TUE, 6e ch. élargie, 15 juin 2022, n° T-235/18
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
Annulation
PARTIES
Demandeur :
Qualcomm Inc.
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marcoulli (rapporteure)
Juges :
M. Frimodt Nielsen, M. Schwarcz, M. Iliopoulos, M. Norkus
Avocats :
Me Pinto de Lemos Fermiano Rato, M. Davilla, M. English
LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie),
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Qualcomm Inc., demande l’annulation de la décision C(2018) 240 final de la Commission, du 24 janvier 2018, relative à une procédure d’application de l’article 102 TFUE et de l’article 54 de l’accord EEE [affaire AT.40220 – Qualcomm (paiements d’exclusivité)], par laquelle celle-ci a constaté qu’elle avait abusé de sa position dominante du 25 février 2011 au 16 septembre 2016 (ci-après la « période concernée ») et lui a infligé une amende de 997 439 000 euros (ci-après la « décision attaquée »).
I. Antécédents du litige
A. Sur la requérante
2 La requérante est une société américaine créée en 1985, opérant dans le domaine des technologies cellulaires et sans fil. Elle développe et fournit des puces et des logiciels utilisés pour les communications de voix et de données. Les puces de la requérante sont vendues, et son logiciel système est concédé sous licence, à des entreprises qui les utilisent pour équiper des téléphones mobiles, des tablettes, des ordinateurs portables, des modules de données et d’autres biens de consommation électroniques. La requérante fournit notamment des chipsets de bande de base (ci-après « chipsets »).
3 Les chipsets permettent aux smartphones et aux tablettes de se connecter aux réseaux cellulaires et sont utilisés tant pour les services vocaux que pour la transmission de données. Un chipset résulte de la combinaison de trois composants, à savoir un processeur de bande de base, un circuit intégré de radiofréquence et un circuit intégré d’alimentation, lesquels sont normalement contenus dans des puces séparées ou, plus rarement, dans la même puce. Outre le processeur de bande de base, certains appareils nécessitent un processeur d’application, lequel peut être intégré dans une même puce avec le processeur de bande de base ou être contenu dans une puce séparée. Un chipset peut ainsi être « intégré » ou « autonome » (dit également « fin »), selon qu’il intègre ou pas un processeur d’application. Un chipset peut être compatible avec une ou plusieurs normes de communication cellulaire, telles que les normes GSM (Global System for Mobile Communications), UMTS (Universal Mobile Telecommunications System) ou LTE (Long Term Evolution). Les chipsets sont vendus à des fabricants d’équipement d’origine (ci-après « OEM »), tels qu’Apple Inc. (Apple), HTC Corporation (HTC), Huawei Technologies Co. Ltd (Huawei), LG Corp. (LG), Samsung Group (Samsung) et ZTE Corporation (ZTE), qui les incorporent dans leurs appareils.
4 La présente affaire porte plus particulièrement sur la fourniture de chipsets conformes à la norme LTE ainsi qu’aux normes UMTS et GSM (ci-après « chipsets LTE ») par la requérante à Apple au cours de la période allant de 2011 à 2016.
B. Sur la procédure administrative
1. Sur la procédure avec la requérante
5 En août 2014, la Commission européenne a commencé une enquête sur des accords concernant l’achat et l’utilisation des chipsets de la requérante.
6 Entre le 13 octobre 2014 et le 14 janvier 2015, au titre de l’article 18, paragraphes 2 et 3, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), la Commission a adressé à la requérante des demandes de renseignements.
7 Le 16 juillet 2015, la Commission a ouvert une procédure à l’encontre de la requérante en vue d’adopter une décision en application du chapitre III du règlement no 1/2003.
8 Le 8 décembre 2015, la Commission a adressé à la requérante une communication des griefs, à laquelle la requérante a répondu le 27 juin 2016. Le 27 juillet 2016, la requérante a complété cette réponse.
9 Entre le 22 novembre 2016 et le 5 mai 2017, la Commission a adressé à la requérante des nouvelles demandes de renseignements.
10 Le 10 février 2017, la Commission a adressé à la requérante un exposé des faits, auquel la requérante a répondu le 13 mars 2017.
11 Le 29 mai 2017, la requérante a formulé des observations de suivi sur les éléments de preuve versés au dossier après la communication des griefs.
12 Au cours de la procédure administrative, la requérante a été reçue plusieurs fois par les services de la Commission, dont certaines fois avec l’équipe de l’économiste en chef.
13 Le 24 janvier 2018, la Commission a adopté la décision attaquée.
2. Sur les autres entreprises et les parties intéressées
14 Avant que la Commission ne commence l’enquête mentionnée au point 5 ci-dessus, elle a eu une réunion avec un tiers informateur ayant requis l’anonymat (ci-après le « tiers informateur »), réunion organisée à la demande de celui-ci.
15 Entre le 12 août 2014 et le 23 juillet 2015, la Commission a adressé des demandes de renseignements à certains clients et concurrents de la requérante.
16 Avant l’envoi de la communication des griefs à la requérante, la Commission a eu des réunions et des conférences téléphoniques avec des tiers.
17 La Commission a admis Apple et Nvidia comme tiers intéressés au sens de l’article 13, paragraphe 1, de son règlement (CE) no 773/2004, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101 et 102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18). Apple est une entreprise cliente de la requérante qui s’approvisionne en chipsets, dont des chipsets LTE. Nvidia est une entreprise concurrente de la requérante qui fournit certains types de chipsets.
18 Le 15 mars 2016, la Commission a fourni à Apple une version non confidentielle de la communication des griefs. Le 2 mai 2016, Apple a transmis son point de vue sur la communication des griefs.
19 Le 31 mars 2016, la Commission a fourni à Nvidia une version non confidentielle de la communication des griefs. Le 31 mai 2016, Nvidia a transmis son point de vue sur la communication des griefs.
20 Le 19 octobre 2016, la Commission a fourni à Apple une version non confidentielle de la réponse de la requérante à la communication des griefs. Le 21 novembre 2016, Apple a transmis son point de vue sur la réponse à la communication des griefs.
21 Entre le 22 novembre 2016 et le 5 mai 2017, la Commission a adressé des demandes de renseignements à Apple et à des concurrents de la requérante.
3. Sur l’accès au dossier
22 Le 21 décembre 2015, après la communication des griefs, la Commission a fourni à la requérante un accès (sur CD-ROM) au dossier de l’affaire. Suivant des demandes de la requérante, la Commission lui a transmis les versions non confidentielles de certains autres documents qu’elle ne lui avait pas encore transmis ainsi que des versions non confidentielles moins expurgées de certains documents qu’elle lui avait déjà transmis.
23 Les 23 et 24 mai 2016, le conseiller-auditeur a organisé, pour les conseillers externes de la requérante, une procédure d’accès à une première salle des données en relation avec certains documents. Le 1er juin 2016, le conseiller-auditeur a organisé, pour les conseillers externes de la requérante, une procédure d’accès à une deuxième salle des données en relation avec certains autres documents. Les 28 et 30 juin 2016, les conseillers externes de la requérante ont eu accès à une troisième salle des données visant à leur permettre de faire des observations confidentielles de fond sur les documents mis à disposition dans les première et deuxième salles des données.
24 Le 13 février 2017, après l’exposé des faits, la Commission a accordé à la requérante un nouvel accès au dossier de l’affaire (sur CD-ROM) en ce qui concerne les documents recueillis après la communication des griefs. Le 17 février 2017, le conseiller-auditeur a organisé, pour les conseillers externes de la requérante, une procédure d’accès à une quatrième salle des données en relation avec certains de ces documents.
25 Le 25 janvier 2018, après l’adoption de la décision attaquée, la requérante a demandé à la Commission de lui fournir la liste des réunions ou des entretiens organisés avec les tiers concernant l’objet de l’enquête. Le 2 mars 2018, la Commission a répondu que certaines réunions et conférences téléphoniques avec des tiers avaient eu lieu et a fourni les notes correspondantes.
C. Sur la décision attaquée
26 La décision attaquée comporte quatorze sections, concernant, respectivement, l’introduction (section 1), les entreprises concernées (section 2), la procédure (section 3), les griefs procéduraux de la requérante (section 4), les standards (section 5), la technologie et les produits visés (section 6), les activités de la requérante liées aux chipsets (section 7), les accords de la requérante avec Apple (section 8), la définition du marché (section 9), la position dominante (section 10), l’abus de position dominante (section 11), la compétence (section 12), les effets sur le commerce entre les États membres (section 13) ainsi que les remèdes et l’amende (section 14).
1. Sur les accords entre la requérante et Apple
27 Dans la section 8 de la décision attaquée, la Commission a relevé que, le 25 février 2011, la requérante avait conclu un accord avec Apple (ci-après l’« accord de transition ») relatif à la livraison de chipsets et que cet accord avait été modifié le 28 février 2013 par la conclusion d’un accord ultérieur (ci-après le « premier avenant à l’accord de transition ») entré en vigueur avec effet rétroactif le 1er janvier 2013 (ci-après, pris ensemble, les « accords concernés »).
28 La Commission a précisé que les accords concernés prévoyaient que des paiements incitatifs soient accordés par la requérante à Apple à la condition que cette dernière se fournisse auprès de la requérante pour tous ses besoins en chipsets LTE (ci-après les « paiements concernés »). À ce dernier égard, la Commission a précisé que, aux fins de la décision attaquée, les chipsets LTE comprenaient les chipsets conformes à la norme LTE ainsi qu’aux normes GSM et UMTS.
29 La Commission a indiqué que, de 2011 à 2015, Apple avait acquis des chipsets LTE uniquement auprès de la requérante et que la requérante avait payé à Apple une somme comprise entre 2 et 3 milliards de dollars des États-Unis (USD).
30 La Commission a ajouté que, bien que l’expiration des accords concernés ait été fixée au 31 décembre 2016, aux fins de la décision attaquée, les accords concernés avaient pris fin à la suite du lancement par Apple, le 16 septembre 2016, des iPhone 7 intégrant des chipsets LTE d’Intel.
2. Sur la définition du marché
31 Dans la section 9 de la décision attaquée, la Commission a conclu que le marché à prendre en compte était le marché libre des chipsets LTE et que ce marché était de portée mondiale (ci-après le « marché pertinent »). En particulier, la Commission a retenu que le marché pertinent incluait les chipsets LTE autonomes et les chipsets LTE intégrés, mais excluait la production captive de ces chipsets. À cet égard, la Commission a notamment estimé que les chipsets LTE n’étaient pas substituables aux chipsets compatibles avec la norme GSM, ni aux chipsets compatibles avec la norme UMTS (ci-après les « chipsets UMTS »).
3. Sur la position dominante
32 Dans la section 10 de la décision attaquée, la Commission a considéré que la requérante avait occupé une position dominante sur le marché pertinent entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2016. À cet effet, la Commission a indiqué que la requérante avait bénéficié depuis 2010 de larges parts du marché pertinent, que ce marché se caractérisait par l’existence de plusieurs barrières à l’entrée et à l’expansion et que la force commerciale des clients de la requérante achetant des chipsets n’était pas de nature à porter atteinte à sa position dominante.
4. Sur l’abus de position dominante
33 Dans la section 11 de la décision attaquée, la Commission a conclu que la requérante avait abusé de sa position dominante sur le marché pertinent en accordant les paiements concernés. À cet effet, la Commission a indiqué que les paiements concernés étaient des paiements d’exclusivité, que ces paiements étaient capables d’avoir des effets anticoncurrentiels, que l’analyse de la marge critique présentée par la requérante n’affectait pas sa conclusion et que la requérante n’avait pas démontré que lesdits paiements étaient contrebalancés ou compensés par des avantages en matière d’efficience profitant également aux consommateurs.
34 La Commission a indiqué que l’abus de la requérante avait eu lieu pendant la période concernée.
5. Sur l’amende
35 La Commission a considéré qu’une amende devait être infligée à la requérante et, après calcul, a conclu que son montant devait être fixé à 997 439 000 euros.
6. Sur le dispositif
36 Le dispositif de la décision attaquée se lit comme suit :
« Article premier
Qualcomm Inc. a enfreint l’article 102 du traité [sur le fonctionnement de l’Union européenne] et l’article 54 de l’accord sur l’Espace économique européen en accordant des paiements à Apple Inc. à la condition qu’Apple Inc. se fournisse auprès de Qualcomm Inc. pour tous les besoins d’Apple Inc. en chipsets de bande de base conformes à la norme Long Term Evolution ainsi qu’aux normes Global System for Mobile Communications et Universal Mobile Telecommunications System.
L’infraction a duré du 25 février 2011 au 16 septembre 2016.
Article 2
Pour l’infraction mentionnée à l’article 1er, une amende de 997 439 000 euros est infligée à Qualcomm Inc.
[…]
Article 3
Qualcomm Inc. doit s’abstenir de réitérer les agissements ou comportements visés à l’article 1er ainsi que de tout agissement ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou équivalent.
Article 4
La présente décision est adressée à Qualcomm Inc. […] »
II. Procédure et conclusions des parties
A. Principaux éléments procéduraux
1. Phase écrite de la procédure
37 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 avril 2018, la requérante a introduit le présent recours.
38 Le 5 juin 2018, la Commission a demandé une prorogation du délai pour déposer le mémoire en défense, compte tenu de la longueur de la requête et du nombre de documents annexés. Cette prorogation lui a été accordée.
39 Le 14 septembre 2018, la Commission a déposé au greffe du Tribunal le mémoire en défense.
40 Le 5 octobre 2018, la requérante a demandé une prorogation du délai pour déposer la réplique, compte tenu de la longueur du mémoire en défense et du nombre de documents annexés. Cette prorogation lui a été accordée.
41 Le 4 janvier 2019, la requérante a déposé au greffe du Tribunal la réplique.
42 Le 12 février 2019, la Commission a demandé une prorogation du délai pour déposer la duplique, compte tenu de la longueur de la réplique et du nombre de documents annexés. Cette prorogation lui a été accordée.
43 Le 8 mai 2019, la Commission a déposé au greffe du Tribunal la duplique.
44 La phase écrite de la procédure a été clôturée le 20 mai 2019.
45 Le 7 juin 2019, la requérante a demandé à être entendue lors d’une audience de plaidoiries.
2. Demande d’intervention d’Apple
46 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 16 juillet 2018, Apple a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission.
47 Cette demande d’intervention a été signifiée aux parties principales, conformément à l’article 144, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.
48 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 17 septembre 2018, la Commission a indiqué qu’elle n’avait pas d’observations à l’égard de la demande d’intervention d’Apple.
49 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 17 septembre 2018, la requérante a conclu à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter la demande d’intervention et de condamner Apple aux dépens.
50 Les 16 novembre et 14 décembre 2018 et le 13 février 2019, la requérante et la Commission ont demandé le traitement confidentiel vis-à-vis d’Apple, si son intervention était admise, de certains éléments contenus dans les actes de procédure ainsi que leurs annexes.
51 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 17 avril 2019, Apple a informé le Tribunal que, conformément à l’article 144, paragraphe 8, du règlement de procédure, elle retirait sa demande d’intervention dans la présente affaire.
52 Le 5 juin 2019, la présidente de la septième chambre du Tribunal a ordonné la radiation d’Apple de la présente affaire, en tant que demanderesse en intervention, et la condamnation des parties à supporter leurs propres dépens en relation avec cette demande d’intervention.
3. Demande de mesures d’organisation de la procédure ou d’instruction
53 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 16 janvier 2019, la requérante a demandé l’adoption d’une mesure d’organisation de la procédure ou d’une mesure d’instruction afin d’obtenir, d’une part, les versions complètes, c’est-à-dire « non expurgées », de certains documents des tiers et, d’autre part, les deux documents contenant les « observations confidentielles de fond » soumises lors de la troisième salle des données du 28 juin 2016.
4. Preuves supplémentaires déposées après la clôture de la phase écrite de la procédure
54 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 28 mai 2019, soit postérieurement à la clôture de la phase écrite de la procédure, la Commission a produit, au titre de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure, une preuve supplémentaire consistant en la transmission du jugement du 21 mai 2019, de 233 pages, du United States District Court for the Northern District of California (tribunal fédéral du district Nord de la Californie, États-Unis ; ci-après le « District Court ») dans l’affaire Federal Trade Commission v. Qualcomm Incorporated.
55 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 20 juin 2019, la requérante a présenté ses observations sur la preuve supplémentaire de la Commission.
56 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 26 juillet 2019, la requérante a produit, au titre de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure, des preuves supplémentaires consistant en un mémoire de 62 pages accompagné d’un nombre important de documents émanant de procédures conduites aux États-Unis (ci-après les « preuves supplémentaires du 26 juillet 2019 »).
57 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 14 août 2019, compte tenu du nombre important de documents annexés à la production des preuves supplémentaires du 26 juillet 2019, la Commission a demandé une prorogation du délai pour présenter des observations à cet égard. Cette prorogation lui a été accordée.
58 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 30 octobre 2019, la Commission a présenté ses observations sur les preuves supplémentaires du 26 juillet 2019, consistant en un mémoire de 63 pages accompagné d’annexes et contestant notamment leur recevabilité.
59 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 20 mai 2020, la requérante a présenté ses observations sur les observations de la Commission du 30 octobre 2019. Le 3 juin 2020, la présidente de la sixième chambre du Tribunal a décidé de ne pas verser cet acte au dossier, tout en informant la requérante qu’elle aurait la possibilité de faire valoir ses arguments à cet égard durant la phase orale de la procédure.
60 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 25 août 2020, la requérante a produit, au titre de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure, une preuve supplémentaire consistant en la transmission du jugement du 11 août 2020, de 56 pages, du United States Court of Appeals for the Ninth Circuit (cour d’appel fédérale du neuvième circuit, États-Unis) dans l’affaire Federal Trade Commission v. Qualcomm Incorporated, renversant le jugement du District Court visé au point 54 ci-dessus.
61 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 11 septembre 2020, la Commission a présenté ses observations sur la preuve supplémentaire produite par la requérante le 25 août 2020.
62 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 9 novembre 2020, la requérante a produit, au titre de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure, une preuve supplémentaire consistant en la transmission d’une ordonnance du 28 octobre 2020, de 2 pages, du United States Court of Appeals for the Ninth Circuit (cour d’appel fédérale du neuvième circuit) dans l’affaire Federal Trade Commission v. Qualcomm Incorporated, rejetant une demande de nouvelle audition dans le cadre du jugement visé au point 60 ci-dessus.
63 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 20 novembre 2020, la Commission a présenté ses observations sur la preuve supplémentaire produite par la requérante le 9 novembre 2020.
5. Demandes d’omission de certaines données envers le public
64 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 31 mai 2019, la requérante a demandé, au titre de l’article 66 du règlement de procédure, l’omission de certaines données envers le public concernant les actes de procédure et les annexes afférentes déposés jusqu’à la date de cette demande ainsi qu’après cette date.
65 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 6 août 2019, la requérante a demandé, au titre de l’article 66 du règlement de procédure, l’omission de certaines données envers le public concernant les preuves supplémentaires du 26 juillet 2019.
66 Sur proposition de la juge rapporteure, le Tribunal (sixième chambre), dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, a posé le 28 mai 2020 à la requérante des questions pour réponse écrite, en lui demandant d’identifier avec précision les données contenues dans certains actes de procédure et dans la décision attaquée et visées par les demandes d’omission de certaines données envers le public, conformément au point 75 des dispositions pratiques d’exécution du règlement de procédure.
67 Le 15 juin 2020, la requérante a demandé une prorogation du délai pour répondre aux questions posées par le Tribunal le 28 mai 2020. Une prorogation lui a été accordée.
68 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 8 juin 2020, la Commission a transmis au Tribunal une copie de la version non confidentielle de la décision attaquée publiée le même jour sur son site Internet. Le 16 juin 2020, la présidente de la sixième chambre élargie du Tribunal a décidé de verser cet acte au dossier.
69 Le 10 septembre 2020, la requérante a demandé une nouvelle prorogation du délai pour répondre aux questions posées par le Tribunal le 28 mai 2020. Une dernière prorogation lui a été accordée.
70 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 30 octobre 2020, la requérante a répondu à la mesure d’organisation de la procédure.
6. Affectation de la juge rapporteure à la sixième chambre
71 La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure, la juge rapporteure a été affectée à la sixième chambre du Tribunal, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.
7. Renvoi de l’affaire devant une formation de jugement élargie
72 Sur proposition de la sixième chambre, le Tribunal a décidé, le 11 juin 2020, en application de l’article 28 du règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.
8. Mesures d’organisation de la procédure et mesures d’instruction
73 Sur proposition de la juge rapporteure, le Tribunal (sixième chambre élargie), dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, a posé le 8 octobre 2020 à la requérante et à la Commission des questions pour réponse écrite et a demandé à la Commission la production de documents.
74 Le 12 octobre 2020, la Commission a demandé une prorogation du délai pour répondre aux questions et demandes posées par le Tribunal le 8 octobre 2020. La prorogation a été accordée à la Commission et le même délai a été fixé à la requérante.
75 Les 19 et 20 novembre 2020, la Commission et la requérante ont répondu aux mesures d’organisation de la procédure.
76 Sur proposition de la juge rapporteure, le Tribunal (sixième chambre élargie), par ordonnance du 12 octobre 2020 et dans le cadre des mesures d’instruction prévues à l’article 91, sous b), du règlement de procédure, a ordonné à la Commission de produire certaines informations et certains documents.
77 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 novembre 2020 (ci-après l’« acte du 19 novembre 2020 »), la Commission a déféré à ladite ordonnance.
78 En vertu de l’article 103, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal, par mesure d’organisation de la procédure du 10 décembre 2020, a invité les représentants de la requérante à souscrire un engagement approprié concernant le traitement confidentiel de l’acte du 19 novembre 2020 audit stade de la procédure.
79 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 15 décembre 2020, les représentants de la requérante ont répondu à la mesure d’organisation de la procédure du 10 décembre 2020 en transmettant l’engagement de confidentialité signé.
80 Par décision du 8 janvier 2021, le Tribunal (sixième chambre élargie) a décidé que l’acte du 19 novembre 2020 était pertinent pour statuer sur le litige conformément à l’article 103, paragraphe 2, du règlement de procédure.
81 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 26 janvier 2021, les représentants de la requérante ayant souscrit l’engagement de confidentialité ont présenté leurs observations sur l’acte du 19 novembre 2020.
82 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 21 janvier 2021, lequel a été versé au dossier de la présente affaire par décision de la présidente de la sixième chambre élargie du Tribunal du 3 février 2021, les représentants de la requérante ayant souscrit l’engagement de confidentialité ont demandé la levée dudit engagement de confidentialité et la transmission de l’acte du 19 novembre 2020 à la requérante. La Commission a été invitée à présenter ses observations à cet égard.
83 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 22 février 2021, la Commission a présenté ses observations sur l’acte déposé le 21 janvier 2021 par les représentants de la requérante ayant souscrit l’engagement de confidentialité.
84 Compte tenu des observations présentées par la Commission et par les représentants de la requérante ayant souscrit l’engagement de confidentialité, le Tribunal (sixième chambre élargie), par ordonnance du 20 avril 2021 et dans le cadre des mesures d’instruction prévues à l’article 91, sous b), du règlement de procédure, a ordonné à la Commission de produire une version non confidentielle de l’acte du 19 novembre 2020.
85 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 26 avril 2021, la Commission a déféré à ladite ordonnance.
86 La version non confidentielle de l’acte du 19 novembre 2020 a été signifiée à la requérante, indiquant qu’elle pouvait présenter ses observations sur celle-ci lors de l’audience et, le cas échéant, par écrit après l’audience.
87 Lors de l’audience du 6 mai 2021, dans le cadre de la session à huis clos concernant l’acte du 19 novembre 2020 produit en vertu de l’article 103 du règlement de procédure et couverte par un engagement de confidentialité signé par les représentants de la requérante, le Tribunal, compte tenu des échanges ayant eu lieu à ce sujet lors de l’audience, a demandé à la Commission si elle pouvait considérer de lever la confidentialité vis-à-vis de la requérante de certains éléments contenus dans cet acte qui demeuraient confidentiels à son égard. La Commission ayant indiqué ne pas être en mesure de répondre à une telle demande de renseignements lors de l’audience, un délai pour réponse écrite de deux semaines lui a été fixé.
88 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 7 mai 2021, la Commission, en substance, a indiqué ne pas pouvoir répondre, en l’état, à ladite demande de renseignements et a demandé à pouvoir répondre à cette demande dans le cadre d’une mesure d’instruction en vertu de l’article 92, paragraphe 3, du règlement de procédure. La Commission a également demandé à pouvoir écouter l’enregistrement sonore des échanges ayant eu lieu à ce sujet lors de l’audience, en vertu de l’article 115 du règlement de procédure.
89 Le président du Tribunal a autorisé la Commission à écouter une partie de l’enregistrement sonore de l’audience de plaidoiries.
90 La requérante ayant présenté des observations sur la demande de mesure d’instruction de la Commission, le Tribunal, en application, d’une part, de l’article 24, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et, d’autre part, de l’article 91, sous b), et de l’article 92, paragraphe 3, du règlement de procédure, par ordonnance du 4 juin 2021, a ordonné à la Commission d’indiquer, dans un délai fixé par le greffe, si elle levait la confidentialité vis-à-vis de la requérante de certains éléments contenus dans l’acte du 19 novembre 2020.
91 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 11 juin 2021, la Commission a déféré à ladite ordonnance, en maintenant l’absence de justifications pour lever la confidentialité vis-à-vis de la requérante des éléments en cause contenus dans l’acte du 19 novembre 2020.
92 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 20 juillet 2021, les représentants de la requérante ayant signé l’engagement de confidentialité, après avoir demandé et obtenu la prorogation du délai qui leur avait été accordé, ont présenté leurs observations sur la réponse de la Commission du 11 juin 2021.
9. Phase orale de la procédure
93 Le 18 novembre 2020, sur décision de la présidente de la sixième chambre élargie du Tribunal, les parties ont été convoquées à une audience de plaidoiries fixée pour les 2, 3 et 4 février 2021.
94 Conformément à l’article 109 du règlement de procédure, compte tenu de la demande de la requérante de tenir à huis clos toute audience susceptible de faire référence à certains des documents produits au titre des preuves supplémentaires du 26 juillet 2019, le Tribunal a décidé d’entendre les parties sur la tenue d’une partie de l’audience à huis clos.
95 Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 10 décembre 2020, complétée le 18 décembre 2020, la requérante a demandé le report de l’audience compte tenu, d’une part, de la situation sanitaire et, d’autre part, d’une demande présentée aux États-Unis pour la levée de la confidentialité de certaines preuves supplémentaires du 26 juillet 2019.
96 Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 15 décembre 2020, la Commission, d’une part, a indiqué que la tenue d’une partie de l’audience à huis clos pouvait se justifier en ce qui concerne certaines des preuves supplémentaires du 26 juillet 2019 et, d’autre part, a formulé des observations concernant l’organisation de l’audience.
97 Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 18 décembre 2020, la requérante, d’une part, a demandé d’organiser l’audience à huis clos en ce qui concerne certaines des preuves supplémentaires du 26 juillet 2019 et, d’autre part, a indiqué qu’une telle demande pouvait devenir inutile en fonction de l’issue de la demande de levée de confidentialité présentée aux États-Unis.
98 Le 22 décembre 2020, la présidente de la sixième chambre élargie du Tribunal a décidé d’accorder le report de l’audience.
99 Le 29 janvier 2021, sur décision de la présidente de la sixième chambre élargie du Tribunal, les parties ont été convoquées à une audience de plaidoiries fixée pour les 4, 5 et 6 mai 2021.
100 Le 22 mars 2021, la Commission a présenté des propositions concernant l’organisation de l’audience.
101 Le 26 mars 2021, la requérante a présenté une deuxième demande de report de l’audience.
102 Le 29 mars 2021, la requérante a présenté des observations sur les propositions de la Commission concernant l’organisation de l’audience.
103 Le 31 mars 2021, la présidente de la sixième chambre élargie du Tribunal a décidé de refuser la deuxième demande de report d’audience.
104 Le 9 avril 2021, le Tribunal (sixième chambre élargie) a décidé de convoquer les parties à une réunion informelle concernant l’organisation de l’audience.
105 Le 14 avril 2021, la requérante a présenté une demande visant la participation de ses employés à l’audience par visio-conférence.
106 La réunion informelle s’est tenue le 15 avril 2021.
107 Le 16 avril 2021, d’une part, la présidente de la sixième chambre élargie du Tribunal a décidé de refuser la participation des employés de la requérante à l’audience par visio-conférence et, d’autre part, le Tribunal (sixième chambre élargie) a décidé d’organiser une partie de l’audience à huis clos.
108 Le 16 avril 2021, la requérante a présenté une troisième demande de report de l’audience.
109 Le 19 avril 2021, la présidente de la sixième chambre élargie du Tribunal a décidé de refuser la troisième demande de report d’audience.
110 Le 21 avril 2021, la requérante a présenté une demande d’utilisation de moyens techniques lors de l’audience.
111 Le 22 avril 2021, la présidente de la sixième chambre élargie du Tribunal a décidé d’autoriser l’utilisation de moyens techniques lors de l’audience.
112 Par lettre du 28 avril 2021, versée au dossier de la présente affaire par décision de la présidente de la sixième chambre élargie du Tribunal du 29 avril 2021, la Commission a déposé au greffe du Tribunal une lettre concernant l’étendue du huis clos et reflétant la position commune des parties.
113 Par lettre du 3 mai 2021, la requérante a confirmé la position commune des parties sur l’étendue du huis clos et a fourni au Tribunal une liste des preuves supplémentaires du 26 juillet 2019 dont la confidentialité avait été totalement ou partiellement levée.
