CA Pau, 2e ch. sect. 1, 13 juin 2022, n° 21/00341
PAU
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Bearn Protection Sécurité Intervention (SARL)
Défendeur :
Société Nouvelle Surveillance Intervention Service (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pellefigues
Conseillers :
M. Darracq, M. Magnon
Avocats :
Me Marco, Me Fellonneau
FAITS - PROCEDURE - PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES
La société à responsabilité limitée Béarn protection sécurité intervention (la société Bpsi), domiciliée à [Localité 3], a pour objet social la réalisation d'activités privées de surveillance et de gardiennage.
La société à responsabilité limitée Nouvelle surveillance intervention service (la société Sis) spécialisée dans les activités liées aux systèmes de sécurité, effectuait pour le compte de Bpsi, depuis 2012, des prestations de protection de ses salariés.
Au début de l'année 2018, les relations de Bpsi avec son directeur adjoint, M. [N] sont devenues conflictuelles sur fond de revendications salariales non satisfaites.
Le 5 avril 2018, M. [N] a été placé en arrêt de travail jusqu'au 30 avril 2018.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 mai 2018, la société Bpsi a notifié à M. [N] son licenciement pour faute lourde, lui reprochant plusieurs manquements à ses obligations contractuelles dont la non-restitution, notamment, de son ordinateur portable, d'un disque dur externe comportant la mémoire de l'entreprise, ainsi que la destruction de fichiers sur les sauvegardes informatiques appartenant à l'entreprise.
M. [N] a contesté son licenciement devant le conseil des prud'hommes de Pau saisi le 11 décembre 2018.
Le 27 juin 2018, la société Setec organisation, mandatée par la SNCF pour organiser l'appel d'offre pour un marché public de sécurisation du chantier ferroviaire dit « Ceva », en Haute-Savoie a notifié à la société Bpsi, titulaire du marché en cours sur ce même site, que son offre avait été rejetée au profit de l'offre de la société Sis financièrement mieux disante.
Le 3 juillet 2018, M. [N], qui n'était lié par aucune clause de non-concurrence, a été embauché par la société Sis en qualité de chargé d'affaire service exploitation.
Le 16 juillet 2018, M. [N] s'est chargé de la coordination du passage de relais, sur le site savoyard, entre Bpsi vers Sis.
Considérant qu'elle avait été victime d'une concurrence déloyale à l'origine de la perte du marché Ceva et du départ de certains clients, la société Bpsi a fait assigner la société Sis par devant le tribunal de commerce de Bayonne en responsabilité et indemnisation de son préjudice économique, évalué à 136.052 euros, et de son préjudice moral, évalué à 50.000 euros, au visa de l'article 1240 du code civil.
Par jugement du 25 janvier 2021, le tribunal de commerce de Bayonne a :
- Dit que la société Sis n'a pas commis d'acte de concurrence déloyale au préjudice de la société Bpsi.
- Débouté la société Sis de sa demande de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du conseil des prud'hommes de Pau.
- Débouté la société Bpsi de ses demandes [indemnitaire]au titre d'actes de concurrence déloyale.
- Condamné la société Bpsi à payer à la société Sis la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- Ordonné l'exécution provisoire.
- Condamné la société Bpsi aux dépens dont les frais de greffe liquidés à la somme de 124,84 euros.
Par déclaration faite au greffe de la cour le 02 février 2021, la société Bpsi a relevé appel de ce jugement.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 13 avril 2022.
Vu les dernières conclusions notifiées le 12 avril 2022 par la société Bpsi qui a demandé à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :
- Dire et juger que la société Sis a commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice.
- Condamner la société Sis à lui verser la somme de 136.052 euros au titre de son préjudice économique, celle de 50.000 euros au titre de son préjudice moral, outre une indemnité de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions notifiées le 08 avril 2022 par la société Sis qui a demandé à la cour de :
A titre principal, au visa des articles 562, 542, 901 et 54 du code de procédure civile, de :
- Se déclarer non saisie de l'appel qui n'a provoqué aucun effet dévolutif, au constat que la déclaration d'appel ne mentionne pas l'objet de l'appel, savoir « réformation ou infirmation » du jugement entrepris.
A titre subsidiaire :
- Confirmer le jugement entrepris [à l'exception du rejet de la demande de sursis à statuer devenue sans objet en appel].
- Débouter la société Bpsi de ses demandes y compris au titre des frais irrépétibles.
- Y ajoutant, condamner la société Bpsi à lui payer une nouvelle indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
1 - Sur l'effet dévolutif de la déclaration d'appel.
