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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 16 juin 2022, n° 20/14545

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Google France (SARL), Google Ireland LTD (Sté), Google LLC (Sté)

Défendeur :

Amadeus (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Schmidt, Mme Tréard

Avocats :

Me Moisan, Me de Chalendar, Me de Bure

CA Paris n° 20/14545

16 juin 2022

FAITS ET PROCÉDURE

1.Le 4 mai 2018, la société Amadeus a saisi l’Autorité de la concurrence (ci-après « l'Autorité ») de pratiques mises en œuvre par les sociétés Google Ireland Ltd, la société Google LLC et la société Google France (ci-après « Google ») sur un marché de la publicité en ligne liée aux recherches et, accessoirement à la saisine au fond, a formulé des demandes de mesures conservatoires sur le fondement de l’article L.464-1 du code de commerce.

2.Par décision n° 19-MC-01 du 31 janvier 2019, l’Autorité a prononcé des mesures conservatoires à l’encontre de Google.

3.Le même jour, l'Autorité a publié la version « non confidentielle » (VNC) de la décision sur son site internet. Elle y a également, le 20 février 2019, publié une version « non confidentielle » en anglais.

4.La version « non confidentielle » de la décision n° 19-MC-01 publiée par l’Autorité cite in extenso, aux paragraphes 55, 152 et 160, le contenu d’échanges internes entre les employés de Google qui avaient été produits par la société Google à la demande de l’Autorité, et qui bénéficiaient d'une protection au titre du secret des affaires accordée par le rapporteur général par la décision de classement n° 19-DSA-023 du 14 janvier 2019.

5.La décision publiée mentionne également, au paragraphe 58, le montant de dépenses que la société Amadeus devait atteindre pour intégrer un des programmes d’accompagnement personnalisé de Google Ads, laquelle information chiffrée, contenue dans une réponse de la société Google à la suite d’une demande d’informations des rapporteurs du 14 novembre 2018, bénéficiait d'une protection au titre du secret des affaires accordée par le rapporteur général par la décision de classement n° 18-DSA-442 du 6 décembre 2018.

6.Les conseils de la société Google ont contesté cette publication le jour même de la mise en ligne de la version « non confidentielle » de la décision n° 19-MC-01 en soulignant que « la divulgation d’informations confidentielles couvertes par les décisions de classement au titre du secret des affaires n° 18-DSA-442 du 6 décembre 2018 et n° 19-DSA-023 du 14 janvier 2019, et effectuée sans possibilité pour la société Google de fournir des observations préalablement à cette divulgation, porte gravement atteinte aux intérêts de la société Google et prive de tout effet utile le mécanisme de protection du secret des affaires prévu par l’Autorité de la concurrence ».

7.Dans un courriel en date du 1 février 2019, le bureau de la procédure de l’Autorité leur a er répondu qu' « [en] application des dispositions de l’article D.464-8-1 du code de commerce, l’Autorité a considéré que les informations dont il est fait état aux paragraphes 55, 152 et 160 de la décision étaient nécessaires à la motivation et ne relevaient, au stade de la publication de la décision, de la protection d’aucun intérêt légitime. S'agissant en outre de la donnée chiffrée figurant au paragraphe 58 de la décision, celle-ci a été communiquée par Google au cours de la séance contradictoire ».

8.Le 15 février 2019, Google a assigné la société Amadeus ainsi que le ministre de l’économie et des finances devant la Cour d’appel de Paris en demandant l’annulation ou, à titre subsidiaire, la réformation de la décision n° 19-MC-01. La société Google a, de plus, demandé à la Cour d’enjoindre à l’Autorité de publier à nouveau la décision attaquée en supprimant de la version « non confidentielle » les paragraphes contenant des éléments qui avaient bénéficié de la protection du secret d’affaires. La société Google a notamment fait valoir que l’Autorité avait violé son droit à la protection de ses secrets d’affaires et avait, de ce fait, gravement porté atteinte à ses intérêts commerciaux.

9.L'Autorité a sollicité le rejet de cette demande, comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

10.Par un arrêt du 4 avril 2019, la cour d’appel de Paris s'est prononcée sur les demandes relatives aux mesures conservatoires et s’est déclarée incompétente pour statuer sur la demande d'injonction de republier la décision n° 19-MC-01 afin d'occulter certaines informations et a invité la société Google à mieux se pourvoir.