114 L’audience de plaidoiries s’est tenue les 4, 5 et 6 mai 2021.
115 La phase orale de la procédure a été clôturée le 17 septembre 2021.
B. Conclusions des parties
116 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– à titre subsidiaire, annuler ou réduire de manière substantielle le montant de l’amende infligée ;
– condamner la Commission aux dépens.
117 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
III. En droit
118 À l’appui du recours, la requérante soulève sept moyens :
– le premier moyen est tiré d’erreurs de procédure manifestes ;
– le deuxième moyen est tiré d’erreurs manifestes d’appréciation, d’un défaut de motivation et d’une dénaturation des éléments de preuve en ce qui concerne les gains d’efficacité ;
– le troisième moyen est tiré d’erreurs manifestes de droit et d’appréciation en ce qui concerne les effets anticoncurrentiels ;
– le quatrième moyen est tiré d’erreurs manifestes d’appréciation en ce qui concerne la définition du marché pertinent et l’existence d’une position dominante ;
– le cinquième moyen est tiré d’erreurs manifestes de droit et d’appréciation ainsi que d’un défaut de motivation en ce qui concerne la durée de la violation alléguée ;
– le sixième moyen est tiré d’erreurs manifestes d’appréciation en ce qui concerne l’application des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2) et d’une violation du principe de proportionnalité ;
– le septième moyen est tiré d’erreurs manifestes d’appréciation en ce qui concerne la compétence de la Commission et l’effet sur les échanges entre les États membres.
119 Dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il y a lieu d’examiner les premier et troisième moyens du recours.
120 À titre liminaire, il y a lieu d’examiner la recevabilité, contestée par la Commission, des preuves supplémentaires du 26 juillet 2019.
A. Sur la recevabilité des preuves supplémentaires du 26 juillet 2019
121 À titre liminaire, il y a lieu de relever que les preuves supplémentaires du 26 juillet 2019 consistent, d’une part, pour une très grande majorité, en un ensemble de documents remis par Apple à la requérante entre février et juin 2019 à la suite d’une procédure engagée par cette dernière le 20 août 2018 à l’encontre d’Apple devant le District Court en application de la section 1782 du titre 28 du Code des États-Unis, intitulée « Aide aux juridictions étrangères et internationales et aux parties plaidant devant elles » (ci-après la « procédure 1782 ») et, d’autre part, pour une petite partie, en un ensemble de documents émanant de la procédure engagée par la Federal Trade Commission (agence fédérale de la concurrence, États-Unis) à l’encontre de la requérante devant le District Court et ayant conduit, dans le cadre d’un procès public commencé le 4 janvier 2019, à l’adoption de l’arrêt du 21 mai 2019 visé au point 54 ci-dessus (ci-après la « procédure FTC »). Par ailleurs, lesdites preuves supplémentaires incluent également, de façon marginale, certains articles de presse.
122 Toujours à titre liminaire, il convient également de rappeler que, avant l’audience de plaidoiries, la requérante a transmis au Tribunal une liste des documents produits au titre des preuves supplémentaires du 26 juillet 2019 émanant de la procédure 1782 dont la confidentialité avait été totalement ou partiellement levée (voir point 113 ci-dessus) et que, lors de la partie publique de l’audience de plaidoiries, la requérante s’est référée à certains desdits documents ainsi qu’à l’existence de la procédure 1782.
123 La requérante indique que ni elle-même ni ses avocats européens ne disposaient de ces documents au moment de déposer la requête ou la réplique et qu’elle a déposé le mémoire produisant les preuves supplémentaires du 26 juillet 2019 aussitôt que possible. D’une part, en ce qui concerne les documents émanant de la procédure 1782, la requérante indique que, à la suite d’une ordonnance de février 2019, Apple lui a transmis 2 300 documents entre le 23 février et le 24 juin 2019 dans le cadre de neuf envois distincts et que ses avocats ont examiné ces documents et identifié ceux à produire devant le Tribunal. D’autre part, en ce qui concerne les documents émanant de la procédure FTC, la requérante explique qu’une ordonnance conservatoire interdisait à ses avocats américains de transmettre les documents en cause à ses avocats européens.
124 La Commission rétorque que les preuves supplémentaires du 26 juillet 2019 sont irrecevables. Premièrement, elle fait valoir que certains documents sont antérieurs à la requête, comme certains articles de presse, des courriels échangés entre la requérante et Apple ainsi que des présentations de la requérante. Deuxièmement, la Commission relève que la requérante n’a pas expliqué pourquoi, d’une part, elle n’a pas demandé les documents devant le District Court avant le 20 août 2018, notamment avant l’adoption de la décision attaquée ou juste après et pourquoi, d’autre part, elle n’a pas informé le Tribunal de cette demande ou de son avancement dans la réplique. Troisièmement, la Commission fait valoir que la requérante n’a pas expliqué pourquoi elle n’a pas demandé plus tôt à Apple l’autorisation d’utiliser les preuves résultant de la procédure FTC, en particulier avant le procès organisé en janvier 2019. Quatrièmement, la Commission indique que l’article 92, paragraphe 7, du règlement de procédure concerne les preuves produites en réponse à des mesures d’instruction et ne permet pas à une partie principale de présenter, de sa propre initiative et sans justification adéquate, des preuves supplémentaires. Cinquièmement, la Commission soutient que la requérante se borne à faire référence à certaines preuves supplémentaires sans fournir d’explications sur les questions abordées ou montrer comment ces preuves étayent ses arguments.
125 En premier lieu, il convient de rappeler que la requérante, au soutien de la production des preuves supplémentaires du 26 juillet 2019, d’une part, s’appuie sur l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure et, d’autre part, indique que cette production est opérée à la lumière de l’article 92, paragraphe 7, du même règlement.
126 La Commission objecte que les conditions requises par la première disposition ne sont pas satisfaites et que la seconde disposition serait, en substance, dépourvue de pertinence.
127 D’une part, il y a lieu de rappeler que, au titre de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure, « [à] titre exceptionnel, les parties principales peuvent encore produire des preuves ou faire des offres de preuve avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié ». En particulier, cette possibilité constitue une exception à la règle générale reprise au paragraphe 1 du même article, selon lequel les preuves et les offres de preuve sont présentées lors du premier échange de mémoires.
128 Il découle du libellé de ladite disposition que, afin de se prévaloir de cette possibilité, le retard dans la production des preuves doit être justifié par des circonstances exceptionnelles (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2019, HX/Conseil, C‑540/18 P, non publié, EU:C:2019:707, point 67).
129 Ainsi, le Tribunal n’admet le dépôt d’offres de preuve postérieurement à la duplique que dans des circonstances exceptionnelles, à savoir si l’auteur de l’offre ne peut disposer des preuves en question avant la clôture de la phase écrite de la procédure (voir arrêt du 12 septembre 2019, Achemos Grupė et Achema/Commission, T‑417/16, non publié, EU:T:2019:597, point 37 et jurisprudence citée). Le caractère exceptionnel d’une telle production implique qu’une production antérieure était impossible ou ne pouvait pas raisonnablement être exigée (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 2016, TestBioTech e.a./Commission, T‑177/13, non publié, EU:T:2016:736, point 251).
130 Par ailleurs, à cet égard, il y a lieu de rappeler que l’exception prévue à l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure se différencie de celle prévue au paragraphe 2 du même article, permettant aux parties principales de produire des preuves dans la réplique ou dans la duplique à l’appui de leur argumentation à condition que le retard soit justifié, cette dernière exception n’exigeant pas la présence de circonstances exceptionnelles.
131 D’autre part, il doit être observé que, s’agissant des mesures d’instruction, en vertu de l’article 92, paragraphe 7, du règlement de procédure, « [l]a preuve contraire et l’ampliation des offres de preuve restent réservées ».
132 En l’espèce, la requérante ne s’appuie pas, en tant que telle, sur cette dernière disposition, mais elle l’invoque dans la mesure où la jurisprudence considère que l’article 85 du règlement de procédure doit être interprété à la lumière de l’article 92, paragraphe 7, du même règlement, qui prévoit que la preuve contraire et l’ampliation des offres de preuve restent réservées [arrêts du 22 juin 2017, Biogena Naturprodukte/EUIPO (ZUM wohl), T‑236/16, EU:T:2017:416, point 17, et du 9 septembre 2020, Grèce/Commission, T‑46/19, non publié, EU:T:2020:396, point 30].
133 En l’espèce, ainsi qu’il ressort du mémoire produisant les preuves supplémentaires du 26 juillet 2019, ces preuves ont été produites au soutien des premier, deuxième, troisième et quatrième moyens du recours. Si la requérante indique, de façon générale, que ces preuves seraient produites en ampliation des preuves apportées à l’appui des arguments développés dans la requête et dans la réplique et en réfutation des arguments de la Commission développés dans la décision attaquée, dans le mémoire en défense et dans la duplique, force est de constater que lesdites preuves ne sont spécifiquement ni des preuves contraires visant à réfuter des preuves produites par la Commission, ni des preuves tendant à l’ampliation d’offres de preuve, mais sont des preuves nouvelles visant à soutenir certains des moyens du recours.
134 Il convient donc d’examiner si, en l’espèce, la production des preuves supplémentaires du 26 juillet 2019 a été justifiée par des circonstances exceptionnelles, conformément à l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure.
135 À cet égard, en second lieu, il convient d’examiner les objections de la Commission visant à démontrer que les exigences requises par l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure ne seraient pas satisfaites.
136 Premièrement, en ce qui concerne les documents émanant de la procédure 1782, à titre liminaire, il convient de relever que ces documents font partie d’un ensemble de documents transmis par Apple à la requérante entre le 23 février et le 24 juin 2019 à l’issue de la procédure 1782. En d’autres termes, il est constant que la requérante a reçu lesdits documents, à travers plusieurs envois, après le dépôt de la réplique en date du 4 janvier 2019. Force est donc de constater que la requérante ne disposait pas des documents en cause lors du dépôt de ses écritures principales et ne pouvait donc pas les produire dans le cadre de celles-ci, mais qu’elle a pu les obtenir à l’issue de la procédure 1782 seulement.
137 D’une part, la Commission objecte cependant que la requérante n’a pas expliqué pourquoi elle n’avait pas engagé plus tôt la procédure 1782 à l’encontre d’Apple devant le District Court.
138 Or, l’objection de la Commission est dépourvue de pertinence afin d’apprécier l’existence de circonstances exceptionnelles au sens de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure. En effet, la question qui se pose à ce titre est de savoir si les preuves concernées étaient ou non disponibles au stade de l’introduction de la requête ou du dépôt de la réplique (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2018, Haeberlen/ENISA, T‑632/16, non publié, EU:T:2018:957, points 184 et 185) et non de savoir, de façon conjecturale, si la requérante aurait pu entreprendre des démarches qui, de façon hypothétique, auraient pu lui permettre d’en disposer plus tôt.
139 En tout état de cause, force est constater que ladite objection repose sur des prémisses erronées.
140 En effet, la procédure 1782 engagée par la requérante à l’encontre d’Apple devant le District Court visait à recueillir des éléments de preuve permettant de réfuter certaines des constatations opérées par la Commission dans la décision attaquée dans la perspective de la présente procédure juridictionnelle. La requérante n’était donc pas en mesure d’introduire la procédure 1782 avant l’adoption de la décision attaquée et n’avait d’ailleurs – à supposer même que cela eût été possible – aucune obligation de procéder en ce sens de façon préventive et spéculative dans la perspective d’un éventuel contentieux avant même que ladite décision n’ait été adoptée.
141 Il ne saurait donc être reproché à la requérante de ne pas avoir introduit la procédure en cause avant l’adoption de la décision attaquée.
142 En outre, dans la mesure où la Commission invoque le fait que la requérante aurait pu introduire ladite procédure « au cours des jours et des semaines ayant suivi l’adoption de la décision le 24 janvier 2018 », il doit être observé qu’un tel argument est également spéculatif et, de surcroît, revient à mettre une obligation déraisonnable, voire impossible à satisfaire, à la charge de la requérante. En effet, il est au contraire justifié que la requérante, suivant l’adoption de la décision attaquée, ait d’abord préparé et introduit le présent recours le 6 avril 2018 et ait ensuite, au vu du contenu de la décision attaquée et dudit recours, engagé la procédure 1782 afin d’obtenir d’autres éventuels éléments de preuve au soutien de son recours. L’approche de la Commission néglige également l’inévitable temps de coordination entre la requérante, ses représentants européens et ses représentants américains afin d’introduire la procédure 1782 aux États-Unis aux fins de la présente procédure. Au surplus, dès lors que, à l’issue de la procédure 1782, la requérante a reçu les documents d’Apple au cours d’une période de six à dix mois après le début de ladite procédure, à supposer même que, comme le prétend la Commission, il eût été possible d’engager une telle procédure lorsqu’elle préparait sa requête (entre les mois de février et de mars 2018), la requérante n’aurait vraisemblablement pas reçu tous les documents à temps pour les examiner et les produire dans la requête le 6 avril 2018 ou dans la réplique le 4 janvier 2019.
143 D’autre part, la Commission objecte que la requérante n’a pas informé le Tribunal de l’existence et de l’avancement de l’action qu’elle avait engagée devant le District Court, notamment dans la réplique. Or, cette objection de la Commission porte également sur des éléments dépourvus de pertinence, dans la mesure où l’information préalable du Tribunal n’est nullement exigée par l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure.
144 Deuxièmement, en ce qui concerne l’ensemble de documents émanant de la procédure FTC, à titre liminaire, il convient de relever que ces documents font partie du dossier de la procédure FTC devant le District Court et que, avant le début du procès public en janvier 2019 devant ce District Court, la connaissance et l’utilisation desdits documents étaient restreintes par une ordonnance conservatoire du 24 octobre 2017.
145 Ces éléments sont constants entre les parties, tout comme il est constant que, à la date du dépôt de la réplique le 4 janvier 2019, la requérante n’avait pas la libre disponibilité desdits documents, car, d’une part, leur connaissance et leur utilisation étaient circonscrites à un nombre limité d’avocats américains et de juristes internes de la requérante, sans que ces personnes eussent pu les transmettre aux avocats européens de la requérante, ni les utiliser aux fins de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée ou de la présente procédure juridictionnelle et, d’autre part, le procès public devant le District Court qui a rendu ces documents publics s’est tenu du 4 au 29 janvier 2019.
146 La Commission, cependant, fait valoir que la requérante, en vertu de certaines dispositions de l’ordonnance conservatoire du 24 octobre 2017, sans attendre le début du procès public qui s’est tenu en janvier 2019, aurait pu demander à Apple une autorisation lui permettant d’utiliser ces documents plus tôt dans le cadre de la présente procédure.
147 Or, cette objection de la Commission ne saurait non plus être retenue, dès lors qu’elle repose sur de pures conjectures qui ne sauraient servir de base pour le contrôle juridictionnel du Tribunal. En effet, ainsi que le souligne la Commission elle-même, à supposer que les avocats américains et les juristes internes de la requérante ayant accès auxdits documents eussent été en mesure d’apprécier leur utilité dans la présente procédure, toute utilisation à cette fin nécessitait d’obtenir l’accord préalable d’Apple. Rien ne démontre que, dans les circonstances de la présente affaire, ces deux éventualités se seraient réalisées.
148 En tout état de cause, il convient de relever que, ainsi qu’il a été relevé au point 138 ci-dessus, la question qui se pose est de savoir si les preuves concernées étaient ou non disponibles au stade de l’introduction de la requête ou du dépôt de la réplique. Or, compte tenu des éléments rappelés au point 145 ci-dessus, tel n’était pas le cas en l’espèce, dès lors que la requérante a déposé la réplique le 4 janvier 2019, c’est-à-dire le jour même de l’expiration du délai prorogé pour le dépôt de cet acte, et que le procès public dans le cadre de la procédure FTC, en vertu duquel les documents en cause sont devenus publics, a commencé ce même 4 janvier. Par conséquent, force est de constater que la requérante ne pouvait pas produire les documents en cause au moment du dépôt de la réplique.
149 Par ailleurs, il ne saurait être considéré que, dans les circonstances de la présente affaire, la requérante aurait indûment retardé la production devant le Tribunal des documents émanant de la procédure FTC. En effet, dès lors que, en janvier 2019, la procédure 1782 était encore en cours et que la requérante a reçu les documents émanant de cette procédure entre fin février et fin juin 2019, il était justifié qu’elle examine dans leur ensemble et produise ensuite conjointement en juillet 2019 les documents pertinents émanant des deux procédures.
150 Troisièmement, en ce qui concerne les documents mentionnés par la Commission qui, tout en émanant de la procédure 1782 ou de la procédure FTC, étaient à la disposition de la requérante avant l’introduction de la requête dans la présente affaire, à savoir des courriels échangés entre elle et Apple et des présentations de la requérante, il convient de relever que, certes, la requérante disposait desdits documents pris individuellement. Toutefois, ces documents font partie de l’ensemble de documents transmis par Apple à la requérante à l’issue de la procédure 1782 ou de l’ensemble des documents constituant le dossier de la procédure FTC dans le cadre de l’audience publique de janvier 2019, de sorte qu’ils ne sauraient être pris en compte de manière isolée par rapport aux autres documents constituant ces ensembles. Ainsi, la requérante et ses avocats ne pouvaient pas nécessairement en apprécier la pertinence dans le cadre de la présente affaire indépendamment des autres documents constituant lesdits ensembles. En d’autres termes, compte tenu de leur origine, les preuves supplémentaires du 26 juillet 2019 ne sauraient être segmentées artificiellement mais, dans la mesure où elles émanent de la procédure 1782 ou de la procédure FTC, elles doivent être appréciées dans leur globalité s’agissant de leur recevabilité.
151 Quatrièmement, il en va de même pour les trois articles de presse inclus dans les preuves supplémentaires du 26 juillet 2019 qui avaient été publiés avant l’introduction de la requête, dès lors que leur production tardive est justifiée par celle des autres preuves supplémentaires qu’ils visent à étayer dans des notes en bas de page du mémoire produisant lesdites preuves.
152 Cinquièmement, en ce qui concerne l’allégation générale de la Commission selon laquelle, dans le mémoire produisant les preuves supplémentaires du 26 juillet 2019, la requérante se bornerait à faire de simples références auxdites preuves sans fournir d’explications, une telle circonstance est dépourvue de pertinence dans le cadre de l’appréciation exigée par l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure, mais relève, le cas échéant, de l’intelligibilité de ces preuves dans le cadre de l’examen du bien-fondé des moyens du recours.
153 À la lumière de tout ce qui précède, dans les circonstances de la présente affaire, il y a lieu de conclure que la production, dans leur ensemble, des preuves supplémentaires du 26 juillet 2019 après la fin de la phase écrite de la procédure est justifiée par des circonstances exceptionnelles et que ces preuves doivent donc être admises au titre de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure.
B. Sur le premier moyen, tiré d’erreurs de procédure manifestes
154 Le premier moyen repose sur quatre branches. La première est tirée de la violation des droits de la défense en ce que la requérante aurait été privée de la possibilité de formuler des observations sur des aspects importants de la décision attaquée. La deuxième est tirée de la violation du principe de bonne administration en ce que la Commission aurait manqué de mener une enquête approfondie, objective et diligente. La troisième est tirée de la violation des droits de la défense en ce que la Commission n’aurait pas divulgué à la requérante des éléments de preuve utiles à sa défense. La quatrième est tirée de la violation de l’obligation de motivation et de la violation du principe de bonne administration en ce que la Commission aurait apprécié les faits de manière inexacte, partielle et incomplète.
155 Il convient d’examiner les première et troisième branches, tirées de la violation des droits de la défense.
1. Observations liminaires
156 Les droits de la défense sont des droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit dont le Tribunal et la Cour assurent le respect (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2011, Solvay/Commission, C‑109/10 P, EU:C:2011:686, point 52).
157 Le respect des droits de la défense constitue un principe général du droit de l’Union européenne qui trouve à s’appliquer dès lors que l’administration se propose de prendre à l’encontre d’une personne un acte qui lui fait grief (arrêt du 16 janvier 2019, Commission/United Parcel Service, C‑265/17 P, EU:C:2019:23, point 28).
158 Ce principe général du droit de l’Union est consacré à l’article 41, paragraphe 2, sous a) et b), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (arrêt du 25 mars 2021, Deutsche Telekom/Commission, C‑152/19 P, EU:C:2021:238, point 105).
159 Dans le contexte du droit de la concurrence, le respect des droits de la défense implique que tout destinataire d’une décision constatant qu’il a commis une infraction aux règles de la concurrence doit avoir été mis en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances qui lui sont reprochés ainsi que sur les documents retenus par la Commission à l’appui de son allégation de l’existence d’une telle infraction (arrêts du 25 octobre 2011, Solvay/Commission, C‑109/10 P, EU:C:2011:686, point 53, et du 25 mars 2021, Deutsche Telekom/Commission, C‑152/19 P, EU:C:2021:238, point 106).
160 Selon une jurisprudence bien établie, il y a violation des droits de la défense lorsqu’il existe une possibilité que, en raison d’une irrégularité procédurale commise par la Commission, la procédure administrative menée par elle aurait pu aboutir à un résultat différent. Une entreprise requérante établit qu’une telle violation a eu lieu lorsqu’elle démontre à suffisance non que la décision de la Commission aurait eu un contenu différent, mais bien qu’elle aurait pu mieux assurer sa défense en l’absence de l’irrégularité procédurale (arrêts du 2 octobre 2003, Thyssen Stahl/Commission, C‑194/99 P, EU:C:2003:527, point 31, et du 13 décembre 2018, Deutsche Telekom/Commission, T‑827/14, EU:T:2018:930, point 129).
161 Une telle appréciation doit être effectuée en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de chaque espèce (arrêt du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, point 107).
2. Sur la troisième branche du premier moyen, tirée de la violation des droits de la défense, en ce qu’elle porte sur l’absence de notes et d’informations sur les réunions et les conférences téléphoniques avec les tiers
162 La troisième branche repose sur deux griefs. Le premier est tiré de l’incapacité de la Commission à fournir à la requérante un accès suffisant au dossier de l’affaire. Le second est tiré de l’absence, dans le dossier de l’affaire, de notes et d’informations sur le contenu des réunions et des conférences téléphoniques que la Commission a eues avec les tiers.
163 Il y a lieu d’examiner le second grief.
164 La requérante fait valoir que la Commission serait tenue de prendre des notes de ses réunions formelles ou informelles avec les tiers et qu’elle doit communiquer ces notes aux parties faisant l’objet de l’enquête. En l’espèce, la Commission n’aurait fourni aucune note à la requérante de ses réunions avec les tiers. Après l’adoption de la décision attaquée, sollicitée par la requérante, la Commission aurait indiqué à la requérante que des réunions et des conférences téléphoniques avec des tiers avaient eu lieu et lui aurait transmis des notes dépourvues de tout sens. Or, des notes plus complètes auraient aidé la défense de la requérante sur plusieurs points. En outre, la Commission se serait refusée à indiquer si elle avait rencontré un certain tiers au cours de l’enquête, alors qu’il serait utile pour la défense de la requérante de savoir si de telles réunions avaient eu lieu et quels sujets auraient été abordés.
165 La requérante ajoute que le règlement no 1/2003 ne fait pas de distinction entre les entretiens et d’autres types de réunions ou de conférences téléphoniques. La Commission ne pourrait pas déterminer, lors d’une réunion ou d’une conférence téléphonique, ce qui serait à décharge ou pas, mais il appartiendrait à l’entreprise incriminée de décider si certains éléments du dossier peuvent être utiles à sa défense. En l’espèce, les notes transmises par la Commission à la requérante ne seraient pas appropriées, ne contenant aucune information utile sur la teneur des discussions ou sur la nature des renseignements sur les thèmes évoqués, mais des expressions identiques et incertaines. La requérante conteste avoir pu déterminer les informations échangées lors de la réunion et des conférences téléphoniques en cause sur la base des réponses des tiers aux demandes de renseignements, les notes étant dépourvues de références à ces réponses, et inversement. La requérante souligne qu’il n’appartient pas à la Commission de déterminer si un tiers a fourni ou pas des informations à décharge, la Commission ayant l’obligation de prendre des notes et de les lui communiquer.
166 Premièrement, la Commission, après avoir indiqué qu’elle a pris des notes appropriées des réunions et conférences téléphoniques avec les tiers, rétorque qu’elle n’a aucune obligation générale de prendre des notes lors des réunions ou conférences téléphoniques avec les tiers, ses obligations étant plus limitées. D’une part, la Commission aurait l’obligation de prendre des « notes intégrales » des réunions ou conférences téléphoniques constituant des entretiens au sens de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, ayant pour but la collecte d’informations relatives à une enquête, la requérante n’ayant toutefois pas fait valoir en l’espèce que les réunions ou les conférences téléphoniques avec les tiers seraient des « entretiens ». D’autre part, la Commission aurait l’obligation de prendre des « notes succinctes » des réunions ou conférences téléphoniques qui n’ont pas pour but la collecte d’informations relatives à une enquête uniquement lorsque les tiers fournissent des éléments à charge qu’elle entend utiliser ou des éléments à décharge dont l’entreprise pourrait se prévaloir. Deuxièmement, la Commission fait valoir qu’elle a dûment pris des « notes succinctes » des réunions et des conférences téléphoniques en cause. Elle indique que, en l’espèce, à la suite de la demande de la requérante, elle a constaté qu’elle avait omis, par inadvertance, de lui fournir les notes d’une réunion et de trois conférences téléphoniques avec des tiers, mais qu’elle lui avait ensuite fourni ces notes en indiquant les entreprises, l’heure et les thèmes abordés. De même, elle précise que la décision attaquée ne se fonde pas sur les éventuels éléments à charge communiqués par ces tiers pendant ces réunions et conférences téléphoniques. Troisièmement, la Commission soutient que la requérante n’a pas démontré pourquoi il serait utile pour sa défense de savoir si elle avait rencontré un certain tiers, dans la mesure où la décision se fonde sur des éléments fournis par Apple et où il serait difficile d’imaginer la requérante affirmer que le tiers en cause était susceptible de fournir des éléments à décharge.
167 La Commission ajoute que la requérante ne tiendrait pas compte du fait que le tiers ayant eu une réunion avec elle n’a pas fourni d’éléments à décharge et que les tiers ayant eu des conférences téléphoniques avec elle ont indiqué ne pas avoir discuté de questions ne figurant pas dans les informations fournies dans leurs réponses aux demandes de renseignements. En effet, selon la Commission, il est plausible que certaines informations fournies lors desdites conférences téléphoniques aient déjà figuré dans les réponses aux demandes de renseignements, comme il est plausible que les informations fournies ultérieurement dans les réponses aux demandes de renseignements reflètent le contenu des conférences téléphoniques, ce qui serait logique. La Commission soutient que l’argument de la requérante selon lequel la réunion et les conférences téléphoniques en cause seraient des entretiens au sens de l’article 19 du règlement no 1/2003 est tardif et irrecevable. Par ailleurs, la Commission indique que la requérante n’explique pas pourquoi les informations sur les réunions avec un tiers seraient importantes.
168 D’emblée, en l’espèce, il est constant que, au cours de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée, la Commission n’a transmis à la requérante aucune information ni sur l’existence ni sur le contenu des réunions et des conférences téléphoniques qu’elle avait eues avec les tiers.
169 Toutefois, la Commission a fourni à la requérante certaines informations sur sept réunions ou conférences téléphoniques avec des tiers après l’adoption de la décision attaquée. Plus précisément, des informations sur quatre d’entre elles ont été fournies, suivant une demande de la requérante, avant l’introduction du présent recours, tandis que des informations sur les trois autres ont été fournies au cours de la présente procédure, soit en réponse aux arguments de la requérante fondés sur les preuves supplémentaires du 26 juillet 2019, soit en réponse aux mesures d’instruction ordonnées par le Tribunal le 12 octobre 2020.
170 Il convient donc d’examiner si, dans ces circonstances, la Commission a violé les droits de la défense de la requérante.
a) Sur la réunion et les conférences téléphoniques avec des tiers pour lesquelles des informations ont été communiquées à la requérante avant l’introduction du présent recours
1) Rappel des éléments de contexte
171 Il ressort des éléments versés aux débats que, après la réception de la décision attaquée, la requérante a demandé à la Commission, le 25 janvier 2018, de l’informer de l’existence de réunions ou d’entretiens que celle-ci aurait eus avec des tiers et qui ne lui auraient pas été communiqués. Le 2 mars 2018, la Commission a informé la requérante, par courriel, qu’elle avait vérifié si elle avait omis par inadvertance de l’informer de « toute réunion ou [tout] entretien » qui avait eu lieu « dans le contexte de l’affaire AT.40220 ». À cet égard, la Commission a précisé à la requérante qu’elle avait omis par inadvertance de l’informer de l’existence d’une réunion et de trois conférences téléphoniques avec des tiers. Par le même courriel, la Commission a transmis à la requérante des documents contenant les notes de cette réunion et de ces conférences téléphoniques ainsi qu’une présentation qui aurait été faite lors de ladite réunion.
172 Plus précisément, la Commission a fait état d’une réunion avec [confidentiel] (1) le [confidentiel], d’une conférence téléphonique avec [confidentiel] le [confidentiel] et de deux conférences téléphoniques le [confidentiel], l’une avec [confidentiel] et l’autre avec [confidentiel].
173 À cet égard, d’une part, il doit être relevé que cette réunion ainsi que ces conférences téléphoniques ont eu lieu avant la communication des griefs et après l’envoi des premières demandes de renseignements visées aux points 6 et 15 ci-dessus. Il est d’ailleurs constant que cette réunion et ces conférences téléphoniques ont eu lieu, comme l’a indiqué la Commission, « dans le contexte de l’affaire AT.40220 ». D’autre part, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, ces tiers sont deux concurrents et deux clients de la requérante, lesquels ont également répondu à certaines desdites demandes de renseignements.
