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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 13, 7 juin 2022, n° 21/09957

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Speedy France (SAS), KPMG (SA), Speed Autos Services (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cochet

Conseillers :

Mme d'Ardailhon Miramon, Mme Moreau

Avocats :

Me Depondt, Me Laclavière, Me Domain, Me Pinet, Me Chemin, Me Regnier, Me Quinquet de Monjour

Paris, JME, du 20 mai 2021, n° 20/08792

20 mai 2021

Selon lettre de mission du 26 janvier 2015, M. [N] [E] a confié à la société anonyme KPMG, société d'expertise comptable, l'établissement d'un prévisionnel d'activité portant sur la faisabilité du projet de création d'entreprise et de reprise du point de vente sous l'enseigne "Speedy" à [Localité 10], lequel prévisionnel lui a été remis le 2 février 2015.

La société à responsabilité limitée Speed Autos Services a été immatriculée le 22 mai 2015.

Par acte du 31 août 2015, rédigé par M. [J], avocat, la société par actions simplifiée Speedy France a cédé à la société Speed Autos Services représentée par son gérant M. [N] [E], un fonds de commerce d'entretien et de réparation de véhicules automobiles et vente d'accessoires automobiles situé à [Localité 10]. Cet acte faisait suite à une promesse de cession du 2 avril 2015 également rédigée par M. [J], signée entre la société Speedy France et M. [E], celui-ci s'étant par la suite substitué, en qualité de cessionnaire, la société Speed Autos Services, ce que le cédant a accepté.

Par acte distinct du 31 août 2015, la société Speedy France a également concédé à la société Speed Autos Services un contrat de franchise, permettant au cessionnaire de poursuivre l'exploitation du fonds sous l'enseigne "Speedy", en qualité de commerçant indépendant franchisé, M. [N] [E] étant partie à cet acte en sa qualité de gérant de la société Speed Autos Services. La conclusion de ce contrat a été précédée de la remise par la société Speedy France d'un document d'information précontractuel.

La société Speed Autos Services a fait l'objet de l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire par jugement du 29 septembre 2018, la société Scp BR Associés étant désignée en qualité de liquidateur.

C'est dans ces circonstances que par acte du 28 août 2020, la société Speed Autos Services, représentée par son liquidateur, la Scp BR Associés, et M. [E] ont assigné M.[J], la société Speedy France et la société KPMG aux fins d'engagement de leur responsabilité et de condamnation :

- De M. [J] à payer à M. [E] la somme de 176 168 euros conjointement et solidairement avec la société KPMG, outre la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral, au titre du manquement à ses obligations en qualité de rédacteur unique de l'acte de cession du 31 août 2015.

- De la société Speedy France à payer à la société Speed Autos Services la somme de 200000 euros en réparation de son préjudice, correspondant au montant de son passif, et à M. [E] la somme de 176 168 euros en réparation de son préjudice personnel représentant le montant des fonds personnels investis lors de la constitution de la société Speed Autos Services, inscrits dans son compte courant d'associé pour un montant de 76168 euros, outre la perte des salaires escomptés pour un montant de 100 000 euros, ce au titre du manquement à ses obligations d'information précontractuelle envers elle à l'occasion de la signature du contrat de franchise.

- De la société KPMG, conjointement et solidairement avec M. [J], à payer la somme de 176 168 euros à M. [E] en sa qualité de gérant de la société Speed Autos Services en réparation du préjudice découlant du manquement de la société KPMG à ses obligations de conseil et de diligence en qualité d'expert-comptable.

M. [J] a soulevé l'irrecevabilité de l'action de M. [E] pour défaut d'intérêt et de qualité à agir, la société KPMG pour cause de prescription et la société Speedy France pour incompétence du tribunal judiciaire de Paris.

Par ordonnance du 20 mai 2021, le juge de la mise en état a :

- Rejeté les fins de non-recevoir et l'exception de procédure.

- Donné un calendrier de mise en état, et renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état.

- Rejeté toutes prétentions plus amples ou contraires des parties.

Par déclaration du 26 mai 2021, M. [J] a interjeté appel de cette ordonnance.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 16 juillet 2021, M. [P] [J] demande à la cour de :

- Le déclarer recevable et bien fondé en son appel.