La déclaration d'appel de la société Bpsi en date du 22 février 2021 est rédigée comme suit : « appel limité aux chefs de jugement expressément critiquées en ce qu'il a [suit l'énumération de chacun des chefs critiqués du dispositif du jugement] ».
La société Bpsi soutient qu'il résulte de l'application combinée des articles 901, 54, 2° et 542 du code de procédure civile que la déclaration d'appel doit préciser l'objet du recours en ce qu'il tend soit à l'annulation, soit à la réformation du jugement entrepris. Elle en déduit que la déclaration d'appel de la société Bpsi, qui ne précise pas l'objet du recours, est privée d'effet dévolutif, la cour n'étant valablement saisie d'aucune demande, et alors que seule une nouvelle déclaration d'appel faite dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile pouvait régulariser la saisine de la cour.
Mais, d'une part, selon l'article 542 du code de procédure civile, l'appel tend, par la critique du jugement rendu, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel, et, d'autre part, il résulte de l'article 562 du code de procédure civile que l'appel défère à la cour la connaissance des chefs du jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s'opérant pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
Il s'ensuit que si, en application de l'article 901 du code de procédure civile dans sa rédaction applicable aux appels introduits à compter du 1er janvier 2021, l'objet du recours doit être mentionné dans la déclaration d'appel, l'irrégularité formelle tirée de l'omission de cette mention n'a aucune portée sur son effet dévolutif lorsque la déclaration d'appel vise les chefs de jugement qu'elle critique expressément, opérant ainsi son plein effet dévolutif, dans les limites de cette critique, remettant en cause la chose jugée en première instance, sauf l'obligation faite à l'appelant de demander à la cour d'annuler ou de réformer le jugement dont il poursuit l'anéantissement dans le dispositif de ses premières conclusions d'appel concentrant ses prétentions.
En l'espèce, la déclaration d'appel de la société Bpsi énonce précisément les chefs du jugement qu'elle critique expressément, déférant ceux-ci à la connaissance de la cour.
Et, il est constant que la société Bpsi a demandé, dans ses conclusions de l'article 908 du code de procédure civile, la réformation du jugement.
Le moyen tiré de l'absence d'effet dévolutif de la déclaration d'appel n'est donc pas fondé.
1 - Sur la portée du jugement du conseil des prud'hommes de Pau du 22 février 2021.
Il est constant que, à hauteur d'appel, rendant sans objet la demande de sursis à statuer formée en première instance par la société Sis, le conseil des prud'hommes de Pau a définitivement statué sur le licenciement pour faute lourde contesté par M. [N] en décidant que le licenciement reposait sur une faute grave, déboutant M. [N] de ses demandes et en déboutant également la société Bpsi de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour concurrence déloyale.
Selon la société Sis, il résulte de l'autorité attachée au dispositif de ce jugement ayant débouté la société Bpsi desa demande reconventionnelle, quels qu'en soient les motifs, qu'il est désormais définitivement acquis que M. [N] n'a commis aucun acte de concurrence déloyale jusqu'à son licenciement du 24 mai 2018, délimitant le périmètre temporel de la compétence du juge prud'homal. L'intimée en déduit que la société Bpsi ne peut plus invoquer, au soutien de son action en concurrence déloyale dirigée contre elle, des actes antérieurs au 24 mai 2018.
Mais, la société Bpsi reproche à la société Sis deux séries d'actes de concurrence déloyale :
- La première consistant dans le fait d'avoir obtenu le marché public Ceva en s'appropriant illicitement des informations stratégiques détournées à son profit par M. [N], à l'origine d'un préjudice économique évalué à 131.402 euros.
- La seconde consistant dans le détournement illicite de 8 clients par l'intermédiaire de M. [N], devenu salarié de la société Sis, à l'origine d'un préjudice évalué à 4.650 euros.
Par conséquent, l'exonération de la responsabilité de M. [N] au titre d'une concurrence déloyale, est sans emport sur le droit pour la société Bpsi, qui recherche la responsabilité personnelle de la société Sis, non pas comme tiers- complice, mais comme auteur, d'invoquer les fautes commises par M. [N] dans le cadre de l'exécution du contrat de travail, qualifiées de fautes graves par le juge prud'homal, ayant permis, selon l'appelante, à la société Sis de commettre des actes de concurrence déloyale.
En revanche, la société Sis est recevable à contester les motifs du jugement prud'homal qui ont pu établir un lien entre les fautes de M. [N] et l'éventuel avantage qu'elle aurait pu en retirer, la chose jugée étant relative et son autorité ne s'attachant pas aux motifs du jugement.