174 [confidentiel] est un concurrent de la requérante. Ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, ce concurrent [confidentiel]. En outre, selon la décision attaquée, [confidentiel].
175 [confidentiel] est un concurrent de la requérante. Ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, il est, avec [confidentiel], l’un des [confidentiel] concurrents qu’[confidentiel].
176 Par ailleurs, [confidentiel] et [confidentiel] sont [confidentiel].
177 [confidentiel] est un OEM s’approvisionnant en chipsets LTE et [confidentiel].
178 [confidentiel] est un OEM s’approvisionnant en chipsets LTE [confidentiel].
2) Sur l’existence d’une irrégularité procédurale
179 La requérante fait valoir, en substance, que la Commission aurait manqué à ses obligations de prendre des notes de ladite réunion et desdites conférences téléphoniques et de les lui communiquer. En particulier, la requérante souligne que les notes que la Commission lui a transmises après l’adoption de la décision attaquée ne sont pas appropriées et sont dépourvues de tout sens.
180 La Commission fait valoir, à titre liminaire, que la requérante n’aurait pas soutenu, dans la requête, que la réunion et les conférences téléphoniques en cause constituaient des « entretiens » au sens de l’article 19 du règlement no 1/2003 et que, par conséquent, l’argument tiré de la violation de ladite disposition développé dans la réplique serait irrecevable. En tout état de cause, elle fait valoir, en substance, que la réunion et les conférences téléphoniques en cause ne constituaient pas des entretiens au sens de l’article 19 du règlement no 1/2003, car elles ne visaient pas à recueillir des informations relatives à l’objet d’une enquête. Elle n’aurait donc pas été tenue de prendre des notes intégrales de cette réunion et de ces conférences téléphoniques, mais uniquement des notes succinctes dans la mesure où les tiers auraient fourni des éléments à charge que la Commission entendait utiliser ou auraient fourni des éléments à décharge dont l’entreprise aurait pu se prévaloir.
181 S’agissant de la recevabilité de l’argument de la requérante, il est certes exact que celle-ci, dans la requête, n’a pas invoqué expressément l’article 19 du règlement no 1/2003. Toutefois, elle y a fait valoir expressément que la Commission avait violé l’obligation de conserver des notes, ou de prendre des notes appropriées, de ladite réunion et desdites conférences téléphoniques et s’est appuyée, à cet effet, sur le point 91 de l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632), lequel concerne précisément les obligations découlant de l’article 19 du règlement no 1/2003. Par conséquent, l’argument développé par la requérante dans la requête visait clairement à faire valoir une violation par la Commission des obligations découlant de ladite disposition et de la jurisprudence y afférente. La fin de non-recevoir avancée par la Commission doit donc être rejetée.
182 S’agissant du bien-fondé de l’argument de la requérante, il doit être rappelé que l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 constitue une base juridique habilitant la Commission à procéder à un entretien avec une personne physique ou morale dans le cadre d’une enquête (arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 86).
183 Il ressort du libellé même de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 que ce dernier a vocation à s’appliquer à tout entretien visant la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête. En effet, aucun élément tiré du libellé de cette disposition ou du but qu’elle poursuit ne permet d’inférer que le législateur ait entendu exclure du champ d’application de ladite disposition certains de ces entretiens (arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, points 84 et 87).
184 En effet, ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires du règlement no 1/2003, ladite base juridique vise le simple fait d’entendre une personne physique ou morale afin de recueillir des informations [voir la proposition de règlement du Conseil relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 [CE] et modifiant les règlements (CEE) no 1017/68, (CEE) no 2988/74, (CEE) no 4056/86 et (CEE) no 3975/87 [COM(2000) 582 final, JO 2000, C 365 E, p. 284]].
185 Par conséquent, la circonstance que les entretiens que la Commission a eus avec des tiers aient pu prendre la forme de réunions ou de conférences téléphoniques n’est pas susceptible de les extraire du champ d’application de l’article 19 du règlement no 1/2003, dès lors qu’ils visent à collecter des informations relatives à l’objet d’une enquête.
186 En l’espèce, contrairement à ce qui est suggéré par la Commission, un ensemble d’éléments concordants démontre que la réunion et les conférences téléphoniques en cause visaient à collecter des informations relatives à l’objet de l’enquête ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée.
187 D’une part, d’un point de vue formel, la réunion et les conférences téléphoniques en cause se sont tenues après que la Commission a commencé l’enquête en août 2014 (considérant 8 de la décision attaquée) et, notamment, après l’envoi des premières demandes de renseignements visées aux points 6 et 15 ci-dessus. Par ailleurs, les notes rédigées par la Commission portent toutes la référence de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée, à savoir « AT.40220 ». De plus, les échanges que la Commission a eus avec la requérante lorsqu’elle lui a transmis lesdites notes (point 171 ci-dessus) portent cette même référence et se réfèrent expressément aux « réunions ou entretiens qui ont eu lieu dans le contexte de l’affaire AT.40220 ».
188 D’autre part, d’un point de vue matériel, lesdites notes indiquent toutes que la réunion et les conférences téléphoniques en cause ont porté sur le marché des chipsets, sur la position de la requérante sur ce marché ou sur certaines pratiques commerciales de la requérante sur ce marché. Plus précisément, la note de la réunion avec [confidentiel] du [confidentiel] indique qu’elle a porté sur le marché des chipsets et sur la position de la requérante sur ce marché ; la note de la conférence téléphonique avec [confidentiel] du [confidentiel] indique qu’elle a porté sur certaines pratiques commerciales de la requérante dans le secteur des chipsets et qu’aucune preuve concrète n’a été fournie pendant la conférence téléphonique ; la note de la conférence téléphonique avec [confidentiel] du [confidentiel] indique qu’elle a porté sur le marché des chipsets et sur certaines pratiques commerciales de la requérante ; et la note de la conférence téléphonique avec [confidentiel] du [confidentiel] indique qu’elle a porté sur le marché des chipsets.
189 Dès lors que la réunion avec [confidentiel] et les conférences téléphoniques avec [confidentiel], [confidentiel] et [confidentiel] visaient à collecter des informations relatives à l’objet de l’enquête, en ce qui concerne le marché pertinent, la position de la requérante sur ce marché ou les pratiques commerciales de la requérante sur ce marché, elles tombaient dans le champ d’application de l’article 19 du règlement no 1/2003.
190 Or, lorsqu’elle mène un entretien, au titre de l’article 19 du règlement no 1/2003, aux fins de collecter des informations relatives à l’objet d’une enquête, la Commission a une obligation d’enregistrer, sous la forme de son choix, un tel entretien. À cet effet, il n’est pas suffisant que la Commission procède à un bref résumé des sujets abordés au cours de l’entretien. Elle doit être en mesure de fournir une indication de la teneur des discussions qui se sont tenues lors de l’entretien, en particulier de la nature des renseignements fournis pendant l’entretien sur les sujets abordés (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, points 91 et 92).
191 En l’espèce, les notes transmises par la Commission à la requérante après l’adoption de la décision attaquée se limitent à mentionner, outre la date et les noms des participants, une indication très générale – tenant, en substance, sur deux à trois lignes – des sujets abordés, à savoir le marché des chipsets, la position de la requérante sur ce marché ou les pratiques commerciales de la requérante sur ce marché. En revanche, ces notes ne fournissent aucune indication sur la teneur des discussions qui se sont tenues lors des entretiens, en particulier sur la nature des renseignements fournis sur les sujets abordés, tel que le requiert la jurisprudence rappelée au point 190 ci-dessus.
192 Par ailleurs, le caractère lacunaire desdites notes est illustré avec acuité par deux circonstances mises en exergue par la requérante.
193 D’une part, la note relative à la conférence téléphonique avec [confidentiel] indique que ce tiers aurait fourni son « point de vue » sur « certaines pratiques commerciales de la requérante dans le secteur des chipsets » et qu’aucune « preuve concrète » n’aurait été fournie. Or, ainsi que le souligne à juste titre la requérante, une telle note soulève des interrogations sur la teneur des discussions ayant eu lieu entre la Commission et le tiers, sur les renseignements que ce dernier aurait fournis et sur l’absence de « preuve » – de surcroît « concrète » – concernant ces renseignements. Une telle note ne permet donc pas de comprendre les renseignements qu’[confidentiel] aurait transmis à la Commission sans fournir de preuve concrète et laisse ainsi la requérante en méconnaissance des éléments évoqués lors de cette conférence téléphonique et, en particulier, de la possibilité que ce tiers, à savoir [confidentiel], ait évoqué des éléments à charge, ou bien à décharge, sans fournir aucune preuve concrète.
194 D’autre part, la note relative à la réunion avec [confidentiel] indique que celle-ci aurait porté sur le marché des chipsets et sur la position de la requérante sur ce marché. Or, outre le fait qu’une telle description ne permet pas de comprendre les renseignements que [confidentiel] aurait transmis à la Commission à cet égard, force est de constater que cette note ne mentionne pas que, lors de cette réunion, ledit tiers a fait une présentation orale, ni a fortiori le contenu de celle-ci. Une copie de cette présentation a toutefois été transmise par la Commission à la requérante après l’adoption de la décision attaquée, le 2 mars 2018, en réponse à la demande de la requérante du 25 janvier 2018. Il ressort de cette présentation, composée de dix pages, qu’elle concernait spécifiquement l’enquête ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée (ainsi qu’il ressort de la page de garde de cette présentation mentionnant le nom et le numéro de cette procédure), qu’une page était consacrée à la position dominante de la requérante sur le marché des chipsets et que cinq pages étaient consacrées à [confidentiel]. L’absence de mention d’une telle présentation et de son contenu dans la note élaborée par la Commission témoigne de son caractère imprécis.
195 En outre, en sus dudit caractère lacunaire, si les éléments versés aux débats indiquent que les documents contenant lesdites notes ont été élaborés par la Commission respectivement aux dates des conférences téléphoniques ou peu après la date de la réunion, ils révèlent également que ces notes n’étaient pas complètes à ces dates et qu’elles ont été complétées ou finalisées par la suite, après l’adoption de la décision attaquée. En effet, la Commission, après avoir été sollicitée par la requérante le 25 janvier 2018 et donc environ trois ans après la date desdits entretiens, d’une part, a contacté [confidentiel] pour obtenir une copie de la présentation que ce tiers avait faite lors de la réunion et, d’autre part, a contacté [confidentiel], [confidentiel] et [confidentiel] pour confirmer le contenu des notes qu’elle avait préparées des conférences téléphoniques, [confidentiel] ayant même proposé des modifications dans la note, lesquelles ont été acceptées par la Commission. Il ressort d’ailleurs des éléments versés aux débats que la précision selon laquelle « aucune preuve concrète n’a été fournie pendant la conférence téléphonique » ne figurait pas dans une première version de la note et qu’elle aurait été ajoutée suivant ledit échange entre la Commission et [confidentiel].
196 Il s’ensuit que, en violation de l’article 19 du règlement no 1/2003, la Commission n’a pas dûment enregistré les entretiens qu’elle a eus avec [confidentiel], [confidentiel], [confidentiel] et [confidentiel].
197 De surcroît, dans la mesure où la requérante invoque également que la Commission aurait omis de lui communiquer les notes des entretiens en cause, d’une part, il y a lieu d’observer que, ainsi que l’a expliqué la Commission devant le Tribunal, la note de la réunion avec [confidentiel] avait été enregistrée dans le dossier de l’affaire le [confidentiel] comme document non accessible, à savoir comme document interne à la Commission, et sans copie de la présentation faite par [confidentiel] lors de ladite réunion. D’autre part, les notes des conférences téléphoniques avec [confidentiel], [confidentiel] et [confidentiel] n’avaient pas été enregistrées dans le dossier de l’affaire.
198 Quelles qu’en soient les raisons, il est donc constant que la requérante n’a reçu aucune information sur l’existence et la portée de ces entretiens au cours de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée. Elles ne sont pas non plus mentionnées dans la description de la procédure administrative contenue dans la décision attaquée.
199 À cet égard, il suffit de relever que, s’il est certes permis d’exclure de la procédure administrative les éléments qui n’ont aucun rapport avec les allégations de fait et de droit figurant dans la communication des griefs et qui ne sont par conséquent d’aucune pertinence pour l’enquête, il ne saurait appartenir à la seule Commission de déterminer les éléments utiles à la défense de l’entreprise concernée (arrêts du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 126, et du 16 juin 2011, FMC Foret/Commission, T‑191/06, EU:T:2011:277, point 306). Dans cette perspective, il doit être observé que l’enregistrement d’entretiens visant à collecter des informations sur l’objet de l’enquête et donc relevant de l’article 19 du règlement no 1/2003, tels que les entretiens en cause, ne saurait être omis du dossier de l’affaire.
200 Si la Commission fait valoir que l’omission de communiquer ces informations ou ces notes à la requérante aurait été due à une simple « inadvertance » et qu’elle aurait communiqué celles-ci dès qu’elle s’en serait aperçue après la demande de la requérante du 25 janvier 2018, de telles circonstances, postérieures à l’adoption de la décision attaquée, ne sont pas susceptibles de remédier à l’irrégularité procédurale commise par la Commission. En effet, d’une part, les notes transmises par la Commission à la requérante, compte tenu de leur caractère lacunaire, ne remédient pas à l’absence d’enregistrement au sens de l’article 19 du règlement no 1/2003, dès lors qu’elles ne font pas état des informations recueillies lors des entretiens en cause. D’autre part, il convient de rappeler que la prise de connaissance tardive, après l’adoption d’une décision, de certains éléments qui auraient dû figurer au dossier de l’affaire ne replace pas nécessairement l’entreprise dans la situation qui aurait été la sienne si elle avait pu s’appuyer sur les mêmes éléments pour présenter ses observations écrites et orales devant la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2011, Solvay/Commission, C‑109/10 P, EU:C:2011:686, point 56).
201 Il découle de tout ce qui précède que, s’agissant de la réunion avec [confidentiel] et des conférences téléphoniques avec [confidentiel], [confidentiel] et [confidentiel], la Commission a manqué aux obligations d’enregistrement découlant de l’article 19 du règlement no 1/2003 ainsi que, par conséquence, d’inclure un enregistrement desdits entretiens dans le dossier de l’affaire.
3) Sur la violation des droits de la défense
202 S’agissant des conséquences qu’il convient de tirer du constat opéré au point 201 ci-dessus, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 160 et 161 ci-dessus, il y a lieu de déterminer si, compte tenu des circonstances de fait et de droit spécifiques de la présente affaire, la requérante a démontré à suffisance qu’elle aurait pu mieux assurer sa défense en l’absence de ladite irrégularité procédurale.
203 Il convient de commencer par relever que, compte tenu de l’identité des tiers en cause, du contenu des notes produites par la Commission et du contenu de la décision attaquée, la requérante a mis en exergue que ces tiers auraient pu fournir des informations qui auraient pu aider sa défense, en ce qui concerne notamment la définition du marché pertinent, les rapports de force sur ce marché et la position dominante, l’effet d’éviction et les gains d’efficacité. À cet effet, la requérante a produit devant le Tribunal une annexe à la requête (annexe A.9.7) visant à préciser les aspects qui auraient pu être discutés lors desdits entretiens et comment ces éléments auraient pu aider sa défense. La Commission, tout en contestant préalablement la recevabilité de cette annexe, a réfuté son contenu dans une annexe à la défense (annexe B.5). Les parties ont ensuite poursuivi leurs échanges à ce sujet dans une annexe à la réplique (annexe C.12) et une annexe à la duplique (annexe D.9).
204 En premier lieu, il convient de rappeler que la décision attaquée fait grief à la requérante d’avoir réduit, à travers sa conduite consistant en des paiements d’exclusivité, les incitations d’Apple à se tourner vers ses concurrents sur le marché des chipsets LTE (sections 11.4.1 et 11.4.2 de la décision attaquée). À ce dernier égard, dans la décision attaquée, la Commission se réfère expressément à [confidentiel] et mentionne également [confidentiel].
205 Ainsi, les tiers entendus par la Commission dans le cadre des entretiens en cause étaient deux des concurrents de la requérante soi-disant évincés par le comportement de celle-ci ([confidentiel] et [confidentiel]) et deux OEM s’approvisionnant en chipsets LTE, c’est-à-dire des concurrents du client de la requérante ayant reçu les paiements concernés ([confidentiel] et [confidentiel]).
206 En second lieu, d’une part, il est constant que la requérante – tout comme le Tribunal – ne dispose d’aucune indication précise sur les informations recueillies par la Commission lors des entretiens en cause, même si ces entretiens concernaient l’objet de l’enquête ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée et que, ainsi qu’il vient d’être relevé, les tiers en cause incluaient les concurrents de la requérante soi-disant évincés par le comportement de celle-ci, dont notamment [confidentiel], à savoir [confidentiel].
207 En effet, aucun document figurant dans le dossier de l’affaire et portant sur lesdits entretiens ne permet de reconstituer avec certitude les informations précises relatives à l’objet de l’enquête fournies par les tiers en cause lors de ces entretiens et dans quelle mesure leur teneur aurait pu constituer un élément à décharge, à charge, voire un élément neutre.
208 À cet égard, s’agissant des conférences téléphoniques avec [confidentiel], [confidentiel] et [confidentiel], il est spéculatif de prétendre, comme le fait la Commission, qu’il serait « plausible » que les informations fournies par ces tiers auraient été analogues à celles fournies dans leurs réponses à certaines demandes de renseignements et qu’elles n’incluaient donc aucun potentiel élément à décharge. Tout d’abord, les notes des entretiens en cause ne contiennent aucune référence à aucun autre document, y compris aux réponses données à des demandes de renseignements. Leur contenu ne peut donc pas être reconstitué à partir d’autres sources figurant dans le dossier de l’affaire. Ensuite, la circonstance que ces tiers, environ trois ans après la tenue desdits entretiens et après l’adoption de la décision attaquée, ont confirmé par courriel à la Commission, à la suite de sa demande et ce afin de répondre à la demande de la requérante du 25 janvier 2018, que le contenu de ces entretiens « se reflétait » dans leurs réponses à certaines demandes de renseignements ne permet d’en déduire aucune conclusion certaine sur la teneur de ces discussions, en particulier sur la nature précise des renseignements fournis sur les sujets abordés.
209 S’agissant de la réunion avec [confidentiel], contrairement à ce qui est suggéré par la Commission, la présentation que ce tiers a faite lors de ladite réunion n’exclut nullement que des aspects autres que ceux mentionnés dans cette présentation aient fait l’objet de discussion, dès lors que ladite présentation n’est pas mentionnée dans la note de la réunion et que le contenu de ladite présentation ne correspond que pour une seule page aux sujets mentionnés dans cette note. En tout état de cause, à supposer même que la présentation de [confidentiel] puisse être considérée comme reflétant exhaustivement le contenu de cette réunion et comme permettant d’exclure que ce tiers ait pu fournir des éléments utiles à la défense de la requérante, cela n’affecterait pas les constats opérés pour les entretiens avec [confidentiel], [confidentiel] et [confidentiel].
210 D’autre part, toutefois, compte tenu des circonstances rappelées aux points 204 et 205 ci-dessus, plusieurs éléments versés aux débats par la requérante tendent à fournir un commencement de preuve corroborant sa thèse selon laquelle les informations que la Commission et [confidentiel], [confidentiel], [confidentiel] et [confidentiel] auraient pu échanger lors des entretiens en cause auraient pu lui permettre de mieux assurer sa défense.
211 Tout d’abord, ainsi qu’il ressort des notes et de la présentation produites par la requérante, il est constant que lesdits entretiens portaient tous, dans le cadre de l’enquête ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée, sur le marché des chipsets, sur la position de la requérante sur ce marché ou sur les pratiques commerciales de la requérante sur ce marché. En particulier, il ressort expressément des notes de deux desdits entretiens, à savoir de l’entretien avec [confidentiel] et de l’entretien avec [confidentiel], que les pratiques commerciales de la requérante ont fait l’objet de discussions entre la Commission et ces tiers. Bien que les notes des deux autres entretiens ne fassent pas référence aux pratiques commerciales de la requérante, il est peu crédible que, lors de l’entretien mené avec [confidentiel] le même jour que l’entretien avec [confidentiel], la Commission n’ait pas cherché à recueillir aussi auprès de l’un des concurrents soi-disant évincés des informations sur les pratiques commerciales de la requérante visées par son enquête. En outre, ainsi qu’il ressort de la présentation transmise par la Commission à la requérante, la réunion avec [confidentiel] portait aussi sur les pratiques commerciales de la requérante sur le marché des chipsets. À supposer même que ce tiers ait fourni des informations concernant [confidentiel], il est également peu crédible que la Commission n’ait pas cherché à recueillir des informations sur les pratiques de la requérante visées par son enquête.
212 Par conséquent, dans de telles circonstances, ainsi que le fait valoir la requérante, il y a lieu de considérer que les informations recueillies par la Commission auprès de ces tiers lors des entretiens en cause, et particulièrement auprès des concurrents soi-disant évincés, auraient pu être pertinentes pour sa défense.
213 Ensuite, à titre surabondant, il convient de relever que, dans les tableaux contenus à l’annexe A.9.7, eu égard au contenu de la décision attaquée et aux circonstances spécifiques de la présente affaire, la requérante a mis en exergue le fait que la Commission aurait pu discuter de certains aspects précis avec les tiers en cause.
214 À cet égard, à titre liminaire, il y a lieu d’observer que, contrairement à ce qui est soutenu par la Commission, l’annexe A.9.7 de la requête produite par la requérante ne saurait être considérée comme étant irrecevable. En effet, elle vise à étayer de manière schématique, sous forme de tableaux, les arguments présentés dans la requête en relation avec chacun des entretiens en cause par rapport au contenu de chaque note. De surcroît, l’ampleur des échanges qui ont eu lieu à cet égard entre les parties, contenus dans des tableaux produits en annexe B.5 à la défense, en annexe C.12 à la réplique et en annexe D.9 à la duplique, totalisant un nombre important de pages, démontre l’opportunité que de tels tableaux aient été produits dans des annexes et non reproduits dans le corps des écritures principales.
215 En l’espèce, les précisions apportées par la requérante visent certains aspects qu’elle estime pertinents pour sa défense.
216 Premièrement, la requérante a mis en évidence que la conférence téléphonique avec [confidentiel] aurait notamment pu porter sur la capacité d’[confidentiel] à approvisionner Apple en chipsets LTE pour les iPhones et les iPads pendant la période concernée, sur les raisons et la pertinence de l’absence de chipsets LTE intégrés concurrentiels d’[confidentiel], sur la nature et la portée des investissements nécessaires pour satisfaire les exigences d’Apple et la protection contractuelle afférente et sur [confidentiel] ainsi que sur l’éventuelle absence d’objections de la part d’[confidentiel] à l’égard des accords concernés ou de plainte [confidentiel], ce qui aurait constitué un élément à décharge. Selon la requérante, dans la mesure où, suivant la décision attaquée, [confidentiel] était [confidentiel], toute indication fournie par [confidentiel] aurait été d’une pertinence certaine pour la défense de la requérante.
217 Deuxièmement, la requérante a mis en évidence que la conférence téléphonique avec [confidentiel] aurait notamment pu porter sur les caractéristiques comparatives de ses chipsets LTE et de celles d’[confidentiel] et d’[confidentiel], sur les exigences d’Apple vis-à-vis de ses fournisseurs potentiels, sur la nature et la portée des investissements spécifiques nécessaires pour Apple et la protection contractuelle afférente et sur les dynamiques du marché et les raisons de [confidentiel]. Selon la requérante, dans la mesure où, suivant la décision attaquée, les chipsets LTE d’[confidentiel] avaient été considérés par Apple comme étant des alternatives concurrentielles potentielles aux chipsets de la requérante pour certains modèles d’iPads, toute indication fournie par [confidentiel] aurait été d’une pertinence certaine pour la défense de la requérante.
218 Troisièmement, la requérante a mis en évidence que la réunion avec [confidentiel] et la conférence téléphonique avec [confidentiel] auraient notamment pu porter sur les exigences d’Apple vis-à-vis de ses fournisseurs par rapport à celles d’autres OEM et sur les caractéristiques comparatives de ses chipsets et de celles de ses concurrents.
219 Afin de réfuter les arguments de la requérante, la Commission a indiqué, en annexe B.5 à la défense, que les réponses d’[confidentiel] aux demandes de renseignements du [confidentiel] et du [confidentiel] confirmeraient qu’une note de la conférence téléphonique avec [confidentiel] n’aurait révélé aucun élément à décharge s’agissant des aspects évoqués par la requérante, au motif que, dans lesdites réponses, [confidentiel] n’aurait fourni aucune information à ces égards. La Commission a développé un argumentaire identique s’agissant des aspects évoqués par la requérante en relation avec [confidentiel], en s’appuyant sur les réponses de ce tiers aux demandes de renseignements du [confidentiel] et du [confidentiel], s’agissant des aspects évoqués par la requérante en relation avec [confidentiel], en s’appuyant sur la présentation faite par ce tiers lors de la réunion en cause, et s’agissant des aspects évoqués par la requérante en relation avec [confidentiel], en s’appuyant sur les réponses de ce tiers aux demandes de renseignements des [confidentiel] et [confidentiel] et du [confidentiel].
220 D’emblée, dans la mesure où la Commission renvoie aux réponses d’[confidentiel], de [confidentiel] et d’[confidentiel] aux demandes de renseignements et à la présentation de [confidentiel] pour soutenir que ces tiers n’auraient pas fait état d’éléments à décharge, il suffit de relever que de tels arguments doivent être écartés pour les raisons mentionnées aux points 208 et 209 ci-dessus.
221 En revanche, contrairement à ce qui est suggéré par la Commission, dans les circonstances spécifiques de la présente affaire, les précisions apportées par la requérante en annexe à la requête tendent à démontrer de manière concrète que les entretiens que la Commission a eus avec les tiers en cause auraient pu porter sur des éléments tels que ceux évoqués aux points 216 à 218 ci-dessus, lesquels, le cas échéant, auraient pu aider la requérante à mieux se défendre en ce qui concerne notamment les effets et les justifications de son comportement sur le marché des chipsets LTE.
222 Enfin, à titre encore plus surabondant, ainsi que l’indique la Commission, il convient de constater que, dans les sections 11.4.1 et 11.4.2 de la décision attaquée, en sus des informations fournies par la requérante elle-même, la Commission s’est référée uniquement à des informations et à des documents émanant d’Apple. En revanche, dans lesdites sections de la décision attaquée, la Commission ne s’est référée à aucun élément qui aurait été fourni par [confidentiel], [confidentiel], [confidentiel] et [confidentiel], et particulièrement par les concurrents soi-disant évincés de la requérante. En effet, des éléments d’information fournis par certains de ces tiers ([confidentiel], [confidentiel] et [confidentiel]) ne sont mentionnés que dans la sous-section 11.4.4 de la décision attaquée (considérants 475, 476 et 478) afin d’étayer la thèse selon laquelle Apple serait un « client intéressant ».
223 Toutefois, un tel constat, dans les circonstances spécifiques de la présente affaire, loin de conduire à exclure une atteinte aux droits de la défense de la requérante, tend à démontrer que, comme le fait valoir, en substance, la requérante, la connaissance du contenu des entretiens en cause aurait pu s’avérer utile pour sa défense. En effet, la connaissance de la circonstance que lesdits tiers, et en particulier les concurrents de la requérante soi-disant évincés par le comportement de celle-ci ([confidentiel] et [confidentiel]), n’auraient fait état d’aucun élément à charge susceptible de corroborer l’effet d’éviction reproché par la Commission lorsqu’ils ont été entendus dans le cadre de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée aurait pu permettre à la requérante de mettre sous un jour différent le comportement qui lui était reproché et d’étayer différemment sa défense.
224 Il résulte de tout ce qui précède que, eu égard aux circonstances de fait et de droit spécifiques de la présente affaire, dans la mesure où la Commission n’a pas dûment enregistré les entretiens en cause et où la requérante ou ses représentants n’ont reçu aucune information sur l’existence même de ces entretiens si ce n’est qu’après l’adoption de la décision attaquée et avant l’introduction du présent recours, la Commission a violé les droits de la défense de la requérante. En effet, les éléments versés aux débats par la requérante tendent à démontrer que les entretiens avec [confidentiel] et [confidentiel], à savoir deux des concurrents de la requérante soi-disant évincés, et avec [confidentiel] et [confidentiel], à savoir deux OEM s’approvisionnant en chipsets LTE, auraient pu faire état d’informations essentielles pour la suite de la procédure qui auraient pu être pertinentes pour la requérante, en lui permettant de pouvoir mieux assurer sa défense.
225 Compte tenu de cette violation des droits de la défense de la requérante, il y a lieu d’accueillir la troisième branche du premier moyen du recours en ce qu’elle vise la réunion avec [confidentiel] et les conférences téléphoniques avec [confidentiel], [confidentiel] et [confidentiel] pour lesquelles des informations ont été communiquées à la requérante avant l’introduction du présent recours.
226 Dans les circonstances de la présente affaire, il convient de poursuivre l’examen de la présente branche en ce qui concerne la réunion et la conférence téléphonique avec un tiers pour lesquelles des informations ont été communiquées à la requérante au cours de la présente procédure en réponse aux arguments fondés sur les preuves supplémentaires du 26 juillet 2019.
b) Sur la conférence téléphonique et la réunion avec un tiers pour lesquelles des informations ont été communiquées à la requérante au cours de la présente procédure en réponse aux arguments fondés sur les preuves supplémentaires du 26 juillet 2019
1) Rappel des éléments de contexte
227 Il ressort des éléments versés aux débats que, à la suite de la réponse de la Commission du 2 mars 2018 communiquant à la requérante des informations sur l’existence de la réunion avec [confidentiel] et des conférences téléphoniques avec [confidentiel], [confidentiel] et [confidentiel], par courriel du 5 mars 2018, la requérante a demandé à la Commission de lui confirmer qu’elle n’avait pas rencontré [confidentiel] formellement ou informellement. Par courriel du 13 mars 2018, la Commission a réitéré que, suivant la demande de la requérante du 25 janvier 2018, elle avait vérifié si elle avait omis par inadvertance de l’informer de « toute réunion ou [tout] entretien » qui avait eu lieu « dans le contexte de l’affaire AT.40220 » et qu’elle lui avait fourni les informations à cet égard dans son courriel du 2 mars 2018 pour des raisons de bonne administration. La Commission a ajouté que, la décision attaquée ayant été adoptée, elle n’allait plus répondre à ce type de question.
