Livv
Décisions

CA Rennes, ch. com., 7 juin 2022, n° 21/07118

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Monsieur [F] [K], Madame [W] [S] [P] [Y] [U] épouse [K]

Défendeur :

LE MICHELANGELO (S.A.S.U.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Alexis CONTAMINE

Conseillers :

Olivia JEORGER-LE GAC, Dominique GARET

Avocats :

Me Magali AMISSE-GAUTHIER, Me Benoit GABORIT de la SELARL MGA

10 mai 2021

10 mai 2021

Le 17 novembre 2016, M. [K] et Mme [U], son épouse, ont consenti un bail commercial portant sur un local sis à [Localité 6] à la société Le Michelangelo, pour une durée de 9 années, moyennant un loyer mensuel de 1.250 euros.

Par ordonnance de référé du 19 mars 2019, le président du tribunal judiciaire de Saint-Nazaire a notamment :

- Condamné la société Le Michelangelo à payer la somme de 9.290 euros à titre de provisions pour les loyers impayés,

- Dit que faute pour la société Le Michelangelo de régler l'arriéré de loyer à la date fixée, en sus du loyer courant, et huit jours après l'envoi d'une simple mise en demeure adressée par lettre recommandée avec avis de réception :

- Le tout deviendra immédiatement exigible,

- La clause résolutoire sera acquise,

- Il sera procédé à l'expulsion immédiate de la société Le Michelangelo (...),

- Une indemnité provisionnelle mensuelle de 1.250 euros sera mise à la charge de la société Le Michelangelo, en cas de maintien dans les lieux, jusqu'à libération effective des lieux par remise des clés.

 

Le 1er avril 2021, la société Le Michelangelo a bénéficié d'une procédure de conciliation.

M. [K] et Mme [U] se sont opposés au règlement amiable de leur créance.

Le 3 mai 2021, M. [K] et Mme [U] ont de nouveau assigné la société Le Michelangelo en paiement des loyers devant le tribunal judiciaire.

A la demande de la société Le Michelangelo, par ordonnance sur requête du 10 mai 2021, notifiée par le greffe à la société Le Michelangelo le 10 mai 2021 et signifiée à M. [K] et Mme [U] le 2 juillet 2021, le président du tribunal de commerce de Saint-Nazaire a :

- Ordonné l'interruption de l'action en justice engagée par le bailleur,

- Arrêté ou interdit toute procédure d'exécution de la part du bailleur,

- Echelonné le paiement des sommes dues à raison de 24 échéances mensuelles d'un montant égal.

M. [K] et Mme [U] ont interjeté appel de cette ordonnance le 9 juillet 2021. Le 9 novembre 2021, l'instance d'appel a été déclarée éteinte par suite du désistement des appelants.

Sur assignation de M. et Mme [K], par ordonnance de référé du 15 juin 2021, signifiée à la société Le Michelangelo le 22 juin 2021, le président du tribunal judiciaire de Saint-Nazaire a notamment :

- Constaté l'acquisition de la clause résolutoire et donc la résiliation automatique du bail conclu entre M. [K] et Mme [U] et la société Le Michelangelo le 17 novembre 2016 portant sur des locaux [Adresse 1] - [Localité 6], à la date du 24 avril 2021,

- En conséquence, ordonné l'expulsion de la société Le Michelangelo et de tous occupants et biens de son chef de l'immeuble loué et ci-dessus mentionné, à défaut de libération volontaire des lieux dans les deux mois de la signification de la présente ordonnance, et ce, au besoin, avec le concours de la force publique et l'assistance d'un serrurier,

- Condamné la société Le Michelangelo à payer M. [K] et Mme [U] la somme provisionnelle de 7.250 euros (sept mille deux cent cinquante euros) au titre de l'arriéré locatif au 24 avril 2021, avec intérêts au taux légal à compter du commandement de payer sur 6.250 euros et à compter de l'assignation sur le surplus,

- Condamné la société Le Michelangelo à payer à M. [K] et Mme [U] une indemnité d'occupation provisionnelle s'élevant à la somme mensuelle de 1.250 euros (mille deux cent cinquante euros) à compter du 25 avril 2021 et jusqu'à complète libération des lieux, toutes taxes en plus.

La société Le Michelangelo a interjeté appel de cette ordonnance le 29 juin 2021. Le 9 décembre 2021, la caducité de cet appel a été prononcée, la société Le Michelangelo n'ayant pas conclu.

Le 16 juillet 2021, M. [K] et Mme [U] ont saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Saint-Nazaire en rétractation de l'ordonnance sur requête du 10 mai 2021.

