Cass. 3e civ., 22 juin 1976, n° 74-10.119
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Costa
Rapporteur :
M. Léon
Avocat général :
M. Tunc
Avocat :
Me Riché
LA COUR ;
Sur les quatre moyens réunis :
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué qu'au mois de juin 1968, Paul Lamure, qui contrôlait la société Rhône-Sud, a constitué la SARL Nord-immobilier ; que cette société au capital de 20000 F se composait de quatre associés, dame Y..., Morgat, Alphazan et Megge, Alphazan porteur de deux parts ayant les fonctions de gérant ; que Megge a cédé ses 50 parts à dame Z..., Morgat ses 60 parts à la société Rhône-Sud, dame Y... ses 68 parts à ladite société ; qu'Alphazan s'est fait céder une seconde fois 60 parts par Morgat et 15 parts par dame Y..., puis encore 15 autres, devenant ainsi porteur de 92 parts ; qu'il a fait annuler par les associés d'origine, la délibération du 28 juillet 1969 entérinant les précédentes cessions ; que dame Z..., belle-mère de Paul Lamure étant décédée, les 50 parts que Megge lui avaient cédées, ont été transférées à la dame Paul Lamure ; qu'au cours de deux assemblées réunies les 13 mars et 13 avril 1971, Alphazan, gérant, a été révoqué et des lots restant à vendre dans le lotissement de la société Nord-immobilier ont été rétrocédés à la Société Rhône-Sud ; que cependant Alphazan, se présentant comme titulaire de 92 parts a, par référé commercial, obtenu la nomination de Me C... en qualité d'administrateur provisoire de la Société Nord-immobilier ; que le 7 juillet 1971, la SARL Rhône-Sud, dame Z..., épouse de Paul Lamure, Jean-Paul Lamure, Brigitte Lamure, mineure, représentée par Paul Lamure, ont assigné devant le tribunal de commerce, Alphazan, Morgat, dame B..., ainsi que Me C..., ce dernier ès qualités d'administrateur provisoire de la Société Nord-immobilier ;
Que les demandeurs ont sollicité du tribunal de dire que les associés d'origine, dame Y..., Morgat et Megge n'avaient plus aucun intérêt dans la société Nord-immobilier, ayant régulièrement cédé leurs parts à la Société Rhône-Sud et à dame Z..., aux droits de laquelle se trouvait dame Paul Lamure ; qu'il y avait lieu de juger valables les cessions de parts réalisées les 28 juillet 1969 et 4 décembre 1970 ainsi que les délibérations des nouveaux associés des 13 mars et 13 avril 1971 qui seront ainsi exécutées en toutes leurs dispositions ; que le 10 août 1971, Alphazan, Morgat, dame Y... et Megge ont été assignés aux fins de paiement d'une somme de 895000 F ; qu'il leur était reproché d'avoir, sans motifs valables, annulé des contrats d'achat de terrains au préjudice des intérêts de la société Nord-immobilier ; que cette nouvelle action se fondait sur les résolutions des porteurs de parts de la société prises dans l'assemblée du 13 mars 1971, décidant d'intenter l'action sociale contre l'ex-gérant Alphazan, révoqué, et les autres ex-associés, cessionnaires ;
Que le tribunal de commerce, par jugement du 3 janvier 1973, joignant les instances, a déclaré nulles et de nul effet les cessions de parts de la société Nord-immobilier prétendument effectuées au bénéfice de la société Rhône-Sud et dame X... en juillet 1969 et décembre 1970, et nulles et de nul effet les délibérations des 13 mars et 13 avril 1971, prises au nom des prétendus cessionnaires ; qu'au contraire, Morgat et dame Y... avaient valablement cédé la totalité ou partie de leurs parts à Alphazan ; que les consorts Jean-Paul A..., Brigitte A..., représentée par son père, dame Paul Lamure, la Société Rhône-Sud ont interjeté appel de cette décision aux termes de conclusions où figurait Paul Lamure en qualité d'intervenant ;
Qu'appelants et intervenant reconnaissant implicitement par leur silence à cet égard, la nullité de cessions de parts et des décisions des assemblées, ont invoqué l'inexistence de la société Nord-immobilier ; que la cour d'appel a reçu comme réguliers en la forme, tant l'appel de la SARL Rhône-Sud et des consorts A..., que l'intervention de Paul Lamure ; qu'en présence d'une fraude à la loi d'ordre public, elle a dit recevable tant l'action des consorts A... que de Paul Lamure tendant à voir déclarer simulée la constitution de la SARL Nord-immobilier, cette société étant inexistante comme frauduleuse et de pure façade, Paul Lamure étant le seul maître du négoce et des opérations traitées au nom de cette société fictive, qu'elle a constaté qu'est devenu caduc le jugement du tribunal de commerce du 12 novembre 1971, prononçant la liquidation de biens de la société susdite et nommant Me C..., syndic de cette liquidation, qu'elle a maintenu ledit syndic pour procéder à l'apurement de l'actif et du passif de cette société apparente et d'en dresser le bilan, a dit que Me C... devra en tant que liquidateur verser, le cas échéant, le boni pouvant résulter de ses opérations à Paul Lamure, sauf opposition valable, et qu'il devra également, le cas échéant, provoquer la mise en liquidation de biens de Paul Lamure, personnellement, pour les opérations qui ont été conduites sous le couvert de Nord-immobilier et d'engager toute autre action pouvant en résulter ;