228 Les réponses que la Commission a données à la requérante les 2 et 13 mars 2018 pouvaient laisser penser que les indications fournies en relation avec les réunions ou conférences téléphoniques avec les tiers étaient exhaustives et que, par conséquent, la Commission n’avait pas eu de réunions ou de conférences téléphoniques avec [confidentiel], mais uniquement avec [confidentiel], [confidentiel], [confidentiel] et [confidentiel].
229 Dans la requête, la requérante a toutefois fait valoir qu’elle ne disposait d’aucune indication explicite confirmant ou infirmant l’existence et la portée d’éventuelles réunions ou conférences téléphoniques entre la Commission et [confidentiel].
230 Or, ni dans le mémoire en défense ni dans la duplique, la Commission n’a infirmé ou confirmé l’existence de telles réunions ou conférences téléphoniques.
231 Ce n’est qu’à la suite de la production par la requérante des preuves supplémentaires du 26 juillet 2019 que la Commission, dans le cadre de ses observations du 30 octobre 2019 sur lesdites preuves, a fait état de l’existence d’une conférence téléphonique avec [confidentiel] le [confidentiel] et d’une réunion avec [confidentiel] le [confidentiel], tout en indiquant expressément qu’elle ne disposait ni de notes ni de comptes rendus de cette conférence téléphonique et de cette réunion.
232 La Commission ayant toutefois indiqué qu’elle était disposée à fournir davantage d’informations sur le contexte de la conférence téléphonique avec [confidentiel] du [confidentiel] dans le cadre de mesures d’instruction, le Tribunal a adopté de telles mesures visant à obtenir ces informations. Le traitement de la réponse de la Commission à ces mesures d’instruction a donné lieu aux développements procéduraux repris aux points 78 à 92 ci-dessus.
233 À cet égard, d’une part, il doit être relevé que la conférence téléphonique et la réunion avec [confidentiel] ont eu lieu avant la communication des griefs et après l’envoi des premières demandes de renseignements visées au point 15 ci-dessus. D’autre part, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, ce tiers [confidentiel], et a répondu à certaines desdites demandes de renseignements.
234 Toutefois, [confidentiel] a une position particulière dans le cadre de la décision attaquée. En effet, plusieurs éléments témoignent de l’importance de ce tiers dans l’économie de la décision attaquée : [confidentiel]. Par ailleurs, sur le plan procédural, ce tiers [confidentiel].
2) Sur l’existence d’une irrégularité procédurale
235 Les arguments présentés par la requérante visent à soutenir que la Commission aurait manqué à ses obligations de l’informer de ladite conférence téléphonique et de ladite réunion et de prendre des notes de celles-ci.
236 La Commission, lorsque leur existence n’avait pas encore été confirmée (au stade du mémoire en défense et de la duplique), a fait valoir que la requérante n’avait pas démontré que de telles informations auraient été pertinentes. Par la suite, après avoir admis leur existence (au stade des observations sur les preuves supplémentaires du 26 juillet 2019), elle a fait valoir, d’une part, que la requérante n’avait pas démontré que l’absence regrettable de notes de la conférence téléphonique du [confidentiel] lui avait été préjudiciable et, d’autre part, que la réunion du [confidentiel] concernait des aspects généraux plutôt que l’affaire AT.40220.
237 D’emblée, s’agissant des notes de la conférence téléphonique et de la réunion en cause, il est constant, ainsi que la Commission l’a admis dans ses observations sur les preuves supplémentaires du 26 juillet 2019, qu’elle n’a pris aucune note ni de la conférence téléphonique du [confidentiel] ni de la réunion du [confidentiel]. La Commission admet d’ailleurs également que l’absence de notes de la conférence téléphonique du [confidentiel] constitue un manquement regrettable de sa part.
238 En tout état de cause, dans la mesure où les arguments de la Commission devraient être compris comme suggérant que la conférence téléphonique et la réunion en cause n’étaient pas sujettes aux obligations d’enregistrement découlant de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, invoquées par la requérante dans la requête, il suffit de relever qu’il ressort des éléments versés aux débats que tant la conférence téléphonique du [confidentiel] que la réunion du [confidentiel] – en sus du fait qu’elles se sont tenues après que la Commission a commencé l’enquête en août 2014 (considérant 8 de la décision attaquée) et, notamment, après l’envoi des premières demandes de renseignements visées au point 15 ci-dessus – visaient à collecter des informations relatives à l’objet de l’enquête ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée.
239 S’agissant, d’une part, de la conférence téléphonique avec [confidentiel] du [confidentiel], la version non confidentielle du document contenant l’inscription, dans un calendrier électronique, de cette conférence téléphonique, produit par la Commission le 26 avril 2021 en réponse à la mesure d’instruction du 12 octobre 2020, contient dans le champ relatif à son « objet » une référence au nom de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée, à savoir « Sapphire ». En outre, dans ses observations sur les preuves supplémentaires du 26 juillet 2019 et dans la version non confidentielle de l’acte du 19 novembre 2020, la Commission elle-même a expliqué que ladite conférence téléphonique visait à recueillir des informations sur la définition du marché et sur les dynamiques du marché visé par ladite procédure, et ce dans la perspective de disposer d’un aperçu de base de ce marché et de préparer des questions utiles à inclure dans les demandes de renseignements. Il en découle que ladite conférence téléphonique visait à collecter des informations relatives à l’objet de l’enquête ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée.
240 S’agissant, d’autre part, de la réunion avec [confidentiel] du [confidentiel], la Commission a indiqué qu’elle visait à évoquer des aspects généraux de droit de la concurrence et les pratiques de la requérante en matière de brevets. L’échange de courriels concernant l’organisation de cette réunion produit par la Commission en réponse aux mesures d’organisation de la procédure du 8 octobre 2020 confirme effectivement qu’[confidentiel] en avait demandé la tenue afin de discuter « [d]es questions actuelles de concurrence et de propriété intellectuelle ». Toutefois, cette indication n’exclut nullement que l’objet de l’enquête ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée ait pu être discuté. La Commission elle-même a expliqué que, lors de cette réunion, [confidentiel] a soutenu que certaines pratiques de la requérante en matière de propriété intellectuelle auraient dû être incluses dans le champ de ladite enquête. Partant, dans la mesure où la portée de l’enquête ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée a été expressément évoquée par le tiers afin de l’élargir, force est de constater que cette réunion portait aussi, totalement ou en partie, sur des informations relatives à l’objet de ladite enquête.
241 Par ailleurs, ce dernier constat est corroboré par les preuves supplémentaires du 26 juillet 2019.
242 Une première présentation d’[confidentiel] du [confidentiel] concernant la requérante et précédant la réunion du [confidentiel], produite par la requérante dans le cadre des preuves supplémentaires du 26 juillet 2019, indique expressément qu’[confidentiel] prévoyait d’avoir une réunion avec la Commission la semaine du [confidentiel] sur les enquêtes de cette dernière visant la requérante concernant, d’une part, les « rabais de fidélité », à savoir les incitations offertes aux clients pour acheter exclusivement les chipsets de la requérante, et, d’autre part, [confidentiel]. Cette même présentation indiquait, s’agissant desdits « rabais de fidélité », que [confidentiel] et soulevait la question de savoir [confidentiel]. De plus, ladite présentation contenait une page concernant [confidentiel], indiquant que [confidentiel].
243 Une seconde présentation d’[confidentiel] du [confidentiel] concernant la requérante et suivant la réunion du [confidentiel], produite par la requérante dans le cadre des preuves supplémentaires du 26 juillet 2019, d’une part, faisait le point sur l’enquête de la Commission, en indiquant que la communication des griefs était imminente et que la Commission avait rencontré la requérante le [confidentiel], que cette enquête concernait les rabais de fidélité et les conditions d’exclusivité, qu’elle était [confidentiel] et qu’il était [confidentiel]. D’autre part, après avoir décrit [confidentiel], ladite présentation indiquait qu’il y avait plusieurs [confidentiel], à savoir [confidentiel] selon lesquels [confidentiel], et qu’une amende significative de plus ou moins un milliard d’USD était probable.
244 Ces présentations d’[confidentiel] précédant et suivant la réunion que ce tiers a eue avec la Commission le [confidentiel] ne font que corroborer le constat que, lors de cette réunion, la Commission et ce tiers ont discuté des informations relatives à l’objet de l’enquête ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée.
245 Dès lors que la conférence téléphonique et la réunion avec [confidentiel] visaient à collecter des informations relatives à l’objet de l’enquête ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée, en ce qui concerne notamment les dynamiques du marché, la portée de l’enquête, et même certains arguments de défense de la requérante, elles tombaient dans le champ d’application de l’article 19 du règlement no 1/2003.
246 Or, en l’espèce, ainsi qu’il a été relevé au point 237 ci-dessus, il est constant que la Commission n’a procédé à aucun enregistrement des entretiens en cause.
247 Par ailleurs, un tel manquement se concilie difficilement avec les documents produits par la requérante dans le cadre des preuves supplémentaires du 26 juillet 2019, lesquels révèlent que, pour sa part, le tiers rencontré par la Commission avait d’abord préparé et ensuite assuré un suivi interne de la réunion du [confidentiel] (voir points 242 et 243 ci-dessus), ce qui en corrobore l’importance dans le cadre de l’enquête ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée.
248 Il s’ensuit que, en violation de l’article 19 du règlement no 1/2003, la Commission n’a pas dûment enregistré les entretiens qu’elle a eus avec [confidentiel].
249 De surcroît, dans la mesure où la requérante invoque également que la Commission aurait omis de l’informer des entretiens en cause, il y a lieu de rappeler que, au cours de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée, la Commission n’a effectivement pas fait état des entretiens qu’elle avait eus avec [confidentiel]. Or, ainsi qu’il ressort du point 199 ci-dessus, la Commission ne saurait omettre d’inclure dans le dossier de l’affaire un enregistrement d’entretiens tels que ceux qu’elle a eus avec [confidentiel].
250 Par ailleurs, cette violation ne saurait être régularisée du simple fait que la Commission a fourni certaines informations sur les entretiens qu’elle avait eus avec [confidentiel] au cours de la présente procédure. En effet, le contrôle juridictionnel des moyens soulevés opéré par le Tribunal n’a ni pour objet ni pour effet de remplacer une instruction complète de l’affaire dans le cadre d’une procédure administrative (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2011, Solvay/Commission, C‑109/10 P, EU:C:2011:686, point 56). En outre, d’une part, dans le cadre de la présente procédure, la Commission n’a produit aucun enregistrement faisant état des informations recueillies lors des entretiens en cause. D’autre part, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 200 ci-dessus, la prise de connaissance tardive de certains éléments qui auraient dû figurer au dossier de l’affaire ne replace pas l’entreprise, qui a introduit un recours à l’encontre d’une décision de la Commission, dans la situation qui aurait été la sienne si elle avait pu s’appuyer sur ces éléments pour présenter ses observations écrites et orales devant cette institution.
251 Il découle de tout ce qui précède que, s’agissant de la conférence téléphonique et de la réunion avec [confidentiel], la Commission a manqué aux obligations d’enregistrement découlant de l’article 19 du règlement no 1/2003 ainsi que, par conséquent, d’inclure un enregistrement desdits entretiens dans le dossier de l’affaire.
3) Sur la violation des droits de la défense
252 S’agissant des conséquences qu’il convient de tirer du constat opéré au point 251 ci-dessus, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 160 et 161 ci-dessus, il y a lieu de déterminer si, compte tenu des circonstances de fait et de droit spécifiques de la présente affaire, la requérante a démontré à suffisance qu’elle aurait pu mieux assurer sa défense en l’absence desdites irrégularités procédurales.
253 À cet effet, il convient de commencer par relever que, compte tenu de l’identité de ce tiers et du contenu de la décision attaquée, la requérante a indiqué qu’il serait d’une pertinence certaine pour sa défense de savoir ce qui a été échangé entre la Commission et ce tiers. En particulier, la requérante a mis en exergue que des notes appropriées de ces entretiens l’auraient aidée sur plusieurs aspects de sa défense, et a fourni des précisions à cet égard en annexe A.9.7 à la requête. Selon la requérante, le fait que ce tiers lui aurait été hostile n’exclut pas qu’il aurait pu fournir des informations utiles à sa défense, soit parce qu’elles auraient pu être à décharge, soit parce qu’elles auraient pu être des informations à charge incomplètes ou incorrectes.
254 En premier lieu, il convient de rappeler que la décision attaquée fait grief à la requérante d’avoir réduit les incitations d’Apple à se tourner vers ses concurrents sur le marché des chipsets LTE (point 204 ci-dessus).
255 Ainsi, le tiers entendu par la Commission dans le cadre des deux entretiens en cause [confidentiel]. Par ailleurs, sur le plan procédural, ce tiers [confidentiel].
256 En second lieu, d’une part, il est constant que la requérante – tout comme le Tribunal – ne dispose d’aucune indication précise sur les informations recueillies par la Commission lors des entretiens en cause, même si ces entretiens concernaient l’objet de l’enquête ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée et que, ainsi qu’il vient d’être relevé, le tiers en cause [confidentiel].
257 En effet, aucun document figurant dans le dossier de l’affaire et portant sur lesdits entretiens ne permet de reconstituer avec certitude les informations relatives à l’objet de l’enquête fournies par le tiers en cause lors de ces entretiens et dans quelle mesure leur teneur aurait pu constituer un élément à décharge, à charge, voire un élément neutre.
258 À cet égard, les arguments de la Commission selon lesquels, s’agissant de la conférence téléphonique du [confidentiel], d’une part, il ne serait pas « plausible » qu’[confidentiel] puisse avoir fourni des éléments à décharge et, d’autre part, il serait « plausible » que les sujets abordés lors de cette conférence téléphonique figurent dans les réponses d’[confidentiel] aux demandes de renseignements sont purement spéculatifs, la Commission s’appuyant sur de pures suppositions et n’ayant pas été en mesure de relater précisément la teneur des éléments fournis par [confidentiel] lors de cet entretien.
259 Ne saurait non plus être retenu l’argument de la Commission selon lequel la requérante n’aurait pas demandé au Tribunal d’auditionner les employés d’[confidentiel] ayant participé à ladite conférence téléphonique, et n’aurait pas contacté directement ces employés pour confirmer s’ils avaient fourni des éléments de preuve à décharge. En effet, outre le fait que la requérante n’a eu connaissance de la matérialité de cette conférence téléphonique qu’à un stade très avancé de la présente procédure et que, au demeurant, la Commission n’a pas précisé l’identité des employés ou représentants d’[confidentiel] y ayant participé, il convient de relever que, en tout état de cause, il n’appartient pas à la requérante – ni d’ailleurs au Tribunal – de conduire des entretiens avec un tiers (ou avec ses employés ou représentants) entendu par la Commission dans le cadre d’une enquête afin d’essayer de déterminer a posteriori les informations qu’il aurait fournies à la Commission afin de pallier une absence d’enregistrement de la part de celle-ci, le respect des obligations découlant de l’article 19 du règlement no 1/2003 incombant à la Commission. Par ailleurs, en l’espèce, la requérante – tout comme le Tribunal – ne dispose d’aucun document permettant de reconstituer les informations fournies par le tiers en cause, à la différence de la situation visée aux points 99 à 101 de l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632), invoqué par la Commission, laquelle se caractérisait par le fait que, dans ladite affaire, l’entreprise requérante avait obtenu, au cours de la procédure administrative, la version non confidentielle d’une note interne établie par la Commission en relation avec l’entretien litigieux et un document de suivi contenant des réponses écrites à des questions orales posées lors dudit entretien.
260 D’autre part, toutefois, compte tenu des circonstances rappelées aux points 254 et 255 ci-dessus, plusieurs éléments versés aux débats par la requérante tendent à fournir un commencement de preuve corroborant sa thèse selon laquelle les informations que la Commission et [confidentiel] auraient pu échanger lors des entretiens en cause auraient pu lui permettre de mieux assurer sa défense.
261 Tout d’abord, comme l’a indiqué la requérante dans l’acte produisant les preuves supplémentaires du 26 juillet 2019, la connaissance des informations fournies par [confidentiel] sur la définition du marché lors de la conférence téléphonique du [confidentiel] aurait pu être utile à sa défense. En effet, comme cela est relevé au point 239 ci-dessus, la Commission elle-même a expliqué que ladite conférence téléphonique visait à clarifier des notions de base sur la définition du marché et sur les dynamiques du marché permettant de préparer des questions utiles à inclure dans le deuxième tour des demandes de renseignements. Il en découle qu’[confidentiel], à un stade précoce de la procédure, aurait contribué à clarifier des notions de base sous-jacentes aux questions que la Commission a posées dans les demandes de renseignements qui ont été adressées par la suite à la requérante, à ses concurrents et à ses clients, sans qu’il soit possible de déterminer les informations concrètement fournies à cet égard et sans que la requérante ait pu présenter des observations sur les notions de base qu’[confidentiel] aurait contribué à clarifier.
262 Ensuite, dans l’acte produisant les preuves supplémentaires du 26 juillet 2019, la requérante a fait valoir, en substance, que la Commission et [confidentiel] auraient échangé au sujet de certains aspects confidentiels de l’enquête, s’agissant [confidentiel]. Dans ses observations sur les preuves supplémentaires du 26 juillet 2019, la Commission a indiqué qu’elle n’avait pas communiqué à [confidentiel] des informations confidentielles, s’agissant en particulier [confidentiel] mentionnés dans la seconde présentation d’[confidentiel] du [confidentiel] (voir point 243 ci-dessus). Toutefois, indépendamment même de la confidentialité de telles informations, il doit être observé que, dans la mesure où, lors de l’entretien du [confidentiel] précédant ladite présentation, la Commission et [confidentiel] auraient échangé au sujet [confidentiel], la connaissance des informations recueillies par la Commission lors de tels échanges aurait pu permettre à la requérante de mieux assurer sa défense.
263 Enfin, en annexe A.9.7 à la requête, la requérante a souligné que les notes relatives aux entretiens que la Commission aurait pu avoir avec [confidentiel] auraient pu aider sa défense afin, d’une part, de démontrer que les accords concernés ne donnaient pas lieu à des effets d’éviction de concurrents aussi efficaces et généraient des gains d’efficacité proconcurrentiels et, d’autre part, de disposer de plus d’informations sur la conclusion de la Commission selon laquelle, en l’absence des accords concernés, [confidentiel].
264 À cet égard, à titre liminaire, dans la mesure où les arguments de la Commission visent à contester la recevabilité de ladite annexe en ce qu’elle concerne les entretiens avec [confidentiel], de tels arguments ne sauraient être retenus. Outre le fait que l’annexe en cause vise à étayer les arguments formulés dans la requête (points 214 et 253 ci-dessus), il doit être rappelé que, en ce qui concerne les entretiens avec [confidentiel], au stade de la requête, la requérante n’avait aucune information sur leur existence. Ainsi, dans les circonstances spécifiques de la présente affaire, il ne saurait lui être reproché d’avoir apporté de telles précisions dans l’annexe à la requête étayant ses arguments en relation avec les réunions et conférences téléphoniques avec les tiers.
265 Ainsi que le fait donc valoir la requérante dans ladite annexe, compte tenu de l’identité du tiers en cause et du contenu de la décision attaquée, la Commission, lors des entretiens en cause, aurait effectivement pu recueillir des informations utiles à sa défense, portant sur les caractéristiques comparatives de ses chipsets et de celles de ses concurrents, sur les exigences d’Apple par rapport à celles d’autres OEM ou encore sur la possibilité pour Apple de s’approvisionner auprès de ses concurrents pour tous ses modèles ou certains d’entre eux. Par ailleurs, au considérant 322 de la décision attaquée, la Commission a constaté, sans fournir aucune précision ou référence, qu’Apple n’avait pas d’alternative technique à la requérante pour ses besoins en chipsets LTE pour les iPhones entre 2011 et 2015.
266 Il résulte de tout ce qui précède que, eu égard aux circonstances de fait et de droit spécifiques de la présente affaire, dans la mesure où la Commission n’a pas rédigé de notes des entretiens en cause et où la requérante ou ses représentants n’ont reçu aucune information sur l’existence même de ces entretiens si ce n’est au cours de la présente procédure en réponse aux arguments fondés sur les preuves supplémentaires du 26 juillet 2019, la Commission a violé les droits de la défense de la requérante. En effet, les éléments versés aux débats par la requérante tendent à démontrer que les entretiens avec [confidentiel], soit [confidentiel], auraient pu faire état d’informations essentielles pour la suite de la procédure qui auraient pu être pertinentes pour la requérante, en lui permettant de pouvoir mieux assurer sa défense.
267 Compte tenu de cette violation des droits de la défense de la requérante, il y a lieu d’accueillir la troisième branche du premier moyen du recours en ce qu’elle vise la conférence téléphonique et la réunion avec [confidentiel], pour lesquelles des informations ont été communiquées à la requérante au cours de la présente procédure en réponse aux arguments fondés sur les preuves supplémentaires du 26 juillet 2019.
268 Dans les circonstances de la présente affaire, il convient de poursuivre l’examen de la présente branche en ce qui concerne également la réunion avec un tiers pour laquelle des informations ont été communiquées à la requérante au cours de la présente procédure en réponse aux mesures d’instruction du 12 octobre 2020.
c) Sur la réunion avec un tiers pour laquelle des informations ont été communiquées à la requérante au cours de la présente procédure en réponse aux mesures d’instruction du 12 octobre 2020
1) Rappel des éléments de contexte
269 Il ressort des éléments versés aux débats que, en réponse aux mesures d’instruction du 12 octobre 2020 visant à obtenir davantage d’informations sur le contexte de la conférence téléphonique avec [confidentiel] du [confidentiel], la Commission, dans la version confidentielle de l’acte du 19 novembre 2020, a fait état d’une réunion avec un tiers informateur ayant requis l’anonymat, réunion organisée à la demande de ce tiers et ayant eu lieu avant que la Commission ne commence l’enquête mentionnée au point 5 ci-dessus et, notamment, avant l’envoi des demandes de renseignements visées aux points 6 et 15 ci-dessus.
270 La Commission a également produit devant le Tribunal l’inscription, dans un calendrier électronique, de la date de cette réunion et deux courriels internes ayant un contenu, en substance, identique concernant ladite réunion (ci-après les « courriels internes »).
271 Il convient de rappeler que la version confidentielle de l’acte du 19 novembre 2020 a été portée à la connaissance des représentants de la requérante, sous réserve de la souscription préalable d’un engagement de confidentialité, y compris à l’égard de la requérante, tandis qu’une version non confidentielle de l’acte du 19 novembre 2020, produite par la Commission le 26 avril 2021, a été portée à la connaissance de la requérante.
272 Suivant le dépôt de ces documents, la requérante, par le biais de ses représentants ayant signé l’engagement de confidentialité, a fait valoir, en substance, que la Commission était tenue de prendre des notes de la réunion en cause et de les lui fournir, ainsi qu’il ressortirait de l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632), afin de ne pas porter atteinte aux droits de la défense de l’entreprise visée par l’enquête. Or, en l’espèce, la Commission aurait omis de garder un enregistrement de la réunion en cause, alors que son obligation de prendre des notes et de les fournir à l’entreprise incriminée serait bien établie. La requérante, par le biais de ses représentants ayant signé l’engagement de confidentialité, a souligné que le droit d’accès au dossier faisait partie des droits procéduraux fondamentaux et des garanties nécessaires à l’exercice adéquat de ses droits de la défense et que, en l’espèce, elle aurait subi un préjudice découlant du fait que la Commission avait omis de prendre des notes de la réunion en cause et qu’elle avait révélé son existence devant le Tribunal seulement.
273 La Commission a rétorqué que l’obligation d’enregistrement prévue à l’article 19 du règlement no 1/2003 ne s’appliquait pas à cette réunion.
2) Sur l’existence d’une irrégularité procédurale
274 À titre liminaire, il ressort des éléments versés aux débats et il est constant entre les parties que, au cours de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée, la Commission n’a pas informé la requérante ou ses représentants de l’existence, ni a fortiori du contenu de cette réunion. Il est tout aussi constant que ni l’inscription dans un calendrier électronique de la date de la réunion ni les courriels internes produits par la Commission devant le Tribunal n’étaient enregistrés dans le dossier de l’affaire.
275 La Commission, toutefois, lors de l’audience, a soutenu que la réunion avec le tiers informateur se serait tenue avant qu’elle ait adopté son premier acte d’enquête et que, par conséquent, elle n’était pas soumise aux obligations d’enregistrement prévues à l’article 19 du règlement no 1/2003, tel que le confirmeraient les arrêts du 5 octobre 2020, Casino, Guichard-Perrachon et AMC/Commission (T‑249/17, sous pourvoi, EU:T:2020:458), et du 5 octobre 2020, Les Mousquetaires et ITM Entreprises/Commission (T‑255/17, sous pourvoi, EU:T:2020:460).
276 Or, d’une part, certes, ainsi que la Commission l’a souligné lors de l’audience, il ressort de la jurisprudence du Tribunal visée au point 275 ci-dessus que l’obligation d’enregistrement prévue à l’article 19 du règlement no 1/2003 ne s’impose pas aux entretiens préalables au premier acte d’enquête (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2020, Casino, Guichard-Perrachon et AMC/Commission, T‑249/17, sous pourvoi, EU:T:2020:458, points 193 et 195).
277 D’autre part, toutefois, indépendamment de l’article 19 du règlement no 1/2003, il y a lieu de rappeler que, ainsi que le souligne la requérante en s’appuyant sur une obligation de la Commission de lui fournir les notes qu’elle aurait dû prendre lors de cette réunion et sur l’importance du droit d’accès au dossier pour l’exercice de ses droits de la défense (voir point 272 ci-dessus), la Commission est tenue de respecter les obligations qui lui incombent au titre du droit d’accès au dossier de l’affaire [voir, par analogie, arrêts du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, EU:T:2005:367, point 67, et du 5 octobre 2020, HeidelbergCement et Schwenk Zement/Commission, T‑380/17, EU:T:2020:471, point 652 (non publié)], droit qui constitue le corollaire du principe du respect des droits de la défense (arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 68).
278 À cet égard, il convient de rappeler que le droit d’accès au dossier dans les affaires de concurrence a pour objet de permettre aux destinataires d’une communication des griefs de prendre connaissance des éléments de preuve figurant dans le dossier de la Commission, afin qu’ils puissent se prononcer utilement sur les conclusions auxquelles elle est parvenue, dans sa communication des griefs, sur la base de ces éléments (arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245, point 334).
279 En particulier, il découle desdites obligations que si la Commission entend utiliser, dans sa décision, un élément à charge transmis de manière verbale par un tiers informateur ou un plaignant, elle doit le rendre accessible aux entreprises destinataires de la communication des griefs, le cas échéant, en créant à cette fin un document écrit destiné à figurer dans son dossier. Il ne saurait, en effet, être admis que le recours à la pratique des relations verbales avec les tiers porte atteinte aux droits de la défense [voir, en ce sens, arrêts du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245, point 352 ; du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, EU:T:2005:367, point 67, et du 5 octobre 2020, HeidelbergCement et Schwenk Zement/Commission, T‑380/17, EU:T:2020:471, point 652 (non publié)].
280 Par ailleurs, la Commission elle-même, dans le cadre de la présente procédure, a défendu la thèse selon laquelle, indépendamment de l’article 19 du règlement no 1/2003, elle avait l’obligation, conformément à la jurisprudence rappelée au point 279 ci-dessus, de prendre des « notes succinctes » des réunions avec les tiers lorsque ceux-ci fournissaient des éléments à charge qu’elle entendait utiliser (voir point 166 ci-dessus).
281 Tel était le cas en l’espèce en ce qui concerne la réunion avec le tiers informateur. En effet, il ressort des courriels internes produits par la Commission devant le Tribunal que le tiers informateur a formulé des allégations à charge de la requérante rejoignant, en substance, la thèse retenue par la Commission à l’issue de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée, telle qu’explicitée dans l’intitulé de la sous-section 11.4.1 et dans le libellé du considérant 412 de cette décision, indiquant que « [l]es paiements d’exclusivité de [la requérante] [avaient] réduit les incitations d’Apple à se tourner vers des fournisseurs concurrents de chipsets LTE ».
282 Toutefois, en l’espèce, la Commission n’a consigné dans aucun document, même succinct, ni sur aucun autre support les éléments que le tiers informateur aurait fournis en relation avec ses allégations ou même les réponses aux éventuelles questions qu’elle lui aurait posées à cet égard. Au demeurant, les courriels internes ne font pas non plus état de tels éléments.
283 Il s’ensuit que la Commission a manqué à ses obligations en ne faisant pas état de la réunion qu’elle avait eue avec le tiers informateur et en n’incluant pas dans le dossier de l’affaire un document écrit rendant accessibles les éléments à charge transmis oralement par le tiers informateur.
284 Par ailleurs, ainsi qu’il ressort du point 250 ci-dessus, cette violation ne saurait être régularisée du simple fait que la Commission a fait état de cette réunion au cours de la présente procédure juridictionnelle.