1 - Sur la concurrence déloyale de la société Sis.
La concurrence déloyale se caractérise en un abus de la liberté du commerce, causant volontairement ou non, un trouble commercial, engageant la responsabilité délictuelle de son auteur sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
En outre, l'article R. 631-8 du code de déontologie des personnes physiques ou morales exerçant des activités privées de sécurité rappelle spécialement que les acteurs de la sécurité privé s'interdisent toute concurrence déloyale et toute entreprise de dénigrement tendant à nuire à un confrère ou à le supplanter dans une mission qui lui a été confiée.
Constitue notamment un acte de concurrence déloyale, l'appropriation par des procédés déloyaux d'informations confidentielles relatives à l'activité d'un concurrent, fussent-elles transmises par un ancien salarié de celui-ci qui n'était pas tenu par une clause de non-concurrence.
En l'espèce, la société Bpsi ne conteste pas le droit de la société Sis d'embaucher M. [N], non tenu par une clause de non-concurrence, ni de soumissionner à l'appel d'offre du marché public Ceva mais d'avoir obtenu ce marché en s'appropriant indûment les informations confidentielles intéressant sa propre candidature, notamment tarifaires, conservées et transmises par son ancien salarié durant même l'exécution de son contrat de travail.
La société Sis conteste avoir obtenu une quelconque information confidentielle et objecte que les deux sociétés ont répondu en même temps à l'appel d'offre d'avril 2018 alors que M. [N] était en arrêt de travail du 5 au 30 avril 2018, rendant impossible, comme l'a retenu le tribunal, toute divulgation par ce dernier d'informations concernant les critères tarifaires fournis par le dirigeant de la société Bpsi soumissionnaire.
Mais, cette défense ne résiste pas à l'examen de la chronologie des faits qui révèle, au contraire, la mise en place d'une concertation frauduleuse en vue d'évincer la société Bpsi du marché public Ceva au profit de la société Sis.
D'abord, contrairement à ce que soutient l'intimée, les deux sociétés n'ont pas soumissionné au marché public Ceva à compter du mois d'avril 2018.
En effet, M. [N], en charge du marché Ceva en cours d'exécution, était l'interlocuteur privilégié de la société Setec organisation mandaté pour organiser l'appel d'offre.
Ainsi, dès le 9 février 2018, dans un courrier adressé à la société Bpsi, « à l'attention de M. [N] », Setec organisation a informé ce dernier, « suite à une séance de négociation du 12 décembre dernier puis à nos échanges du mois de janvier 2018 », d'une mise à jour des pièces du dossier de consultation des entreprises, en l'invitant à remettre sa meilleure offre avant le 19 février 2018.
Par un nouveau courrier du 5 mars 2018, adressé aux mêmes destinataires, Setec organisation a écrit : « le 19 février dernier, vous nous avez adressé votre meilleure offre suite au rendez-vous de négociation que nous avons tenu le 12 décembre 2017 et à la remise des pièces [...] par courrier en date du 9 février. Toutefois cette offre est incomplète puisqu'elle ne comportait pas l'acte d'engagement mis à jour suite à la négociation, ni votre mémoire technique mis à jour suite à la négociation », l'invitant à transmettre ces deux pièces au plus tard le 16 mars 2018.
Le 13 avril 2018, Setec organisation, dans un courrier adressé à la société Bpsi « à l'attention de Mme [L] », a notifié une décision sans suite de sa candidature en raison « des réflexions menées récemment en interne qui ont conduit à reconsidérer notre position en raison de l'insuffisance de la concurrence et de l'irrégularité de la procédure ».
Parallèlement à ces faits, il est établi par les pièces versées aux débats, et notamment l'exploitation des relevés téléphoniques du téléphone portable de M. [N], qui se heurtait à un refus de revalorisation salariale, a contacté M. [C], directeur général de la société Sis les :
- 15 mars 2018 à 19h45, après un appel du même jour avec Mme [L], sœur du dirigeant de la société Bpsi chargée des ressources humaines.
- 16, 19, 21, 23, 28 mars et 4 avril 2018.
Le 13 mars 2018, M. [N] appelle également M. [H], responsable de la société Setec organisation.
Le 4 avril 2018, M. [N] passe au siège de la société Bpsi et retire tous ses effets personnels.
Le 5 avril 2018, M. [N] informe son employeur qu'il est souffrant, justifiant un arrêt de travail jusqu'au 30 avril.
