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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 14 juin 2022, n° 19/07944

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Traiteur de Paris (Sasu)

Défendeur :

Allianz (SA), AJAssociés (Selarl), ETS (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Contamine

Conseillers :

Mme Jeorger-Le Gac, M. Garet

Avocats :

Me Mercier , Me Corgas, Me Lhermitte , Me Nguyen Ngoc , Me Depasse , Me de Boysson , Me Bidan , Me Lhermitte , Me Nguyen Ngoc

CA Rennes n° 19/07944

14 juin 2022

FAITS ET PROCÉDURE

Du 20 août au 10 septembre 2013, la société Traiteur de Paris (ci-après la société TP) était livrée par la société Etablissements [I] [H] (la société [H]) de plusieurs lots de beurre, pour un poids total de 14.280 kilos, la marchandise étant destinée à la fabrication de desserts surgelés.

Le 10 septembre 2013, lors de la fabrication d'un « run » de fondants au chocolat, la société TP constatait la présence de fines particules de métal dans sa préparation.

Un nouvel incident identique se produisait le 11 septembre 2013.

Après constat d'huissier de justice, et réclamations adressées à la société [H], celle-ci devait admettre que ces particules indésirables provenaient du beurre qu'elle avait fourni à sa cliente, la société [H] lui ayant expliqué, par lettre du 17 septembre 2013, qu'à l'occasion des opérations de conditionnement du beurre, une perte d'étanchéité s'était produite entre la trémie et le boîtier du mécanisme d'entraînement des vis de gavage, incident à l'origine de la mise en contact de brisures métalliques avec la matière première.

Après avoir procédé à l'isolement et au stockage des lots de beurre ainsi que des fondants contaminés, la société TP recherchait la responsabilité de la société [H], tant sur le fondement de la garantie des vices cachés que de la responsabilité du producteur du fait de la livraison d'un produit défectueux.

Des discussions s'ensuivaient entre les parties, chacune d'elles étant assistée de son propre expert amiable, aux fins d'évaluer les préjudices subis par la société TP.

La société Allianz y était également associée, en qualité d'assureur de responsabilité civile de la société [H].

Finalement et en l'absence de règlement amiable du litige, la société TP faisait assigner la société [H] et la société Allianz devant le tribunal de commerce de Nantes.

Le 22 juin 2016, la société [H] était placée sous sauvegarde, la Selarl AJ Associés désignée en qualité d'administrateur judiciaire et la SCP Dolley-Collet en qualité de mandataire à la sauvegarde.

Par jugement avant-dire droit du 6 avril 2017, le tribunal ordonnait une mesure d'expertise judiciaire aux frais avancés de la société [H] aux fins d'évaluer les différents préjudices subis par la société TP du fait de la livraison du beurre défectueux.

Le 18 mai 2018, après avoir déposé un pré-rapport et invité les parties à présenter leurs dires, l'expert désigné sollicitait un complément de consignation à valoir sur le paiement de ses honoraires.

Par ordonnance du 25 mai 2018, le juge chargé du suivi de l'expertise ordonnait, de nouveau à la charge de la société [H], le versement de cette consignation supplémentaire.

Le 30 septembre 2018, alors que la société [H] n'avait encore réglé ni la consignation initiale ni la consignation complémentaire, l'expert déposait son rapport définitif, non sans avoir répondu aux dires déposés par les parties depuis le dépôt de son pré-rapport.

Par ordonnance du 3 octobre 2018, le juge chargé du suivi de l'expertise, constatant l'absence de versement des deux consignations, ordonnait la caducité de l'instance.

L'affaire était néanmoins rappelée devant le tribunal qui, par jugement du 7 novembre 2019 :

- Jugeait que le rapport d'expertise judiciaire ne devait pas être écarté des débats.

- Condamnait la société [H] à payer à la société TP une somme totale de 291.137 euros à titre de dommages- intérêts.

- Condamnait la société [H] à payer à la société TP une somme de 5.877 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamnait la société Allianz à garantir et relever indemne la société [H] de ses condamnations.

- Déboutait la société TP du surplus de ses demandes.

- Ordonnait l'exécution provisoire de sa décision.

- Condamnait la société [H] aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise et les frais d'huissier relatifs à l'assignation.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 10 décembre 2019, la société TP interjetait appel de ce jugement.

L'appelante notifiait ses dernières conclusions le 21 mars 2022.

La société [H], désormais assistée de la Selarl AJ Associés en qualité de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde, notifiait ses dernières conclusions le 8 juin 2020.

Quant à la société Allianz, elle concluait le 4 juin 2020.

La clôture intervenait par ordonnance du 7 avril 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société TP demande à la cour de :

A titre liminaire,

- Dire et juger que les demandes formulées contre la société [H] sont recevables ;

- Dire et juger que les demandes de fixation de créance au passif de la société [H] sont recevables ;

- Confirmer le jugement sur ce point ;

Sur le rapport d'expertise judiciaire, vu l'article 271 du code de procédure civile :

- Dire et juger que ce rapport est irrecevable en raison de l'ordonnance de caducité de l'expertise ;

- Infirmer le jugement sur ce point ;

- Dire et juger qu'en tout état de cause ce rapport est incomplet, l'expertise n'ayant pas été menée jusqu'à son terme ;

Vu les articles 1641 et suivants et 1386-1 et suivants du code civil :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu la responsabilité de la société [H] ;

- Dire et juger que la société [H] doit garantir la société TP des vices cachés dans le beurre qu'elle lui a livré en raison de la découverte de limailles de fer ;

- Dire et juger que la société [H] engage pareillement sa responsabilité à raison de la défectuosité des produits qu'elle a livrés ;

- Condamner la société [H] à réparer l'ensemble des préjudices subis par la société TP en lien direct avec le fait dommageable ;

- Infirmer le jugement entrepris quant à l'évaluation des préjudices de la société TP ;

- Dire et juger que les préjudices de la société TP doivent être évalués comme suit :

* Coût de revient des produits stockés ou détruits : 231.861 euros.