- Infirmer l'ordonnance.

- Déclarer M. [E] irrecevable en son action à son encontre.

- Le mettre hors de cause.

- Condamner M. [E] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner M. [E] aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 25 novembre 2021, la société Speedy France, intimée et appelante incidente, demande à la cour de :

in limine litis :

- La recevoir en son exception d'incompétence et l'en déclarer bien fondée.

- Dire et juger que la clause attributive de compétence figurant au sein du contrat de franchise du 31 août 2015 doit produire effet et oblige la société Speed Autos Services et M. [E] en leur qualité de signataires dudit contrat.

- Déclarer le tribunal judiciaire de Paris matériellement et territorialement incompétent pour connaître du fond du litige et de renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Nanterre.

- En tout état de cause, si l'ensemble des demandes présentées par M. [E] in personam venaient à être jugées irrecevables, de sorte que seule survivrait la demande indemnitaire ayant été formulée par le liquidateur à son encontre, dire et juger le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour connaître du fond du litige et renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Nanterre.

Á titre principal :

- Dire et juger en tout état de cause les demandes indemnitaires formées par M. [E] in personam à son encontre irrecevables pour défaut de qualité à agir, les chefs de préjudice invoqués n'étant pas personnels et distincts de ceux de la collectivité des créanciers, et relevant donc du monopole du mandataire judiciaire au sens de l'article L. 641-4 du code de commerce.

En tout état de cause :

- Condamner M. [E] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 et aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 24 février 2022, la société KPMG, intimée et appelante incidente, demande à la cour de :

- Infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté ses fins de non-recevoir et celles soulevées par M.[J].

- Juger irrecevables comme prescrites les demandes formées par M. [E] à son encontre.

Á titre subsidiaire,

- Juger irrecevables pour défaut de qualité à agir les demandes formées par M. [E] à son encontre.

En tout état de cause :

- Condamner M. [E] et la Scp BR Associés à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans leurs dernières conclusions notifiées et déposées le 24 mars 2022, M. [N] [E] et la Scp BR Associés ès qualités, intimés, demandent à la cour de :

- Rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la société Speedy France.

- Se déclarer compétente pour trancher l'ensemble du litige, y compris pour statuer sur les demandes formulées par M. [E] et la société Speed Autos Service à l'encontre de la société Speedy France.

- Débouter M. [J], la société KPMG et la société Speedy France de leur appel et de l'ensemble de leurs fins, demandes et conclusions.

- Confirmer l'ordonnance.

- Déclarer M. [E] recevable concernant ses demandes à l'encontre de M. [J], la société KPMG et la société Speedy France tendant à obtenir l'indemnisation du préjudice subi au titre de son compte courant d'associé, au titre de la perte de chance de percevoir une rémunération, et au titre de son préjudice moral.

Á titre subsidiaire :

- Constater que M. [E] invoque à l'encontre de la société KPMG un préjudice personnel et distinct de celui de la collectivité des créanciers.

- Constater que M. [E] justifie d'une qualité à agir à l'encontre de la société KPMG.

- Débouter la société KPMG de sa demande tendant à voir l'action de M. [E] irrecevable pour défaut de qualité à agir.

En tout état de cause :

- Condamner M. [J] à leur verser à chacun la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner la société KPMG à leur verser chacun la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner la société Speedy à leur verser à chacun la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner M. [J], la société KPMG et la société Speedy France aux dépens.

SUR CE,

Sur la compétence du tribunal s'agissant de l'action engagée contre la société Speedy France

Le juge de la mise en état a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Speedy France aux motifs que :

- L'action n'entre pas dans le champ d'application de la clause attributive de compétence du contrat de franchise désignant le tribunal de commerce de Nanterre comme compétent puisqu'elle n'a pas pour objet la validité, l'interprétation, l'exécution ou la résiliation du contrat mais tend à la mise en cause de la responsabilité délictuelle de la société Speedy France.

- Si une partie du litige relève de la compétence du tribunal de commerce, d'autres chefs de demandes relèvent exclusivement de la compétence de la juridiction civile, la connexité des demandes (litige portant sur deux actes signés le même jour entre les mêmes parties, participant d'une même opération économique, demande de condamnation des trois défendeurs à la réparation du même préjudice) justifie que tribunal judiciaire soit compétent pour connaître de l'entier litige.

