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Décisions

Cass. com., 9 juin 2022, n° 20-10.980

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. RÉMERY

cour d'appel de Paris, 13 novembre 2019

13 novembre 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 novembre 2019), par un acte du 10 juillet 2014, la société Oasis & rivage a cédé à la société City Auto, devenue la société Blood, son fonds de commerce de restaurant-bar-café, exploité dans les locaux appartenant à la société Rivoli avenir patrimoine. Le 11 juillet 2014, se prévalant d'un arriéré locatif, cette dernière a assigné la société Oasis & rivage en référé en résiliation de bail. Puis, le 23 septembre 2014, invoquant une cession de droit au bail déguisée ainsi que le défaut de respect des formalités prévues en cas de cession du droit au bail, la société Rivoli avenir patrimoine, aux droits de laquelle est venue la société Pava, a assigné les sociétés Oasis & rivage et Blood en annulation et inopposabilité du contrat de cession de fonds de commerce et en résiliation du contrat de bail commercial pour faute grave.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. La société Pava fait grief à l'arrêt de dire que la cession de fonds de commerce de la société Oasis & rivage à la société Blood n'est pas frauduleuse et ne s'analyse pas en une cession de droit au bail déguisée et de la débouter de sa demande d'annulation de la cession, alors « que la cession d'un fonds de commerce porte à titre essentiel sur une clientèle attachée au fonds, personnelle et autonome ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société Oasis & rivage n'avait pas pu établir d'autre résultat que celui de l'exercice 2012, n'avait cédé ni stock ni marchandises ni contrat de fourniture ni contrat de travail, avait modifié son activité initiale de restauration, interrompu une activité peu florissante et enfin, avait cessé d'exploiter le fonds dans les lieux loués en février 2014 avant la cession en juillet 2014 ; qu'elle a néanmoins retenu, pour dire que la cession litigieuse n'était pas une cession déguisée de droit au bail, que les résultats bénéficiaires du cessionnaire qui, avant son acquisition, avait exercé une autre activité que celle de restauration, établissaient que toute la clientèle du fonds cédé n'avait pas disparu ; qu'en déduisant ainsi de l'activité propre du cessionnaire l'existence d'une clientèle attachée au fonds, après avoir constaté les changements et les interruptions d'activité puis la cessation d'exploitation plusieurs mois avant la cession, la cour d'appel n'a pas déduit de ses propres constatations les conséquences légales s'en évinçant quant à la nullité de la cession du fonds de commerce, et a violé ainsi l'article L. 141-1 du code de commerce ensemble l'article L. 145-16 du même code de commerce. »

Réponse de la Cour

3. Après avoir retenu, en appréciant souverainement les éléments de preuve qui lui étaient soumis, que la société Oasis & rivage démontrait avoir, dans un premier temps, poursuivi l'activité de restauration traditionnelle de son prédécesseur, puis avoir combiné cette activité avec celle de bar à ambiance musicale et privatisation de salles et, enfin, avoir exploité dans les lieux pris à bail un restaurant de cuisine asiatique, la cour d'appel a relevé que l'exploitation était peu florissante et qu'elle avait connu des périodes d'interruption, notamment pendant la période précédant immédiatement la cession de fonds de commerce mais qu'il n'était pas établi que ces quelques mois d'interruption d'exploitation avaient entraîné la disparition de la clientèle. Elle a encore retenu que, dès l'exercice 2015, la société Blood avait dégagé un bénéfice de 38 120 euros, pour un chiffre d'affaires de 492 286 euros, alors même qu'elle n'avait aucune notoriété dans le domaine de la restauration préalablement à l'acquisition du fonds de commerce. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que cette exploitation profitable du fonds, dès l'exercice 2015, s'expliquait par le fait que la clientèle attachée au fonds n'avait pas disparu lors de la cession.

4. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

5. La société Pava fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de résiliation du contrat de bail commercial, alors « que dans le cas où le preneur s'est volontairement abstenu d'accomplir la totalité des formalités d'information du bailleur préalables à la cession de fonds de commerce, de l'appeler à la cession et de lui signifier la cession, et où il a volontairement choisi de la lui dissimuler, cette faute qui dépasse le seul non respect de chacune des formalités prescrites par le bail mais implique une volonté de tromper, entraîne la résiliation du bail ; qu'en se bornant à relever le défaut de gravité de chaque omission, la cour d'appel, qui n'a pas recherché la gravité du refus délibéré de dissimuler au bailleur la cession, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1227 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. Ayant constaté que la société Pava ne pouvait reprendre l'exploitation du fonds de commerce, qu'il y avait eu poursuite de l'exploitation d'un fonds de restauration dans les lieux pris à bail et que les loyers étaient régulièrement acquittés puis retenu, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que le défaut d'appel du bailleur à l'acte de cession du fonds de commerce et le non-respect de son droit de préemption contractuel n'étaient pas des manquements suffisamment graves pour justifier la résiliation du bail, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision de rejeter la demande de résiliation du bail.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

8. La société Pava fait grief à l'arrêt de dire que la cession de fonds de commerce de la société Oasis & rivage à la société Blood n'est pas frauduleuse et ne s'analyse pas en une cession de droit au bail déguisée et de la débouter de sa demande d'inopposabilité de la cession, alors « qu'aux termes de l'article 13 du contrat de bail formé entre la société Rivoli avenir patrimoine et la société devenue Oasis & rivage, le preneur peut librement céder son droit au bail à l'acquéreur de son fonds de commerce, mais ne peut le faire sans le consentement exprès du bailleur, et doit appeler le bailleur à tout acte de cession, celui-ci bénéficiant d'un droit de préemption ; qu'il doit en outre lui signifier l'acte de cession ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé qu'aucune de ces formalités n'avait été respectée, mais a considéré que la signification de la cession par des conclusions déposées lors de l'instance de référé la rendait opposable au bailleur et que le non respect du droit de préemption n'était pas assorti de sanction ; qu'en statuant ainsi, pour déclarer la cession litigieuse opposable au bailleur, la cour d'appel a violé l'article L. 145-16 du code de commerce ensemble l'article 1103 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134, alinéa 1, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

9. Aux termes de ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

10. Pour dire que la cession du fonds de commerce est opposable à la société Pava, l'arrêt, après avoir constaté que l'article 13 du contrat de bail stipulait que toute cession du droit au bail devait être établie par un acte auquel le bailleur serait appelé, que le preneur ne pourrait céder son fonds de commerce sans en proposer préalablement l'achat au bailleur, retient que ces formalités n'ont pas été respectées et que le bailleur n'a pas été appelé à l'acte de cession mais qu'ayant été notifiée au bailleur par conclusions signifiées au cours de l'instance introduite en référé, la cession lui était opposable.

11. En statuant ainsi, alors que la notification faite au bailleur d'un acte de cession irrégulier pour avoir été conclu sans respecter les formalités requises par le contrat de bail n'a pas pour effet d'entraîner sa régularisation, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il constate que la cession est opposable au bailleur pour lui avoir été signifiée par conclusions, qu'il déboute les bailleresses de leur demande d'inopposabilité ainsi que de toutes les demandes qui en sont la suite et qu'il statue sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 13 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne les sociétés Oasis & rivage et Blood aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés Oasis & rivage et Blood et les condamne à payer à la société Pava la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juin deux mille vingt-deux.