11.Par une requête du 29 mars 2019, la société Google a introduit un recours devant le Conseil d’État, lequel a, par un arrêt du 20 mars 2020, renvoyé l’affaire devant le Tribunal des conflits et sursis à statuer jusqu’à ce que le Tribunal ait tranché la question de l’ordre de juridiction compétent.

12.Par un jugement du 5 octobre 2020, le Tribunal des conflits a jugé que la juridiction judiciaire était compétente pour connaître du litige opposant Google à l’Autorité. En conséquence, le Tribunal des conflits a annulé partiellement l’arrêt de la Cour du 4 avril 2019 en ce qu'elle s’était déclarée incompétente pour statuer sur la demande tendant à ce qu’il soit enjoint à l’Autorité de publier à nouveau la décision n° 19-MC-01 après occultation des paragraphes de cette décision contenant des secrets d’affaires. Il a retenu que la « décision prise par l’Autorité de la concurrence, sur le fondement des dispositions précitées de l’article D.464-8-1 du code de commerce, de limiter ou non la publicité d’une décision prise sur le fondement de l’article L.464-1 du code de commerce est indissociable de cette décision elle-même. Dès lors, sa contestation relève également de la cour d'appel de Paris ».

13.Le 14 octobre 2020, Google a saisi la Cour afin qu'il soit à nouveau statué sur ses demandes. Elle demande à la Cour : – d'annuler la décision de publication de la décision n° 19-MC-01 sur le site internet de l’Autorité dans sa version française et dans sa version anglaise, – d'enjoindre à l’Autorité de publier à nouveau la décision n° 19-MC-01 de façon à supprimer les paragraphes de cette décision contenant des secrets d’affaires protégés par les décisions de classement du rapporteur général, – de condamner l'Autorité à verser à Google Ireland Ltd, la société Google LLC et la société Google France la somme de 10 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile, – de condamner l'Autorité aux entiers dépens.

14.Le ministre chargé de l'économie, l'Autorité et le ministère public estiment que le recours doit être rejeté.

MOTIVATION

15.Google soutient qu'alors que les secrets d'affaires font l'objet d'un mécanisme de protection particulier prévu aux articles L.463-4 et R.463-13 et suivants du code de commerce, l'Autorité a considéré dans la présente affaire qu'elle disposait, au stade de la décision, d'un pouvoir discrétionnaire lui permettant de passer outre les décisions de classement du rapporteur général au titre du secret des affaires, sans en avertir l'entreprise concernée, et sans lui offrir la moindre garantie procédurale. Elle estime qu'en s'arrogeant un tel pouvoir, l'Autorité a vidé de toute substance le mécanisme de protection du secret des affaires organisé par le code de commerce et privé les entreprises de toute garantie de confidentialité au stade de la publication des décisions.

16.Elle fait valoir, en premier lieu, que le mécanisme de protection du secret des affaires donne compétence au seul rapporteur général, tout au long de la procédure devant l'Autorité, pour assurer le respect du droit à cette protection. Reconnaître au collège un pouvoir de « rectification » d'une décision prise par le rapporteur général en matière de secret des affaires heurterait le principe d'indépendance du rapporteur général à l'égard du collège et autoriserait le collège à remettre en cause une décision du premier président de la cour d'appel de Paris sur la protection du secret d'affaires en cas de recours des parties intéressées contre une décision du rapporteur général en application des articles L.464-8-1 et R.464-24-1 du code de commerce.

17.Elle soutient, en second lieu, qu'en vertu du principe de parallélisme des formes, la procédure établie pour l'édiction d'une décision doit être suivie en cas de modification ou d'abrogation de cette décision. Elle souligne que la jurisprudence considère, de manière constante, qu'une décision adoptée en violation des règles de procédure applicables est illégale dès lors que la violation porte sur des formalités substantielles, comme celles garantissant directement les droits des personnes intéressées.