Par ordonnance de référé du 26 octobre 2021, le président du tribunal de commerce de Saint-Nazaire a :

- Pris acte du désistement de l'appel de M. [K] et Mme [U] auprès de la cour d'appel de Rennes,

- Dit l'ordonnance rendue le 10 mai 2021 par le président du tribunal de commerce de Saint-Nazaire conforme aux dispositions légales,

- Débouté M. [K] et Mme [U] de leur demande de rétractation de l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Saint-Nazaire le 10 mai 2021 portant la référence RG 2021OP66 et confirmé ladite ordonnance en toutes ses dispositions,

- Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile et débouté respectivement chacune des parties de leurs demandes formées de ce chef,

- Condamné M. [K] et Mme [U] aux entiers dépens.

M. [K] et Mme [U] ont interjeté appel le 12 novembre 2021.

Les dernières conclusions de M. [K] et Mme [U] sont en date du 23 février 2022. Les dernières conclusions de la société Le Michelangelo sont en date du 1er février 2022. L'avis du ministère public est en date du 11 mars 2022.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 mars 2022.

PRÉTENTIONS ET MOYENS :

M. [K] et Mme [U] demandent à la cour de :

- Infirmer l'ordonnance du 26 octobre 2021,

Statuant de nouveau :

- Prononcer la rétractation de l'ordonnance du 10 mai 2021,

- Condamner la société Le Michelangelo au paiement de la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

La société Le Michelangelo demande à la cour de :

- Confirmer l'ordonnance du 26 octobre 2021,

- Condamner M. [K] et Mme [U] à payer à la société Le Michelangelo une somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner M. [K] et Mme [U] aux dépens.

Le ministère public est d'avis de dire l'appel recevable et confirmer l'ordonnance.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.

DISCUSSION :

Dans le cadre de l'épidémie de covid-19, en cas de mise en oeuvre d'une procédure de conciliation, lorsqu'un créancier appelé n'accepte pas la demande faite par le conciliateur de suspendre l'exigibilité de sa créance pendant la durée de la procédure, l'interruption ou l'interdiction de toute action en paiement de la part du créancier, l'arrêt ou l'interdiction de toute procédure de la part du créancier et l'échelonnement de la créance peuvent être ordonnés sur requête:

Article 2 de l'ordonnance n°2020-596 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l'épidémie de covid-19 :

I. - Le présent article est applicable lorsqu'est mise en œuvre la procédure de conciliation prévue par les articles L. 611-4 et L. 611-5 du code de commerce.

II. - Lorsqu'un créancier appelé à la conciliation n'accepte pas, dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l'exigibilité de sa créance pendant la durée de la procédure, le débiteur peut demander au président du tribunal ayant ouvert cette procédure, qui statue par ordonnance sur requête :

1° D'interrompre ou d'interdire toute action en justice de la part de ce créancier et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent ;

2° D'arrêter ou d'interdire toute procédure d'exécution de la part de ce créancier tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif avant la demande ;

3° De reporter ou d'échelonner le paiement des sommes dues.

Les observations du conciliateur sont jointes à la requête.

Lorsqu'il est fait application du 1° ou du 2°, les délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits sont suspendus. Lorsqu'il est fait application du 3°, les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.

Les mesures ordonnées par le président du tribunal ne produisent leur effet que jusqu'au terme de la mission confiée au conciliateur.

L'ordonnance est communiquée au ministère public.

III. - Par dérogation au cinquième alinéa de l'article L. 611-7 du code de commerce, le débiteur peut demander au juge qui a ouvert la procédure de conciliation de faire application de l'article 1343-5 du code civil avant toute mise en demeure ou poursuite à l'égard d'un créancier qui n'a pas accepté, dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l'exigibilité de la créance.

Article 124 de la loi n°2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique :

Les dispositions des articles 1er à 6 de l'ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l'épidémie de covid-19 sont prolongées jusqu'au 31 décembre 2021 inclus.

Le présent article est applicable à Wallis-et-Futuna.

Le juge des requêtes peut toujours modifier ou rétracter son ordonnance :

Article 497 du code de procédure civile :

Le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l'affaire.

Le juge de la rétractation doit se placer au jour où il statue, en considérant la situation qui existe à cet instant, et non à la date où l'ordonnance dont la rétractation est sollicitée a été rendue.