* Frais de stockage des produits contaminés : 72.413 euros.

* Frais de destruction des produits par Veolia : 9.162 euros.

* Frais de destruction des produits livrés à Promocash : 374 euros.

* Frais d'huissier : 1.008 euros.

* Surcoût d'approvisionnement en beurre (matière première et transport) : 2.042 euros.

* Charges exceptionnelles de personnel : 13.116 euros.

* Ruptures de commandes et marchés non honorés en 2013 : 726.888 euros ou à titre subsidiaire, perte de chance de ne pas subir ces ruptures, soit 98 % du préjudice : 712.350 euros.

* Perte de marge sur le chiffre d'affaires réalisé avec la société Picard : 2.375.000 euros ou à titre subsidiaire, perte de chance évaluée à 98 % de cette perte : 2.327.500 euros.

* Préjudice d'image : 150.000 euros.

- Fixer au passif de la procédure collective de la société [H] le montant total des préjudices de la société TP, soit la somme de 3.611.864 euros ;

- Dire et juger que la société Allianz doit garantir la société [H] de la réparation de l'ensemble des préjudices subis par la société TP, et confirmer le jugement sur ce point ;

- Dire et juger que la distinction dont se prévaut la société Allianz est inapplicable et que les préjudices dont se prévaut la société TP sont des préjudices immatériels consécutifs au dommage matériel ;

- Condamner la société Allianz à garantir la société [H] de l'ensemble des condamnations dont elle fera l'objet en faveur de la société TP ;

En tout état de cause,

- Rejeter toutes les demandes, fins et conclusions de la société [H] et de la société Allianz ;

- Condamner la société [H] et la société Allianz au paiement de la somme de 30.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Au contraire, la société [H] et la Selarl AJ Associés ès-qualités demandent à la cour de :

Vu les articles L. 622-21, 622-22, et R. 622-20 du code de commerce.

Vu les articles 122 et 123 du code de procédure civile,

Vu l'article 1641 du code Civil,

Vu les articles 1386-1 et suivants du code civil,

Vu les articles 271 et suivants du code de procédure civile,

Vu les articles 16, 175, 114 et 117 du code de procédure civile, Vu l'article 145 du code de procédure civile,

Vu le rapport d'expertise judiciaire,

A titre principal,

- Réformer le jugement ;

- Déclarer irrecevables toutes demandes de condamnation à l'encontre de la société [H] ;

- Constater le caractère tardif de la déclaration de créance de la société TP ;

- Déclarer irrecevables toutes demandes de fixation de créance de la société TP au passif de la société [H] ;

A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour déclarerait recevable la demande de fixation de créance de la société TP au passif de la société [H] ;

a) Sur l'opposabilité des conclusions de l'expert judiciaire :

- Dire et juger que l'ordonnance du juge du contrôle du 25 mai 2018 a, en fixant une consignation complémentaire, accordé une prolongation de délai à l'expert judiciaire ;

- Dire et juger que l'ordonnance du 25 mai 2018 a couvert la caducité frappant la désignation initiale pour défaut de consignation ;

- Dire et juger qu'en cas de non-paiement de consignation complémentaire, l'expert judiciaire est autorisé à déposer son rapport en l'état ;

- Dire et juger que le juge du contrôle a, dans son ordonnance du 3 octobre 2018, ordonné au mépris des dispositions du code de procédure civile, « la caducité de l'instance ».

En conséquence,

- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société TP de son exception de caducité ;

- Constater en tout état de cause que l'expert judiciaire a mené sa mission dans le respect du principe du contradictoire ;

En conséquence,

- Confirmer de plus fort le jugement en ce qu'il a déclaré le rapport d'expertise judiciaire opposable aux parties à l'instance ;

a)  Sur les préjudices allégués par la société TP :

- Coût de revient des produits stockés : confirmer le jugement en ce qu'il a limité le montant de l'indemnité susceptible d'être allouée de ce chef à la somme de 113.380 euros HT ;

- Coût de revient des produits défectueux détruits : confirmer le jugement en ce qu'il a limité le montant de l'indemnité susceptible d'être allouée de ce chef à la somme de 30.298 euros ;

- Frais de stockage au 31 juillet 2018 :

* À titre principal, confirmer le jugement en ce qu'il a limité le montant de l'indemnité susceptible d'être allouée de ce chef à la somme de 12.534 euros ;

* À titre subsidiaire, limiter le montant de l'indemnité à l'évaluation fixée par l'expert judiciaire de 54.730 euros, et débouter la société TP du surplus de ses demandes ;

- Frais de destruction des produits : réformer le jugement en ce qu'il a accordé une indemnité de 29.613 euros et, statuant de nouveau, limiter le montant de l'indemnité à 5.505 euros ;

- Charge exceptionnelle de personnel :

* À titre principal, réformer le jugement et, statuant de nouveau, débouter la société TP du chef de cette demande ;

* À titre subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu'il a fixé l'indemnité susceptible d'être allouée de ce chef à 5.180 euros, et débouter la société TP du surplus de ses demandes ;

- Rupture de commandes et marchés non honorés : confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société TP du chef de cette demande ;

- Perte d'exploitation avec la société Picard : confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société TP du chef de cette demande ;

- Perte d'image :

* À titre principal, réformer le jugement et, statuant de nouveau, débouter la société TP du chef de cette demande ;

* À titre subsidiaire, limiter le montant de l'indemnité susceptible d'être allouée de chef à la société TP à 15.000 euros ;

* À titre infiniment subsidiaire, limiter le montant de l'indemnité susceptible d'être allouée de chef à la société TP à 50.000 euros ;

a) Sur la garantie due par la société Allianz à la société [H] :

Vu les fondements juridiques visés par la société TP dans son assignation,

Vu l'action directe dont le tiers lésé bénéficie en application de l'article L. 124-3 du code des assurances.