La société Speedy France fait valoir que :

- La clause attributive de compétence prévue dans le contrat de franchise a vocation à s'appliquer, les demandes se rapportant à un acte de commerce.

- Le tribunal judiciaire de Paris n'a pas davantage compétence territoriale pour connaître du litige, le contrat étant exécuté et le dommage étant subi à Vitrolles, le défendeur ayant son siège social à Nanterre et la clause attributive de compétence conférant compétence exclusive au tribunal judiciaire de Nanterre.

- Aucune connexité n'est démontrée entre les demandes formées à l'encontre des différents défendeurs et le litige est divisible, les demandes étant fondées sur des actes et des préjudices distincts et aucune demande de condamnation solidaire ou in solidum des défendeurs n'étant formée.

- Le juge de la mise en état ne pouvait écarter l'application de la clause attributive de compétence, dès lors que sa mise en œuvre s'impose y compris en matière délictuelle, et que l'action engagée sur le fondement de l'article L. 330-3 du code de commerce est de nature contractuelle.

- En tout état de cause, si les demandes formées par M. [E] venaient à être jugées irrecevables, de sorte que seule survivrait la demande indemnitaire à son encontre par le liquidateur, le tribunal de commerce de Nanterre serait compétent.

M. [E] et la Scp BR Associés ès qualités demandent la confirmation de l'ordonnance en ce que :

- La demande formée à l'encontre de la société Speedy France est fondée sur la responsabilité délictuelle de sorte que la clause attributive de compétence ne peut pas s'appliquer.

- Il est dans l'intérêt d'une bonne justice de faire juger l'ensemble du litige par une seule et même juridiction, conformément à l'article 42 du code de procédure civile, soit le tribunal judiciaire de Paris, juridiction de droit commun, seul compétent pour connaître des actions en responsabilité présentant un lien de connexité en ce qu'elles sont relatives à la conclusion de contrats le même jour, entre les mêmes parties et concourant à une même opération économique, et que la mise en cause de la responsabilité d'un avocat relève de la compétence exclusive du juge de droit commun.

- Les demandeurs ayant le choix entre le tribunal dans le ressort duquel demeure l'un des défendeurs, le tribunal de Paris est compétent.

- La clause attributive de compétence n'est pas applicable s'agissant de la mise en cause de la responsabilité délictuelle de la société Speedy France pour manquement à son obligation d'information précontractuelle, et ne produit d'effet qu'à l'égard de ses signataires.

S'agissant de la compétence territoriale, l'article 42 du code de procédure civile énonce que « La juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur. S'il y a plusieurs défendeurs, le demandeur saisit, de son choix, la juridiction du lieu où demeure l'un d'eux (...) », l'article 48 du même code précisant que « Toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée ».

S'agissant de la compétence matérielle, l'article L. 211-3 du code de l'organisation judiciaire dispose que « Le tribunal judiciaire connaît de toutes les affaires civiles et commerciales pour lesquelles la compétence n'est pas attribuée, en raison de la nature de la demande, à une autre juridiction », et l'article L. 721-3 du code de commerce énonce que « Les tribunaux de commerce connaissent :

1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ;

2° De celles relatives aux sociétés commerciales ;

3° De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes.

Toutefois, les parties peuvent, au moment où elles contractent, convenir de soumettre à l'arbitrage les contestations ci-dessus énumérées ».

L'article 101 du code de procédure civile précise que « S'il existe entre des affaires portées devant deux juridictions distinctes un lien tel qu'il soit dans l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble, il peut être demandé à l'une de ces juridictions de se dessaisir et de renvoyer en l'état la connaissance de l'affaire à l'autre juridiction ».

Le contrat de franchise conclu entre la société Speedy France et la société Speed Autos Services contient en son article 28.6 une clause attributive de compétence territoriale aux termes de laquelle « Tout litige relatif à la validité, l'interprétation, l'exécution ou la résiliation du contrat relève de la compétence exclusive du tribunal de commerce de Nanterre (France), même en cas d'appel en garantie ou de pluralité de défendeurs ».