285 En outre, la circonstance que, en l’espèce, le tiers informateur n’ait pas souhaité présenter de plainte formelle et participer à l’enquête en tant que plaignant, et ait demandé que sa démarche soit traitée de façon anonyme et confidentielle, ne saurait exempter la Commission du respect de ses obligations et lui permettre de porter atteinte aux droits de la défense de l’entreprise incriminée.
286 En effet, l’éventuelle protection que, dans certaines circonstances, la Commission peut légitiment accorder à une personne physique ou morale formulant des allégations à charge sur le comportement prétendument anticoncurrentiel d’une entreprise doit être conciliée avec le respect desdits droits de la défense et, le cas échéant, accordée d’une façon ne rendant pas vain l’exercice de tels droits, et ce, notamment dans les circonstances spécifiques de la présente affaire, en élaborant une version non confidentielle et anonyme du document écrit ou, en raison des circonstances factuelles très particulières, voire uniques de la présente affaire, en permettant l’accès à la version confidentielle de ce document écrit aux seuls représentants de l’entreprise incriminée ayant signé un engagement de confidentialité.
287 Il découle de tout ce qui précède que, s’agissant de la réunion avec le tiers informateur, dans les circonstances de la présente affaire, la Commission a manqué aux obligations visant à rendre accessibles les éléments à charge transmis oralement par le tiers informateur.
3) Sur la violation des droits de la défense
288 S’agissant des conséquences qu’il convient de tirer du constat opéré au point 287 ci-dessus, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 160 et 161 ci-dessus, il convient de déterminer si, compte tenu des circonstances de fait et de droit spécifiques de la présente affaire, la requérante a démontré à suffisance qu’elle aurait pu mieux assurer sa défense en l’absence de ladite irrégularité procédurale.
289 Il convient de commencer par relever que la requérante, par le biais de ses représentants ayant signé l’engagement de confidentialité, a fait valoir que la Commission avait violé ses droits de la défense, en ce qu’un enregistrement adéquat de la réunion en cause aurait pu contenir des éléments à décharge, y compris sur la motivation du tiers informateur, en ce que la Commission aurait accepté sans examen critique les déclarations du tiers informateur et aurait monté son cas sur la base de celles-ci et en ce que la protection de l’anonymat de ce tiers informateur n’aurait pas été justifiée. La requérante, par le biais de ses représentants ayant signé l’engagement de confidentialité, a ajouté que, si elle avait eu connaissance de la réunion en cause au cours de la procédure administrative, elle aurait pu se défendre différemment, présenter des arguments additionnels, fournir des éclaircissements sur la validité et la crédibilité de la demande d’anonymat du tiers informateur, soulever la question avec le conseiller-auditeur, le membre de la Commission chargé de la concurrence ou le Médiateur européen et demander l’accès à des documents internes de la Commission.
290 Tout d’abord, dans la mesure où, ainsi qu’il a été relevé au point 281 ci-dessus, les courriels internes font état d’allégations à charge formulées par le tiers informateur lors de la réunion en cause, d’une part, il convient de rappeler qu’il ressort des éléments versés aux débats que la thèse retenue par la Commission dans la décision attaquée – telle qu’explicitée dans l’intitulé de la sous-section 11.4.1 et dans le libellé du considérant 412 de cette décision – rejoint les allégations à charge formulées par le tiers informateur lors de la réunion en cause. D’autre part, il est constant que la requérante – tout comme le Tribunal – ne dispose d’aucune indication précise sur les éléments à charge fournis oralement par le tiers informateur au soutien de ces allégations. Dans ces conditions, le Tribunal ne saurait donc déterminer dans quelle mesure, dans la décision attaquée, la Commission se serait appuyée sur de tels éléments, voire, ainsi que le prétend la requérante par le biais de ses représentants ayant signé l’engagement de confidentialité, aurait été indûment influencée par les déclarations du tiers informateur.
291 Toutefois, dans les circonstances spécifiques de la présente affaire, il ne saurait être contesté que, ainsi que le fait valoir, en substance, la requérante par le biais de ses représentants ayant signé l’engagement de confidentialité, cette réunion a eu un impact dans le cadre de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée, sans que la requérante ait pu faire valoir son point de vue sur l’origine, le fondement et la crédibilité des allégations à charge formulées par le tiers informateur, lesquelles rejoignent un aspect central du raisonnement retenu par la Commission dans la décision attaquée à l’encontre de la requérante. Par ailleurs, l’argument de la Commission selon lequel les informations fournies par le tiers informateur lors de la réunion en cause n’auraient pas été utilisées dans la décision attaquée, dont les griefs seraient prouvés par d’autres éléments, ne saurait être retenu. En effet, cet argument sous-entend que le tiers informateur aurait fourni d’autres informations, éventuellement à charge, dont la Commission n’aurait pas encore fait état. En tout état de cause, les informations précises fournies par ce tiers lors de la réunion en cause demeurent inconnues.
292 Ensuite, il convient d’observer que les courriels internes fournissent également certaines indications sur les raisons ayant conduit la Commission à accorder l’anonymat et la confidentialité au tiers informateur. Or, ainsi que le souligne pertinemment la requérante par le biais de ses représentants ayant signé l’engagement de confidentialité, elle aurait pu mieux assurer sa défense si elle avait été mise en condition, le cas échéant, dans les circonstances très particulières de la présente affaire, par le biais de ses représentants agissant sous le couvert d’un engagement de confidentialité, de pouvoir formuler des observations, au stade de la procédure administrative, sur les éléments invoqués par le tiers informateur au soutien de sa demande d’anonymat et de confidentialité. En effet, l’éventuel rejet de cette demande aurait pu influencer la défense de la requérante dans le cadre de sa réponse à la communication des griefs, voire le déroulement de la procédure administrative, en impliquant notamment une vérification contradictoire des allégations à charge formulées par le tiers informateur.
293 Enfin, au-delà des indications ressortant des courriels internes concernant, d’une part, les allégations à charge formulées par le tiers informateur et, d’autre part, les raisons ayant conduit la Commission à lui accorder l’anonymat et la confidentialité (points 290 et 292 ci-dessus), il est constant que la requérante – tout comme le Tribunal – ne dispose d’aucune indication quant à la question de savoir si d’autres aspects pertinents pour l’enquête ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée ont été discutés entre le tiers informateur et la Commission lors de la réunion en cause.
294 Ainsi, le Tribunal ne saurait déterminer avec certitude tout ce qui a pu faire l’objet de discussions lors de cette réunion et dans quelle mesure des éléments à décharge, des éléments neutres ou encore des éléments factuels auraient été transmis oralement à la Commission par le tiers informateur (voir, par analogie, points 207 et 257 ci-dessus).
295 Force est donc de constater que, dans les circonstances spécifiques de la présente affaire, compte tenu également des précisions apportées par la Commission dans la version confidentielle de l’acte du 19 novembre 2020, à laquelle les représentants de la requérante ayant signé l’engagement de confidentialité ont pu avoir accès, la connaissance de l’existence de la réunion en cause et des éléments transmis à la Commission par le tiers informateur aurait pu être utile pour la défense de la requérante.
296 Il résulte de tout ce qui précède que, eu égard aux circonstances de fait et de droit spécifiques de la présente affaire, dans la mesure où la Commission n’a procédé à aucun enregistrement de la réunion avec le tiers informateur et où la requérante ou ses représentants n’ont reçu aucune information sur l’existence même de cette réunion si ce n’est au cours de la présente procédure en réponse aux mesures d’instruction du 12 octobre 2020, la Commission a violé les droits de la défense de la requérante. En effet, les éléments versés aux débats faisant suite à la mesure d’instruction du 12 octobre 2020 tendent à démontrer que cette réunion aurait pu faire état d’informations essentielles pour la suite de la procédure qui auraient pu être pertinentes pour la requérante, en lui permettant de pouvoir mieux assurer sa défense.
297 Compte tenu de cette violation des droits de la défense de la requérante, il y a lieu d’accueillir la troisième branche du premier moyen du recours en ce qu’elle vise la réunion avec un tiers pour laquelle des informations ont été communiquées à la requérante au cours de la présente procédure en réponse aux mesures d’instruction du 12 octobre 2020.
298 Dans les circonstances de la présente affaire, il convient de poursuivre l’examen du premier moyen en ce qui concerne sa première branche.
3. Sur la première branche du premier moyen, tirée de la violation des droits de la défense, en ce qu’elle porte sur les différences entre la communication des griefs et la décision attaquée
299 La première branche du premier moyen est tirée de la violation des droits de la défense, dans la mesure où la communication des griefs et la décision attaquée diffèreraient sur des points essentiels de l’analyse et des griefs retenus à l’encontre de la requérante.
300 Cette branche s’articule, en substance, en cinq griefs. En particulier, le premier grief est tiré du fait que la communication des griefs visait un abus sur les marchés des chipsets UMTS et des chipsets LTE, tandis que la décision attaquée vise un abus sur le seul marché des chipsets LTE. Le quatrième grief est tiré du fait que, par reflet de la limitation de la portée de l’abus, « la part “disputable” de la demande d’Apple prise en compte dans la communication des griefs était tout à fait différente de celle considérée dans la décision attaquée ».
301 Par ailleurs, dans le cadre de la troisième branche du troisième moyen du recours, et particulièrement de son sixième grief, la requérante, en renvoyant à la première branche du premier moyen, a invoqué une violation de ses droits de la défense et de son droit d’être entendue en raison du fait que la décision attaquée s’écartait de la théorie du préjudice énoncée dans la communication des griefs.
302 Il convient donc d’examiner conjointement les premier et quatrième griefs de la première branche du premier moyen, à l’aune également du sixième grief de la troisième branche du troisième moyen.
303 À ces égards, la requérante fait valoir que les accords concernés et les paiements concernés se rapportent aux deux types de chipsets utilisés dans les appareils d’Apple (UMTS et LTE), mais que la décision attaquée, à la différence de la communication des griefs, vise un abus sur le seul marché des chipsets LTE. La requérante indique qu’elle aurait été privée de la possibilité de faire valoir son point de vue sur l’analyse de la marge critique présentée dans la décision attaquée compte tenu de la différente part disputable de la demande d’Apple, alors que le champ plus étroit de la décision attaquée ne serait pas à son avantage à cet égard et que ces éléments seraient essentiels pour apprécier la capacité d’éviction conformément au point 140 de l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632). La requérante souligne que, malgré le fait que la décision attaquée s’écarte sensiblement de la communication des griefs, elle n’a pas eu la possibilité de répondre aux objections sur l’analyse de la marge critique ou de corriger l’analyse révisée de la Commission.
304 La requérante ajoute que la modification des conclusions sur les chipsets concernés et sur la part disputable de la demande d’Apple ne lui est pas favorable. La Commission aurait retiré de la décision attaquée les griefs relatifs à la fourniture d’au moins [confidentiel] de chipsets UMTS, les paiements relatifs à ces chipsets étant donc licites. Toutefois, dans la décision attaquée, la Commission ferait abstraction de ces unités, en faussant l’analyse au détriment de la requérante, dès lors que les paiements afférents aux chipsets UMTS auraient dû être exclus de l’analyse de la marge critique.
305 La Commission rétorque que les différences observées par la requérante portent sur le même comportement et n’ont pas créé un nouveau droit d’être entendue et qu’elle n’était pas tenue de lui adresser une communication des griefs supplémentaire. En particulier, la limitation des griefs aux seuls chipsets LTE serait favorable à la requérante et démontrerait que la Commission a respecté son droit d’être entendue. En outre, la Commission n’aurait pas été tenue de discuter avec la requérante de ses doutes sur les hypothèses sur lesquelles reposait l’analyse de la marge critique présentée par la requérante. La Commission ne se serait fondée sur aucun modèle économique pour conclure que les paiements d’exclusivité étaient capables de produire des effets anticoncurrentiels et aurait seulement conclu que l’analyse de la marge critique de la requérante ne remettait pas en cause ses conclusions. Aucune violation du droit d’être entendu ne pourrait être retenue, dans la mesure où l’analyse de la marge critique aurait été produite par la requérante et où la Commission ne se serait pas fondée sur une autre version de ladite analyse. La Commission ne serait pas tenue, par ailleurs, de donner à une entreprise la possibilité de présenter ses observations sur son appréciation finale de ses moyens de défense avant d’adopter sa décision.
306 La Commission ajoute que l’argument tiré des [confidentiel] de chipsets UMTS sur lesquels un fournisseur concurrent aurait pu également répartir les coûts liés à la compensation des paiements d’exclusivité est irrecevable, car il n’a pas été avancé dans la requête, et dénué de pertinence, car les appareils UMTS d’Apple étaient des appareils existants et n’étaient pas disputables aux fins de l’analyse de la marge critique, le dernier ayant été lancé en 2011 alors que l’analyse de la marge critique prend 2012 comme première année de référence. De même, l’argument tiré du caractère défavorable du retrait des griefs concernant les chipsets UMTS, en plus d’être irrecevable pour les mêmes raisons, serait dénué de fondement, car la requérante ne démontrerait pas comment cela aurait eu des conséquences défavorables, d’autant plus que ce serait elle qui, dans la réponse à la communication des griefs, aurait soutenu que la Commission devait retirer ses griefs concernant les chipsets UMTS.
307 À titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 27, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 prévoit l’envoi aux parties d’une communication des griefs. Cette communication doit énoncer, de manière claire, tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure (ordonnance du 7 juillet 2016, Panasonic/Commission, C‑608/15 P, non publiée, EU:C:2016:538, point 20).
308 Toutefois, cette indication peut être faite de manière sommaire et la décision de la Commission par laquelle celle-ci constate l’existence d’une infraction ne doit pas nécessairement être une copie de l’exposé des griefs effectué dans la communication des griefs, car cette communication constitue un document préparatoire dont les appréciations de fait et de droit ont un caractère purement provisoire. En effet, la Commission doit entendre les destinataires d’une communication des griefs et, le cas échéant, tenir compte de leurs observations visant à répondre aux griefs retenus en modifiant son analyse, précisément pour respecter leurs droits de la défense (ordonnance du 7 juillet 2016, Panasonic/Commission, C‑608/15 P, non publiée, EU:C:2016:538, point 21).
309 En outre, la communication des griefs constitue un acte de procédure préparatoire par rapport à la décision qui constitue le terme ultime de la procédure administrative. En conséquence, jusqu’à ce qu’une décision finale soit adoptée, la Commission peut, au vu notamment des observations écrites ou orales des parties, soit abandonner certains ou même la totalité des griefs initialement articulés à leur égard et modifier ainsi sa position en leur faveur, soit, à l’inverse, décider d’ajouter de nouveaux griefs, pour autant qu’elle donne aux entreprises concernées l’occasion de faire valoir leur point de vue à ce sujet (arrêt du 27 juin 2012, Microsoft/Commission, T‑167/08, EU:T:2012:323, point 184).
310 La communication aux intéressés d’un complément de griefs n’est nécessaire que dans le cas où le résultat des vérifications amène la Commission à mettre à la charge des entreprises des actes nouveaux ou à modifier sensiblement les éléments de preuve des infractions contestées et non lorsque la Commission remplit son devoir d’abandonner des griefs qui, au vu des réponses à la communication des griefs, se sont révélés mal fondés (arrêt du 27 juin 2012, Microsoft/Commission, T‑167/08, EU:T:2012:323, point 191).
311 C’est à la lumière de ces principes qu’il y a lieu d’examiner les arguments de la requérante.
312 Ces arguments portent, en substance, sur trois aspects distincts.
313 En premier lieu, dans la mesure où les arguments de la requérante visent, en général, le fait que la Commission, au considérant 388 de la décision attaquée, a retenu un abus sur le seul marché des chipsets LTE, tandis que, aux considérants 254 et 256 de la communication des griefs, elle envisageait un abus sur le marché des chipsets LTE et celui des chipsets UMTS, une telle circonstance, tout en étant exacte, n’implique pas en tant que telle une irrégularité procédurale, ni a fortiori une violation des droits de la défense de la requérante.
314 En effet, dans la décision attaquée, la Commission a procédé à une limitation des infractions retenues à l’encontre de la requérante par rapport à celles qu’elle avait envisagées dans la communication des griefs, en abandonnant l’infraction sur le marché des chipsets UMTS. En d’autres termes, la Commission n’a pas ajouté de nouveaux griefs ou d’éléments de preuve à charge de la requérante, mais a abandonné des griefs qui, au vu des réponses à la communication des griefs, se sont révélés mal fondés. Or, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 309 et 310 ci-dessus, une telle modification n’entraîne pas une obligation pour la Commission de communiquer à la requérante un complément des griefs.
315 En deuxième lieu, les arguments de la requérante visent le fait que la Commission ne lui aurait pas donné la possibilité de faire connaître son point de vue sur les raisons l’ayant conduite, dans la décision attaquée, à écarter l’analyse de la marge critique qu’elle avait présentée dans le cadre de sa réponse à la communication des griefs. Or, il convient de relever que la Commission, avant d’adopter la décision attaquée, n’était pas tenue de donner à la requérante la possibilité de formuler des observations sur les raisons pour lesquelles elle envisageait de rejeter ladite analyse dans la décision attaquée. En effet, le droit d’être entendu s’étend à tous les éléments de fait ou de droit qui constituent le fondement de l’acte décisionnel, mais non à la position finale que l’administration entend adopter (voir arrêt du 15 mars 2006, BASF/Commission, T‑15/02, EU:T:2006:74, point 94 et jurisprudence citée ; arrêts du 19 mai 2010, IMI e.a./Commission, T‑18/05, EU:T:2010:202, point 109, et du 9 mars 2015, Deutsche Börse/Commission, T‑175/12, non publié, EU:T:2015:148, point 344).
316 En troisième lieu, la requérante critique le fait que la Commission, tout en ayant abandonné les griefs relatifs aux chipsets UMTS, n’aurait pas tenu compte de cet abandon dans son examen de l’analyse de la marge critique et ne lui aurait pas donné la possibilité de présenter des observations sur les conséquences qu’il convenait de tirer d’une telle circonstance s’agissant de l’analyse de la marge critique, ce qui lui aurait été défavorable. Ainsi qu’il ressort des écritures de la requérante et des explications apportées par celle-ci lors de l’audience, elle critique le fait que la Commission ne lui aurait pas permis d’être entendue sur les données utilisées dans l’analyse de la marge critique compte tenu de l’abandon des griefs sur les chipsets UMTS et ainsi d’adapter ces données.
317 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il découle de la jurisprudence mentionnée au point 159 ci-dessus, le respect des droits de la défense implique que tout destinataire d’une décision constatant qu’il a commis une infraction aux règles de la concurrence doit avoir été mis en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur les griefs qui lui sont reprochés.
318 En particulier, l’entreprise concernée peut soutenir, au cours de la procédure administrative, éléments de preuve à l’appui, que son comportement n’a pas eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d’éviction reprochés (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 138).
319 En l’espèce, il est constant que la communication des griefs transmise par la Commission à la requérante envisageait un abus de position dominante tant sur le marché des chipsets LTE que sur le marché des chipsets UMTS. En d’autres termes, la communication des griefs envisageait un abus s’étendant sur deux marchés.
320 Il est également constant que, dans le cadre de sa réponse à la communication des griefs, la requérante a présenté une « analyse de la marge critique » visant à démontrer que la conduite qui lui était reprochée n’était pas capable de produire des effets d’éviction sur ces deux marchés.
321 Ainsi que la requérante l’a confirmé expressément en réponse à une mesure d’organisation de la procédure du Tribunal, sans avoir été contredite par la Commission, l’analyse de la marge critique présentée en réponse à la communication des griefs concernait les chipsets UMTS et les chipsets LTE couverts par les accords concernés et s’appuyait sur les données inhérentes à ces deux types de chipsets.
322 L’analyse de la marge critique présentée par la requérante est décrite au considérant 487 de la décision attaquée et synthétisée dans le tableau 16 figurant dans ce considérant.
323 En substance, il s’agit d’une analyse économique visant à démontrer qu’un hypothétique concurrent aussi efficace que la requérante aurait pu concurrencer cette dernière dans la fourniture des chipsets LTE et UMTS à Apple, puisque ce concurrent aurait été en mesure de proposer un prix couvrant ses coûts tout en pouvant compenser Apple pour la perte des paiements concernés.
324 Il est également constant que, dans la décision attaquée, la Commission, avant de conclure que la requérante avait abusé de sa position dominante sur le seul marché des chipsets LTE, a écarté cette même analyse de la marge critique présentée par la requérante en réponse à la communication des griefs. Comme la Commission l’a indiqué expressément dans ses écritures, elle ne s’est pas prononcée sur une autre version de cette analyse.
325 En particulier, dans la décision attaquée, la Commission a présenté cette analyse, a indiqué les raisons pour lesquelles elle ne pouvait pas être retenue et a présenté une analyse « révisée » incluant ses corrections.
326 Il ressort d’ailleurs de la décision attaquée que la Commission a écarté l’analyse de la marge critique présentée par la requérante en raison de la présence de trois hypothèses prétendument erronées, hypothèses qu’elle a corrigées dans son analyse « révisée », et qu’elle n’a nullement remis en cause le fait que ladite analyse constituait, en tant que telle, un outil permettant de contester la capacité des paiements concernés à produire des effets d’éviction.
327 En d’autres termes, dans la décision attaquée, la Commission, d’une part, a écarté l’analyse de la marge critique présentée en réponse à la communication des griefs et dont les données concernaient tant les chipsets LTE que les chipsets UMTS et, d’autre part, a réalisé une analyse de la marge critique « révisée » en se fondant toujours sur les données concernant tant les chipsets LTE que les chipsets UMTS, et ce bien que, aux considérants 487, 491, 492, 498, 499 et 503 de la décision attaquée, en se référant à ladite analyse, elle se soit erronément référée aux seuls chipsets LTE.
328 Dans la décision attaquée, la Commission a donc présenté, examiné et révisé une analyse de la marge critique (concernant le marché tant des chipsets UMTS que des chipsets LTE) qui n’était pas, ou plus, pertinente par rapport à l’abus retenu dans ladite décision (concernant le seul marché des chipsets LTE).
329 Or, en procédant de cette façon, indépendamment du bien-fondé des trois objections formulées à l’encontre des hypothèses retenues dans l’analyse de la marge critique de la requérante et des corrections apportées à cet égard dans l’analyse « révisée » de la marge critique, la Commission a violé les droits de la défense de la requérante.
330 En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 318 ci-dessus, la requérante pouvait s’appuyer sur un élément tel que l’analyse de la marge critique présentée en réponse à la communication des griefs pour soutenir que son comportement n’avait pas la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire des effets d’éviction.
331 La requérante s’est prévalue d’une telle possibilité en consacrant, dans la section de sa réponse à la communication des griefs visant à démontrer l’absence d’effets d’éviction (section VII), une sous-section à la présentation de son analyse de la marge critique (sous-section VII.F). Cette analyse de la marge critique avait donc un rôle important dans la défense de la requérante à l’encontre des griefs avancés par la Commission. Au demeurant, la Commission a consacré, dans la section de la décision attaquée concernant l’existence d’un abus de position dominante (section 11), une section à l’examen et à la réfutation de cette analyse de la marge critique (section 11.5).
332 Or, la possibilité qu’une entreprise a de soutenir qu’un comportement n’a pas la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire des effets d’éviction en s’appuyant sur une analyse économique telle que l’analyse de la marge critique produite en l’espèce par la requérante est dépourvue d’effet utile si la portée du comportement reproché est modifiée par la Commission après la communication des griefs en ce qui concerne notamment les marchés concernés.
333 La définition de la portée du comportement reproché a en effet une incidence sur les données économiques utilisées dans le cadre de ladite analyse, en ce qui concerne notamment les coûts et les prix unitaires des produits concernés, la part disputable du marché ou encore les coûts qu’un concurrent aussi efficace devrait soutenir.
334 Une analyse de la marge critique portant sur deux marchés de produits prétendument distincts et non substituables (tels que, selon la décision attaquée, ceux des chipsets UMTS et des chipsets LTE) diffère nécessairement d’une analyse portant sur un seul de ces deux marchés (tel que celui des seuls chipsets LTE).
335 En particulier, en l’espèce, la limitation de l’abus reproché au seul marché des chipsets LTE a une incidence sur les paramètres essentiels d’une analyse telle que l’analyse de la marge critique. Il s’agit notamment, tout d’abord, du montant des paiements concernés, dès lors que, comme le souligne la requérante, les paiements correspondants aux chipsets UMTS auraient dû être exclus de l’analyse de la marge critique. Il s’agit, ensuite, de la part disputable prise en compte dans l’analyse de la marge critique, c’est-à-dire de la part de la demande d’Apple sur laquelle un concurrent aussi efficace que la requérante pourrait entrer en concurrence avec celle-ci et sur laquelle il pourrait répartir les coûts nécessaires pour compenser Apple de la perte des paiements concernés. Il s’agit, enfin, des coûts et des prix des chipsets pris en compte dans l’analyse de la marge critique, dès lors que la Commission a notamment retenu, dans la décision attaquée, que les prix moyens des chipsets UMTS et LTE n’étaient pas similaires (considérant 217 de la décision attaquée).
336 Par conséquent, dans la mesure où la Commission a opéré une modification des griefs ayant un impact sur la pertinence des données sur lesquelles se fondait l’analyse de la marge critique présentée par la requérante en réponse à la communication des griefs pour soutenir que son comportement n’avait pas la capacité de produire des effets d’éviction, cette entreprise, afin de pouvoir exercer utilement ses droits de la défense, devait être mise en condition d’être entendue et, le cas échéant, d’adapter ladite analyse économique, et ce même si, dans une telle situation, il n’était pas exigé que la Commission lui communique un « complément de griefs » conformément à la jurisprudence rappelée au point 310 ci-dessus et aux constats opérés aux points 313 et 314 ci-dessus.
337 En effet, la communication des griefs est, par nature, provisoire et susceptible de modifications lors de l’évaluation à laquelle la Commission procède ultérieurement sur la base des observations qui lui ont été présentées en réponses par les parties ainsi que d’autres considérations factuelles. En raison de ce caractère provisoire, la communication des griefs n’empêche nullement la Commission de modifier sa position en faveur des entreprises concernées, sans pour autant être tenue d’expliquer les différences éventuelles par rapport à ses appréciations provisoires contenues dans cette communication (arrêt du 16 janvier 2019, Commission/United Parcel Service, C‑265/17 P, EU:C:2019:23, point 36).
338 Toutefois, ces considérations ne permettent pas de considérer que la Commission puisse modifier, après la communication des griefs, la portée des griefs à l’aune desquels l’entreprise concernée a présenté une analyse économique telle que l’analyse de la marge critique présentée en l’espèce par la requérante sans porter une telle modification à la connaissance de cette entreprise et lui permettre de faire valoir ses observations à cet égard, en adaptant le cas échéant l’analyse économique précédemment présentée. Une telle interprétation serait en effet contraire au principe du respect des droits de la défense et à l’article 27, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, lesquels exigent que l’entreprise concernée ait eu l’occasion de faire connaître utilement son point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission (voir, par analogie, arrêt du 16 janvier 2019, Commission/United Parcel Service, C‑265/17 P, EU:C:2019:23, points 31 et 37).
339 En effet, si, dans la décision attaquée, la Commission a pu écarter l’analyse de la marge critique présentée par la requérante, portant sur le marché des chipsets LTE et sur le marché des chipsets UMTS, en considérant qu’elle ne remettait pas en cause ses conclusions sur le seul marché des chipsets LTE, il n’en saurait être déduit qu’elle aurait pu écarter de la même façon une analyse de la marge critique portant sur le seul marché des chipsets LTE.
340 Force est donc de constater que, en l’espèce, afin de pouvoir faire connaître utilement son point de vue sur l’effet d’éviction reproché et de pouvoir donc mieux assurer sa défense, la requérante aurait dû être mise en mesure d’être entendue et, le cas échéant, d’adapter son analyse de la marge critique afin de prendre en compte le retrait des griefs inhérents aux chipsets UMTS et dont la fourniture n’était plus reprochée par la Commission.
341 Ce constat ne saurait être remis en cause par les allégations de la Commission contestant la recevabilité et la pertinence de l’argument de la requérante tiré du nombre de chipsets UMTS qui n’aurait pas été pris en compte à son désavantage (point 306 ci-dessus). D’une part, ledit argument a été formulé par la requérante dans la réplique afin d’étayer le grief contenu dans la requête selon lequel la modification de la portée de l’abus excluant les chipsets UMTS lui aurait été défavorable en ce qui concerne son analyse de la marge critique. Ledit argument est donc recevable. D’autre part, la requérante a inclus les chipsets UMTS dans l’analyse de la marge critique présentée en réponse à la communication des griefs, car cette dernière envisageait un abus également sur le marché des chipsets UMTS et, à cet égard, indiquait expressément, sur la base des données fournies par Apple, que cette dernière s’était approvisionnée en chipsets UMTS auprès de la requérante de 2011 à 2014 pour un nombre total d’unités correspondant, en substance, à celui invoqué par la requérante (voir tableau 14 de la communication des griefs). L’argument de la requérante n’est donc pas dépourvu de pertinence.
342 Il s’ensuit que la Commission a violé les droits de la défense de la requérante, en ce qu’elle n’a pas entendu la requérante sur les conséquences à tirer du retrait des griefs concernant le marché des chipsets UMTS sur l’analyse de la marge critique présentée par la requérante afin de démontrer que la conduite qui lui était reprochée n’était pas capable de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire des effets d’éviction.
343 Compte tenu de cette violation des droits de la défense de la requérante, il y a lieu d’accueillir également la première branche du premier moyen du recours.
4. Conclusion
344 Il découle de l’examen du premier moyen du recours, et en particulier de ses première et troisième branches, que la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée est entachée de plusieurs irrégularités procédurales ayant affecté les droits de la défense de la requérante.