18.Elle fait valoir, en troisième lieu, que le collège a pris la décision de publier la décision n° 19-MC-01 en violation du droit de Google à un recours juridictionnel effectif et sans respecter ses droits de la défense ainsi que le caractère contradictoire et équitable de la procédure. Elle considère que son droit à un recours effectif a été méconnu par la publication de cette décision sans que Google ait été mis en mesure de contester utilement devant un juge l'éventuelle divulgation de ses secrets d'affaires, alors qu'ils avaient été formellement protégés par le rapporteur général, et sans qu'elle ait été mise en mesure de formuler aucune observation avant que la divulgation intervienne. En l'espèce, et à tout le moins, Google aurait du être mise à même de faire valoir son point de vue avant que la publication n'ait lieu.

19.Elle soutient, en quatrième lieu, que les informations figurant aux paragraphes 55, 58, 152 et 160 de la décision n° 19-MC-01 relèvent par nature du secret des affaires et que la circonstance qu'un chiffre ait été évoqué par Google au cours de la séance n'enlève en rien son caractère confidentiel.

20.Elle fait valoir, en cinquième lieu, que l'article D.464-8-1 du code de commerce ne saurait être interprété comme permettant au collège de l'Autorité de lever la protection au titre du secret des affaires, même sur le fondement de l'exigence de motivation des décisions et que l'Autorité a commis une erreur de droit en fondant la décision de publier la décision n° 19-MC-01 sur cette disposition.

21.L'Autorité répond, en premier lieu, qu'il ressort tant de la lettre même de l'article R.463-14 du code de commerce que de son insertion dans la sous-partie intitulée « de la procédure » et non dans celle relative aux « décisions et voies de recours » que la décision par laquelle le rapporteur général se prononce sur les demandes de protection du secret des affaires formulées par les parties ne concerne que la procédure d'instruction, laquelle n'inclut pas la décision prise par le collège, notamment lorsqu'il se prononce comme en l'espèce sur des mesures conservatoires. Elle ajoute que comme l'a relevé le rapporteur public dans ses conclusions lues dans la présente affaire le 5 octobre 2020 devant le Tribunal des conflits, la question « se repose évidemment au stade de la rédaction et de la publication de la décision de l'Autorité indépendamment de ce que peut avoir décidé le rapporteur général au stade de l'instruction. D'une part, la position du rapporteur général ne lie pas le collège ; d'autre part, pour déterminer la publicité à donner à sa décision, celui-ci n'a pas comme le rapporteur général à concilier le secret des affaires avec les droits de la défense mais avec l'intérêt de l'information du public ». L'Autorité renvoie aussi aux conclusions de la rapporteure publique de l'arrêt n° 429279 du Conseil d’État qui a rappelé que le périmètre de la protection est défini largement au stade de l'instruction puisque le rapporteur général doit accéder à toute demande de protection qui n'est pas manifestement infondée en vertu de l'article R.463-14 du code de commerce, alors qu'au stade de la décision, l'Autorité a vocation à « opérer un tri plus fin au sein du périmètre de protection défini largement au stade de l'instruction par le rapporteur général (…). Un vrai arbitrage s'offre à elle entre leur protection et les vertus de leur révélation ».

22.L'Autorité fait valoir, en deuxième lieu que les dispositions relatives au déclassement d'informations intervenant au stade de l'instruction ne sont pas applicables à l'appréciation à laquelle le collège de l'Autorité se livre pour retenir, dans la motivation de sa décision, puis dans sa publication, des informations ayant antérieurement fait l'objet d'une protection au titre du secret des affaires. Elle ajoute que la décision d'insérer dans sa décision des informations ayant cette particularité ne constitue pas une modification, une abrogation ou un retrait de la décision du rapporteur général, l'Autorité ayant seule compétence pour apprécier l'intérêt public qui s'attache à la publication de la motivation de sa décision.

