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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 10 juin 2022, n° 19/21649

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Automobiles Citroen (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Avocats :

Me Grappotte-Bénétreau, Me Bertin, Me Sobieraj, Me Munnier

Paris, pôle 5 ch. 10, du 27 mars 2017, n…

27 mars 2017

La société Automobiles Citroën (la société Citroën) a conclu, le 28 mai 2003, avec la société Garage [D] (la société [D]), un contrat de réparateur agréé pour une durée de cinq ans prorogé jusqu'au 31 mai 2011, puis renouvelé le 23 mars 2011 à effet du 1er juin 2011, les contrats stipulant que la société [D] facturerait à la société Citroën le montant des opérations qu'elle aurait réalisées au titre de la garantie, à charge pour la première de conserver des documents concernant ces opérations pendant un certain délai afin de permettre, à la seconde, de réaliser un audit sur ces opérations et d'obtenir, en cas de facturation indue, le remboursement des sommes versées ainsi que le paiement d'une indemnité.

A la suite d'un audit effectué en octobre 2011 sur des opérations de réparation réalisées en avril 2011, et qui a révélé des interventions de garantie sur un véhicule ayant donné lieu à facturation alors qu'elles n'avaient pas été exécutées, la société Citroën a dénoncé, le 26 décembre 2011, la résiliation de ce contrat à effet immédiat et réclamé le remboursement d'une somme de 77.192,96 euros indûment versée au titre de la garantie et dont 27.634,52 euros seront ultérieurement retenus par la société Citroën.

Alors qu'elle avait informé la société Citroën le 28 novembre 2011 de son intention de céder son fonds de commerce, la société [D] a dénoncé le 28 décembre 2011 la résiliation abusive du contrat et la brutalité de la rupture de la relation commerciale.

Le 20 janvier 2012, la société [D] a conclu avec la société Bayon automobiles un compromis de vente de son fonds de commerce cédé le 5 avril 2012 au prix de 515.000 euros.

Après son opposition dénoncée le 30 avril 2012 sur le prix de vente de cession du fonds de commerce pour la somme de 49.558,44 euros au titre du solde des garanties indues, la société Citroën a assigné la société [D] en paiement le 27 septembre 2012 devant le tribunal de commerce de Paris, la société [D] réclamant reconventionnellement des dommages-intérêts pour résiliation abusive du contrat et pour rupture brutale de la relation commerciale établie.

* *

Par jugement du 3 septembre 2015, la juridiction commerciale a débouté la société Citroën de sa demande en paiement et d'expertise complémentaire des détournements de garantie, condamné la société Citroën reverser à la société [D] les sommes de 27.634,52 euros HT au titre des sommes indûment retenues et de 109.000 euros de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie, débouté la société [D] de sa demande de dommages et intérêts au titre de la résiliation abusive du contrat et condamné la société Citroën à payer la somme de 20.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Sur appel de la société [D], la cour d'appel de Paris a, par arrêt du 27 mars 2017, infirmé le jugement et statuant à nouveau, condamné la société [D] à verser à la société Citroën la somme de 49.558,44 euros au titre du solde des garanties indues, rejeté la demande de la société [D] du chef de la rupture brutale de la relation commerciale établie, condamné la société Citroën verser à la société [D] la somme de 30.000 euros de dommages et intérêts au titre de la résiliation abusive du contrat, ordonné la compensation et laissé à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles et dépens.

Sur les pourvois, principal de la société [D], et incident de la société Citroën, la cour de cassation a, par arrêt du 3 juillet 2019 n°H 17-18681, cassé l'arrêt du 27 mars 2017 « seulement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts de la société [D] pour rupture brutale d'une relation commerciale établie et condamné la société Citroën à lui payer la somme de 30 000 euros de dommages-intérêts pour résiliation fautive du contrat de réparateur agréé du 23 mars 2011 ».

PROCÉDURE SUR RENVOI DE CASSATION :

Vu la déclaration du 29 novembre 2019 de la société Automobiles Citroën pour la saisine de la cour d'appel de Paris désignée comme juridiction de renvoi en application des articles 1032 et suivants du code de procédure civile ;

* *

Vu les conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 25 mars 2021 pour la société Automobiles Citroën, afin d'entendre, en application e l'ancien article L. 442-6 I 5° du code de commerce :

à titre principal,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Citroën à payer la somme de 109.000 euros au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie,

- juger que la société Citroën était fondée à résilier sans préavis le contrat de réparateur agréé en date du 23 mars 2011 du fait des agissements frauduleux de la société [D] perpétrés avant et pendant l'exécution du dernier contrat, et constitutifs d'un grave manquement à son obligation contractuelle de loyauté et de bonne foi,