La responsabilité de la société Speedy France, recherchée sur le fondement de l'article L. 330-3 du code de commerce, aux fins d'indemnisation du préjudice subi pour manquement à l'obligation pré-contractuelle d'information, et sans qu'il soit fait état d'un dol à ce titre ayant vicié le consentement de la société Speed Autos Services, justifiant la nullité du contrat de franchise, ni sollicité la résiliation dudit contrat pour défaut d'exécution, est de nature délictuelle et n'a donc pas trait à la validité, l'interprétation, l'exécution ou la résiliation du contrat. La clause attributive de compétence n'est donc pas applicable.

Quand bien même la responsabilité de la société Speedy France est recherchée au titre de manquements préalables à l'obligation précontractuelle d'information précédant la conclusion du contrat de franchise, et aucunement au titre du contrat de cession du fonds de commerce, sur le fondement duquel la responsabilité de M. [J] est alléguée, tandis que la responsabilité de la société KPMG est invoquée au titre de l'exécution de sa mission ayant précédé la conclusion de ces contrats, le juge de la mise en état a relevé à juste titre un lien entre les actions fondées sur le contrat de cession de fonds de commerce et sur le contrat de franchise, puisque ces contrats ont été conclus le même jour, entre les mêmes parties et concourent à une même opération économique. Enfin, si les préjudices allégués ont un fondement distinct et s'il n'est formé aucune demande de condamnation de la société Speedy France in solidum avec les autres défendeurs à l'action, M. [E] sollicite tant à l'égard de ladite société, qu'à l'égard de M.[J] et de la société KPMG solidairement, le paiement de la somme 176 168 euros représentant le montant des sommes investies dans le projet.

Ces litiges étant connexes, il est de l'intérêt d'une bonne administration de la justice que l'ensemble des actions soient jugées devant un seul tribunal, soit le tribunal judiciaire de Paris, compte tenu de la compétence exclusive de droit commun de cette juridiction pour connaître de l'action en responsabilité professionnelle engagée à l'encontre de M.[J], avocat domicilié à Paris.

L'ordonnance est donc confirmée de ce chef.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action exercée à l'encontre de la société KPMG.

Le juge de la mise en état a rejeté cette fin de non-recevoir en ce que :

- La clause relative à la prescription figurant dans la lettre de mission de la société KPMG, qui prévoit un aménagement du point de départ de la prescription, ce que ne permet pas l'article 2254 du code civil, doit être écartée au profit du droit commun.

- L'assignation a été délivrée à la société KPMG moins de 5 ans après que M. [E] a été alerté des premières difficultés financières de la société Speed Autos Services par la société KPMG au mois de février 2016, de sorte que les demandes formées sont recevables.

La société KPMG fait valoir que :

- Le juge a dénaturé l'article 2254 du code civil, qui n'écarte pas la possibilité de modifier le point de départ du délai de prescription.

- M. [E] était en mesure de critiquer le prévisionnel établi par elle avant l'expiration du délai de 4 ans à compter de la remise des livrables, prévu dans la clause contractuelle, de sorte que celle-ci est applicable et l'assignation tardive irrecevable.

- Á titre subsidiaire, il convient de faire application de la clause en ce qu'elle prévoit un délai de prescription de 4 ans pour mettre en cause la responsabilité de la société KPMG au titre des prestations réalisées.

M. [E] et la Scp BR Associés ès qualités répondent que :

- Les parties n'ont pas la possibilité d'aménager contractuellement le point de départ du délai de prescription, seule la durée pouvant l'être.

- La prescription de la responsabilité de l'expert-comptable n'a pu courir avant la date de la fin du premier exercice (31décembre 2016), ou la date d'élaboration du premier bilan comptable de la société Speed Auto Services (9 octobre 2017), en sorte que l'action n'est pas prescrite.

En application de l'article 2224 du code civil, « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».

L'article 2254 du code civil précise que « La durée de la prescription peut être abrégée ou allongée par accord des parties. Elle ne peut toutefois être réduite à moins d'un an ni étendue à plus de dix ans (...) ».

