Cass. com., 19 septembre 2006, n° 03-19.416
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société X... et M. El Hadi X... que sur le pourvoi incident relevé par M. Rachid X... ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société en nom collectif X... (la société) a été constituée en 1962 entre M. El Hadi X... et ses trois frères ; que par acte du 2 août 1965, ces derniers ont cédé la totalité de leurs parts à M. Rachid X..., fils de M. El Hadi X... ; que par jugement définitif du 18 novembre 1977, le tribunal de grande instance a rejeté la demande de M. Rachid X... en dissolution de la société, retenant, entre autres motifs, que la preuve de la disparition de l'affectio societatis n'avait pas été rapportée ; que par acte du 7 septembre 2000, M. Rachid X... a assigné son père et la société en paiement d'une certaine somme représentant sa part dans les bénéfices sociaux, non payée depuis l'acquisition de ses titres ; que sur la demande reconventionnelle de M. El Hadi X... et de la société, la cour d'appel a prononcé la dissolution de la société et sa liquidation, désignant un administrateur judiciaire pour procéder à ces opérations ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses première et deuxième branches :
Attendu que la société et M. El Hadi X... font grief à l'arrêt d'avoir dit que M. Rachid X... n'avait pas la qualité d'associé fictif de la société alors, selon le moyen :
1 / que l'autorité de la chose jugée ne s'attache pas à une précédente décision sur un point qui n'a fait l'objet d'aucune contestation et que par suite le juge n'a pu trancher, même implicitement ; qu'en déclarant que le jugement rendu le 18 novembre 1977, par des motifs qui étaient le soutien nécessaire du dispositif, avait validé la cession de parts à l'origine de la qualité d'associé, quand ce jugement avait rejeté la demande de dissolution de la société à défaut de preuve de la disparition de l'affectio sociétatis et écarté celle d'intervenants à l'instance tendant à la résiliation de la cession de parts, sans se prononcer sur la validité de cet acte, la cour d'appel a méconnu la portée de la chose précédemment jugée en violation de l'article 1351 du code civil ;
2 / qu'une décision n'a autorité de chose jugée que relativement à la contestation qu'elle tranche ; que, dans son jugement du 18 novembre 1977, le tribunal s'est prononcé sur une demande de dissolution pour disparition de l'affectio societatis ; que la présente contestation portait sur la qualité d'associé fictif à l'occasion d'une réclamation de bénéfices sociaux ; qu'en opposant, pour écarter la qualité d'associé fictif, le moyen tiré de l'autorité de chose jugée par le précédent jugement ayant considéré que la preuve n'était pas rapportée de la disparition de l'affectio sociétatis, se fondant ainsi sur les motifs d'une décision rendue dans un litige n'ayant ni la même cause ni le même objet et n'impliquant pas que le juge se fût préalablement prononcé sur la qualité d'associé fictif, la cour d'appel a de nouveau méconnu l'étendue de la chose précédemment jugée en violation de l'article 1351 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient M. El Hadi X... et la société ne peuvent soutenir, pour lui dénier tout droit aux bénéfices sociaux que M. Rachid X... n'a jamais été qu'un associé fictif dès lors qu'ils ne peuvent, étant incapables de justifier du fonctionnement régulier de la société et des décisions collectives statutaires annuelles approuvant les comptes et répartissant les bénéfices, utilement exciper du désintérêt de M. Rachid X... et que l'absence de participation active à une société ou la circonstance qu'un associé ne réclame pas sa part de bénéfices qui ne sont pas nécessairement distribués est insuffisante à prouver la disparition de cet affectio societatis ; qu'il relève en outre qu'à partir de 1999, M. Rachid X..., en s'opposant au gérant, a clairement manifesté sa volonté de participer au fonctionnement de la société ; que par ces seuls motifs, abstraction faite de ceux critiqués par le moyen, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses autres branches :
Attendu que la société X... et M. El Hadi X... font le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :
1 / que les conclusions des parties s'imposent avec la même force obligatoire que les conventions ; qu'en affirmant que la société et M. El Hadi X... ne pouvaient plus, à raison de la prescription, se prévaloir de la nullité du pacte social quand leurs écritures étaient muettes sur cette prétendue prétention, la cour d'appel les a dénaturées en violation de l'article 4 du nouveau code de procédure civile ;
2 / que le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en retenant d'office, sans inviter au préalable les parties à s'en expliquer, que M. El Hadi X... et la société ne pouvaient plus, à raison de la prescription acquise, se prévaloir de la nullité du pacte social quand l'intéressé ne s'était jamais prévalu d'une quelconque prescription, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau code de procédure civile ;
Mais attendu que M. Rachid X... ayant fait valoir dans ses conclusions que sa qualité d'associé ne pouvait plus être remise en cause en raison de la prescription, la cour d'appel, dès lors que le moyen tiré de la prescription était dans le débat, n'avait pas à inviter préalablement les parties à présenter leurs observations et a, sans dénaturation, pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le second moyen du pourvoi incident :
Attendu que M. Rachid X... fait grief à l'arrêt d'avoir prononcé la dissolution anticipée et la liquidation de la société alors, selon le moyen :
1 / qu'en relevant seulement une divergence entre associés et une supposée non-conformité aux statuts du fonctionnement social et en ne caractérisant pas une mésentente entre associés ayant eu pour effet de paralyser le fonctionnement de la société, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1844-7 du code civil ;
2 / que l'interruption de l'exploitation du fonds de commerce d'une société peut procéder d'une simple suspension passagère, de sorte qu'en se fondant sur cet élément impropre à caractériser la nécessité d'une dissolution, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;
Mais attendu qu'ayant relevé, en l'absence de justification des décisions statutaires annuelles, que la société n'avait jamais fonctionné conformément aux règles statutaires, que l'un des associés réclamait la dissolution tandis que l'autre voulait la gérer seul et que le fonds n'était plus exploité depuis environ un an, la location gérance ayant pris fin et l'un des associés s'opposant à la signature d'un quelconque contrat, ce dont il résultait une mésentente caractérisée entre associés paralysant le fonctionnement de la société, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi incident :
Sur la recevabilité du moyen, contestée par la défense :
Attendu que la société X... et M. El Hadi X... invoquent l'irrecevabilité du moyen comme contraire aux écritures en appel de M. Rachid X... qui indiquaient que la répartition des dividendes était matérialisée par les déclarations annuelles de revenus effectuées par M. El Hadi X... au nom de son associé ;
Mais attendu que M. Rachid X... n'a pas soutenu devant les juges du fond que l'allégation d'une telle répartition de dividendes devait être tenue pour régulière ; que le moyen est recevable ;
Et sur le moyen :
Vu les articles 2277 du code civil et 347 de la loi du 24 juillet 1996 devenu l'article L. 232-12 du code de commerce ;
Attendu que pour rejeter la demande de M. Rachid X... tendant à la condamnation de M. El Hadi X... et de la société à lui payer sa part de bénéfices sociaux des trente années ayant précédé l'acte introductif d'instance et pour limiter la condamnation aux cinq dernières années précédant cet acte, l'arrêt retient que seule la prescription quinquennale de l'article 2277 du code civil était applicable, les bénéfices distribués s'analysant en des fruits civils et qu'en l'absence de justification de décision de report à nouveau ou d'affectation à un fond de réserve, les bénéfices réalisés auraient dû être distribués, sauf à en déduire la moitié de la rémunération du gérant ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que seule la décision de l'assemblée générale de distribuer tout ou partie des bénéfices sous forme de dividendes confère à ceux-ci l'existence juridique, ce dont il résultait que le délai de la prescription quinquennale n'avait pu commencer à courir, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de M. Rachid X... en paiement des dividendes de la société X..., l'arrêt rendu le 27 juin 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.