Vu les garanties accordées par la compagnie Allianz au titre de la police n° 86142103.

- Dire et juger que la police couvre les conséquences de la responsabilité du fait de produits défectueux prévue à l'article 1386-1 du code civil ;

- Dire et juger que la compagnie Allianz reconnaît que l'altération des produits finis par les particules de métal présents dans le beurre constitue un dommage matériel au sens du contrat d'assurances ;

- Dire et juger que la garantie de la compagnie Allianz est due intégralement pour les postes concernant la perte de valorisation des produits finis, stockés ou détruits ;

- Dire et juger pour ces postes que l'exclusion de garantie sera limitée à 4.988 euros selon le calcul fourni par Allianz ;

- Dire et juger que la totalité des chefs de réclamation aujourd'hui présentés par la société TP constituent des dommages immatériels consécutifs à un dommage matériel garanti ;

En conséquence,

- Dire et juger que le plafond de garantie applicable est fixé à 2.000.000 euros par année d'assurance ;

En conséquence,

- Condamner la compagnie Allianz à prendre en charge l'ensemble des postes d'indemnisation accordées au titre de l'action directe du tiers lésé, ou fixés au passif de la société [H] ou des condamnations susceptibles d'être prononcées à l'encontre de la société [H], dans tous les cas au principal, dommages matériels et immatériels, frais, article 700 et dépens comprenant notamment les frais d'expertise judiciaire et les frais d'huissier ;

- Débouter la société TP de sa demande formulée au titre de l'article 700 et, à tout le moins, ramener cette dernière à de plus justes proportions ;

- Dire et juger que la société TP conservera à sa charge les frais d'expertise judiciaire ;

- Condamner la société TP à payer à la société [H] la somme de 6.500 euros HT au titre de l'article 700 ainsi que les entiers dépens qui seront directement recouvrés par Me Christophe Lhermitte, avocat.

Enfin, la société Allianz demande à la cour de :

Vu les articles 170, 271 et 280 du code de procédure civile, Vu les articles L. 124-3 et L.112-6 du code des assurances,

Sur la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré le rapport d'expertise judiciaire opposable aux parties :

- Dire et juger que le rapport d'expertise judiciaire répond à toutes les conditions de validité et d'opposabilité prévues par le code de procédure civile;

- Par conséquent, confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a jugé le rapport d'expertise judiciaire valable et opposable aux parties ;

Sur l'infirmation partielle du jugement en ce qu'il a condamné la société [H] au paiement d'une somme de 291.137 euros à titre de dommages-intérêts :

- S'agissant du préjudice relatif au coût de revient des produits stockés ou détruits d'un montant allégué de 231.861 euros :

* À titre principal, infirmer le jugement et, statuant à nouveau, rejeter purement et simplement la demande indemnitaire formée à ce titre ;

* À titre subsidiaire, infirmer le jugement et, statuant à nouveau, dire et juger que la condamnation prise au titre de ce poste de préjudice est limitée à un montant de 113.389 euros ;

- S'agissant du préjudice relatif aux frais de stockage arrêté au 31 juillet 2018 d'un montant allégué de 72.413 euros :

* À titre principal, infirmer le jugement et, statuant à nouveau, dire et juger que la condamnation prise au titre de ce poste de préjudice est limitée à 12.534 euros ;

* À titre subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu'il a dit et jugé que la condamnation prise au titre de ce poste de préjudice était limitée à 54.730 euros ;

- S'agissant du préjudice relatif aux frais de destruction d'un montant allégué de 9.162 euros : infirmer le jugement et, statuant à nouveau, dire et juger que la condamnation prise au titre de ce poste de préjudice est limitée à 5.505 euros ;

- S'agissant des préjudices relatifs aux frais de retrait, frais d'huissier et au surcoût d'approvisionnement : confirmer le jugement en ce qu'il a dit et jugé que les condamnations prises au titre de ces postes de préjudice étaient respectivement limitées à 374 euros, 1.008 euros et 2.042 euros ;

- S'agissant du préjudice relatif aux charges exceptionnelles de personnel d'un montant total allégué de 13.116 € : infirmer le jugement et, statuant à nouveau, dire et juger que la condamnation encourue à ce titre est limitée à 5.505 euros ;

- S'agissant du préjudice relatif aux ruptures de commandes et marchés non honorés d'un montant allégué de 712.350 euros : confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté purement et simplement la demande indemnitaire formée à ce titre;

- S'agissant du préjudice relatif à la perte d'exploitation avec la société Picard d'un montant allégué de 2.375.000 euros : confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté purement et simplement la demande indemnitaire formée à ce titre ;

- S'agissant du préjudice relatif à la perte d'image d'un montant allégué de 150.000 euros : infirmer le jugement et, statuant à nouveau, rejeter purement et simplement la demande indemnitaire formée à ce titre ;

Sur l'infirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Allianz à garantir l'intégralité des condamnations prises à l'encontre de la société [H] :

- S'agissant des préjudices exclus de la garantie : infirmer le jugement et, statuant à nouveau, rejeter les demandes formées à l'encontre de la société Allianz au titre du coût du beurre d'un montant de 30.336,50 euros compris dans le poste de préjudice n° 1 et de l'intégralité du poste de préjudice n° 4 ;