23.L'Autorité soutient, en troisième lieu, qu'en introduisant un recours en annulation contre la décision n°19-MC-01, les requérantes ont pu introduire un recours juridictionnel effectif. En tout état de cause, rien ne les empêche d'introduire un recours en responsabilité contre l'Autorité devant la juridiction administrative afin d'obtenir des dommages-intérêts, si elles considèrent qu'elles ont subi un préjudice du fait de la divulgation de leurs secrets d'affaires par l'Autorité. Elle conteste aussi toute violation des droits de la défense et du caractère contradictoire de la procédure au motif que la mise en balance par le collège entre la protection des secrets d'affaires et l'intérêt public qui s'attache à la publication de la motivation de sa décision n'a pas à être discutée, cette analyse ne reposant plus sur la situation personnelle des requérantes, qui n'a plus à être débattue avec elles. Elle fait valoir que le principe du contradictoire ne s’applique, au titre de l'article L.463-1 du code de commerce, qu'entre la notification des griefs et l'adoption par l'Autorité de la décision. Elle ajoute que la Commission européenne peut consulter, certes, les entreprises afin qu'elles identifient les éventuels passages de décisions dont elles considèrent qu'elles contiennent des secrets d'affaires, mais en vertu d'un texte particulier (l'article 16 paragraphe 3 du Règlement n° 773/2004) et qu'il ne s'agit que d'une faculté. Elle conteste aussi toute analogie avec la procédure de protection de secrets d'affaires suivie dans le cadre des procédures nationales de contrôle des concentrations, qui résulte d'un texte spécial (l'article R.430-7 du code de commerce) et qui porte sur une demande d'autorisation.

24.L'Autorité fait valoir, en quatrième lieu, que les échanges internes à Google cités aux paragraphes 55, 152 et 160 de la décision n°19-MC-01 ne revêtent aucune valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de leur caractère secret, au sens de l'article L.151-1 du code de commerce et que le niveau de dépense exigé des annonceurs pour intégrer un programme personnalisé d'accompagnement de Google cité au paragraphe 58 ne fait, eu égard aux précisions apportées au cours de l'instruction (cote 4540), pas l'objet de la part des requérantes de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret, au sens de ce même article.

25.L'Autorité soutient, en cinquième lieu, que les éléments cités tant dans les constatations de la décision n°19-MC-01 (paragraphe 55) que dans la discussion (paragraphes 152 et 160) sont au cœur de sa démonstration de l'existence de pratiques susceptibles d'être anticoncurrentielles. Ils permettent de démontrer, d'une part, que les équipes commerciales de Google en charge du suivi quotidien d'Amadeus ne comprenaient pas les manquements invoqués par Google pour justifier de la subite suspension des comptes d'Amadeus et d'autre part que de l'avis de ces mêmes équipes, Amadeus n'avait jamais manqué à ses obligations contractuelles. Ces échanges internes révèlent aussi que les campagnes publicitaires d'Amadeus ne se distinguent pas de celles de ses concurrents qui, de l'avis des équipes internes de Google, n'avaient pas subi de suspension de leur compte. Le niveau de dépenses pour intégrer l'un des programmes personnalisés d'accompagnement montre par ailleurs à quel point les équipes commerciales ont accompagné cet éditeur de façon étroite dans la définition de sa stratégie d'utilisation de Google Ads en l'engageant fortement à dépenser toujours plus pour ces services. Ces éléments étant constitutifs de preuves documentaires émanant des requérantes elles-mêmes et contemporaines des faits, il était impératif que l'Autorité puisse se fondersur eux pour prendre sa décision et puisse les livrer à la connaissance du public. Au delà du cas d'espèce, la publication des informations litigieuses était, de surcroît, intéressante afin d'inciter les entreprises à adopter un comportement cohérent et objectif dans l'application des règles entre leurs différents services, qu'il s'agisse de leurs commerciaux ou des chargés de la conformité.