- débouter la société [D] de toutes ses demandes,

subsidiairement,

- débouter la société [D] de ses demandes fondées sur l'article L. 442-6 5° du code de commerce après avoir notamment constaté que rien n'établit qu'elle ait subi le moindre préjudice d'exploitation liée à la perte de la qualité de réparateur agréé de la marque Citroën pendant les trois mois écoulés entre la date de résiliation du contrat et la cession définitive du fonds (5 avril 2012),

- débouter la société [D] de sa demande de dommages intérêts liée à une dépréciation de son fonds de commerce, cette demande ayant été définitivement écartée par la cour de cassation,

- débouter la société [D] de toutes ses demandes,

- condamner la société [D] au paiement de la somme de 50.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Pascale Flauraud, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

* *

Vu les conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 24 mars 2021 pour la société garage [D] afin d'entendre, en application des articles L. 442-6 I 5° du code de commerce et 1134 alinéa 1, et 3, du code civil alors en vigueur ;

- juger irrecevable l'appel de la société Citroën tendant à obtenir l'infirmation du jugement déféré quant au caractère abusif et la résiliation du contrat de réparateur agréé du garage [D] et au caractère brusque de la rupture de la relation commerciale établie de façon ininterrompue entre les parties depuis 65 années, l'arrêt d'appel du 27 mars 2017 n'ayant pas été censuré de ces chefs et étant par conséquent définitif en ces dispositions,

- pour le surplus, la juger mal fondée en son appel la débouter de l'intégralité de ses demandes,

- rappeler que le caractère abusif de la résiliation du garage [D] ainsi que le caractère fautif de la brusque rupture de sa relation commerciale établie avec la société Citroën sont des points qui ont été définitivement tranchés par l'arrêt de la cour de céans du 27 mars 2017,

- infirmer le jugement dont appel en ses dispositions entrant dans le champ du présent appel,

statuant à nouveau,

- condamner pour les causes sus-énoncées la société Citroën à payer les sommes de :

3.000.000 euros à titre de dommages et intérêts pour brusque rupture d'une relation commerciale établie,

188.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résiliation abusive de son contrat de réparateur agréé Citroën,

- condamner la société Citroën en outre à payer la somme de 30.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens d'instance et d'appel ;

* *

La clôture de l'instruction a été ordonnée à l'audience du 13 mai 2022.

SUR CE, LA COUR,

Il est rappelé en liminaire qu'à la suite des articles 623, 624, 625 et 638 du code de procédure civile, la cour saisie sur renvoi de cassation juge l'affaire à nouveau en fait et en droit à l'exclusion des chefs non atteints par l'arrêt de cassation déterminés à son dispositif et limités à la portée du moyen qui leur sert de base.

1. Sur l'indemnisation du chef de la résiliation abusive du contrat

Aux termes de ses conclusions, la société [D] entend voir infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en condamnation de la société Citroën à lui payer la somme de 180.000 euros représentative de la réduction du prix de cession de son fonds de commerce qu'elle prétend avoir dû concéder à la société Bayon automobiles.

En cassant l'arrêt de la cour d'appel du 27 mars 2017 en ce qu'il « condamne la société Citroën à payer la somme de 30.000 euros de dommages-intérêts pour résiliation fautive du contrat de réparateur agréé du 23 mars 2011 », la cour de cassation, qui par ailleurs a rejeté le pourvoi incident de la société Citroën au terme duquel elle concluait au bien-fondé de cette résiliation, a irrévocablement tranché l'origine fautive de la résiliation du contrat, en sorte que les conclusions par lesquelles la société Citroën conteste à nouveau sa faute sont irrecevables.

En revanche, pour la détermination de ces dommages et intérêts, la société [D] réclame à nouveau la somme de 180.000 euros représentative de la réduction du prix de cession de son fonds de commerce, alors que ce chef de demande soutenu dans son deuxième moyen de cassation a été écarté par la cour de cassation, après qu'elle a estimé qu'il n'était manifestement pas de nature à entraîner la cassation de l'arrêt de la cour d'appel du 27 mars 2017, de sorte que cette demande de réparation n'est plus recevable.

Et alors que la société [D] ne soumet à la cour aucun autre chef de préjudice, le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef.

2. Sur la responsabilité pour rupture brutale de la relation commerciale établie

Aux termes de ses conclusions, la société [D] estime, d'abord, que la responsabilité de la société Citroën dans la rupture brutale de leur relation commerciale établie depuis soixante-cinq ans est irrévocablement tranchée et sa contestation par la société Citroën par conséquent irrecevable, et entend, en suite, voir infirmer le jugement en ce qu'il a limité la réparation de son préjudice de ce chef à 109.000 euros de dommages et intérêts qu'elle prétend voir fixer à la somme de 3.000.000 euros sur la base de sa perte de marge rapportée à un préavis qu'elle prétend voir fixer à trente-six mois.