- S'agissant des préjudices constitutifs de dommages immatériels non consécutifs dont la garantie est plafonnée à un montant de 460.000 euros : dire et juger que le montant des condamnations prises à l'encontre d'Allianz au titre des préjudices n° 8, 9 et 10 sera limité au plafond de garantie applicable aux dommages immatériels non consécutifs d'un montant de 460.000 euros ;

- S'agissant des préjudices constitutifs de dommages immatériels consécutifs dont la garantie est plafonnée à un montant de 2.000.000 euros : dire et juger que le montant des condamnations prises à l'encontre d'Allianz au titre des préjudices n° 2, n° 3, n° 6 et n° 7 sera limité au plafond de garantie applicable aux dommages immatériels consécutifs d'un montant de 2.000.000 euros ;

- Par conséquent, condamner la société TP à rembourser à la société Allianz le montant des condamnations de première instance qui seront infirmées en cause d'appel ;

En tout état de cause,

- Condamner la société TP à payer à la société Allianz la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société TP aux entiers dépens de l'instance.

Il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées pour un plus ample exposé des demandes et moyens développés par les parties.

 MOTIFS DE LA DÉCISION

I - Sur la recevabilité des demandes formées par la société TP à l'encontre de la société [H] en sauvegarde :

C'est à tort que le tribunal a prononcé des condamnations à l'encontre de la société [H] alors que celle-ci était déjà placée sous sauvegarde.

En effet, l'article L. 622-22 du code de commerce prévoit qu'après le jugement d'ouverture de la sauvegarde, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier ait procédé à la déclaration de sa créance, et qu'elles ne sont alors reprises qu'aux fins de constatation des créances et de fixation de leur montant.

Le jugement sera donc infirmé en ce sens.

En revanche, c'est à tort que la société [H] prétend s'opposer à la reprise de l'instance, en ce qu'elle ne tend désormais qu'à la fixation de la créance de la société TP, au motif que celle-ci ne justifierait pas l'avoir déclarée au passif de la procédure collective.

En effet, la société TP justifie par ses pièces n° 68 et 69 avoir déclaré sa créance auprès du mandataire à la sauvegarde et, dès lors qu'elle était tardive à le faire, avoir bénéficié d'un relevé de forclusion prononcé par ordonnance du juge commissaire en date du 5 avril 2017.

En conséquence, l'instance préalablement introduite a été valablement reprise, la société TP étant recevable, dès lors, à la poursuivre pour voir fixer sa créance au passif de la sauvegarde de la société [H].

II - Sur le fondement juridique de l'action indemnitaire engagée par la société TP :

La société TP fonde son action indemnitaire à la fois sur la responsabilité du fait des produits défectueux (articles 1386-1 et suivants du code civil dans sa numérotation applicable à l'époque de la fourniture du beurre litigieux, aujourd'hui les articles 1245 et suivants du même code) et sur la garantie légale des vices cachés (articles 1641 et suivants du code civil).

Contrairement aux affirmations de la société [H] qui prétend à la seule application du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux, la société TP est recevable à se prévaloir cumulativement des deux fondements qu'elle invoque.

En effet, l'article 1386-18 du code civil dispose en son premier alinéa que « les dispositions du présent titre ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité. »

Or, il a été jugé que la référence, à l'article précité, aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle doit être interprétée en ce sens que ce régime de responsabilité, qui, aux termes de l'article 1386-9, permet à la victime de demander réparation dès lors qu'elle rapporte la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et le dommage, n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle dès lors seulement qu'ils reposent sur des fondements différents, tels que, notamment, la garantie des vices cachés.

La société TP est donc recevable à se prévaloir à la fois d'un régime de responsabilité, en l'occurrence celui du fait de produits défectueux, et d'un régime de garantie, en l'occurrence des vices cachés.

A - Sur la responsabilité de la société [H] du fait de la fourniture d'un beurre défectueux :

L'article 1386-1 du code civil dispose : « Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime. »

L'article 1386-4 ajoute :

« Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.

Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.

Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation. »

L'article 1386-5 précise en son premier alinéa « qu'un produit est mis en circulation lorsque le producteur s'en est dessaisi volontairement. »

L'article 1386-6 prévoit notamment «'qu'est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première, le fabricant d'une partie composante. »

L'article 1386-9 dispose que « le demandeur [à l'indemnisation] doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage. »

L'article 1386-10 ajoute encore que «'le producteur peut être responsable du défaut alors même que le produit a été fabriqué dans le respect des règles de l'art ou de normes existantes ou qu'il a fait l'objet d'une autorisation administrative. »

L'article 1386-11 précise aussi que :

« Le producteur est responsable de plein droit à moins qu'il ne prouve :

1° Qu'il n'avait pas mis le produit en circulation ;

2° Que, compte tenu des circonstances, il y a lieu d'estimer que le défaut ayant causé le dommage n'existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement ;

3° Que le produit n'a pas été destiné à la vente ou à toute autre forme de distribution ;

4° Que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ;

5° Ou que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives d'ordre législatif ou réglementaire.