26.Le ministre chargé de l'économie estime que si le rapporteur général est garant du respect procédural durant l’instruction, le collège en tant qu’organe de jugement peut considérer que certaines informations qui ont été classées par le rapporteur sont nécessaires à la démonstration probatoire, ou apportent à la compréhension de la décision et sont nécessaires à sa motivation. Il observe que la décision de publication d’une décision n’est pas un acte de procédure, en sorte que l’article R.463-14 ne s’applique pas. Il en déduit que le collège peut revenir sur les décisions que le rapporteur a prises en matière de secret d’affaires. Il ajoute que la contestation en matière de secret des affaires au stade de la décision du collège suit le régime classique des recours prévu par les articles L.464-7 et suivants du code de commerce et que l’argument tiré de la violation du droit à un recours juridictionnel effectif et du principe du contradictoire est sans objet. Il fait enfin valoir que les courriels litigieux internes à Google concourent de manière évidente à la manifestation de la vérité et constituent des éléments particulièrement nécessaires à la motivation de la décision et, partant, à sa sécurité juridique. À supposer que ces échanges constituent des secrets d’affaires, ils sont donc nécessaires à la clarté de la décision et à la caractérisation des faits. Il n’apparaît plus justifié, en outre, de garder confidentiel le montant des dépenses pour bénéficier d’un accompagnement spécialisé, lequel constituait, à la publication querellée, une information datée, susceptible d’évolution, et donc dénuée de valeur commerciale. C’est donc à juste raison, selon lui, qu’il a été décidé par le collège de l’Autorité de lever la protection frappant ces éléments.

27.Le ministère public développe des arguments similaires.

Sur ce, la Cour,

28.Aux termes de l’article L. 151-1 du code de commerce : «Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :

1° Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ;

2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;

3° Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. ».

29.L'article L.463-4 du code de commerce dispose que :

« (s)auf dans les cas où la communication ou la consultation de ces documents est nécessaire à l'exercice des droits de la défense d'une partie mise en cause, le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence peut refuser à une partie la communication ou la consultation de pièces ou de certains éléments contenus dans ces pièces mettant en jeu le secret des affaires d'autres personnes. Dans ce cas, une version non confidentielle et un résumé des pièces ou éléments en cause lui sont accessibles. ».

30.L’alinéa 2 de l'article R.463-14 du même code prévoit que :

« (d)ans le cadre de l'instruction par l'Autorité de la concurrence, le rapporteur examine, avant que les éléments concernés du dossier soient rendus accessibles ou communiqués aux parties, les demandes de protection de secrets d'affaires qui ont été formulées. Le rapporteur général notifie au demandeur une décision de traitement confidentiel des informations, documents ou parties de documents en cause. Les actes de procédure sont établis en fonction de cette décision. Le rapporteur général peut aussi rejeter la demande en tout ou partie (...) si elle est manifestement infondée. ».

31.L'article R.463-15 du même code précise :

« Lorsque le rapporteur considère qu'une ou plusieurs pièces dans leur version confidentielle sont nécessaires à l'exercice des droits de la défense d'une ou plusieurs parties ou que celles-ci doivent en prendre connaissance pour les besoins du débat devant l'Autorité, il en informe par lettre recommandée avec demande d'avis de réception la personne qui a fait la demande de protection du secret des affaires contenu dans ces pièces et lui fixe un délai pour présenter ses observations avant que le rapporteur général ne statue. La décision du rapporteur général est notifiée aux intéressés.

Lorsqu'une partie mise en cause n'a pas eu accès à la version confidentielle d'une pièce qu'elle estime nécessaire à l'exercice de ses droits, elle peut en demander au rapporteur la communication ou la consultation en lui présentant une requête motivée dès sa prise de connaissance de la version non confidentielle et du résumé de cette pièce. Il est alors procédé comme à l'alinéa précédent.

Le rapporteur général fixe, le cas échéant, un délai permettant un débat sur les informations, documents ou parties de document nouvellement communiqués. ».

32.Ces dispositions organisent une procédure afin de ménager le droit à la protection du secret des affaires consacré par la Directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016, avec d'une part, l'exercice des droits de la défense des entreprises mises en cause et, d'autre part, le respect du principe du contradictoire lors des débats qui auront lieu devant le collège de l'Autorité.

33.Cette procédure mise en œuvre par le rapporteur et le rapporteur général au cours de l'instruction offre aux entreprises concernées la garantie que leurs données auxquelles le rapporteur général a accordé la protection, et qui n'ont donné lieu à aucune décision de déclassement à la suite de l'examen opéré par le rapporteur en application de l'article R.463-15 du code de commerce, ne seront divulguées ni au cours de la phase contradictoire de la procédure ni devant le collège, en l'absence de dispositions contraires.

34.Il convient en outre de relever que l'article L.464-8-1 du code de commerce ouvre un recours immédiat contre les décisions de refus d'accorder la protection du secret ou de levée d'une protection précédemment accordée.

