre 2014, en lui accordant un préavis d'un mois.
 
Mme [J] ne démontre pas qu'elle n'a pas été en mesure de bénéficier de cette durée de préavis.
 
En conséquence, la société Lederer devra lui verser l'équivalent de deux mois de préavis soit 15 736,93 €/12X2 = 1 311,41€ X 2 = 2 622,82 euros.
 
Sur la demande de dommages-intérêts de Mme [D] [J] au titre d'un préjudice distinct
 
La société Lederer soutient que la rupture ne peut pas être considérée comme brutale puisqu'elle a laissé un délai d'un mois à Mme [J] afin qu'elle effectue les diligences découlant de la fin de la relation commerciale.
 
Mme [J] réplique qu'en vertu de l'article 1240 du code civil, la société Lederer doit être condamnée à l'indemniser en raison du caractère soudain et vexatoire de la rupture des relations commerciales.
 
Mme [J] ne démontre ni le caractère vexatoire des circonstances de la rupture ni de l'atteinte à sa réputation professionnelle en ce que notamment la désignation de son successeur aurait été diffusée avant qu'elle ne soit informée de la résiliation de son contrat.
 
Une indemnité lui a été allouée au titre de l'insuffisance du préavis à respecter.
 
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts de Madame [J] à ce titre.
 
Sur les demandes accessoires
 
Les dispositions de première instance relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.
 
La société Lederer qui succombe partiellement sera condamnée aux dépens d'appel et devra verser à Madame [J] la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
 
 
PAR CES MOTIFS
 
 
La Cour,
 
Statuant publiquement et contradictoirement,
 
DÉCLARE recevable la demande d'indemnisation de Madame [D] [J] en ce qu'elle a été formée dans le délai d'un an de la rupture du contrat d'agent commercial,
 
INFIRME le jugement en ce qu'il a condamné la société Lederer à verser à Madame [D] [J] la somme de 3 934,23 euros HT au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
 
LE CONFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
 
CONDAMNE la société Lederer à verser à Mme [D] [J] la somme de 2 622,82 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
 
REJETTE la demande de Madame [D] [J] de communication de pièces,
 
CONDAMNE la société Lederer à verser à Mme [D] [J] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
 
CONDAMNE la société Lederer aux dépens d'appel.