345 Pour ces motifs, compte tenu des violations des droits de la défense de la requérante constatées dans le cadre de l’examen des première et troisième branches du premier moyen, prises individuellement ou conjointement, et sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur les autres branches soulevées par la requérante, il convient d’accueillir le premier moyen du recours et, sur ce fondement, d’annuler la décision attaquée.
346 Dans les circonstances de la présente affaire, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il convient également d’examiner le troisième moyen du recours.
C. Sur le troisième moyen, tiré d’erreurs manifestes de droit et d’appréciation quant à la conclusion selon laquelle les accords concernés étaient capables de produire des effets anticoncurrentiels potentiels
347 Le troisième moyen repose sur trois branches. La première est tirée d’une erreur manifeste de droit et d’une violation des principes de sécurité juridique et de confiance légitime en ce que la Commission n’aurait pas appliqué la bonne norme juridique. La deuxième est tirée d’erreurs manifestes de droit et d’appréciation en ce que la Commission aurait omis d’appliquer la jurisprudence sur les pratiques tarifaires. La troisième est tirée d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que la Commission aurait conclu que les accords concernés étaient capables de produire des effets anticoncurrentiels potentiels.
348 Il convient d’examiner la troisième branche.
1. Observations liminaires
a) Rappel des principes jurisprudentiels
349 Il convient de rappeler que l’article 102 TFUE n’a aucunement pour but d’empêcher une entreprise de conquérir, par ses propres mérites, la position dominante sur un marché. Cette disposition ne vise pas non plus à assurer que des concurrents moins efficaces que l’entreprise occupant une position dominante restent sur le marché (arrêts du 27 mars 2012, Post Danmark, C‑209/10, EU:C:2012:172, point 21, et du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 133).
350 L’article 102 TFUE interdit, notamment, à une entreprise occupant une position dominante de mettre en œuvre des pratiques produisant des effets d’éviction pour ses concurrents considérés comme étant aussi efficaces qu’elle-même, renforçant sa position dominante en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d’une concurrence par les mérites (voir arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 136 et jurisprudence citée).
351 Ainsi, tout effet d’éviction ne porte pas nécessairement atteinte au jeu de la concurrence. Par définition, la concurrence par les mérites peut conduire à la disparition du marché ou à la marginalisation des concurrents moins efficaces et donc moins intéressants pour les consommateurs du point de vue notamment des prix, du choix, de la qualité ou de l’innovation (arrêts du 27 mars 2012, Post Danmark, C‑209/10, EU:C:2012:172, point 22, et du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 134).
352 Dans ce contexte, toutefois, il incombe à l’entreprise qui détient une position dominante une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée dans le marché intérieur (arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 135).
353 Dans ce cadre, il a déjà été jugé que, pour une entreprise se trouvant en position dominante sur un marché, le fait de lier, fût-ce à leur demande, des acheteurs par une obligation ou une promesse de s’approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise constitue une exploitation abusive d’une position dominante au sens de l’article 102 TFUE, soit que l’obligation est stipulée sans plus, soit qu’elle trouve sa contrepartie dans l’octroi d’un rabais. Il en est de même lorsque ladite entreprise, sans lier les acheteurs par une obligation formelle, applique, soit en vertu d’accords passés avec ces acheteurs, soit unilatéralement, un système de rabais de fidélité, c’est-à-dire de remises liées à la condition que le client, quel que soit par ailleurs le montant de ces achats, s’approvisionne exclusivement pour la totalité ou pour une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante (voir arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 137 et jurisprudence citée).
354 Toutefois, dans le cas où l’entreprise concernée soutient, au cours de la procédure administrative, éléments de preuve à l’appui, que son comportement n’a pas eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d’éviction reprochés, il revient à la Commission de procéder à une analyse de la capacité d’éviction de concurrents au moins aussi efficaces (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, points 138 à 140).
355 En effet, le caractère abusif d’un comportement suppose que celui-ci ait eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d’éviction reprochés, cette appréciation devant être effectuée au regard de l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes entourant ledit comportement [voir arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 154 et jurisprudence citée].
356 Si, dans une décision, la Commission effectue une telle analyse, il appartient au Tribunal d’examiner l’ensemble des arguments de la partie requérante visant à mettre en cause le bien-fondé des constatations faites par la Commission quant à la capacité d’éviction de concurrents au moins aussi efficaces, inhérente à la pratique en cause (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 141).
357 Par ailleurs, à ce dernier égard, il y a lieu de rappeler que la portée du contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE s’étend à l’ensemble des éléments des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application de l’article 102 TFUE dont le Tribunal assure un contrôle approfondi, en droit comme en fait, à la lumière des moyens soulevés par la partie requérante et compte tenu de l’ensemble des éléments soumis par cette dernière, que ceux-ci soient antérieurs ou postérieurs à la décision entreprise, qu’ils aient été préalablement présentés dans le cadre de la procédure administrative ou pour la première fois dans le cadre du recours dont le Tribunal est saisi, dans la mesure où ces derniers éléments sont pertinents pour le contrôle de la légalité de la décision de la Commission (arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 72).
358 Même dans les domaines donnant lieu à des appréciations complexes, le juge de l’Union doit, notamment, non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier la situation et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, EU:C:2014:2062, point 54).
359 Enfin, dans le domaine du droit de la concurrence, en cas de litige sur l’existence d’une infraction, il appartient à la Commission de rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction. S’il subsiste un doute dans l’esprit du juge, il doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction (arrêt du 22 novembre 2012, E.ON Energie/Commission, C‑89/11 P, EU:C:2012:738, points 71 et 72).
b) Rappel de la structure de la décision attaquée
360 Dans la section 11 de la décision attaquée, qui s’articule en huit sections, la Commission a conclu que la requérante avait abusé de sa position dominante (voir point 33 ci-dessus).
361 En particulier, dans la section 11.3 de la décision attaquée, la Commission a conclu que les paiements concernés étaient des paiements d’exclusivité (considérant 395 de la décision attaquée).
362 Dans la section 11.4 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que la présomption selon laquelle l’octroi des paiements d’exclusivité par la requérante constituait un abus de position dominante était confirmée, dans les circonstances du cas d’espèce, par l’analyse de la capacité des paiements en cause d’avoir des effets anticoncurrentiels (considérant 406 de la décision attaquée). Cette section s’articule en quatre sous-sections.
363 Premièrement, la Commission a considéré que les paiements concernés avaient réduit les incitations d’Apple à se tourner vers des fournisseurs de chipsets LTE concurrents (sous-section 11.4.1 de la décision attaquée).
364 Deuxièmement, la Commission a indiqué que les documents internes et les explications d’Apple confirmaient que les paiements concernés avaient réduit les incitations d’Apple à se tourner vers des fournisseurs de chipsets LTE concurrents (sous-section 11.4.2 de la décision attaquée).
365 Troisièmement, la Commission a considéré que les paiements concernés couvraient une part significative du marché des chipsets LTE pendant la période concernée (sous-section 11.4.3 de la décision attaquée).
366 Quatrièmement, la Commission a considéré qu’Apple était un client attractif, compte tenu de son importance pour l’entrée ou l’expansion sur le marché pertinent (sous-section 11.4.4 de la décision attaquée).
367 Dans la section 11.5 de la décision attaquée, la Commission a conclu que l’analyse de la marge critique de la requérante ne démontrait pas que ses paiements d’exclusivité étaient incapables d’avoir des effets anticoncurrentiels (considérant 488 de la décision attaquée).
c) Rappel des griefs de la requérante
368 Ainsi qu’il ressort des points 361 et 362 ci-dessus, la Commission ne s’est pas limitée à qualifier les paiements concernés de paiements d’exclusivité, mais a procédé à une analyse de la capacité desdits paiements de produire des effets anticoncurrentiels. Partant, conformément à la jurisprudence rappelée au point 356 ci-dessus, il appartient au Tribunal d’examiner les arguments de la requérante visant à mettre en cause le bien-fondé de cette analyse.
369 À cet égard, dans le cadre de la troisième branche du troisième moyen, la requérante soulève huit griefs et certains arguments introductifs par lesquels elle reproche à la Commission, en substance, d’avoir commis des erreurs manifestes d’appréciation dans son analyse de la capacité des paiements concernés de produire des effets anticoncurrentiels et dans son appréciation de l’analyse de la marge critique qu’elle avait présentée.
370 S’agissant de l’analyse de la capacité des paiements concernés de produire des effets anticoncurrentiels, il convient d’examiner les trois premiers griefs de la troisième branche du troisième moyen ainsi que les arguments introductifs s’y rapportant.
2. Sur le premier grief de la troisième branche du troisième moyen, tiré de l’absence de prise en compte de l’ensemble des circonstances pertinentes
371 La requérante fait valoir que la décision attaquée n’apporte pas la preuve que les accords concernés étaient capables d’aboutir à l’éviction anticoncurrentielle de concurrents. La Commission n’aurait pas démontré qu’Intel ou une autre entreprise concurrente était en mesure de respecter les strictes exigences techniques et de calendrier d’Apple. Au contraire, la décision attaquée reconnaîtrait qu’aucun concurrent n’était en mesure de fournir des chipsets LTE destinés aux iPhones pendant toute la période concernée et n’allèguerait pas que les paiements concernés aient eu une incidence sur les décisions d’approvisionnement d’Apple pour les iPads lancés de 2011 à 2013 et en 2016. La décision attaquée s’efforcerait de démontrer l’éviction d’un seul concurrent (Intel) pour l’approvisionnement des iPads destinés à être lancés en 2014 et 2015, ce qui représenterait moins de 1 % du marché pertinent et impliquerait que les paiements concernés ne pouvaient évincer aucun concurrent.
372 La requérante soutient que la Commission n’a pas identifié, analysé ou interprété certains éléments de fait déterminants et que la décision attaquée contient des imprécisions s’agissant des appareils et des concurrents concernés. Elle indique que, ainsi que la Commission le reconnaîtrait dans la décision attaquée, les accords concernés n’ont pas pu empêcher le moindre concurrent de fournir des chipsets LTE destinés aux modèles d’iPhones lancés alors que ces accords étaient en vigueur. En particulier, ainsi qu’il résulterait de la décision attaquée, Apple n’aurait pas eu, entre 2011 et 2015, de solution technique alternative pour répondre aux besoins en chipsets LTE de ses iPhones. En outre, la Commission ne prétendrait pas que les accords concernés étaient en mesure d’empêcher le moindre concurrent de fournir des chipsets LTE pour les modèles d’iPads lancés en 2011, 2012, 2013 et 2016. Ainsi, pour l’essentiel, la Commission invoquerait seulement une possible éviction d’Intel pour les chipsets LTE destinés aux iPads lancés en 2014 et 2015.
373 La requérante ajoute que la Commission reconnaîtrait dans le mémoire en défense qu’Apple n’aurait pas considéré Intel comme un fournisseur crédible de chipsets LTE utilisés dans les téléphones portables. La requérante aurait démontré que tel était également le cas de tout autre concurrent. Enfin, la Commission ne répondrait pas aux arguments selon lesquels la capacité d’éviction aurait dû être déterminée par rapport à l’ensemble des clients de chipsets sur le marché plus vaste en cause. Or, la décision attaquée n’invoquerait même pas la possible éviction anticoncurrentielle du marché, par opposition à l’impossibilité d’approvisionner un certain client.
374 La Commission rétorque que les arguments de la requérante reposent sur une compréhension fondamentalement erronée de la décision attaquée. La Commission aurait conclu que, tout au long de la période concernée, la requérante avait octroyé à Apple des paiements d’exclusivité relatifs tant aux iPhones qu’aux iPads capables d’avoir des effets anticoncurrentiels, Intel n’étant qu’un exemple concret de cette capacité. Les conclusions de la Commission incluraient donc notamment, mais pas uniquement, le fait que les paiements concernés auraient réellement influencé les décisions d’achat d’Apple pour les iPads destinés à être lancés en 2014 et 2015. Compte tenu de la compréhension erronée de la requérante, il serait inutile que le Tribunal examine la troisième branche du troisième moyen, mais, en tout état de cause, la Commission présenterait des arguments pour réfuter ceux de la requérante.
375 Ainsi, d’une part, tout d’abord, la Commission fait valoir que la requérante ne présente pas systématiquement les circonstances pertinentes ni les raisons pour lesquelles elle aurait commis une erreur en accordant du poids aux facteurs sur lesquels elle s’était fondée. Ensuite, la Commission rappelle les circonstances énumérées au considérant 411 de la décision attaquée. En particulier, elle indique que l’importance de la position dominante de la requérante, le taux de couverture du marché et les conditions dans lesquelles les paiements ont été octroyés sont des facteurs à prendre en compte, souligne que la troisième branche du troisième moyen n’aborde pas la question de la durée des accords concernés, précise que le montant des paiements concernés était élevé et explique que la décision attaquée ne se fonde pas sur l’existence d’une stratégie d’éviction. Enfin, la Commission explique que, suivant la décision attaquée, les paiements concernés étaient capables d’avoir des effets anticoncurrentiels tout au long de la période concernée et qu’ils avaient réellement eu des effets anticoncurrentiels sur les décisions d’achat des chipsets LTE pour les iPads qu’Apple prévoyait de lancer en 2014 et 2015.
376 D’autre part, la Commission indique qu’elle n’a pas pris acte du fait qu’Intel était un concurrent moins efficace. La requérante ne tiendrait pas compte de la conclusion formulée au considérant 464 de la décision attaquée selon laquelle Apple considérait Intel comme une source intéressante de chipsets LTE pour ses iPads. En tout état de cause, la conclusion reprise au considérant 486 ne serait pas uniquement fondée sur l’acceptation d’Intel en tant que concurrent aussi efficace, la Commission ayant tenu compte de la capacité des paiements concernés de produire des effets d’éviction pour n’importe quel concurrent aussi efficace, le considérant 426 de la décision attaquée notant qu’Apple avait envisagé trois autres fournisseurs pour les iPads qu’elle prévoyait de lancer en 2014.
377 La Commission ajoute que l’insistance de la requérante à soutenir qu’Intel ne pouvait être considéré comme un concurrent aussi efficace n’est d’aucune utilité, puisque la conclusion relative à la capacité des paiements concernés d’avoir des effets anticoncurrentiels s’applique à un concurrent aussi efficace.
378 À titre liminaire, et à supposer que les arguments de la Commission portant sur l’absence d’utilité d’un examen de la troisième branche du troisième moyen doivent être compris comme excipant le caractère inopérant de cette branche, ils doivent être écartés comme étant non fondés. En effet, dans le cadre de ladite branche, les parties sont en désaccord, en substance, sur le bien-fondé de la démonstration opérée par la Commission dans la décision attaquée quant à la capacité des paiements concernés de produire des effets anticoncurrentiels. Dès lors, si la troisième branche du troisième moyen s’avérait fondée, elle conduirait à l’annulation de la décision attaquée.
379 Dans ce cadre, afin d’examiner les arguments de la requérante, il convient de rappeler au préalable certains éléments inhérents à la structure et au contenu de la décision attaquée.
380 Tout d’abord, il y a lieu de rappeler que, si le marché pertinent retenu par la Commission dans la décision attaquée est le marché mondial des chipsets LTE (voir point 31 ci-dessus), le comportement reproché à la requérante s’inscrit uniquement dans le cadre de ses relations contractuelles avec Apple. Plus précisément, la Commission a retenu que le comportement infractionnel consistait en l’octroi par la requérante à Apple des paiements concernés (article 1er du dispositif de la décision attaquée).
381 Ensuite, il y a lieu de rappeler que, dans la section 11.4 de la décision attaquée, la Commission a conclu que les paiements concernés étaient constitutifs d’un abus de position dominante au motif qu’ils étaient des paiements d’exclusivité capables de produire des effets anticoncurrentiels (considérant 406 de la décision attaquée), en ce qu’ils avaient réduit les incitations d’Apple à se tourner vers les concurrents de la requérante (considérant 407 de la décision attaquée).
382 En particulier, la démonstration de la réduction des incitations d’Apple à se tourner vers les concurrents de la requérante a été opérée par la Commission dans les sous-sections 11.4.1 et 11.4.2 de la décision attaquée (considérants 407 et 408 de la décision attaquée).
383 Enfin, il y a lieu de relever que, pour parvenir à la conclusion selon laquelle les paiements concernés étaient capables de produire des effets anticoncurrentiels, dans la décision attaquée, la Commission a indiqué avoir également pris en compte la part significative du marché pertinent couvert par les paiements concernés visée à la sous-section 11.4.3 de la décision attaquée (considérants 409 et 411 de la décision attaquée), l’importance d’Apple comme client pour l’entrée ou l’expansion sur le marché pertinent visée à la sous-section 11.4.4 de la décision attaquée (considérants 410 et 411 de la décision attaquée) ainsi que l’étendue de la position dominante de la requérante visée à la section 10 de la décision attaquée, les conditions d’octroi des paiements concernés visées à la section 11.3 de la décision attaquée et la durée et le montant desdits paiements visés à la sous-section 11.4.1 et à la section 11.8 de la décision attaquée (considérant 411 de la décision attaquée). En revanche, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée et comme la Commission l’a confirmé dans ses écritures, elle ne s’est pas appuyée sur l’existence d’une stratégie d’éviction, c’est-à-dire d’une intention anticoncurrentielle de la part de la requérante.
384 Or, dans la mesure où, ainsi qu’il ressort du point 381 ci-dessus, la conclusion de la Commission selon laquelle les paiements concernés étaient capables de produire des effets anticoncurrentiels repose avant tout sur l’appréciation selon laquelle lesdits paiements avaient réduit les incitations d’Apple à se tourner vers les concurrents de la requérante, il convient de commencer par examiner si, ainsi que le fait valoir la requérante, la Commission a opéré une telle appréciation sans prendre en compte l’ensemble des circonstances pertinentes.
385 En premier lieu, il convient de rappeler que, ainsi qu’il a été observé au point 382 ci-dessus, la Commission est parvenue à l’appréciation selon laquelle les paiements concernés avaient réduit les incitations d’Apple à se tourner vers les concurrents de la requérante aux termes de l’analyse contenue aux sous-sections 11.4.1 et 11.4.2 de la décision attaquée.
386 D’une part, dans la sous-section 11.4.1 de la décision attaquée, la Commission est parvenue à ladite appréciation (considérant 412 de la décision attaquée) sur la base d’une analyse comparative du montant des paiements concernés reçus au cours de la période concernée (considérant 413 de la décision attaquée), du montant des paiements concernés qui auraient été perdus par Apple en cas de lancement d’un appareil intégrant un chipset LTE d’un concurrent de la requérante au cours de toute la période concernée (considérant 414 de la décision attaquée) et du montant des paiements concernés qui auraient dû être remboursés par Apple en cas de lancement d’un appareil intégrant un chipset LTE d’un concurrent de la requérante en 2013, 2014 et 2015 (considérant 416 de la décision attaquée) ainsi que de l’éventuel impact cumulatif de ladite perte et dudit remboursement des paiements concernés (considérant 417 de la décision attaquée).
387 D’autre part, dans la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée, la Commission a considéré que les documents internes et les explications d’Apple confirmaient ladite appréciation (considérant 423 de la décision attaquée). Cette sous-section s’articule en quatre sous-sous-sections : la première contient l’analyse de la Commission desdits documents internes et explications d’Apple (sous-sous-section 11.4.2.1 de la décision attaquée) ; la deuxième vise à répondre à l’argument de la requérante selon lequel ces documents internes et ces explications ne seraient pas fiables (sous-sous-section 11.4.2.2 de la décision attaquée) ; la troisième vise à répondre à l’argument de la requérante selon lequel l’exclusivité aurait été demandée par Apple (sous-sous-section 11.4.2.3 de la décision attaquée) ; et la quatrième vise à répondre à l’argument de la requérante selon lequel Apple l’aurait choisie en tout état de cause compte tenu de la qualité supérieure de ses chipsets LTE et contient l’appréciation de la Commission selon laquelle, contrairement aux arguments de la requérante, les paiements concernés avaient eu un impact sur la stratégie d’approvisionnement d’Apple (sous-sous-section 11.4.2.4 de la décision attaquée).
388 En deuxième lieu, il convient de relever que, comme il ressort de leur contenu ainsi que des explications fournies par la Commission devant le Tribunal, la portée des démonstrations opérées dans les sous-sections 11.4.1 et 11.4.2 de la décision attaquée est différente.
389 D’une part, la sous-section 11.4.1 de la décision attaquée vise à démontrer que les paiements concernés avaient réduit les incitations d’Apple à se tourner vers les concurrents de la requérante au cours de la période concernée pour s’approvisionner en chipsets LTE pour tous ses appareils, à savoir les iPhones et les iPads. Dans ce cadre, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée et comme la Commission l’a explicité devant le Tribunal, elle s’est fondée sur une analyse de la capacité des paiements concernés à produire des effets anticoncurrentiels.
390 Par ailleurs, s’agissant de la demande d’Apple en chipsets LTE visée par l’analyse de la Commission, il convient d’observer que, dans la sous-section 11.4.3 de la décision attaquée, afin de déterminer le taux de couverture du marché des paiements concernés, la Commission s’est référée également à l’ensemble des chipsets LTE obtenus par Apple auprès de la requérante, sans distinction entre iPhones et iPads. De même, dans la sous-section 11.4.4 de la décision attaquée, la Commission a considéré qu’Apple était un client attractif pour les fournisseurs de chipsets LTE, sans faire de distinction entre les iPhones et les iPads.
391 Ainsi, la sous-section 11.4.1 de la décision attaquée, tout comme les sous-sections 11.4.3 et 11.4.4 de la décision attaquée, concerne la totalité de la demande d’Apple en chipsets LTE pour les iPhones et les iPads. La Commission a d’ailleurs confirmé dans ses écritures qu’elle avait conclu que, tout au long de la période concernée, les paiements concernés étaient capables de produire des effets anticoncurrentiels en relation avec les chipsets LTE destinés tant aux iPhones qu’aux iPads.
392 D’autre part, la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée vise à confirmer, essentiellement sur la base des documents internes et des explications d’Apple, l’appréciation contenue dans la sous-section 11.4.1 de la décision attaquée et, plus précisément, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée et comme la Commission l’a explicité devant le Tribunal, à démontrer que les paiements concernés avaient réellement réduit les incitations d’Apple à se tourner vers les concurrents de la requérante pour s’approvisionner en chipsets LTE pour certains de ses appareils.
393 En effet, à cet égard, dans le mémoire en défense, la Commission a expressément confirmé que ladite sous-section de la décision attaquée visait à démontrer que les paiements concernés avaient « réellement influencé », ou avaient eu pour « effet réel d’influencer », les décisions d’achat de chipsets LTE prises par Apple pour « les iPads qu’elle prévoyait de lancer en 2014 et 2015 ». Ainsi, la Commission a expliqué que la conclusion à laquelle elle était parvenue à cet égard concernait les « effets réels » des paiements concernés.
394 Par ailleurs, s’agissant de la demande d’Apple en chipsets LTE visée par son analyse contenue dans la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée, interrogée dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure sur la portée des mots et expressions « appareils », « lancés » (en 2014 et 2015) et « être lancés » (en 2014 et 2015) employés dans ladite sous-section, la Commission a confirmé expressément que cette sous-section ne concernait pas les iPhones mais uniquement les iPads, a fait part d’une regrettable « erreur de plume » en ce que ladite sous-section se référait aux iPads effectivement « lancés » en 2014 et 2015 et, par suite, a confirmé expressément que ladite sous-section concernait uniquement certains modèles « non-CDMA » d’iPads qui devaient « être lancés » par Apple en 2014 et 2015.
395 Il en découle que, ainsi qu’il ressort du contenu de la décision attaquée et comme la Commission l’a confirmé tant dans ses écritures que lors de l’audience, d’une part, l’ensemble de l’analyse de la Commission contenue dans la sous-section 11.4.1 de la décision attaquée porte sur la capacité des paiements concernés à produire des effets anticoncurrentiels en lien tant avec les iPhones qu’avec les iPads, ainsi que le suggère d’ailleurs l’intitulé de la section 11.4 de la décision attaquée en ce qu’il se réfère globalement aux effets anticoncurrentiels « potentiels » de ces paiements. Cette analyse est visée par le présent premier grief de la troisième branche du troisième moyen. D’autre part, l’analyse de la Commission contenue dans la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée porte sur les effets que les paiements concernés auraient réellement eus en lien avec certains modèles d’iPads qu’Apple prévoyait de lancer en 2014 et 2015. Cette analyse est visée par les deuxième et troisième griefs de la troisième branche du troisième moyen (voir points 429 et suivants ci-après).
396 En troisième lieu, conformément à la jurisprudence rappelée au point 355 ci-dessus, l’analyse de la capacité des paiements concernés de restreindre la concurrence et, en particulier, d’évincer les concurrents au moins aussi efficaces doit être effectuée au regard de l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes entourant ledit comportement.
397 Il en découle que, devant prendre en compte toutes les circonstances pertinentes entourant le comportement reproché, l’analyse de la capacité anticoncurrentielle de ce comportement ne saurait être purement hypothétique (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2015, Post Danmark, C‑23/14, EU:C:2015:651, points 65 et 68).
398 En quatrième lieu, compte tenu de ce qui précède, il y a lieu d’examiner si, ainsi que le soutient la requérante, la Commission est parvenue à l’appréciation selon laquelle les paiements concernés avaient réduit les incitations d’Apple à se tourner vers les concurrents de la requérante pour s’approvisionner en chipsets LTE pour les iPhones et les iPads devant être lancés au cours de la période concernée sans avoir dûment pris en compte l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes.
399 Premièrement, il ressort de la décision attaquée que, pour les modèles d’iPhones et d’iPads lancés avant 2011, Apple s’était approvisionnée en chipsets UMTS auprès d’Infineon, dont les activités de fourniture de chipsets ont été acquises par Intel en 2011 (considérants 89 et 90 de la décision attaquée). Entre 2011 et 2015, et jusqu’au 16 septembre 2016, soit pendant la période concernée, Apple s’est approvisionnée en chipsets LTE pour les iPhones et les iPads exclusivement auprès de la requérante (considérant 168 de la décision attaquée). À partir de l’iPhone 7, lancé le 16 septembre 2016, Apple a incorporé des chipsets LTE d’Intel dans certaines versions de ce modèle (considérants 91 et 169 de la décision attaquée).
400 Deuxièmement, ainsi que le souligne la requérante, il convient de relever que, au considérant 322 de la décision attaquée, dans le cadre de la section 10 de cette décision relative à la position dominante de la requérante, la Commission a constaté que, entre 2011 et 2015, « Apple n’avait pas d’alternative s’agissant de ses besoins en chipsets LTE pour ses appareils iPhones ».
401 À cet égard, d’une part, il y a lieu de relever que, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas précisé l’origine de la constatation opérée au considérant 322 de ladite décision. En effet, la note en bas de page no 392 qui y est afférente, dans la version de la décision attaquée notifiée à la requérante, renvoie à une section de la décision attaquée qui n’existe pas (section 0) et, dans la version publique de la décision attaquée, renvoie, sans autre explication, à la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée. Toutefois, il convient de rappeler que, ainsi que l’a confirmé la Commission en réponse aux mesures d’organisation de la procédure, la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée ne concerne pas les iPhones, mais concerne uniquement certains modèles d’iPads destinés à être lancés en 2014 et 2015 (point 394 ci-dessus). Or, interrogée à cet égard lors de l’audience, la Commission a expliqué que la référence à la section 0, figurant dans la version de la décision attaquée notifiée à la requérante, résultait d’une erreur technique et que la référence à la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée, figurant dans la version publique de la décision attaquée, devait être comprise par opposition, en ce sens que si Apple n’avait pas d’alternative aux chipsets LTE de la requérante pour les iPhones à lancer entre 2011 et 2015 suivant le considérant 322 de la décision attaquée, elle avait une telle alternative pour certains iPads à lancer en 2014 et 2015 suivant la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée.
402 D’autre part, il ressort de la décision attaquée que le constat contenu au considérant 322 de ladite décision se réfère à l’absence d’alternative technique au regard des besoins d’Apple en chipsets LTE pour les iPhones. En effet, au considérant 447 de la décision attaquée, en s’appuyant sur les observations d’Apple sur la réponse de la requérante à la communication des griefs, la Commission a indiqué que, pour les appareils à lancer en 2016, l’amélioration d’Intel dans des « technologies clés » aurait permis à ce dernier d’être considéré pour les iPhones et non seulement pour les iPads. De même, aux considérants 491, 492 et 495 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que les besoins d’Apple en chipsets LTE pour les iPhones n’étaient pas disputables entre 2012 et 2015, en mettant notamment en avant le fait que les chipsets LTE d’Intel ne disposaient pas de certaines caractéristiques techniques.
403 En réponse aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience sur le fondement du constat contenu au considérant 322 de la décision attaquée, tant la Commission que la requérante ont confirmé expressément, d’une part, que ledit constat devait effectivement être compris comme se référant à une absence d’alternative technique eu égard aux besoins d’Apple en chipsets LTE pour les iPhones qui devaient être lancés entre 2011 et 2015 et, d’autre part, que ce constat était correct du point de vue factuel.
404 Au demeurant, dans le cadre du présent litige, il n’est pas nécessaire de déterminer la ou les caractéristiques techniques concernées par ladite absence d’alternative pour les différents modèles d’iPhones qu’Apple devait lancer entre 2011 et 2015, et en particulier s’il s’agissait de la norme « Code Division Multiple Access » (CDMA) visée notamment par les déclarations reprises au considérant 187, point 2, et aux considérants 454 et 461 de la décision attaquée, de la technologie « Voice over LTE » (VoLTE) visée notamment par la déclaration reprise à la note en bas de page no 586 de la décision attaquée afférente (par le renvoi opéré à la note en bas de page no 587) au considérant 447 de cette décision, de la « connectivité voix » ou de la « fonction voix » visées par les déclarations reprises au considérant 492 de la décision attaquée, ou encore d’autres caractéristiques.