L'article 4-2 de la mission conclue entre M. [E] et la société KPMG stipule que « En application de l'article 2254 modifié du code civil, la responsabilité civile professionnelle de KPMG S.A. ne peut être mise en jeu que sur une période contractuellement définie de quatre (4) ans à l'issue de la remise des Livrables ».

Ainsi que l'a pertinemment relevé le premier juge, cette clause qui modifie, outre le délai de prescription de droit commun, le point de départ de celui-ci, fixé à la remise des livrables et non pas à la date à laquelle le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, n'est pas conforme aux dispositions de l'article 2254 du code civil et est donc inapplicable.

L'action ne pouvant être exercée avant l'établissement du premier bilan comptable de la société Speed Auto Services ayant permis à M. [E] d'identifier les fautes prétendues de la société KPMG, et ayant été exercée dans le délai de cinq ans de l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire de ladite société à compter duquel le préjudice allégué de M. [E] a été matérialisé, n'est pas prescrite.

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de M. [E] à l'encontre de M. [J], de la société KPMG et de la société Speedy France.

Le juge de la mise en état a rejeté cette fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de M. [E] envers M. [J] en ce qu'il résulte de la promesse de cession signée le 2 avril 2015 par M. [E] et la société Speedy France que M. [J] a été choisi comme rédacteur de l'acte d'un commun accord par les deux parties de sorte que M. [E] exerce une action personnelle à l'encontre de M. [J] dont il était le client, même si lors de la signature, M. [J] est également devenu l'avocat de la société Speed Autos Services, et qu'une telle action n'est pas inhérente à la procédure collective.

M. [J], la société KPMG et la société Speedy France font valoir que :

- Le juge n'a pas recherché si les préjudices dont M. [E] sollicitait réparation étaient inhérents à la procédure collective, ou s'ils constituaient des préjudices personnels et distincts.

- Le juge a présumé à tort que, parce que M. [E] était client de M. [J], le préjudice était nécessairement personnel et distinct de celui subi par la masse des créanciers.

- L'existence d'un lien contractuel ne dispense pas le juge de rechercher si le préjudice est inhérent à la procédure collective.

- Les préjudices dont M. [E] sollicite réparation sont inhérents à la procédure collective et se confondent avec ceux subis par la masse de créanciers pour lesquels le liquidateur avait seul qualité à agir dès lors que :

- Sur la perte du montant de son compte courant, la perte d'un investissement par un associé de la société débitrice soumise à une liquidation judiciaire n'est pas constitutive d'un préjudice distinct.

- Sur la non-perception des rémunérations, le demandeur n'a opéré aucune distinction entre la perte selon qu'elle serait antérieure ou postérieure à la liquidation judiciaire.

- Le préjudice moral allégué découle directement de la perte de revenus et de la perte en compte courant et n'est donc pas distinct du préjudice collectif.

M. [J] ajoute que M. [E] n'était pas son client, le fait qu'il soit intervenu en qualité de rédacteur d'acte ne signifiant pas qu'il était le conseil de M. [E] et les parties s'étant entendues pour que les frais de rédaction d'actes soient facturés au cessionnaire, et la société Speed Autos Services s'étant substituée à M. [E] dans le bénéfice de la promesse.

M. [E] et la Scp BR Associés ès qualités répondent que :

- Les préjudices subis par M. [E] sont personnels et distincts et ne relèvent pas de l'intérêt collectif des créanciers, en ce qu'ils ont pour source non pas la liquidation judiciaire mais les fautes de M. [J] au titre de l'exécution du contrat de prestations de services conclu avec son client, ainsi que la faute contractuelle de la société KPMG.

- M. [E] a réglé une facture à M. [J] pour la cession de fonds de commerce de sorte que ce dernier a bien été missionné par les deux parties pour procéder à la rédaction de l'acte.

Selon l'article 122 du code de procédure civile, « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».

Au vu de l'assignation, M. [E] agit en responsabilité contractuelle envers M.[J] au titre du manquement à ses obligations en qualité de rédacteur unique de l'acte de cession de fonds de commerce du 31 août 2015 en faisant valoir que M.[J] « n'a pas rempli son obligation de conseil à [son] égard en n'attirant pas [son] attention sur le fait que le cédant ne fournissait pas les éléments prévus par les textes et sur le fait qu'une telle omission était dangereuse » et que « cette faute a causé un lourd préjudice à la société Speed Auto Services et à son gérant » (page 7 de l'assignation).