La société Bpsi a dû constater que M. [N] n'avait pas restitué son ordinateur portable, le disque dur de couleur marron, contenant la mémoire de l'entreprise, qui lui avait été attribué, ni les clefs et le badge de l'entreprise.
Après sommation, M. [N] a restitué un disque dur de couleur noire, et non le disque de couleur marron de l'entreprise.
Il ressort des investigations techniques menées sur ce disque dur et des comparaisons avec les sauvegardes qui avaient pu être effectuées antérieurement par l'employeur, attestés par les constats d'huissiers versés aux débats, que le 4 avril 2018, à partir de 22h18, M. [N] a effacé plusieurs milliers de fichiers de l'ordinateur et du disque dur restitué à la société Bpsi, et que plusieurs fichiers n'ont pas pu être récupérés au nombre desquels figurent le dossier d'appel d'offre Ceva
Le 30 avril 2018, la société Sis a déposé sa candidature pour l'appel d'offre Ceva, les délais expirant le 4 mai 2018.
Le 26 juin 2018, Setec organisation a notifié à la société Bpsi que sa candidature avait été écartée au profit de celle de la société Sis dont le dossier, moins bien noté sur le critère « valeur technique » était mieux disant sur celui « prix des prestations », comptant pour 70 % de la valeur de la note globale, le marché étant attribué à la société Sis pour un montant de 507.736 euros HT quand l'offre Bpsi était de 550.944 euros.
La société Sis ne peut sérieusement soutenir que la subite intensification des échanges téléphoniques avec M. [N], au cours du mois de mars 2018, était en relation avec le suivi des contrats de « sous-traitance » entre les deux sociétés, ce qui ne repose sur aucun élément tangible, alors que, au contraire, la chronologie des faits forme un faisceau d'indices précis, graves et concordants établissant incontestablement la mise en place d'une concertation frauduleuse organisée par la société Sis opportunément intéressée par le ressentiment nourri par M. [N] à l'égard de son employeur alors qu'il était en relation directe avec Setec organisation depuis le mois de février 2018 dans le cadre de la préparation de la candidature de Bpsi à l'appel d'offre Ceva, laquelle va, opportunément encore, se heurter à des obstacles administratifs circonstanciels tirés de l'incomplétude du dossier d'abord puis qu'une concurrence insuffisante doublée d'un vice de forme, imputables à M. [N] et contemporains aux échanges téléphoniques intervenus entre M. [N] et la société Sis, d'une part, et M. [N] et Setec organisation, d'autre part, destinés à permettre la préparation de la candidature de la société Sis alors que, au 16 mars 2018, la société Bpsi était seule candidate, la société Sis déposant sa candidature le 30 avril 2018, sans même avoir pris la peine de se déplacer sur le site opérationnel, alors occupé par la société Bpsi, pour élaborer sa proposition technique, quand bien même l'appel d'offre n'exigeait pas, comme condition de recevabilité, une visite des lieux.
Par son enchaînement et sa cohérence, le mode opératoire conçu par la société Sis, pendant le contrat de travail puis sous couvert de l'arrêt de travail de M. [N], censé cloisonner, en apparence, les deux candidatures, avait pour seule finalité d'évincer la société Bpsi du marché public au profit de la société Sis, la certitude de la réalisation de cet objectif nécessitant de disposer des informations confidentielles concernant notamment sa politique tarifaire afin de la supplanter dans ce critère décisif, représentant 70 % de la note, et que seul M. [N] était en mesure de fournir en raison de sa connaissance exclusive du dossier de candidature Bpsi qu'il avait préparé, l'effacement de ce dossier du disque dur remis à son employeur, qui a dû déposer un nouveau dossier en l'état de sa politique tarifaire connue de M. [N], comme la tentative ultérieure de débauchage de salariés Bpsi sur le site savoyard, constitutifs d'une partie des fautes graves ayant fondé son licenciement, puis son embauche chez Sis, participant de ce même objectif.
En s'appropriant illicitement des informations confidentielles concernant un concurrent, détournées à son profit par un salarié de celui-ci, en vue de supplanter la société Bpsi dans le marché public Ceva, en violation même de ses obligations déontologiques, la société Sis a commis un acte de concurrence déloyale qui l'oblige à indemniser le préjudice subi par la société Bpsi.
S'agissant de la concurrence déloyale au titre d'un détournement de huit clients abusivement démarchés, il est rapporté la preuve d'une seule prestation ponctuelle effectuée au profit d'un seul client dont il n'est pas démontré qu'il aurait fait l'objet d'un démarchage fautif.
Il convient donc d'examiner l'indemnisation du préjudice résultant de la seule perte du marché public Ceva.