Le producteur de la partie composante n'est pas non plus responsable s'il établit que le défaut est imputable à la conception du produit dans lequel cette partie a été incorporée ou aux instructions données par le producteur de ce produit. »

L'article 1386-14 prévoit encore que « la responsabilité du producteur envers la victime n'est pas réduite par le fait d'un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage. »

L'article 1386-17 dispose aussi que « l'action en réparation fondée sur les dispositions du présent titre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur. »

L'article 1386-18 prévoit enfin en son dernier alinéa que « le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond. »

En l'espèce, il résulte des pièces du dossier :

- Qu’entre le 28 août et le 10 septembre 2013, la société [H] à fourni à la société TP plusieurs lots de beurre, pour un poids total de 14.280 kilos ;

- Qu’à deux reprises, successivement les 10 et 11 septembre 2013 et alors qu'elle avait nettoyé ses lignes de production entre temps, la société TP a constaté la présence de limaille de fer dans les fondants au chocolat qu'elle venait de fabriquer au moyen du beurre fourni par la société [H] ;

- Que la société [H] n'a jamais contesté que ces particules indésirables provenaient du beurre lui-même, ayant même donné une explication technique à cet incident (cf en ce sens sa lettre du 17 septembre 2013, soit une perte d'étanchéité, survenue lors des opérations de conditionnement du beurre, entre une trémie et le boîtier d'un mécanisme d'entraînement des vis de gavage) ;

- Qu’elle a également admis que plusieurs lots de beurre avaient été contaminés ; à cet égard, il résulte des explications des deux parties, concordantes au moins sur ce point, que l'incident du 10 septembre provenait du lot n° 13233 et celui du 11 septembre des lots n° 13240 et 13241 ;

- Que dans la mesure où ce beurre était destiné à une consommation humaine, la présence de limailles de fer à l'intérieur des lots fournis à la société TP rendait la matière première non seulement impropre à la consommation, mais même dangereuse pour la santé et la sécurité des personnes, le produit étant dès lors réputé défectueux au sens de l'article 1386-4 du code civil, ce que la société [H] admet d'ailleurs en page 14 de ses conclusions ;

- Qu’enfin, la société [H] n'invoque aucun argument ni ne développe aucun moyen tendant à se voir exonérer de sa responsabilité de producteur pour fourniture d'un produit défectueux au sens de la loi.

En conséquence, la responsabilité de la société [H] est engagée sur ce fondement.

B - Sur la garantie légale des vices cachés :

L'article 1641 du code civil dispose que «'le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. »

L'article 1642 ajoute que « le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même. »

L'article 1643 précise que le vendeur « est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie. »

L'article 1644 dispose encore que « dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix. »

L'article 1645 précise également que « si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur. »

A cet égard, il est constant que l'action en réparation du préjudice subi du fait d'un vice caché n'est pas subordonnée à l'exercice d'une action rédhibitoire ou estimatoire et peut, par suite, être engagée de manière autonome.

De même, il est jugé que le vendeur professionnel est présumé connaître les vices de la chose vendue, ne pouvant pas, dès lors, se prévaloir de ce qu'il ne les connaissait pas pour s'opposer à l'action indemnitaire.

L'article 1648 dispose enfin en son premier alinéa que « l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice. »

En l'espèce, il résulte des pièces du dossier que la présence indésirable de limaille de fer dans plusieurs lots de beurre fournis par la société [H] à la société TP constitue un vice caché au sens de la loi, dès lors en effet :

- Que ces particules métalliques rendent le bien, en l'occurrence du beurre destiné à la consommation humaine, impropre à sa destination ;

- Que ces particules constituent un défaut grave, inhérent à la chose vendue, et antérieur à la vente, puisqu'elles ont été insérées dans le beurre, accidentellement, à l'occasion des opérations de conditionnement de la matière première ;

- Que ce vice n'était pas apparent, puisque les particules de métal étaient dissimulées à l'intérieur des lots de beurre, la société TP n'ayant pas pu s'en rendre compte avant de les avoir elle-même intégrés dans ses préparations ;

- Qu’elle n'aurait certainement pas acquis ces lots de beurre si elle avait connu le vice dont ils étaient affectés, puisque le beurre ainsi vicié était totalement inutilisable.

Par ailleurs, il est constant que la société TP a agi en réparation de ses préjudices moins de deux ans après la découverte du vice, étant dès lors recevable en son action indemnitaire.

En conséquence et dans la mesure où la société [H], en sa qualité de vendeur professionnel, ne peut pas s'exonérer de sa présomption de connaissance des vices dont la marchandise était affectée, elle est tenue d'en réparer toutes les conséquences dommageables.

I - Sur la validité et l'opposabilité du rapport d'expertise judiciaire :

Il résulte des pièces du dossier que l'expert a déposé son rapport définitif le 30 septembre 2018, et ce, après avoir répondu à tous les dires que les parties lui avaient adressés à la suite du dépôt de son pré-rapport.

Par ailleurs, aucune violation du principe de la contradiction n'est reprochée à l'expert.

Dès lors, il ne saurait lui être reproché d'avoir diligenté ses opérations sans que la consignation initiale ni la consignation complémentaire n'aient jamais été réglées par la partie qui avait réclamé la mesure d'instruction, en l'occurrence la société [H]. Ce faisant, sans que cela remette en cause la qualité de son travail, l'expert a seulement pris le risque de ne pas être payé du prix de sa mission.

Aucune conséquence ne saurait donc être tirée, quant à la validité ou à l'opposabilité du rapport d'expertise, de l'ordonnance de caducité rendue par le juge chargé du suivi de l'expertise, au demeurant postérieurement au dépôt du rapport puisqu'en date du 3 octobre 2018.

Par suite, la société TP sera déboutée de sa demande tendant à « l'irrecevabilité » du rapport.

Au demeurant et ainsi que le tribunal l'a justement retenu, il appartient à chacune des parties de prouver ce qu'elle prétend, la société TP demeurant dès lors recevable à démontrer ou tenter de démontrer, par tous moyens, qu'elle a subi d'autres préjudices que les seuls dommages retenus par l'expert judiciaire à l'issue de ses opérations.