Attendu qu'il est fait grief à cet arrêt d'avoir déclaré recevable la demande par laquelle la Société Rhône-Sud et les consorts A... tendaient à faire juger que la société Nord-immobilier était inexistante, alors, selon le moyen, que la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire et dénaturer les écritures de la cause, décider que tendaient aux mêmes fins et pouvaient être conciliées une demande initiale tendant à voir reconnaître la validité de cession de parts et de certaines délibérations sociales, ce qui impliquait la validité de la société, et une demande en cause d'appel tendant à faire constater l'inexistence de cette même société ;
Qu'après avoir constaté que les demandeurs en première instance renonçaient à critiquer le jugement qui avait déclaré nulles les cessions de parts dont ils se prévalaient, la cour d'appel, qui ne leur reconnaissait par ailleurs aucune qualité de créanciers, ne pouvait déclarer recevable en vertu d'un intérêt pécuniaire cette action en simulation de la société ; qu'elle ne pouvait davantage leur reconnaître, en vue de la même action, la source d'un intérêt juridiquement protégeable dans la révélation par Paul Lamure, assimilé à un tiers, de certains actes frauduleux de simulation auxquels ils tendaient eux-mêmes à participer ; qu'il est encore reproché à la cour d'appel d'avoir déclaré recevable l'intervention de Paul Lamure et d'avoir décidé de lui attribuer le bonus demeurant après liquidation, alors, selon le pourvoi que, d'une part, cette intervention n'était pas régulière en la forme, faute d'avoir été faite par constitution d'avoué, remise au greffe et d'avoir comporté les indications exigées par la loi, que, d'autre part, l'intervenant devant la cour ne peut demander autre chose que les parties au procès et présenter une demande qui est irrecevable de la part des appelants, qu'en outre, Paul Lamure n'était pas lui-même recevable à se prévaloir d'une simulation frauduleuse dont il était l'auteur, qu'il ne pouvait, enfin, tirer avantage de cette simulation ;
Que l'arrêt est en outre critiqué pour avoir dit qu'en raison des condamnations pénales et des incapacités frappant Paul Lamure, le moyen pris de la nullité de la société pouvait être au besoin relevé d'office, alors, selon le demandeur en cassation, que, d'une part, ces condamnations et ces incapacités empêchaient Paul Lamure de diriger la société, mais non pas d'en être associé, de sorte que la cour d'appel n'aurait pu annuler au nom de l'ordre public que les pouvoirs éventuels de gestion dudit Paul Lamure, mais non la constitution de ladite société, que, d'autre part, même s'il en était autrement, l'ordre public interdisait lui-même à la cour d'appel d'accueillir à la faveur d'un moyen de cette nature une demande tendant à valider la fraude de Paul Lamure, expressément affirmée,
Qu'enfin, le moyen n'aurait pu être soulevé d'office sans que les parties aient été invitées à présenter sur ce point leurs observations ; que le demandeur au pourvoi fait enfin observer que l'arrêt a déclaré fictive la Société-Nord-immobilier, annulé d'office par voie de conséquence le jugement ayant déclaré la liquidation de biens de cette société et accordé tout le bonus de cette liquidation au seul Paul Lamure, alors, selon le moyen, que, d'une part, la société ne pouvait être qualifiée de fictive, dès lors qu'il résultait des motifs de l'arrêt qu'elle comportait au moins deux associés, à savoir Alphazan, souscripteur de deux parts, et Paul Lamure par personnes interposées, que, d'autre part, la cour d'appel ne pouvait annuler d'office, sans de surcroît susciter sur ce point un débat contradictoire, le jugement qui avait prononcé la liquidation des biens de la société et qui avait acquis l'autorité de la chose jugée au profit de la masse des créanciers de cette société, qu'enfin, après avoir reconnu à Alphazan la propriété de certaines parts aux côtés de Paul Lamure, la cour d'appel ne pouvait en toute hypothèse accorder à ce dernier tout le bonus résultant de l'apurement des comptes ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que les prétentions nouvelles des consorts A... et l'intervention de Paul Lamure étaient recevables eu égard aux dispositions des articles 107, 108 et 123 du décret du 28 août 1972, la cour d'appel a constaté que Paul Lamure n'avait jamais figuré comme porteur de parts de la SARL Nord-immobilier, que dame Y..., Alphazan, Morgat et Megge ont reconnu ne pas avoir eu à l'origine l'affectio societatis nécessaire à la constitution d'une société ; que par suite, la SARL Nord-immobilier se révélait, comme n'ayant jamais eu d'existence que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, sans soulever de moyen d'office, ni sortir du cadre du litige, a justement déduit, tant en ce qui concerne la recevabilité des demandes et interventions, que les opérations de liquidation, toutes les conséquences juridiques d'une fraude à la loi d'ordre public, qui pouvait être invoquée par toutes les parties quelle qu'ait été leur participation à cette fraude ; que le moyen n'est fondé en aucun de ses griefs ;
Par ces motifs, rejette.