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Décisions

Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-16.471

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Tric

Avocats :

Me Bertrand, SCP Hémery et Thomas-Raquin

Grenoble, du 18 mai 2009

18 mai 2009

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 18 mai 2009) que M. X... et la société Biomet Merck France, après avoir résilié d'un commun accord un premier contrat de licence portant sur le brevet français n° 9607452 déposé par M. X..., ont conclu le 14 mai 2002 un accord de copropriété et de licence portant sur le brevet n° 02 05 726 pour lequel ils avaient déposé en copropriété une demande le 7 mai 2002 et qui a été délivré le 30 juillet 2004 ; que le 21 février 2005 M. X... a fait assigner la société Biomet Merck France et la société de droit américain Biomet Inc en résiliation judiciaire de cet accord aux torts exclusifs de la société Biomet Merck France et en paiement de dommages-intérêts ainsi qu'aux fins de voir condamner la société Biomet Inc sur le fondement de la responsabilité délictuelle, tandis que le 19 septembre 2005, la société Biomet France, venant aux droits de la société Biomet Merck France, notifiait à M. X... la résiliation du contrat sur le fondement de son article VII-2 avec un préavis de six mois à compter de la notification ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à la résiliation judiciaire, aux torts exclusifs de la société Biomet France, du contrat du 14 mai 2002 et constaté la résiliation de ce contrat à l'initiative de la société Biomet France, alors, selon le moyen :

1°) que constitue une clause potestative celle par laquelle il était stipulé que la société Biomet France, licenciée et tenue, en tant que telle, de l'obligation d'exploiter commercialement l'objet de l'invention concédée, avait la faculté de résilier le contrat de licence si elle décidait, à sa seule convenance, que la commercialisation des produits brevetés n'était pas ou n'était plus économiquement faisable ou si elle ne souhaitait pas l'exploitation commerciale de la technologie ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1170, 1174, 1719 du code civil et L. 613-8 du code de la propriété intellectuelle ;

2°) qu'aux termes du brevet n° 02 05726, protégeant une prothèse de hanche, plusieurs méthodes d'implantation de la prothèse présentant les caractéristiques revendiquées pouvaient être indifféremment adoptées, la méthode d'implantation dite " endo-articulaire " ne constituant, selon la description du brevet, qu'une méthode préférée ; qu'en énonçant que l'intérêt essentiel de l'invention résidait dans l'association de la prothèse totale de hanche avec une nouvelle technique de pose dite endo-articulaire, contre les termes du brevet selon lesquels la méthode d'implantation de la prothèse était indifférente, la méthode dite endo-articulaire étant une simple méthode préférée parmi les autres méthodes possibles, la cour d'appel a méconnu les termes du brevet en violation de l'article 1134 du code civil ;

3°) que pour décider que la société Biomet France n'avait pu, sans manquer à son obligation d'exploitation, parvenir à développer l'invention objet du brevet n° 02 05726, la cour d'appel a retenu que cette société s'était heurtée à des difficultés insurmontables tenant à l'impossibilité technique d'utiliser la prothèse brevetée dans le cadre de la méthode endo-articulaire mini invasive proposée par M. X... ; qu'en statuant de la sorte sans constater que le contrat de licence limitait l'obligation de la société licenciée au développement de la prothèse objet du brevet selon la seule méthode d'implantation dite endo-articulaire, à l'exclusion de toute autre méthode d'implantation, la cour d'appel, qui a constaté au contraire que la société Biomet France avait elle-même donné son accord au mois de février 2003 pour débuter la mise sur le marché de la prothèse par la voie classique à ciel ouvert, a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 613-8 du code de la propriété intellectuelle et 1134 du code civil ;

4°) qu'après avoir constaté que, le 14 mai 2002, M. X... et la société Biomet France avaient résilié l'accord de licence du 30 janvier 2001 relatif au premier brevet délivré le 24 décembre 1998, l'accord indiquant expressément que les parties avaient mis un terme définitif à l'accord de licence sur le premier brevet, et constaté que les parties avaient conclu un nouvel accord, intitulé " Accord de copropriété de brevet et accord de licence ", relatif au brevet n° 02 05726, la cour d'appel ne pouvait considérer que l'exécution par la société Biomet France licenciée de son obligation de développement de l'invention devait être appréciée sur l'ensemble de la durée des relations contractuelles des parties, soit dès avant le 14 mai 2002, pour en déduire que l'utilisation de la prothèse dans le cadre de la méthode chirurgicale endo-articulaire était " à l'origine du partenariat Biomet X... " et que la société Biomet France, qui s'était heurtée à des difficultés insurmontables, avait satisfait à ses obligations de licenciée, sans méconnaître la portée juridique de ses propres constatations, en violation des articles L. 613-8 du code de la propriété intellectuelle et 1134 du code civil ;