M. [E] n'est cependant pas partie à l'acte de cession du 31 août 2015, celui-ci ayant été conclu entre la société Speed Auto Services qu'il s'est substituée en qualité de cessionnaire avec l'accord du cédant, et la société Speed France. Les circonstances que la promesse préalable de cession, rédigée par M. [J], ait été conclue entre lui et la société Speed France, et que la facture d'honoraires de M. [J] du 1er avril 2015 au titre de la « cession du fonds de commerce Speedy [Localité 10] » lui ait été adressée sans préciser sa qualité de gérant de la société Speed Autos Services, alors que l'acte de cession mentionne que les frais de rédaction de l'acte incombent au cessionnaire, ne lui confèrent pas la qualité de partie au contrat de cession au titre duquel la responsabilité de M. [J] est recherchée.

M. [E], qui n'a pas qualité à agir en responsabilité contractuelle envers M.[J] en sa qualité de rédacteur unique de l'acte de cession, est dès lors irrecevable en cette action, en infirmation de l'ordonnance.

En vertu de l'article L. 622-20 du code de commerce, « Le mandataire judiciaire désigné par le tribunal a seule qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers. Toutefois, en cas de carence du mandataire judiciaire, tout créancier nommé contrôleur peut agir dans cet intérêt dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.... »

L'article L. 641-4 du code de commerce précise que « Le liquidateur procède aux opérations de liquidation en même temps qu'à la vérification des créances. Il peut introduire ou poursuivre les actions qui relèvent de la compétence du mandataire judiciaire. »

Est irrecevable l'action individuelle introduite par un créancier pour demander la réparation d'un préjudice qui n'est pas personnel et distinct de celui causé aux autres créanciers de la procédure collective de la société faisant l'objet d'une liquidation judiciaire.

Au vu de l'assignation, M. [E] agit en responsabilité contractuelle envers la société KPMG, en sa qualité d'expert-comptable de M. [E] et de la société Speed Auto Services, pour manquement à son obligation de conseil et de diligence en lui remettant des prévisionnels irréalistes. Il recherche également la responsabilité de la société Speed France au titre du contrat de franchise conclu avec elle pour manquement à son obligation précontractuelle d'information

Il fait valoir le même préjudice, de 176 168 euros, découlant des manquements de la société KPMG et de la société Speedy France, se décomposant ainsi :

- Le paiement de la somme de 76 168,97 euros au titre de son compte courant d'associé dans la société Speed Autos Service, lequel préjudice, invoqué au titre du manquement de l'expert-comptable à ses obligations contractuelles et du franchiseur à son obligation précontractuelle d'information, constitue un préjudice personnel distinct de celui des créanciers de la procédure collective.

- La somme de 100 000 euros (désormais 118 000 euros en l'état de ses dernières écritures devant le tribunal) en réparation de son préjudice subi au titre du défaut de perception des salaires escomptés en sa qualité de gérant de la société Speed Auto Services, pendant l'exploitation et après la liquidation de celle-ci, préjudice également personnel et distinct de celui des créanciers de la procédure collective.

- La somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral, qu'il explicite dans ses dernières écritures devant le tribunal judiciaire, en ce qu'il n'a pas retrouvé de situation personnelle depuis la liquidation de la société, lequel préjudice lui est personnel.

Son action à l'égard de la société KPMG et de la société Speedy France est donc recevable.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

M. [E] échouant partiellement en ses prétentions sera condamné aux dépens, et à payer à M. [J] une indemnité de 1000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, le surplus des demandes des parties de ce chef étant rejeté.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme l'ordonnance en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de M. [E] à l'encontre de M. [J] et réservé les frais et dépens, en particulier les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Statuant de nouveau,

Dit irrecevable l'action en responsabilité contractuelle exercée par M. [E] à l'encontre de M. [J] au titre du contrat de cession du fonds de commerce du 31 août 2015.

Condamne M. [E] à payer à M. [J] une indemnité de 1000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties du surplus de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne M. [E] aux dépens.