En l'espèce, il n'est pas contesté que la société Le Michelangelo a fait l'objet d'une procédure de conciliation le 1er avril 2021, sans que la durée de la mission du conciliateur ne soit précisée par les parties, et qu'à cette occasion, un plan d'échelonnement de créances a été fixé. Il n'est pas non plus contesté que M. [K] et Mme [U] se sont opposés au règlement amiable de leur créance.

La société Le Michelangelo ne conteste pas le montant des arriérés de loyer. Elle affirme qu'elle entend apurer l'intégralité de sa dette locative.

M. [K] et Mme [U] produisent plusieurs commandements de payer, en date des 9 mars 2018, 14 juin 2018, 24 octobre 2018 et 24 mars 2021. Ces commandements font état de divers impayés.

Si les difficultés de paiement des loyers rencontrées par la société Le Michelangelo apparaissent récurrentes et antérieures à la crise sanitaire, la créance litigieuse d'un montant de 7.250 euros porte uniquement sur des loyers de la période comprise entre avril 2020 et avril 2021 :

- Avril 2020 : 1.250 euros,

- Mai 2020 : 1.250 euros,

- Décembre 2020 : 625 euros,

- Janvier 2021 : 625 euros,

- Février 2021 : 1.250 euros,

- Mars 2021 : 1.250 euros,

- Avril 2021 : 1.000 euros.

L'ordonnance sur requête du 10 mai 2021 n'ayant été signifiée à M. [K] et Mme [U] que le 2 juillet 2021, ces derniers ont engagé, en exécution de l'ordonnance de référé du 15 juin 2021, des procédures d'exécution à l'encontre de la société Le Michelangelo. Ainsi, le 22 juin 2021, soit le même jour que la signification de l'ordonnance de référé au débiteur, ils ont fait délivrer un commandement de quitter les lieux et procédé à une saisie vente.

Il est indéniable que le secteur de la restauration a été particulièrement touché par la crise sanitaire, laquelle n'a pu qu'accroître les difficultés auxquelles la société Le Michelangelo faisait face. De telles circonstances justifiait l'interruption et l'interdiction des procédures judiciaires et de recouvrement engagées par le créancier et l'échelonnement des paiements du débiteur.

Comme le premier juge l'a fait observer, c'est en application des articles 2 de l'ordonnance n°2020-596 et 124 de la loi n°2020-1525 cités supra que le juge des requêtes du tribunal de commerce de Saint-Nazaire a statué comme il l'a fait.

Ces dispositions prévoient cependant qu'elles ne s'appliquent que jusqu'au 31 décembre 2021 inclus, de sorte que depuis le 1er janvier 2022, elles ne sont plus en vigueur et la rétractation de l'ordonnance est envisageable.

Du fait de la caducité de l'appel interjeté par la société Le Michelangelo contre l'ordonnance de référé du 15 juin 2021, cette décision est devenue définitive. L'ordonnance sur requête du 10 mai 2021 n'ayant été signifiée à M. et Mme [K] que le 2 juillet 2021, l'interruption de l'action en justice qu'elle ordonnait ne leur était d'ailleurs pas opposable.

L'ordonnance de référé du 15 juin 2021 a notamment constaté l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation automatique du bail.

A la date à laquelle l'ordonnance sur requête a été rendue, cette procédure de référé était en cours, l'assignation ayant été délivrée à la société Le Michelangelo le 3 mai 2021. Une interruption de la procédure était possible, l'audience de plaidoirie ayant eu lieu le 25 mai 2021. Ce n'est désormais plus le cas et le paiement complet de la dette de loyer de la société Le Michelangelo ne permettra pas de faire revivre un contrat de bail qui s'est trouvé définitivement résilié. La société Le Michelangelo fait valoir que son objectif est de revendre le fonds de commerce. Elle n'indique pas dans quelles conditions un fonds de commerce de restauration sans bail commercial pourrait être utilement vendu.

La résolution du bail commercial étant déjà intervenue, la prolongation de l'interdiction pour le bailleur des procédures d'exécution dont il bénéficie n'aurait pour effet que de reporter sa reprise de possession des lieux, à ses dépens et sans réel avantage pour la société Le Michelangelo.

Il y a lieu de rétracter l'ordonnance du 10 mai 2021.

La société Le Michelangelo sera condamnée aux dépens d'appel et les demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile rejetées.

PAR CES MOTIFS,

La cour :

- Infirme l'ordonnance de référé du 26 octobre 2021,

Statuant de nouveau et ajoutant :

- Rétracte l'ordonnance sur requête du 10 mai 2021,

- Rejette les autres demandes des parties,

- Condamne la société Michelangelo aux dépens d'appel.