Au demeurant, en cassant l'arrêt de la cour d'appel du 27 mars 2017 en ce qu'il « rejette la demande de dommages-intérêts de la société [D] pour rupture brutale d'une relation commerciale », après avoir retenu, en réponse au troisième moyen du pourvoi de la société [D], « que l'annonce, par la société [D], de son intention de céder son fonds de commerce n'avait pas fait perdre son caractère établi à la relation commerciale, qui avait seulement vocation à cesser à compter de la cession du fonds, ce dont il résultait que cette cession, intervenue le 5 avril 2012, n'avait pu ôter son caractère brutal à la rupture notifiée le 23 décembre 2011 », la cour de cassation n'a pas exclu de l'appréciation des dommages et intérêts celle préalable de la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie susceptible d'en être la cause.

En conséquence, la cour est à nouveau saisie de l'ensemble des moyens de fait et de droit par lesquels les parties s'opposent sur la responsabilité dans la brutalité de la rupture de leur relation commerciale établie.

Ainsi, il est énoncé à l'article L. 442-6 I, 5°, du code de commerce, dans sa version applicable au litige, que :

« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ».

D'après les productions de la société Citroën, il se déduit qu'à l'occasion de l'audit du 4 octobre 2011 sur les prestations déclarées par le garage [D] ayant fait l'objet de garanties en avril 2011, 15 prestations facturées à la société Citroën n'avaient pas été réalisées sur le véhicule C3 de M. [N] pour des pièces prétendument remplacées, qui n'étaient compatibles avec le modèle et revendiquées sur la base de faux kilométrages, qu'un autre véhicule C4 de M. [O] a fait l'objet entre septembre 2010 et mars 2011 de 6 demandes de travaux pour des remboursements de garantie sur la base de faux kilométrages, qu'un véhicule Picasso de M. [I] a fait l'objet de demandes d'accord préalables de travaux que le propriétaire du véhicule interrogé a indiqué ne les avoir jamais réclamés, mais qu'ils ont été provoqués par le garagiste qui lui a déclaré que le 'constructeur reconnaissait un défaut sur la distribution et qu'il fallait la changer'. Il est encore établi que pour les véhicules de M. [G] et [M] ont fait l'objet de demande d'accord de travaux plusieurs jours avant que les propriétaires de véhicules ne les présentent au garage.

En outre, un huissier désigné par la société Citroën qui accompagnait un auditeur dans ses opérations a constaté le 12 octobre 2011 que le véhicule C4 entreposé le matin dans le garage et qui affichait un écart de plus de 40.000 kms entre le relevé de l'expertise et celui dénoncé pour sa réparation ouvrant à garantie, a été enlevé par M. [D] et soustrait des opérations d'audit dans l'après-midi puis que M. [D] a refusé de le présenter tout en déclarant ne pas tenir le livre de police de ses véhicules, étant rappelé que le manquement à cette obligation est pénalement sanctionné.

Ces comportements excèdent la simple faute ou la faute grave, et caractérisent une fraude répétée aux droits du concédant et revêt une violation de l'obligation essentielle de loyauté du concessionnaire dont le contrôle de l'activité par le concédant n'est pas supposé rechercher des activités de dissimulation. Et cette fraude porte incontestablement atteinte à la marque et à sa clientèle que la société [D] est chargée de promouvoir, de sorte que la gravité de ces manquements délibérés étaient de nature à justifier que la société Citroën dénonce sans préavis la relation commerciale établie.

Le jugement sera en conséquence infirmé et la société [D] déboutée de sa demande de ce chef.

3. Sur les frais irrépétibles et les dépens

La société [D] succombant à l'action, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles, et statuant à nouveau de ces chefs y compris en cause de renvoi sur cassation, elle sera condamnée aux dépens et à payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Ordonne la clôture de l'instruction ;

Infirme le jugement en toutes ses dispositions déférées, sauf celle qui déboute la société [D] de sa demande de dommages et intérêts au titre de la résiliation fautive du contrat ;

Statuant à nouveau et ajoutant au jugement,

Déboute la société [D] de sa demande de dommages et intérêts fondée sur la rupture brutale de la relation commerciale établie avec la société Automobiles Citroën ;

Condamne la société [D] aux dépens de première instance et sur recours en application de l'article 699 du code de procédure civile ;

Condamne la société [D] à payer à la société Automobiles Citroën la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.