IV- Sur la liquidation des préjudices subis par la société TP :

A - Coût de revient des produits stockés et/ou détruits :

La société TP réclame à ce titre une indemnité de 231.861 euros se décomposant en deux postes :

- D’une part les produits finis (fondants au chocolat) fabriqués au moyen du beurre contaminé qu'elle a dû stocker dans l'attente de leur destruction'; elle réclame à ce titre une indemnité de 152.518,89 euros correspondant à l'addition du coût de revient de la matière première utilisée, du coût de la main d'œuvre et du coût variable indirect qu'elle a dû supporter en pure perte';

- D'autre part les produits semi-finis dont elle a dû arrêter la fabrication au moment où elle a découvert le vice dont le beurre était affecté, la société TP expliquant en effet qu'elle a dû détruire ces produits dans la mesure où elle ne disposait pas d'une capacité de stockage suffisante pour les conserver dans l'attente de l'issue des opérations d'expertise ; elle réclame à ce titre une indemnité de 79.342,04 euros, toujours par référence au coût de revient de la matière première utilisée, au coût de la main d'œuvre et au coût variable indirect qu'elle a dû supporter en pure perte.

Pour s'y opposer, les sociétés [H] et Allianz font valoir qu'il n'est pas établi que la totalité des lots de beurre fournis à la société TP aient été contaminés, de sorte qu'il n'y avait pas lieu de détruire l'intégralité des produits fabriqués au cours des deux journées des 10 et 11 septembre 2013 ; elles affirment notamment que rien ne laissait craindre la contamination du lot n° 13225, ce qu'a d'ailleurs retenu l'expert judiciaire pour exclure ce lot du périmètre des produits à détruire ; elles ajoutent enfin que la société TP ne justifie pas de la quantité des produits qu'elle a réellement détruits.

La cour fera sienne l'argumentation retenue par l'expert judiciaire, par ailleurs entérinée par le tribunal, selon laquelle :

- D'une part les lots de beurre étaient individualisables, comme étant dûment numérotés et physiquement séparés les uns des autres ;

- D’autre part les premières particules indésirables n'ont été découvertes qu'à l'occasion de l'utilisation du beurre issu du lot n° 13233, ce dont il résulte qu'il n'est pas établi que les lots utilisés précédemment, dont le lot n° 13225, aient eux-mêmes été contaminés.

En conséquence, il n'est pas justifié, même au nom du principe de précaution qui ne saurait s'appliquer qu'à partir de la découverte du vice, de prendre en compte le lot n° 13225 pour l'appréciation du préjudice subi par la société TP.

A contrario, le principe de précaution, d'autant plus applicable qu'il s'agissait de produits alimentaires destinés à la consommation humaine, commandait de détruire l'ensemble des desserts fabriqués avec du beurre issu des lots n° 13233 et suivants livrés entre le 28 août et le 10 septembre 2013, sachant que ce n'est que plusieurs jours après que la société [H] a pu identifier l'origine du sinistre, et par suite, le faire cesser.

Quant aux quantités de produits effectivement stockés et/ou détruits, elles ont pu être reconstituées par l'expert judiciaire, notamment au vu des inventaires de production, de vente et de stockage.

En conséquence et dès lors qu'elle fonde elle-même sa demande indemnitaire sur les méthodes d'évaluation retenues par cet expert (si ce n'est quant à l'exclusion du lot n° 13225), la société TP est en droit de prétendre au paiement d'une indemnité d'un montant total de 143.687 euros au titre des produits stockés et/ou détruits (et non de 143.678 euros comme le tribunal l'a retenu par suite d'une erreur matérielle de calcul).

Le jugement sera infirmé en ce sens, et la société TP déboutée du surplus de sa demande.

B - Frais de stockage :

La société TP réclame à ce titre une indemnité de 72.413 euros, expliquant qu'à la suite de la découverte des particules métalliques dans les produits qu'elle venait de fabriquer, elle a dû isoler une partie de sa production dans des entrepôts extérieurs.

Elle ajoute que ce n'est qu'en cours d'expertise judiciaire, à la fin du mois de juillet 2018, qu'elle a été autorisée à détruire les produits en cause, d'où une facturation assumée par elle d'un montant de 72.413 euros selon décompte arrêté au 31 juillet 2018.

Le principe de ce préjudice a d'ailleurs été admis par l'expert judiciaire qui a confirmé que les stocks litigieux avaient été conservés le temps nécessaire à la procédure contentieuse dans la mesure où aucun accord indemnitaire n'avait été trouvé jusqu'alors entre les parties.

Au contraire, pour voir limiter le montant de l'indemnité de stockage à la somme de 12.534 euros correspondant aux frais exposés jusqu'au 31 juillet 2014 seulement, les sociétés [H] et Allianz font valoir que, dès le mois de juillet 2014, leur expert amiable - en l'occurrence la société CDH - avait expressément autorisé la société TP à détruire les produits stockés. Elles en concluent que c'est de sa seule initiative, alors que rien ne l'y contraignait, que la société TP a choisi de conserver ces produits pendant plusieurs années encore, de sorte qu'elle ne saurait en faire supporter le coût, devenu inutile depuis la fin du mois de juillet 2014, par ses adversaires.

La cour ne suivra pas les intimées dans cette analyse, rappelant en effet :

- Que si la société CDH, mandatée en qualité d'expert amiable par les sociétés [H] et Allianz, a autorisé la société TP à se défaire des produits litigieux dès le mois de juillet 2014, pour autant elle ne lui a donné cette autorisation que

« Sous les plus expresses réserves de garanties et de responsabilités » (cf en ce sens le message électronique de la société CDH cité par la société Allianz) ;

- Qu’ainsi et nonobstant cette autorisation, les sociétés [H] et Allianz persistaient alors à dénier leurs responsabilités et garanties, notamment quant à la quantité de produits contaminés susceptibles de donner lieu à Indemnisation ;

- Que dans ces conditions et en l'absence d'accord entre les parties sur ce point, il aurait été imprudent pour la société TP de se défaire de ses stocks, au risque de perdre les seules preuves matérielles de son préjudice ;

- Que c'est donc à juste titre qu'elle a attendu d'être expressément autorisée par l'expert judiciaire à détruire l'ensemble de ses stocks, une fois que celui-ci a pu considérer qu'il était devenu inutile de les conserver ;

- Que dès lors, le coût de ce stockage sera intégralement supporté par la société [H], responsable de la livraison du beurre défectueux, et ce, jusqu'au 31 juillet 2018 conformément à la demande de la société TP qui explique en effet les avoir détruits à cette date.