5°)  que seule la preuve par le licencié qu'il s'est heurté à des difficultés techniques insurmontables peut le libérer de son obligation de développer et d'exploiter l'invention concédée au maximum de ses moyens et de ses facultés ; que pour décider que la société Biomet France n'avait pu parvenir à développer l'invention objet du brevet n° 02 05726 en raison de " difficultés insurmontables liées essentiellement à l'impossibilité technique d'utiliser la prothèse MINTH dans le cadre de la méthode chirurgicale endo-articulaire mini invasive ", la cour d'appel s'est bornée à relever qu'une réunion organisée pour présenter la prothèse MINTH à des spécialistes s'était déroulée dans de mauvaises conditions, les parties divergeant d'ailleurs sur l'interprétation de ces conditions, que la Commission d'expertise des produits et prestations avait émis et maintenu un avis défavorable au remboursement de cette prothèse, ce qui n'empêchait pas sa mise sur le marché, que la société licenciée avait échoué, après plusieurs implantations selon la méthode classique, dont une seule avait été effectuée dans des " conditions très difficiles ", à impliquer un certain nombre de chirurgiens extérieurs (à l'exception de trois d'entre eux) et qu'en supposant surmontés les obstacles techniques ou de mise au point de la prothèse, l'exploitation commerciale était " extrêmement difficile, voire impossible " sur un marché comptant déjà de nombreux produits similaires ; qu'en statuant par tels motifs impropres à caractériser les difficultés techniques insurmontables rendant inexploitable l'invention au plan industriel, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 613-8 et 1719 du code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève que la technique de pose de la prothèse par voie endo articulaire, qui était la technique de pose " préférée " de M. X..., n'a pas pu être validée en dépit d'une déclaration CE de conformité du dispositif médical MINTH permettant le marquage CE, de tests sur la prothèse effectués par le CRITT, de démarches effectuées auprès de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et de l'organisation d'une réunion de présentation de la prothèse à des spécialistes européens de l'orthopédie afin de constituer une étude clinique pour le dossier à remettre à la Commission d'évaluation des produits et prestations, que cette Commission a émis un avis défavorable au remboursement de la prothèse ; que la cour d'appel en a justement déduit que la clause du contrat, selon laquelle la société Biomet France était en droit de résilier la licence si elle décidait que la commercialisation des produits n'était pas ou n'était plus économiquement faisable, ne relevait pas d'une prérogative discrétionnaire de la société Biomet France et ne présentait pas de caractère purement potestatif ;

Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt constate que le brevet 02 05 726 rappelait que l'arthroplastie traditionnelle de la hanche était une intervention invasive lourde et traumatisante impliquant de luxer l'articulation naturelle pour pouvoir procéder aux résections et ablations et que l'invention se proposait d'éviter ces inconvénients en adoptant une nouvelle prothèse totale de hanche qui, grâce à ses caractéristiques, pouvait être implantée par voie endo articulaire laissant subsister l'intégrité de la capsule articulaire et favorisant le maintien d'une bonne vascularisation ; qu'il retient, sans le dénaturer que le brevet précise que pour bénéficier au maximum du caractère mini-invasif qu'offrait une telle prothèse, la méthode d'implantation préférée consistait à choisir la pose par voie endo-articulaire et renvoyait pour cette technique de pose à celle décrite dans le brevet n° 96 07452, antérieurement déposé par M. X..., tout en indiquant que le but de l'invention était de proposer une prothèse favorisant la mise en place par cette méthode d'implantation ;

Attendu, en troisième lieu, que l'arrêt relève que la société Biomet France a porté un intérêt au projet promu par M. X... en raison du fait que la pose de la prothèse articulaire se faisait sans disloquer l'articulation, que celui-ci lui avait écrit, avant la signature de l'accord du 14 mai 2002 qu'il avait la conviction qu'il s'agissait de la seule prothèse totale de hanche pouvant être posée sans luxer la hanche et réaffirmé au moment de la rédaction du brevet n° 02 05726, déposé en copropriété avec la société Biomet France, que la supériorité par rapport à trois autres prothèses résidait dans sa pose par voie endo-articulaire ; qu'il relève encore, par motifs propres et adoptés, que c'est, après les critiques sévères émises par des praticiens à l'égard de la technique opératoire par voie endo-articulaire présentée par M. X... et la reconnaissance par ce dernier qu'il n'avait jamais procédé à des implantations par cette technique opératoire, que la société Biomet France a donné son accord en février 2003 pour la mise en place de la prothèse par la voie classique à " ciel ouvert " ; que de ces constatations, la cour d'appel a souverainement déduit que, dans la commune intention des parties, l'obligation contractuelle de la société Biomet France se limitait au développement de la prothèse, objet du brevet n° 02 05726, en vue d'une implantation selon la méthode dite endo-articulaire ;

Attendu, enfin, que c'est par une appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis que la cour d'appel, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la quatrième branche, a retenu que la société Biomet France n'avait pu parvenir à développer au plan industriel l'invention, objet du brevet n° 02 95726, en raison de difficultés insurmontables liées essentiellement à l'impossibilité technique d'utiliser la prothèse MINTH dans le cadre de la méthode chirurgicale endo-articulaire mini invasive ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le second moyen :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à la condamnation de la société Biomet Inc à lui payer des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par l'inexécution du contrat le liant à la société Biomet France, alors, selon le moyen, que la cassation de la disposition de l'arrêt rejetant l'action en résiliation judiciaire exercée par M. X... contre la société Biomet France aura pour effet d'entraîner par voie de conséquence la cassation de la disposition rejetant l'action en responsabilité délictuelle exercée contre la société Biomet Inc, en raison de la complicité de celle-ci dans la violation de ses obligations contractuelles reprochée à la première de ces deux sociétés, la seconde de ces dispositions étant la suite ou l'application de la première au sens de l'article 625 du code de procédure civile ;

Mais attendu que le rejet du premier moyen ne peut qu'entraîner celui du second moyen dès lors que la société Biomet France ayant pu mettre fin au contrat, compte tenu des difficultés techniques insurmontables qu'elle rencontrait, il ne peut être reproché à la société Biomet Inc de s'être rendue complice d'une violation des obligations contractuelles ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.