35.Il se déduit de ces dispositions que les décisions de protection du secret accordée au cours de l'instruction, qui n'ont pas été remises en cause par une décision de déclassement prise en application de l'article R.463-15 du code de commerce, poursuivent leur effets devant le collège, au stade de l'adoption et de la rédaction de la décision, sauf à priver largement d'effet utile la protection ainsi accordée.

36.À cet égard, il convient de rappeler qu'une telle protection ne rend pas les pièces indisponibles et n'obère pas la qualité de la motivation retenue par le collège. Elle nécessite que la décision rendue donne lieu, si nécessaire, à une publication adaptée.

37.Ainsi, aux termes de l'article D.464-8-1 du code de commerce :

« Les décisions de l'Autorité de la concurrence mentionnées à (l'article L.464-1) sont publiées sur le site internet de l'Autorité. Leur publicité peut être limitée pour tenir compte de l'intérêt légitime des parties et des personnes citées à ce que leurs secrets d'affaires ne soient pas divulgués. ».

38.Si l'Autorité doit assurer la publicité de ses décisions, ni ce texte ni aucun autre ne lui imposent d'y procéder in extenso en divulgant des données auxquelles auxquelles une protection a été accordée au titre du secret des affaires.

39.Ce texte ne saurait en effet être interprété comme permettant à l'Autorité de ne pas tenir compte de la protection de données couvertes par le secret des affaires accordée au cours de l'instruction mais doit être interprété en ce sens qu'il permet à l'Autorité de tenir compte de ce secret pour déroger au principe de publicité de ses décisions.

40.Le principe de la séparation des fonctions d'instruction et de jugement ne saurait remettre en cause utilement cette interprétation, un tel principe ayant vocation à préserver les compétences respectives du rapporteur général, organse de poursuite, et du collège, organe de jugement, de tout empiétement réciproque et à satisfaire ainsi aux exigences du droit à un procès équitable et en particulier, le droit à être jugé par un tribunal impartial.

41.À titre surabondant, à supposer que l'Autorité puisse décider que les intérêts en présence justifient la levée de la protection précédemment accordée et ce alors qu’aucun texte n’organise ce pouvoir, une telle décision est de nature à faire grief de sorte que l'Autorité doit en informer au préalable les parties concernées, recueillir leurs observations et motiver sa décision.

42.En l'espèce, il est constant que la version « non confidentielle » de la décision n° 19-MC-01 publiée par l’Autorité le 31 janvier 2019 — et le 20 février 2019 en version anglaise — contient, aux paragraphes 55, 58, 152 et 160, des informations qui bénéficiaient d'une protection au titre du secret des affaires accordée par le rapporteur général par les décisions de classement n° 18-DSA-442 du 6 décembre 2018 et n° 19-DSA-023 du 14 janvier 2019.

43.En publiant in extenso la décision n° 19-MC-01, l'Autorité a méconnu la protection accordée au titre du secret des affaires. À titre surabondant, la Cour constate que l’Autorité n’a pas, préalablement à cette publication, indiqué à Google les motifs qui l’ont conduit à procéder à un déclassement des informations mentionnées aux paragraphes 55, 58, 152 et 160.

II. SUR LES FRAIS IRRÉPETIBLES ET LES DÉPENS

44.Il n'y a pas lieu, en équité, de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

45.Chacun conservera la charge de ses propres dépens.

PAR CES MOTIFS

DIT que la version de la décision n° 19-MC-01 publiée le 31 janvier 2019 sur le site internet de l’Autorité de la concurrence et sa traduction en anglais telle qu'elle a été mise en ligne le 20 février 2019 ne doivent plus y figurer ;

ENJOINT l’Autorité de la concurrence de publier une nouvelle version non confidentielle de la décision n° 19-MC-01 omettant, aux paragraphes 55, 58, 152 et 160, les informations bénéficiant des décisions de classement n° 18-DSA-442 et n° 19-DSA-023 ;

ENJOINT l'Autorité de la concurrence de mettre en ligne la traduction en anglais de la version non confidentielle de la décision n° 19-MC-01 comprenant les mêmes omissions ;

DIT N'Y AVOIR LIEU à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

LAISSE à chaque partie la charge de ses propres dépens.