En revanche, c'est à tort que la société TP prétend au remboursement de ses frais de stockage sur la totalité des produits qu'elle a conservés, dès lors en effet qu'il sera encore rappelé qu'il n'est pas établi que les produits fabriqués avec le beurre issu du lot n° 13225 aient été contaminés.

Dès lors et conformément aux préconisations de l'expert, les frais de stockage seront calculés sur la base, non pas de 111 palettes, mais de 81 seulement.

De même et dans la mesure où l'expert a effectué un calcul arrêté au 30 septembre 2018 alors que la société TP reconnaît elle-même qu'elle a détruit ses stocks dès la fin du mois de juillet 2018, l'indemnité sera recalculée, conformément à la méthode de l'expert, comme suit :

- Coût fixe : 11,90 euros par palette : 11,90 euros X 81 = 964 euros.

- Durée de stockage : du 1er novembre 2013 au 31 juillet 2018, soit 1734 jours.

- Coût variable : 0,37 euros par jour et par palette : 0,37 euros X 1734 jours X 81 palettes = 51.968 euros.

- Coût total : 964 euros + 51.968 euros = 52.932 euros.

En conséquence, le préjudice de stockage sera liquidé à la somme de 52.932 euros, le jugement infirmé en ce sens, et la société TP déboutée du surplus de sa demande indemnitaire.

C - Frais de destruction :

La société TP réclame à ce titre une indemnité de 9.162 euros correspondant à l'addition de ses factures de chargement et de traitement de ses déchets.

Cependant et conformément aux préconisations des sociétés [H] et Allianz, cette indemnité sera réduite à 5.505 euros, la cour se référant en cela à la méthode de calcul retenue par l'expert judiciaire qui, au vu des pièces produites par la société TP, a recalculé le coût de la destruction (transport et chargement compris) après en avoir exclu les produits fabriqués avec le beurre issu du lot n° 13225 dont la contamination n'a pas été démontrée.

Le jugement, en ce qu'il contient une erreur matérielle de calcul, sera infirmé en ce sens, et la société TP déboutée du surplus de sa demande indemnitaire.

D - Surcoût d'approvisionnement en beurre :

La société TP réclame à ce titre une indemnité de 2.042 euros correspondant aux frais de fourniture et de livraison d'un nouveau beurre qu'elle a dû commander en urgence auprès d'un autre fournisseur.

Ni la société [H] ni la société Allianz ne contestent ce poste de préjudice.

En conséquence, ce préjudice sera admis et l'indemnité correspondante allouée à la société TP.

E - Frais de destruction de produits contaminés livrés à un client :

La société TP réclame à ce titre une indemnité de 374 euros.

Ni la société [H] ni la société Allianz ne contestent ce poste de préjudice.

En conséquence, ce préjudice sera admis et l'indemnité correspondante allouée à la société TP.

F - Frais d'huissier :

La société TP réclame à ce titre une indemnité de 1.008 euros correspondant aux frais qui lui ont été facturés par l'huissier qui a constaté les défauts du beurre livré par la société [H].

Comme les sociétés [H] et Allianz le font valoir à juste titre, ces frais relèvent des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile, de sorte qu'il en sera tenu compte pour la liquidation de la somme allouée à ce titre à la société TP.

G - Charges exceptionnelles de personnel :

La société TP réclame à ce titre une indemnité de 13.116 euros se décomposant en deux postes :

- D’abord des frais de nettoyage supplémentaires de ses chaînes de production : l'industriel explique en effet avoir dû faire réaliser par ses salariés, après la découverte des vices affectant le beurre qui venait d'être utilisé, 264 heures de nettoyage supplémentaire au taux horaire chargé de 19,62 euros, d'où un surcoût de 5.180 euros ;

- Ensuite un surcoût salarial de production : l'industriel explique avoir supporté, pour faire face à la nécessité de refabriquer en urgence de nouveaux produits en remplacement de ceux qui avaient été contaminés, des majorations pour travail de nuit et heures supplémentaires, et ce, pour un montant total de 7.936 euros.

Pour s'opposer à ces réclamations, les sociétés [H] et Allianz font essentiellement valoir que la société TP ne justifie pas que le surcoût dont elle se prévaut soit la conséquence des sinistres dont elle a été victime au mois de septembre 2013, rappelant également que les charges de personnel qu'elle a alors dû supporter sont déjà indemnisées au titre du poste n° 1 (coût de revient de la production détruite) ; enfin, elles font observer qu'il est pour le moins paradoxal de se plaindre d'une rupture de commandes ainsi que de marchés prétendument non honorés, tout en réclamant simultanément le remboursement de frais de personnels embauchés pour faire face à ces mêmes commandes et marchés.

Pour autant, la cour observe, au vu des pièces produites par la société TP :

- Que celle-ci justifie d'un surcroît d'activité de nettoyage, prestation rendue indispensable, au mois de septembre 2013, par la découverte de limailles de fer sur l'ensemble de ses lignes de production'; ainsi et sur la base de 22 nettoyages supplémentaires ayant occupé à chaque fois deux salariés pendant 6 heures pour un coût horaire chargé de 19,62 euros, la société TP est fondée à réclamer à ce titre une indemnité de': 22 X 2 X 6 X 19,62 = 5.180 euros ;

- Qu’elle justifie aussi avoir dû embaucher du personnel intérimaire pour faire face à la nécessité de refabriquer des produits en remplacement de ceux voués à la destruction ; ainsi et sur la base du seul surcoût lié aux majorations pour heures supplémentaires et travail de nuit, surcoût qui n'a pas été pris en considération dans le calcul de l'indemnité allouée au titre du coût de revient des produits détruits, la société TP est fondée à réclamer une indemnité de 7.936 euros.