405 En effet, quelle que soit l’explication technique qu’il convient de donner au constat factuel opéré par la Commission au considérant 322 de la décision attaquée, il est constant entre les parties qu’Apple ne disposait d’aucune alternative technique aux chipsets LTE de la requérante s’agissant de ses besoins pour les iPhones à lancer entre 2011 et 2015.
406 Par ailleurs, aucun élément figurant dans la décision attaquée ne permet de considérer, d’une part, qu’Apple aurait envisagé de s’approvisionner, pour les iPhones à lancer entre 2011 et 2015, en chipsets LTE qui ne respectaient pas ses exigences techniques et, d’autre part, que cette absence d’alternative pour les iPhones, constatée au considérant 322 de la décision attaquée, découlait de raisons autres que techniques.
407 Troisièmement, aux considérants 491, 493 et 495 de la décision attaquée, la Commission a également constaté que les besoins d’Apple en chipsets LTE pour les iPhones à lancer en 2016 étaient disputables seulement pour environ la moitié. À cet effet, au considérant 493 de la décision attaquée, la Commission s’est appuyée sur une déclaration d’Apple, contenue dans les observations de cette dernière sur la réponse de la requérante à la communication des griefs, indiquant qu’elle était en mesure de s’approvisionner auprès d’Intel seulement pour moins de la moitié de ses besoins en volume pour les iPhones à lancer en 2016. Or, les éléments contenus dans la décision attaquée à cet égard se référent également à des considérations techniques. En effet, la note en bas de page no 586 de la décision attaquée, reprenant les observations d’Apple sur la réponse de la requérante à la communication des griefs, indique qu’Apple aurait pu s’approvisionner auprès d’Intel seulement pour la « partie non-CDMA » de ses besoins en chipsets LTE pour l’iPhone à lancer en 2016, ce qui sous-tend qu’Apple n’aurait pas pu s’approvisionner auprès d’Intel pour la partie CDMA desdits besoins.
408 Quatrièmement, selon les estimations contenues dans la décision attaquée, les iPhones représentaient environ 90 % des ventes d’Apple d’appareils LTE au cours de la période concernée, et donc de ses besoins en chipsets LTE, tandis que les iPads représentaient environ 10 % des ventes d’Apple d’appareils LTE au cours de la période concernée, et donc de ces mêmes besoins (voir considérant 421 de la décision attaquée).
409 Il s’ensuit que, pour une très grande partie des besoins d’Apple en chipsets LTE pour les appareils à lancer au cours de la période concernée, à savoir tous les iPhones à lancer entre 2011 et 2015 et plus de la moitié des iPhones à lancer en 2016, Apple n’avait pas d’alternative technique aux chipsets LTE de la requérante et ne pouvait donc pas se tourner vers des fournisseurs concurrents.
410 Or, le fait incontesté que, sur le marché pertinent, il n’existait pas d’alternative technique aux chipsets LTE de la requérante pour une très grande partie des besoins d’Apple au cours de la période concernée est une circonstance factuelle pertinente qui doit être prise en compte lors de l’analyse de la capacité des paiements concernés de produire des effets d’éviction, dès lors que ladite capacité a été retenue par la Commission au regard de l’ensemble des besoins d’Apple en chipsets LTE et, en particulier, de la réduction des incitations d’Apple à se tourner vers les concurrents de la requérante pour tous ses besoins.
411 Cinquièmement, compte tenu de ce qui précède, force est de constater que la Commission est parvenue à la conclusion selon laquelle les paiements concernés étaient capables de restreindre la concurrence en ce qu’ils avaient réduit les incitations d’Apple à se tourner vers les concurrents de la requérante pour s’approvisionner en chipsets LTE pour l’ensemble de sa demande pour les iPhones et les iPads aux termes d’une analyse dans laquelle elle a omis de prendre dûment en compte l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes entourant le comportement reproché.
412 En effet, bien que la Commission ait constaté qu’Apple n’avait pas d’alternative technique aux chipsets LTE de la requérante pour tous les iPhones à lancer entre 2011 et 2015 et pour plus de la moitié des iPhones à lancer en 2016, elle n’a pas mis en relation cette circonstance factuelle pertinente, impliquant l’absence de concurrents pouvant approvisionner Apple en chipsets LTE pour lesdits iPhones, avec la prétendue réduction des incitations d’Apple à se tourner vers les concurrents de la requérante pour s’approvisionner en chipsets LTE pour l’ensemble de ses besoins, y compris donc pour les iPhones et alors que ces appareils représentaient une très grande partie desdits besoins.
413 Par ailleurs, de façon contradictoire, dans la section 11.5 de la décision attaquée, la Commission s’est appuyée notamment sur ladite circonstance afin d’écarter l’analyse de la marge critique de la requérante, au motif que la part disputable de la demande d’Apple invoquée par la requérante n’aurait pas tenu compte du fait qu’Apple n’aurait pas pu changer de fournisseur pour les chipsets LTE pour les iPhones à lancer en 2012, 2013, 2014 et 2015 et pour plus de la moitié des iPhones à lancer en 2016 (considérant 491 et considérant 495, point 2, de la décision attaquée).
414 Dans ces conditions, dans la mesure où la Commission n’a pas pris en compte le fait qu’Apple ne pouvait se tourner vers aucun autre fournisseur pour satisfaire ses exigences techniques pour une très grande partie de sa demande en chipsets LTE (correspondant aux iPhones, exception faite pour moins de la moitié des iPhones à lancer en 2016), elle ne pouvait pas valablement conclure que les paiements concernés avaient réduit les incitations d’Apple à se tourner vers les concurrents de la requérante pour l’ensemble de ses besoins couvrant tous les iPhones et les iPads à lancer au cours de la période concernée, et que ces paiements étaient ainsi capables de restreindre la concurrence sur l’ensemble du marché pertinent des chipsets LTE. En effet, la circonstance – qui n’a pas dûment été prise en compte dans la décision attaquée – qu’Apple se serait approvisionnée en chipsets LTE auprès de la requérante, et non auprès des concurrents de la requérante, eu égard à l’absence d’alternatives répondant à ses propres exigences techniques pourrait relever de la concurrence par les mérites, et non d’un effet d’éviction anticoncurrentiel résultant des paiements concernés.
415 Certes, l’article 102 TFUE interdit les comportements d’une entreprise en position dominante ayant pour objet de renforcer cette position et d’en abuser, notamment lorsqu’ils visent à priver des concurrents potentiels avérés d’un accès effectif à un marché [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 151]. En l’espèce, compte tenu de la théorie du préjudice formulée dans la décision attaquée qui repose sur une réduction des incitations d’Apple à se tourner vers les concurrents de la requérante pour l’ensemble de ses besoins en chipsets LTE pendant la période concernée, la Commission ne pouvait pas omettre de prendre en compte la circonstance qu’Apple, en raison de ses propres exigences techniques, ne pouvait pas se tourner vers les concurrents de la requérante pour une très grande partie de sa demande en chipsets LTE pendant ladite période.
416 Par ailleurs, il doit être relevé que, dans la décision attaquée, la Commission n’a nullement soutenu que le comportement de la requérante aurait empêché des concurrents moins efficaces que cette dernière de développer des produits respectant les exigences d’Apple, mais uniquement que les incitations d’Apple à se tourner vers les concurrents de la requérante pour l’ensemble des besoins en chipsets LTE avaient été réduites. En tout état de cause, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 351 ci-dessus, la concurrence par les mérites peut conduire à la disparition du marché ou à la marginalisation des concurrents moins efficaces et donc moins intéressants pour les consommateurs du point de vue notamment des prix, du choix, de la qualité ou de l’innovation.
417 Il résulte de tout ce qui précède que la conclusion de la Commission quant à la capacité des paiements concernés de produire des effets d’éviction au motif qu’ils avaient réduit les incitations d’Apple à se tourner vers les concurrents de la requérante pour s’approvisionner en chipsets LTE pour l’ensemble de sa demande repose sur une analyse qui n’a pas été opérée au regard de l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes et qui est, pour ce motif, entachée d’illégalité.
418 Cette conclusion n’est pas remise en cause par les autres arguments de la Commission.
419 Premièrement, lors de l’audience, en réponse aux questions du Tribunal, la Commission s’est appuyée sur le considérant 421 de la décision attaquée afin de soutenir qu’il exposerait l’effet de « levier » sur lequel reposerait la démonstration de la capacité des paiements concernés de produire des effets anticoncurrentiels. En substance, selon la Commission, quand bien même l’approvisionnement des iPhones par les concurrents de la requérante ne serait pas techniquement possible, les accords concernés permettraient à la requérante de faire « levier » sur cette partie non disputable de la demande d’Apple visant les iPhones pour évincer les concurrents sur la partie disputable de ladite demande visant les iPads et empêcher ainsi les concurrents de s’étendre et de croître sur le marché.
420 À cet égard, tout d’abord, il convient d’observer que l’argument de la Commission ne concorde pas avec la théorie du préjudice exposée dans la décision attaquée, laquelle vise la capacité des paiements concernés de produire des effets anticoncurrentiels sur l’ensemble du marché pertinent des chipsets LTE au motif qu’Apple aurait été dissuadée de s’approvisionner auprès des concurrents de la requérante pour l’ensemble de ses besoins en chipsets LTE pour les iPhones et les iPads. En d’autres termes, la décision attaquée vise un effet d’éviction concernant globalement et indistinctement les chipsets LTE tant pour les iPhones que pour les iPads, et non un effet d’éviction circonscrit au seul approvisionnement d’Apple en chipsets LTE pour les iPads. Au demeurant, d’une part, dans la décision attaquée, l’infraction reprochée à la requérante a été définie par rapport à la demande globale d’Apple pour les iPhones et les iPads et, d’autre part, la notion même d’un effet de « levier » exercé par la requérante au regard des différents appareils d’Apple n’apparaît pas dans le raisonnement présenté par la Commission dans la section 11.4 de la décision attaquée.
421 Ensuite, il convient de relever que, tout en faisant partie de la section 11.4.1 de la décision attaquée, le considérant 421 de cette décision vise à répondre, avec les considérants 419 et 420 de la même décision, à un argument présenté par la requérante au cours de la procédure administrative concernant la possibilité pour ses concurrents d’offrir à Apple des incitations identiques. Il ne saurait donc être considéré que la théorie du préjudice fondant la capacité des paiements concernés de produire des effets anticoncurrentiels soit exposée dans ledit considérant. Par ailleurs, en tout état de cause, contrairement à ce qui est suggéré par la Commission, le considérant 421 de la décision attaquée ne contient aucune indication précise sur le fait que la requérante aurait, par le biais de la part non disputable de la demande d’Apple en chipsets LTE, obtenu un effet de « levier » sur la part disputable de cette demande.
422 Enfin, à titre surabondant, il convient de relever que l’argument de la Commission tiré du considérant 421 de la décision attaquée repose sur la prémisse que la décision attaquée démontrerait la capacité anticoncurrentielle des paiements concernés par rapport aux iPads. Or, d’une part, ainsi qu’il a été observé au point 391 ci-dessus, dans les sous-sections 11.4.1, 11.4.3 et 11.4.4 de la décision attaquée, la Commission a opéré une analyse globale de la capacité des paiements concernés à produire des effets anticoncurrentiels, sans opérer aucune analyse spécifique en relation avec les iPads. D’autre part, ainsi qu’il a été observé aux points 392 à 394 ci-dessus, en relation avec les iPads, dans la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée, la Commission s’est limitée à examiner les prétendus effets réels des paiements concernés en relation avec les modèles non-CDMA des iPads à lancer en 2014 et 2015, analyse qui est visée par les deuxième et troisième griefs examinés ci-après.
423 Deuxièmement, ainsi qu’il a été relevé au point 375 ci-dessus, la Commission s’appuie sur les éléments mentionnés au considérant 411 de la décision attaquée et rappelés au point 383 ci-dessus afin de démontrer qu’elle aurait pris en compte les circonstances pertinentes du cas d’espèce.
424 D’une part, dans la mesure où la Commission s’appuie sur les conditions d’octroi des paiements concernés visées à la section 11.3 de la décision attaquée, il convient de rappeler que, dans ladite section, elle s’est limitée à conclure que les paiements concernés étaient des paiements d’exclusivité, et que l’analyse de la prétendue capacité de ces paiements de produire des effets anticoncurrentiels était contenue dans la section 11.4 de cette décision. En outre, il doit être observé que, dans les circonstances de la présente affaire, la qualification de paiements d’exclusivité des paiements concernés n’était pas suffisante pour conclure que ces paiements étaient constitutifs d’un abus de position dominante. En effet, conformément à la jurisprudence rappelée au point 354 ci-dessus, compte tenu des objections présentées par la requérante au cours de la procédure administrative, la Commission était tenue de procéder à une analyse de la capacité des paiements concernés de produire des effets anticoncurrentiels et, en particulier, de la capacité d’éviction de concurrents au moins aussi efficaces.
425 D’autre part, si la Commission souligne à juste titre, en substance, que les éléments visés au point 383 ci-dessus ne devraient pas être négligés, il n’en demeure pas moins que lesdits éléments, tout en étant des éléments pouvant être pertinents dans l’appréciation de la capacité d’un comportement de produire des effets anticoncurrentiels, ne démontrent pas, en tant que tels, en l’espèce, un effet anticoncurrentiel et, en particulier, d’éviction. Il en va ainsi de l’étendue de la position dominante de la requérante (visée à la section 10 de la décision attaquée), de la durée et du montant des paiements concernés (visés à la sous-section 11.4.1 et à la section 11.8 de la décision attaquée), de la part du marché couverte par ces paiements (visée à la sous-section 11.4.3 de la décision attaquée) et de l’importance d’Apple comme client (visée à la sous-section 11.4.4 de la décision attaquée). En effet, l’évocation desdits éléments ne saurait remettre en cause le fait que, en l’espèce, la démonstration par la Commission de la capacité des paiements concernés de produire des effets anticoncurrentiels, s’agissant notamment de la capacité d’éviction des concurrents au moins aussi efficaces inhérente à la pratique en cause, n’a pas été effectuée à l’aune de toutes les circonstances factuelles pertinentes entourant le comportement reproché eu égard à la prétendue réduction des incitations d’Apple à se tourner vers les concurrents de la requérante pour l’ensemble de ses besoins en chipsets LTE pour les iPhones et les iPads.
426 Par ailleurs, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée et que la Commission l’a expressément indiqué devant le Tribunal, dans cette même décision, elle ne s’est pas fondée sur un modèle économique, tel qu’un test du concurrent aussi efficace, pour conclure que les paiements concernés étaient capables de produire des effets anticoncurrentiels et, dans la section 11.5 de la décision attaquée, elle s’est limitée à indiquer que l’analyse de la marge critique présentée par la requérante ne remettait pas en cause ses conclusions.
427 Troisièmement, les arguments de la Commission tirés des considérants 426, 464 et 486 de la décision attaquée ne sauraient être retenus. En effet, les considérants 426 et 464, afférents à la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée, concernent uniquement certains modèles d’iPads à lancer en 2014 et 2015 et ne sauraient donc remettre en cause les constats opérés au point 409 ci-dessus en relation avec les iPhones. Enfin, contrairement à ce qui est suggéré par la Commission, la conclusion contenue au considérant 486 de la décision attaquée n’est pas non plus susceptible de remettre en cause lesdits constats.
428 Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu d’accueillir le premier grief de la troisième branche du troisième moyen du recours.
3. Sur les deuxième et troisième griefs de la troisième branche du troisième moyen, tirés de l’absence de démonstration que les accords concernés auraient influencé les décisions d’approvisionnement d’Apple pour les iPads « de 2014 » et « de 2015 »
429 Les deuxième et troisième griefs de la troisième branche du troisième moyen visent à contester la démonstration contenue dans la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée.
430 La requérante conteste les conclusions de la Commission contenues aux considérants 424 et 451 de la décision attaquée, en faisant valoir que la décision attaquée ne prouverait pas, en ce qui concerne le premier considérant, que les accords concernés auraient réduit les incitations d’Apple à se tourner vers des fournisseurs concurrents pour les « appareils lancés en 2014 et 2015 » ou, en ce qui concerne le second considérant, qu’ils auraient eu un impact sur la stratégie d’approvisionnement d’Apple pour les « appareils à lancer en 2014 et 2015 ».
431 D’une part, s’agissant des iPads « de 2014 », la requérante soutient, tout d’abord, que la décision attaquée ne contient pas de preuve qu’Apple ait envisagé d’utiliser les chipsets d’Intel dans les iPads « effectivement lancés en octobre 2014 ». Ensuite, la Commission ferait plusieurs fois référence à un modèle d’iPad qu’Apple « [confidentiel] », appelé « [confidentiel] », mais ne démontrerait pas que les accords concernés auraient influencé la décision d’approvisionnement d’Apple pour ce modèle. Or, Apple n’aurait jamais sérieusement envisagé d’utiliser les chipsets d’Intel pour ce modèle, mais elle aurait réalisé que le chipset d’Intel ne pouvait pas être utilisé, ce que confirmerait le rapport produit par la requérante en annexe à sa réponse à la communication des griefs. Enfin, ce serait l’incapacité des chipsets d’Intel à respecter les exigences techniques et le calendrier d’Apple qui expliquerait qu’ils n’ont pas été retenus pour équiper les iPads « de 2014 ».
432 La requérante ajoute que l’assertion de la Commission selon laquelle elle était consciente des appareils pour lesquels Apple envisageait de s’approvisionner auprès d’Intel est inexacte. En outre, la décision attaquée ne contiendrait aucune analyse relative à la sélection du fournisseur pour le modèle « [confidentiel] » et n’établirait pas de lien de causalité entre le premier avenant à l’accord de transition et la décision d’utiliser un chipset de la requérante pour le modèle « [confidentiel] ».
433 La Commission relève, tout d’abord, que la décision attaquée concerne les appareils « à lancer en 2014 », et pas ceux « effectivement lancés ». La requérante aurait été parfaitement consciente des appareils pour lesquels Apple envisageait de s’approvisionner auprès d’Intel. Apple aurait également confirmé qu’elle cherchait à diversifier son approvisionnement. Ensuite, s’agissant du modèle « [confidentiel] », la Commission souligne que les considérants 428 à 435 de la décision attaquée démontrent l’influence des accords concernés. En outre, les négociations entre la requérante et Apple relatives au premier avenant à l’accord de transition auraient influencé la décision d’achat d’Apple prise au début de l’année 2013. L’accord de transition aurait de toute façon été suffisant pour influencer Apple, qui aurait envisagé d’introduire Intel pour une partie des iPads à lancer en 2014. En outre, l’allégation de la requérante selon laquelle Apple n’aurait jamais sérieusement envisagé d’utiliser les chipsets d’Intel dans le modèle « [confidentiel] » ne serait pas étayée. Enfin, en ce qui concerne le rapport produit par la requérante en annexe à sa réponse à la communication des griefs, la Commission renvoie à la réponse faite par Apple à cet égard dans ses observations sur la réponse de la requérante à la communication des griefs.
434 La Commission ajoute qu’Apple avait décidé [confidentiel] et que cette décision avait été influencée par la négociation du premier avenant à l’accord de transition et par la perte des paiements concernés découlant de l’accord de transition. Les documents d’Apple démontreraient que les paiements concernés ont réellement influencé la décision d’achat de chipsets LTE pour les « iPads qu’elle prévoyait de lancer en 2014 ».
435 D’autre part, s’agissant des iPads « de 2015 », la requérante relève que la Commission ne fait pas référence aux modèles d’iPads « lancés » au printemps ou en septembre et novembre 2015, ni à ceux dont « le lancement était prévu au printemps 2015 », mais évoquerait un modèle indéterminé « à lancer à l’automne 2015 ». Pour étayer l’affirmation que les chipsets d’Intel avaient été sérieusement considérés, la décision attaquée reposerait sur un seul courriel d’un ingénieur d’Apple dont la Commission déformerait les propos. Le dossier ne contiendrait aucun élément de preuve, notamment d’employés d’Apple ayant effectivement pris les décisions d’achat de chipsets, faisant apparaître que le chipset d’Intel était une véritable option. En outre, les éléments du dossier démontreraient que les chipsets d’Intel ne respectaient pas les impératifs techniques et de calendrier d’Apple.
436 La requérante ajoute que la Commission interprèterait pour la première fois dans le mémoire en défense des documents internes d’Apple.
437 La Commission relève, s’agissant des effets réels des paiements concernés sur les achats de chipsets, que des courriels internes d’Apple attestent de l’intérêt d’Apple de faire appel à un autre fournisseur. Ensuite, le courriel d’un ingénieur d’Apple visé au considérant 436 de la décision attaquée ne contiendrait pas d’incertitude quant au chipset d’Intel, ce qui serait confirmé par le courriel d’un autre employé d’Apple. Enfin, la Commission renvoie au considérant 437 de la décision attaquée contenant la déclaration d’un employé d’Apple qualifiant d’intenable, du point de vue commercial, le fait de passer à un chipset d’Intel compte tenu des paiements concernés ainsi qu’à une déclaration contenue dans les observations d’Apple sur la réponse de la requérante à la communication des griefs. Les arguments de la requérante portant sur le calendrier des chipsets d’Intel seraient donc dénués de pertinence et, en tout état de cause, erronés.
438 La Commission ajoute que le rapport produit par la requérante en annexe à sa réponse à la communication des griefs repose sur des essais réalisés sur des chipsets utilisés dans les appareils d’autres fabricants et que ses conclusions ne sont donc pas surprenantes. Par ailleurs, la requérante omettrait d’expliquer en quoi l’interprétation par la Commission du courriel d’un employé d’Apple visé au considérant 437 de la décision attaquée serait inexacte et ne remettrait pas en cause la déclaration d’Apple invoquée dans le mémoire en défense. En outre, les arguments de la requérante seraient contredits par ses propres éléments de preuve dans le cadre de la procédure FTC.
a) Observations liminaires
439 Il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il ressort des points 392 à 394 ci-dessus, la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée vise à démontrer que, selon la Commission, les documents internes et les explications d’Apple confirment que les paiements concernés ont réellement réduit les incitations d’Apple à se tourner vers les concurrents de la requérante pour s’approvisionner en chipsets LTE en ce qui concerne spécifiquement ses besoins pour certains de ses appareils. Ainsi que la Commission l’a confirmé expressément devant le Tribunal, cette démonstration concerne les « effets réels » des paiements concernés en relation avec ces appareils.
440 En d’autres termes, ladite sous-section vise à confirmer la capacité des paiements concernés de produire des effets anticoncurrentiels en démontrant leurs effets réels en relation avec certains appareils.
441 En particulier, s’agissant de la demande d’Apple visée par l’analyse de la Commission contenue dans la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée, il convient de rappeler que cette sous-section vise uniquement les prétendus effets réels produits par les paiements concernés en relation avec certaines versions non-CDMA de certains modèles d’iPads « lancés » ou « qui devaient être lancés » en 2014 et en 2015. En revanche, ladite sous-section ne vise pas d’autres iPads « lancés » ou « qui devaient être lancés » au cours de la période concernée.
442 Or, d’emblée, il convient de relever qu’une telle démonstration particulière des prétendus effets réels des paiements concernés, limitée à certaines versions des modèles d’iPads de 2014 et de 2015, ne saurait remédier à l’absence de prise en compte de toutes les circonstances factuelles pertinentes dans le cadre de la démonstration générale de la Commission, examinée lors de l’examen du premier grief de la troisième branche du troisième moyen, de la capacité des paiements concernés de produire des effets anticoncurrentiels au cours de la période concernée en relation avec l’ensemble des besoins d’Apple en chipsets LTE, tant pour les iPhones que pour les iPads.
443 En d’autres termes, à supposer même que les deuxième et troisième griefs de la troisième branche du troisième moyen du recours ne soient pas fondés et que l’analyse contenue dans la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée ne soit pas ainsi remise en cause, ladite sous-section, compte tenu de sa portée limitée à certains iPads de 2014 et de 2015, ne saurait valablement soutenir la conclusion retenue dans la décision attaquée quant au caractère anticoncurrentiel des paiements concernés au cours de toute la période concernée en relation avec l’ensemble des besoins d’Apple en chipsets LTE, tant pour les iPhones que pour les iPads.
444 C’est donc à titre surabondant que, dans les circonstances de la présente affaire, il convient d’examiner le bien-fondé de ladite sous-section et donc si, ainsi que le conteste la requérante, la Commission n’a pas dûment démontré les effets réellement produits par les paiements concernés sur les incitations d’Apple à se tourner vers les concurrents de la requérante pour les modèles d’iPads visés dans cette sous-section.
445 En l’espèce, les deuxième et troisième griefs de la troisième branche du troisième moyen s’articulent chacun, en substance, en trois sous-griefs, visant, le premier, l’identification des appareils examinés dans la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée, le deuxième, les éléments de preuve pris en compte par la Commission dans ladite sous-section et, le troisième, l’absence de prise en compte d’autres éléments pertinents.
446 Dans les circonstances de la présente affaire, il convient d’examiner, d’abord, le premier sous-grief, ensuite, le troisième sous-grief et, enfin, le deuxième sous-grief, à la lumière de la jurisprudence rappelée aux points 357 à 359 ci-dessus.
b) Sur le premier sous-grief, relatif aux appareils visés dans la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée
447 La requérante fait valoir, en substance, de façon préalable, que la Commission n’a pas précisé les appareils visés par son analyse. Ce grief rejoint le premier grief de la troisième branche du troisième moyen, dans le cadre duquel la requérante a indiqué que le raisonnement de la Commission était imprécis, en ce qu’il se référait génériquement à des « appareils » et mentionnait erronément « l’iPad [confidentiel] » comme l’« [confidentiel] ».
448 À cet égard, à titre liminaire, il convient de rappeler que la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée s’articule en quatre sous-sous-sections : la première (11.4.2.1) contient l’analyse des documents internes et des explications d’Apple conduisant la Commission à conclure que les paiements concernés ont réellement réduit les incitations d’Apple à se tourner vers des fournisseurs concurrents, tandis que les trois dernières (11.4.2.2, 11.4.2.3 et 11.4.2.4) se limitent, en substance, à répondre à des arguments de la requérante qui n’affecteraient pas ladite conclusion (voir considérant 423 de la décision attaquée et point 387 ci-dessus).
449 Tout d’abord, s’agissant de la sous-sous-section 11.4.2.1 de la décision attaquée, elle comprend les considérants 424 à 439 de cette décision et, ainsi qu’il ressort du considérant 424, vise à démontrer que les paiements concernés ont réduit les incitations d’Apple à se tourner vers les concurrents de la requérante, en particulier Intel, dont les chipsets avaient été évalués sérieusement par Apple pour être utilisés dans les « appareils lancés en 2014 et 2015 ».
450 Or, dans le corps de ladite sous-sous-section, la Commission ne s’est plus référée à de tels appareils, mais à des éléments de preuve se référant aux « modèles d’iPads non-CDMA » (considérant 425 de la décision attaquée), au « lancement en 2014 des versions non-CDMA des iPads » (considérant 426 de la décision attaquée), aux « appareils mobiles de 2014 » (considérant 427 de la décision attaquée), aux « [confidentiel] » et aux « [confidentiel] » (considérant 428 de la décision attaquée), à « certains de ses iPads en 2014 » et à « tout son portefeuille d’iPads cellulaires en 2015 » (considérant 430 de la décision attaquée), aux « modèles d’iPads de 2014 et 2015 » ainsi qu’au « modèle d’iPhone de 2015 » (considérant 431 de la décision attaquée), aux « [confidentiel] initialement prévus pour être lancés au printemps 2014 » et « finalement lancés à l’automne 2013 » (considérant 433 et note en bas de page no 558 de la décision attaquée), aux « appareils mobiles de 2014 et 2015 » (considérant 435 de la décision attaquée), au « modèle d’iPad de l’automne 2015 » (considérant 436 de la décision attaquée), au « lancement d’un iPad […] en 2015 » (considérant 437 de la décision attaquée), aux « besoins d’Apple en chipsets non-CDMA » (considérant 438 de la décision attaquée) et aux « modèles d’appareil de 2015 » ainsi qu’à la « programmation d’appareils mobiles de l’automne 2015 » (considérant 439 de la décision attaquée). Force est donc de constater que la Commission a qualifié variablement les appareils et les périodes visés par les éléments de preuve invoqués.
451 Ensuite, s’agissant des sous-sous-sections 11.4.2.2 et 11.4.2.3 de la décision attaquée, elles visent à répondre aux arguments de la requérante tendant, d’une part, à contester la fiabilité des documents internes et des explications d’Apple et, d’autre part, à soutenir que l’exclusivité avait été demandée par Apple.
452 Or, dans le cadre de la première desdites sous-sous-sections, la Commission s’est référée tant aux « appareils lancés en 2014 et 2015 » (considérant 442 de la décision attaquée) qu’aux « appareils à lancer en 2014 » (considérant 445 de la décision attaquée), voire, dans une seule phrase, aux « appareils à lancer en 2015 » et aux « appareils lancés en 2015 » (considérant 446 de la décision attaquée).
453 Enfin, s’agissant de la sous-sous-section 11.4.2.4 de la décision attaquée, en répondant aux arguments de la requérante selon lesquels Apple aurait en tout état de cause choisi de s’approvisionner auprès de la requérante compte tenu de la supériorité de ses chipsets (considérant 423 de la décision attaquée), la Commission a conclu que les paiements concernés avaient eu un impact sur la stratégie d’approvisionnement d’Apple pour les « appareils à lancer en 2014 et 2015 » (considérant 451 de la décision attaquée).