1 - Sur le préjudice.
La société Bpsi sollicite l'indemnisation de la perte des marges prévisionnelles sur charges directes pour le chantier Ceva, chiffrée à la somme de 131.402 euros, pendant la durée prévisionnelle du chantier de 18 mois, sur la base d'un chiffre d'affaires de 414.702 euros et un taux de charges directes de 68,3 %, détaillée dans une étude faite par son expert-comptable.
La société Sis conteste toute valeur probante à cette étude comptable dont elle conteste également la pertinence en faisant valoir qu'elle a réalisé, pour ce même chantier, un chiffre d'affaires de 132.564,07 euros en 2018 et de 216.106,33 euros en 2019, soit un total de 348.673,40 euros, le chantier ayant pris fin à cette date, soulignant que ce type de marché génère une marge nette extrêmement faible, mais sans la chiffrer, en raison des moyens humains importants mobilisés dont le coût horaire est évalué à 18,919 euros par le syndicat national des entreprises de sécurité validé par l'Urssaf quand l'expert-comptable de l'appelante a retenu un coût de 16,86 euros.
En premier lieu, le calcul du préjudice sur la perte de la marge sur charges directes au titre du marché Ceva est pertinent et se suffit à lui-même sans qu'il y ait lieu d'analyser l'évolution du chiffre d'affaires de la société Bpsi ou de ramener la perte de marge sur le chiffre d'affaires de l'exercice d'exécution théorique du marché Ceva.
Ensuite, le marché Ceva a été conclu pour une durée prévisionnelle d'un an reconductible deux fois.
Contrairement à ce que soutient l'intimée, l'analyse comptable de la perte de marge n'a pas été faite pour l'année 2018 mais sur une base d'exécution du marché de 18 mois.
Par ailleurs, l'analyse comptable détaille très précisément, avec une méthode claire et transparente, l'ensemble des postes, avec les prix unitaires, composant le chiffre d'affaires prévisionnel et les charges directes, mettant en mesure l'intimée, qui dispose également d'un expert-comptable, d'en discuter la valeur dans le cadre du débat contradictoire.
S'agissant du chiffre d'affaires escompté, il est cependant exact que le montant de 414.702 euros apparaît excessif pour une exécution de 18 mois rapportée au montant de l'offre initiale.
La société Sis ayant réalisé 68,86 % de son offre, il y a lieu d'appliquer ce taux à l'offre Bpsi afin de retenir un chiffre d'affaires escompté de 379.380 euros.
La critique du coût horaire moyen d'un agent de sécurité, étayée par de la documentation professionnelle, à laquelle n'a pas répondu la société Bpsi, mérite également d'être retenue.
En appliquant un taux horaire de 18,919 euros, le montant total des charges directes est porté à 314.538 euros au lieu de 283.300 euros, soit un taux de charges directes de 82,90 %.
La perte de marge est donc égale à 17,10 % x 379.380 = 64.873,98 euros.
Infirmant le jugement entrepris, la société Sis sera donc condamnée à payer cette somme à titre de dommages et intérêts.
Les circonstances de la concurrence déloyale, préméditée et intrusive, ont causé un incontestable préjudice moral à la société Bpsi qui a découvert, après investigations, les manœuvres à l'origine de la perte du marché Ceva, justifiant l'allocation d'une indemnité réparatrice de 20.000 euros.
La société Sis sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
DEBOUTE la société Nouvelle surveillance intervention service de sa demande tendant à voir dire que l'appel de la société Bpsi n'a pas opéré d'effet dévolutif saisissant valablement la cour.
INFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris.
et statuant à nouveau,
DECLARE la société Nouvelle surveillance intervention service responsable du préjudice subi par la société Béarn protection sécurité intervention du fait des actes de concurrence déloyale qu'elle a commis à son détriment.
CONDAMNE la société Nouvelle surveillance intervention service à payer à la société Béarn protection sécurité intervention, à titre de dommages et intérêts :
- La somme de 64.873,98 euros en réparation de son préjudice économique.
- La somme de 20.000 euros en réparation de son préjudice moral.
DEBOUTE la société Béarn protection sécurité intervention du surplus de ses demandes indemnitaires au titre de la concurrence déloyale.
CONDAMNE la société Nouvelle surveillance intervention service aux dépens de première instance et d'appel.
CONDAMNE la société Nouvelle surveillance intervention service à payer à la société Béarn protection sécurité intervention une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Marc MAGNON, conseiller, suite à l'empêchement de Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente, et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.
La Greffière Le Président,