454 Or, si dans le corps de cette sous-sous-section, la Commission s’est référée aux « appareils à lancer en 2014 et 2015 » (considérant 455 de la décision attaquée) et aux « iPads à lancer en 2014 et 2015 » (considérant 464 de la décision attaquée), elle s’est référée plusieurs fois aux « appareils lancés en 2014 et 2015 » (considérants 456 à 458, 462 et 463 de la décision attaquée) ainsi qu’à « la version CDMA de l’iPhone 4 qui a été lancé en février 2011 » (considérant 460 de la décision attaquée) et à « [confidentiel] » (considérant 465 de la décision attaquée).
455 Il ressort de ce qui précède que, dans la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée, la Commission a développé un raisonnement global concernant et traitant ensemble tantôt des « appareils » tantôt des iPads, identifiés variablement comme étant notamment ceux « de 2014 et de 2015 », ceux « lancés en 2014 et en 2015 » ou ceux « à lancer en 2014 et en 2015 », sans préciser la portée de ces expressions ni faire apparaître leurs relations.
456 En particulier, au considérant 424 de la décision attaquée, en présentant la conclusion tirée de la sous-sous-section 11.4.2.1 de cette décision, la Commission s’est référée aux appareils « lancés » en 2014 et en 2015, tandis que, au considérant 451 de la même décision, en présentant la conclusion tirée de la sous-sous-section 11.4.2.4 de ladite décision, la Commission s’est référée aux appareils « à lancer » en 2014 et en 2015. Cependant, dans le corps de chacune desdites sous-sous-sections, la Commission s’est référée également à d’autres appareils, dont le libellé ne correspond pas à ceux visés par sa démonstration.
457 Certes, dans le mémoire en défense, et en réponse aux mesures d’organisation de la procédure, la Commission a précisé que la démonstration des effets réellement produits par les paiements concernés, contenue dans la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée, non seulement ne concernait pas les iPhones, mais concernait uniquement certains modèles d’iPads « non-CDMA » qui « devaient être lancés » en 2014 et en 2015, et non les iPads effectivement « lancés » en 2014 et en 2015, la Commission regrettant d’ailleurs tout malentendu causé par cette « erreur de plume ».
458 Toutefois, contrairement à ce qui est suggéré par la Commission, l’identification erronée des appareils visés par la démonstration des effets réels des paiements concernés ne saurait être considérée comme une simple « erreur de plume ». Ainsi, notamment, le modèle [confidentiel] identifié par le sigle « [confidentiel] » mentionné aux considérants 433 et 465 de la décision attaquée correspond, d’un point de vue commercial, au modèle appelé « [confidentiel] » et ce modèle, comme le souligne la Commission elle-même dans la décision attaquée, a été « lancé » à l’automne 2013. Or, dans la mesure où ledit modèle a été « lancé » en 2013, il est dépourvu de pertinence dans le cadre d’une démonstration, telle que celle contenue dans la sous-sous-section 11.4.2.1 de la décision attaquée, qui vise à examiner les effets réels des paiements concernés sur les modèles « lancés » en 2014 et en 2015.
459 En outre, il doit être rappelé que le contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE porte sur l’acte attaqué et non sur le contenu des mémoires déposés par la partie défenderesse devant le juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Orange Polska/Commission, C‑123/16 P, EU:C:2018:590, point 85).
460 Par ailleurs, à ce dernier égard, l’argument de la Commission selon lequel la requérante aurait été consciente des appareils pour lesquels Apple envisageait de s’approvisionner auprès d’Intel est dépourvu de pertinence, dans la mesure où, ainsi qu’il ressort du point 459 ci-dessus, le contrôle du Tribunal porte sur le contenu de la décision attaquée. Au demeurant, eu égard aux expressions employées dans la décision attaquée, la requérante a été amenée à contester le raisonnement de la Commission tant en ce qui concerne les appareils « lancés » que ceux « à lancer » (point 430 ci-dessus).
461 Enfin, il doit être relevé que, en l’absence de toute précision à cet égard contenue dans la décision attaquée, il n’appartient pas au Tribunal de déterminer a posteriori les appareils visés par chacune des expressions employées par la Commission dans chaque considérant de la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée.
462 Force est donc de constater que les éléments de preuve sur lesquels la Commission s’est appuyée au soutien de ses conclusions dans la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée sont dépourvus de cohérence, tant entre eux que par rapport aux conclusions qu’ils viseraient à étayer dans le cadre des sous-sous-sections 11.4.2.1, 11.4.2.2 et 11.4.2.4 de ladite décision, ce qui se répercute d’ailleurs sur la cohérence interne de la sous-section 11.4.2 de cette décision.
463 Il en résulte que l’appréciation faite par la Commission dans la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée des effets anticoncurrentiels réellement produits par les paiements concernés, c’est-à-dire d’avoir réellement réduit les incitations d’Apple à se tourner vers des fournisseurs concurrents de chipsets LTE pour certains appareils, est entachée d’un défaut de cohérence des éléments de preuve sur lesquels elle s’est appuyée au soutien de ses conclusions.
c) Sur le troisième sous-grief, relatif à l’absence de prise en compte de certains éléments de preuve pertinents dans le cadre de la démonstration contenue dans la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée
464 La requérante fait valoir, en substance, que les chipsets d’Intel n’avaient pas été sélectionnés par Apple en considération de leur incapacité à respecter les besoins techniques et de calendrier d’Apple pour ces appareils, et non en raison des paiements concernés, ce dont la Commission n’aurait pas tenu compte.
465 À cet égard, bien que la décision attaquée souffre déjà d’un défaut de cohérence relevé dans le cadre du premier sous-grief (voir point 463 ci-dessus), il y a lieu de vérifier si, au surplus, la Commission a tenu compte dans son analyse de l’ensemble des éléments pertinents devant être pris en considération. À cet effet, il convient de poursuivre l’analyse en supposant que, comme la Commission l’a indiqué dans le mémoire en défense et lors de l’audience, les appareils visés par ladite analyse seraient les versions « non-CDMA » du modèle « [confidentiel] » (ou « [confidentiel] ») pour 2014 et des modèles « [confidentiel] » et « [confidentiel] » pour 2015 (ci-après les « modèles prétendument concernés »), et ce sans qu’il y ait lieu d’aborder davantage la question de savoir si ces appareils sont identifiés de façon claire et non équivoque dans la décision attaquée.
466 D’emblée, il convient d’observer que la question de savoir si les chipsets LTE des concurrents de la requérante étaient réellement en mesure de répondre aux exigences techniques et de calendrier d’Apple pour les modèles prétendument concernés est, dans les circonstances du cas d’espèce, un élément pertinent à prendre en compte lors de l’analyse des effets réellement produits par les paiements concernés sur les décisions d’approvisionnement d’Apple pour ses besoins en chipsets LTE pour les modèles prétendument concernés. En effet, si, ainsi que le fait valoir la requérante, Apple ne disposait pas d’alternative technique ou de calendrier aux chipsets LTE de la requérante pour les modèles prétendument concernés, une telle circonstance avait nécessairement un impact sur ses décisions d’approvisionnement pour ces modèles et ainsi sur les éventuels effets que les paiements concernés avaient pu avoir sur de telles décisions.
467 Or, les éléments de preuve invoqués par la requérante soulèvent des doutes à cet égard.
468 Premièrement, s’agissant du modèle prétendument concerné qui devait « être lancé » en 2014, identifié par le sigle « [confidentiel] », ainsi que le souligne la requérante, il ressort des éléments versés aux débats que le développement du chipset d’Intel ([confidentiel]) qu’Apple avait considéré pour une éventuelle utilisation dans le modèle « [confidentiel] » était [confidentiel].
469 En particulier, la présentation interne d’Apple du [confidentiel], mentionnée par la Commission dans la note en bas de page no 612 de la décision attaquée afférente au considérant 464 de cette décision, fait état [confidentiel].
470 Les preuves supplémentaires du 26 juillet 2019 corroborent ces constats. En effet, un courriel interne d’Apple du [confidentiel] indique, s’agissant de l’utilisation du chipset [confidentiel] pour l’iPad prévu au [confidentiel], à savoir le modèle « [confidentiel] », qu’[confidentiel] et qu’[confidentiel]. Un autre courriel interne d’Apple du [confidentiel] révèle que ce chipset était [confidentiel] et que, si [confidentiel].
471 Par ailleurs, dans la mesure où Apple prévoyait de lancer en 2014 des modèles d’iPads autres que le modèle « [confidentiel] », il doit être observé que, en tout état de cause, les pièces du dossier révèlent que les chipsets des concurrents de la requérante ne satisfaisaient pas aux exigences techniques et de calendrier d’Apple. Ainsi, le tableau intitulé [confidentiel] concernant 2014, qui était annexé à un courriel interne d’Apple du [confidentiel], montre que les chipsets des concurrents de la requérante, et en particulier ceux d’Intel, ne respectaient pas complètement les besoins techniques ou de calendrier d’Apple, ainsi qu’il ressort de [confidentiel].
472 En particulier, ainsi que l’a d’ailleurs confirmé la Commission en réponse aux mesures d’organisation de la procédure, le chipset d’Intel qui avait été envisagé pour le modèle « [confidentiel] » [confidentiel] remplissait « en partie » les « besoin[s] d’Apple », la caractéristique manquante étant liée à l’absence de la technologie [confidentiel]. À cet égard, il suffit de relever qu’un courriel interne d’Apple du [confidentiel], dont l’objet était [confidentiel], indique, en substance, que [confidentiel], que, toutefois, [confidentiel] et que, dans ce nouveau contexte, [confidentiel]. Dans cette perspective, un courriel interne d’Apple du [confidentiel] fait état d’un [confidentiel]. Au demeurant, l’importance de ladite technologie pour les autres iPads qu’Apple prévoyait de lancer en 2014 ne saurait être infirmée par les arguments de la Commission tirés des déclarations des employés d’Apple concernant le modèle « [confidentiel] » ou inhérentes à la situation prévalant quand ladite technologie n’avait pas acquis d’importance, dès lors que de tels arguments sont dépourvus de pertinence.
473 Deuxièmement, s’agissant des modèles prétendument concernés qui devaient « être lancés » en 2015, ainsi que le souligne la requérante, il ressort des pièces du dossier que les chipsets des concurrents de la requérante, et en particulier les chipsets d’Intel, qu’Apple avait considérés pour une éventuelle utilisation dans les iPads qu’elle prévoyait de lancer en 2015 ne satisfaisaient pas les exigences techniques et de calendrier d’Apple.
474 D’une part, la requérante a invoqué le tableau intitulé [confidentiel] concernant 2015 qui était annexé à un courriel interne d’Apple du [confidentiel]. Ce tableau montre que les chipsets d’Intel ne respectaient pas complètement les besoins techniques et de calendrier d’Apple, ainsi qu’il ressort de [confidentiel].
475 D’autre part, il y a lieu de relever que, dans l’échange de courriels internes d’Apple, daté du 18 février 2014, qui a suivi le courriel interne d’Apple mentionné au considérant 436 de la décision attaquée et dont la teneur a été révélée dans le cadre des preuves supplémentaires du 26 juillet 2019, deux ingénieurs d’Apple ont indiqué que le chipset d’Intel envisagé pour un iPad à lancer à l’automne 2015 n’était « pas vraiment » à parité de fonctions avec le chipset de la requérante. Or, il convient d’observer que ces deux ingénieurs ont précisé que cette différence découlait de l’absence, pour le chipset d’Intel, de la technologie [confidentiel], technologie considérée comme étant [confidentiel].
476 Il ressort de ce qui précède que plusieurs éléments factuels qui étaient à la disposition de la Commission, confirmés par ailleurs par les éléments versés aux débats, soulèvent des doutes quant à la capacité des chipsets d’Intel, voire des autres concurrents de la requérante, de respecter les besoins techniques et de calendrier d’Apple pour les modèles prétendument concernés ainsi que, le cas échéant, pour les autres modèles d’iPads qu’Apple envisageait de lancer au cours de la même période.
477 Or, la Commission ne pouvait pas valablement parvenir à la conclusion que les paiements concernés avaient réellement réduit les incitations d’Apple à se tourner vers des fournisseurs concurrents de chipsets LTE sans prendre en compte le fait que, pour les besoins d’Apple pour les modèles prétendument concernés, il n’existait pas d’alternative technique ou de calendrier aux chipsets de la requérante.
478 Certes, au considérant 464 de la décision attaquée, la Commission a affirmé qu’Apple aurait envisagé d’utiliser les chipsets d’Intel pour les « iPads à lancer en 2014 et 2015 en prenant en compte tous les paramètres, pas seulement la supériorité technique, et y compris les exigences spécifiques pour ces modèles » et aurait ainsi considéré qu’Intel n’était pas moins attractif que la requérante, à tout le moins pour lesdits modèles. Toutefois, la portée de cette affirmation de la Commission ne ressort pas de manière claire de son libellé, s’agissant notamment de ladite « supériorité technique ».
479 En outre, à supposer même que ladite affirmation doive être comprise en ce sens que, selon la Commission, les chipsets LTE d’Intel étaient une alternative viable pour les modèles prétendument concernés, y compris sur le plan technique ou de calendrier, il doit être observé que, au soutien de ladite appréciation, dans la note en bas de page no 612 de la décision attaquée afférente au considérant 464 de cette décision, la Commission s’est limitée à se référer, à titre d’exemple, à trois documents internes d’Apple qui ne permettent toutefois pas de conclure que les chipsets d’Intel répondaient aux exigences techniques ou de calendrier d’Apple pour les modèles prétendument concernés. En effet, le premier document, auquel la Commission se réfère en évoquant sa seule page de garde, est une présentation d’Apple [confidentiel] faisant plutôt état du [confidentiel] des chipsets d’Intel (voir également, à cet égard, point 469 ci-dessus) ; le deuxième document est un courriel interne d’Apple d’octobre 2012, visé également au considérant 433 de la décision attaquée, indiquant certes qu’Intel aurait été un « bon plan » pour le modèle « [confidentiel] », mais ne contenant aucune indication quant à la faisabilité d’un tel « plan » en termes de calendrier ; et le troisième document est un courriel interne d’Apple de juin 2012, visé également au considérant 428 de la décision attaquée, faisant état d’une proposition d’Intel qui n’était pas satisfaisante en termes de prix. Ainsi, non seulement l’affirmation de la Commission selon laquelle Intel n’aurait pas été moins attractif que la requérante pour les modèles prétendument concernés n’est pas corroborée par ces trois documents, mais elle ne permet pas de conclure qu’Apple aurait réellement pu s’approvisionner auprès des concurrents de la requérante pour les modèles prétendument concernés eu égard à ses exigences techniques et de calendrier.
480 Force est donc de constater que, dans la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée, la Commission n’a opéré aucun véritable examen de l’existence de fournisseurs concurrents de chipsets LTE auprès desquels Apple aurait pu s’approvisionner pour les modèles prétendument concernés eu égard à ses exigences techniques, y compris sur le plan du calendrier.
481 Il en résulte que l’appréciation faite par la Commission dans la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée des effets anticoncurrentiels réellement produits par les paiements concernés, c’est-à-dire d’avoir réduit les incitations d’Apple à se tourner vers des fournisseurs concurrents de chipsets LTE pour les modèles prétendument concernés, n’a pas été effectuée au regard de l’ensemble des éléments pertinents devant être pris en considération.
d) Sur le deuxième sous-grief, relatif aux éléments de preuve pris en compte dans le cadre de la démonstration contenue dans la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée
482 La requérante fait valoir, en substance, que la Commission n’a pas apporté la preuve que, pour les appareils visés par son analyse, les paiements concernés auraient réduit les incitations d’Apple à s’approvisionner auprès de ses concurrents.
483 À cet égard, bien que la décision attaquée souffre déjà d’un défaut de cohérence relevé dans le cadre du premier sous-grief (voir point 463 ci-dessus) et d’un défaut de prise en compte de l’ensemble des éléments pertinents relevé dans le cadre du troisième sous-grief (voir point 481 ci-dessus), il convient d’examiner si, également au surplus, les éléments de preuve invoqués par la Commission sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées par rapport aux modèles prétendument concernés.
484 À titre liminaire, d’une part, il convient de relever que, à l’exception du modèle « [confidentiel] », aucun des modèles prétendument concernés n’est expressément mentionné dans la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée. En effet, il ressort de ladite sous-section que la Commission n’a pas opéré une démonstration spécifique pour chaque modèle concerné, mais a développé une démonstration globale visant à couvrir, dans leur ensemble, des iPads « lancés » ou « à lancer » en 2014 et en 2015, parfois en examinant même conjointement les deux années.
485 D’autre part, il doit être observé que, dans la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée, la Commission s’est essentiellement appuyée sur des éléments de preuve émanant d’Apple, la sous-sous-section 11.4.2.1 de cette décision reposant exclusivement sur la réponse d’Apple à la question [confidentiel] de la demande de renseignements du [confidentiel] et sur des documents internes d’Apple transmis en annexe à ladite réponse.
486 En premier lieu, s’agissant du modèle concerné qui devait « être lancé » en 2014, à savoir, selon la Commission, le modèle identifié par le sigle « [confidentiel] » (ou « [confidentiel] »), ainsi qu’il ressort de la décision attaquée et comme l’a expliqué la Commission dans son mémoire en défense, la démonstration des prétendus effets des paiements concernés sur la décision d’Apple d’achat de chipsets LTE est contenue aux considérants 428 à 435 de la décision attaquée.
487 Premièrement, à cet égard, il convient de relever que, aux considérants 425 à 433 de la décision attaquée, la Commission a, en substance, mis en exergue les éléments démontrant, selon elle, que, avant de conclure le premier avenant à l’accord de transition, Apple avait envisagé de se tourner vers les concurrents de la requérante pour les modèles prétendument concernés et que cela pouvait être intéressant pour Apple du point de vue économique, puisque « l’opportunité de faire des économies sur le long terme dépass[ait] les paiements découlant de l’accord de transition ».
488 Ainsi, si les appréciations contenues aux considérants 425 à 433 de la décision attaquée révèlent, certes, qu’Apple avait pris en compte l’existence des paiements découlant de l’accord de transition, elles n’indiquent pas que les paiements concernés découlant de l’accord de transition avaient réellement réduit les incitations d’Apple à se tourner vers les concurrents de la requérante pour les modèles prétendument concernés, et en particulier pour le modèle « [confidentiel] ».
489 En effet, ainsi qu’il ressort des considérants 434 et 435 de la décision attaquée, la Commission a retenu que le premier avenant à l’accord de transition expliquait qu’Apple aurait cessé de prendre en considération les fournisseurs concurrents pour les modèles prétendument concernés qu’elle prévoyait de lancer en 2014 et 2015.
490 Partant, contrairement à ce qui est soutenu par la Commission, il ne ressort pas de la décision attaquée que l’accord de transition avait à lui seul réellement réduit les incitations d’Apple à se tourner vers les concurrents de la requérante pour les modèles prétendument concernés.
491 Deuxièmement, il doit être relevé que l’appréciation contenue au considérant 435 de la décision attaquée, selon laquelle « en conséquence du premier avenant à l’accord de transition Apple avait “cessé toute considération des fournisseurs de chipsets alternatifs à la requérante pour les appareils mobiles de 2014 et 2015” », se fonde exclusivement sur une déclaration contenue dans la réponse d’Apple à la question [confidentiel] de la demande de renseignements du [confidentiel].
492 Or, force est de constater que cette réponse ne concerne pas le modèle « [confidentiel] » (ou « [confidentiel] »), qui, selon la Commission, est le seul modèle prétendument concerné de 2014 visé par la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée. En effet, en ce qui concerne les modèles non-CDMA de 2014, ladite réponse vise uniquement les modèles [confidentiel]. En outre, la déclaration d’Apple reprise au considérant 435 de la décision attaquée se trouve dans la partie de sa réponse concernant ces deux derniers modèles. Ladite déclaration apparaît donc comme étant dépourvue de pertinence dans la perspective de la démonstration contenue dans la décision attaquée concernant le modèle « [confidentiel] ».
493 Troisièmement, il convient de relever que, au considérant 465 de la décision attaquée, dans le cadre de la sous-sous-section 11.4.2.4 de ladite décision, la Commission a indiqué [confidentiel] et, à cet effet, s’est appuyée sur deux déclarations d’Apple tirées du point 52, troisième tiret, de ses observations sur la réponse de la requérante à la communication des griefs.
494 Toutefois, comme le souligne à juste titre la requérante, ces déclarations n’indiquent pas [confidentiel] à cause des paiements concernés. En particulier, lesdites déclarations ne fournissent aucune indication sur les raisons pour lesquelles [confidentiel]. Or, en l’absence d’éléments de preuve concluants apportés par la Commission dans la décision attaquée, il n’appartient pas au Tribunal de déterminer les raisons ayant conduit [confidentiel].
495 En second lieu, s’agissant des modèles prétendument concernés qu’Apple prévoyait de lancer en 2015, à savoir, selon la Commission, les modèles « [confidentiel] » et « [confidentiel] », ainsi qu’il ressort de la décision attaquée et comme la Commission l’a expliqué dans son mémoire en défense, la démonstration des prétendus effets des paiements concernés se fonde sur les éléments de preuve invoqués aux considérants 436 et 437 de la décision attaquée.
496 À titre liminaire, dans la mesure où la déclaration d’Apple reprise au considérant 435 de la décision attaquée se réfère conjointement en général aux « appareils mobiles de 2014 et 2015 », il suffit de rappeler qu’elle a été faite par rapport à certains modèles d’iPads de 2014 autres que le « [confidentiel] » (point 492 ci-dessus). La pertinence de ladite déclaration par rapport aux modèles prétendument concernés de 2015 n’est donc pas non plus établie.
497 Premièrement, au considérant 436 de la décision attaquée, la Commission s’est appuyée sur un document interne d’Apple contenant un échange de courriels internes daté du 18 février 2014, indiquant qu’un ingénieur d’Apple avait suggéré d’utiliser le chipset d’Intel pour un modèle d’iPad « de l’automne 2015 » dans la mesure où il aurait été « à parité de fonctions » avec le chipset de la requérante.
498 Or, d’une part, ni le considérant 436 de la décision attaquée, ni ledit échange de courriels internes ne précisent le modèle d’iPad qu’Apple prévoyait de lancer en 2015 et qui est visé par l’affirmation de l’ingénieur d’Apple. D’autre part, dans le cadre des preuves supplémentaires du 26 juillet 2019, la requérante a produit un autre échange de courriels internes d’Apple du même jour, révélant que l’affirmation de l’employé d’Apple reprise au considérant 436 de la décision attaquée avait en réalité été remise en cause par le responsable de l’équipe des ingénieurs d’Apple. En effet, ce dernier, en réponse, avait indiqué que le chipset d’Intel « n’était pas vraiment à parité de fonctions » avec le chipset de la requérante, le mot anglais formulant la négation, à savoir « not », étant d’ailleurs écrit en majuscule dans ce courriel interne. En outre, cette dernière appréciation avait été confirmée par un autre employé d’Apple dans ce même échange de courriels.
499 Ces éléments amènent donc à remettre en cause le bien-fondé de l’appréciation contenue au considérant 436 de la décision attaquée dès lors qu’elle repose sur un seul courriel interne d’Apple contredit par deux autres.
500 Deuxièmement, au considérant 437 de la décision attaquée, la Commission se réfère à un échange de courriels internes d’Apple du 20 février 2014, répondant au courriel interne visé au considérant 436 de cette décision, dans lequel, d’une part, un employé d’Apple indique qu’un autre employé avait « certaines préoccupations en termes de pénalités commerciales concernant le calendrier » à propos du lancement d’un iPad intégrant un chipset d’un autre fournisseur et, d’autre part, ce dernier employé confirme qu’un tel lancement était « commercialement intenable ».
501 Toutefois, force est de constater que ces courriels et le considérant 437 de la décision attaquée ne se réfèrent précisément à aucun modèle d’iPad, ni aux paiements et accords concernés. Rien ne permet donc de conclure avec certitude que ces courriels internes se référaient à la perte et au remboursement des paiements concernés.
502 Par ailleurs, dans la mesure où la Commission, dans son mémoire en défense, s’est appuyée sur une déclaration faite par Apple dans le cadre de ses observations sur la réponse de la requérante à la communication des griefs pour faire le lien entre lesdits courriels internes et les paiements concernés, force est de constater que ladite déclaration ne figure pas au considérant 437 de la décision attaquée et, de surcroît, ne concerne pas les courriels internes visés dans ledit considérant.
503 Troisièmement, au surplus, au considérant 438 de la décision attaquée, la Commission s’est référée à une analyse économique de l’équipe d’achat d’Apple du 29 janvier 2014, concernant l’impact économique d’un changement de fournisseur en 2015 pour les besoins en chipsets non-CDMA, présentée par Apple dans sa réponse à la question [confidentiel] de la demande de renseignements du [confidentiel].
504 Or, à cet égard, il suffit de relever que, comme l’explique Apple dans sa réponse à la question [confidentiel] de la demande de renseignements du [confidentiel], ladite analyse économique « n’a servi de base pour aucune des décisions d’achat de la direction d’Apple », de sorte que, indépendamment même des raisons pour lesquelles la direction d’Apple ne se serait pas appuyée sur une telle analyse, ce qu’il n’appartient pas au Tribunal de déterminer, elle ne permet de tirer aucune conclusion sur les effets que les paiements concernés auraient réellement eus sur les décisions d’approvisionnement d’Apple en chipsets LTE.
505 Il en résulte que la Commission, dans la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée, dans le cadre d’une analyse globale mélangeant modèles et années, s’est appuyée sur des éléments de preuve qui ne sont pas pertinents, qui sont contredits par d’autres éléments ou qui ne sont pas de nature à étayer ses conclusions par rapport aux modèles prétendument concernés et qui, par conséquent, ne permettent pas de démontrer que les paiements concernés ont réellement réduit les incitations d’Apple à se tourner vers les concurrents de la requérante pour s’approvisionner en chipsets LTE pour lesdits modèles.
506 Il découle de tout ce qui précède, d’une part, que la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée ne saurait remédier à l’illégalité constatée à l’issue de l’examen du premier grief de la troisième branche du troisième moyen (points 442 et 443 ci-dessus) et, d’autre part, que, en tout état de cause, dans la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée, la Commission n’a pas développé une analyse permettant de soutenir la conclusion que les paiements concernés avaient réellement réduit les incitations d’Apple à se tourner vers les concurrents de la requérante pour s’approvisionner en chipsets LTE pour les modèles prétendument concernés d’iPads non-CDMA qu’Apple prévoyait de lancer en 2014 et en 2015.
507 En effet, la Commission est parvenue à une telle conclusion au terme d’un raisonnement qui, premièrement, est entaché d’un défaut de cohérence des éléments de preuve invoqués au soutien de ses conclusions (point 463 ci-dessus), deuxièmement, au surplus, a été opéré sans prendre en compte l’ensemble des éléments pertinents à cette fin (point 481 ci-dessus) et, troisièmement, également au surplus, a été opéré en s’appuyant sur des éléments qui ne permettaient pas de soutenir ses conclusions (point 505 ci-dessus).
508 Partant, la conclusion de la Commission selon laquelle les paiements concernés ont réellement produit des effets anticoncurrentiels confirmant leur capacité de produire de tels effets est entachée d’illégalité.
509 Au demeurant, pour ces mêmes raisons, et contrairement à ce qui est soutenu par la Commission, le raisonnement opéré dans la sous-section 11.4.2 de la décision attaquée ne saurait non plus démontrer, de façon subsidiaire, que les paiements concernés avaient la capacité de produire des effets anticoncurrentiels en relation avec les modèles prétendument concernés. En tout état de cause, à supposer même que cela soit le cas, il convient de rappeler que la théorie du préjudice retenue dans la décision attaquée ne porte pas sur une capacité anticoncurrentielle des paiements concernés limitée aux besoins d’Apple pour les seuls modèles prétendument concernés, mais vise tous les besoins d’Apple au cours de la période concernée tant pour les iPhones que pour les iPads (voir points 420, 442 et 443 ci-dessus).
510 Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu d’accueillir les deuxième et troisième griefs de la troisième branche du troisième moyen du recours.
4. Conclusion
511 Il découle de l’examen des premier, deuxième et troisième griefs de la troisième branche du troisième moyen, et sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres griefs de cette branche, que la caractérisation des paiements concernés comme étant constitutifs d’un abus de position dominante est entachée d’illégalité, en ce que, d’une part, l’examen de la capacité des paiements concernés de produire des effets anticoncurrentiels repose sur une analyse qui n’a pas été opérée au regard de l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes et, d’autre part, l’examen des effets réellement produits par les paiements concernés repose sur une analyse qui ne permet pas de soutenir la conclusion retenue par la Commission.
512 Pour ces motifs, compte tenu des illégalités constatées dans le cadre de l’examen de la troisième branche du troisième moyen, et sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur les autres branches soulevées par la requérante, il convient d’accueillir le troisième moyen du recours et, sur ce fondement également, d’annuler la décision attaquée.
D. Conclusion générale
513 Tant le premier moyen (dans ses première et troisième branches) que le troisième moyen du recours (dans sa troisième branche) ayant été accueillis, il y a lieu d’annuler la décision attaquée, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur les autres moyens du recours, ni sur les demandes de mesures d’organisation de la procédure ou de mesures d’instruction présentées par la requérante en ce que ces demandes vont au-delà des mesures décidées ou ordonnées par le Tribunal, ni sur des preuves supplémentaires autres que les preuves supplémentaires du 26 juillet 2019.
IV. Sur les dépens
514 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
515 La Commission ayant succombé, il convient de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) La décision C(2018) 240 final de la Commission, du 24 janvier 2018, relative à une procédure d’application de l’article 102 TFUE et de l’article 54 de l’accord EEE [affaire AT.40220 – Qualcomm (paiements d’exclusivité)] est annulée.
2) La Commission européenne est condamnée aux dépens.