En conséquence, le préjudice pour charges exceptionnelles de personnels sera liquidé, conformément à la demande de la société TP et ainsi que le tribunal l'a lui-même retenu, à la somme totale de 13.116 euros.

H - Ruptures de commandes de septembre 2013 à février 2014 :

La société TP réclame à ce titre une indemnité d'un montant de 726.888 euros correspondant à la perte d'exploitation qu'elle dit avoir subie au cours de cette période ou, à tout le moins et à titre subsidiaire, une indemnité de 712.350 euros, correspondant à 98 % de la perte d'exploitation alléguée, pour perte de chance d'avoir pu réaliser cette exploitation supplémentaire.

Elle explique en effet que la « crise du beurre » dont elle a été victime au mois de septembre 2013 a entraîné une diminution substantielle de ses stocks de produits, ce qui ne lui a pas permis d'honorer nombre de commandes qui lui avaient été passées.

Elle en veut notamment pour preuve :

- Un taux de service anormalement bas pendant la crise du beurre, ce taux correspondant, selon ses explications, au pourcentage de produits livrés dans les références et quantités requises par rapport aux demandes exprimées par ses clients ;

- Un niveau de stock anormalement bas pendant la crise du beurre ;

- Enfin une baisse « évidente » de son chiffre d'affaires 2013 par rapport à celui des années précédentes.

Elle ajoute enfin que les efforts qu'elle a déployés, au mois de septembre 2013, pour tenter de reconstituer ses stocks en faisant appel à une main d'œuvre supplémentaire, n'ont permis que de limiter son préjudice.

Cependant, nonobstant le caractère volumineux des pièces produites par la société TP, en particulier de sa pièce n° 45, pour tenter de justifier de ses ruptures de commandes, la cour observe :

- Qu’il n'est produit aucune lettre de réclamation de clients se plaignant de ne pas avoir été livrés de leurs commandes ;

- Que la société TP ne justifie pas non plus avoir supporté le paiement de pénalités pour retard de livraison ;

- Que dès lors et dans la mesure où la société ne justifie pas avoir été empêchée de livrer tous les clients qui le lui demandaient, la référence à la baisse prétendue de son « taux de service » est dépourvue de pertinence ;

- Que de même, le niveau prétendument anormalement bas de son stock n'est pas plus pertinent, puisque la société TP ne démontre pas en quoi le stock dont elle disposait à l'époque de la « crise du beurre » n'aurait pas suffi à satisfaire l'intégralité de ses commandes ;

- Que si la baisse du chiffre d'affaires - à partir duquel un préjudice d'exploitation peut effectivement être calculé - constitue un critère assurément plus pertinent, encore faut-il d'une part que cette baisse soit établie, d'autre part qu'elle ait été la conséquence de la « crise du beurre ».

Or, il résulte des pièces du dossier que la société TP a réalisé :

- Un CA de 32.200.475 euros au cours de la période du 1er avril 2010 au 31 mars 2011 ;

- Un CA de 34.677.962 euros au cours de la période du 1er avril 2011 au 31 mars 2012 ;

- Un CA de 29.053.275 euros au cours de la période du 1er avril 2012 au 31 janvier 2013, soit, ramené à une période de 12 mois, un CA de l'ordre de 31.958.602 euros entre le 1er avril 2012 et le 31 mars 2013 : en d'autres termes, avant même la « crise du beurre », la société TP avait déjà connu une baisse de son CA par rapport à l'exercice précédent ;

- Enfin un CA de 33.977.977 euros au cours de la période du 1er février 2013 au 31 janvier 2014, ce qui correspond même, en dépit de la « crise du beurre » survenue au cours de cette période, à un certain rebond d'activité par rapport à l'exercice précédent.

Dès lors, c'est sans aucune preuve que la société TP affirme qu'il est « manifeste que la découverte de limailles de fer a entraîné une rupture des commandes et une diminution du chiffre d'affaires [que la société] aurait pu réaliser sans cet événement litigieux ».

Ainsi, faute de justifier d'une diminution de son chiffre d'affaires, elle ne justifie pas non plus d'une perte d'exploitation calculée par référence à un taux de marge égal à 46 % du CA prétendument perdu.

La société TP ne justifie pas davantage d'une perte de chance indemnisable - qu'elle évalue à 98 % de la perte d'exploitation alléguée, puisqu'elle ne démontre pas avoir perdu du chiffre d'affaires au cours de la période considérée.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société TP de la demande indemnitaire qu'elle forme à ce titre.

I - Perte d'exploitation en 2014 :

La société TP réclame à ce titre une indemnité d'un montant de 2.375.000 euros correspondant selon elle à la perte d'exploitation qu'elle dit avoir subie au cours de cette période auprès de son client principal (la société Picard) ou, à tout le moins et à titre subsidiaire, une indemnité de 2.327.000 euros, correspondant à 98 % de la perte d'exploitation alléguée, pour perte de chance d'avoir pu réaliser cette exploitation supplémentaire.

Elle explique en effet que la « crise du beurre » dont elle a été victime au mois de septembre 2013 et les ruptures de commandes qui en sont résulté ont entraîné une « méfiance certaine » de la part de son principal client qui, à raison de la désorganisation de la société TP à la fin de l'année 2013, a réduit ses commandes au cours des deux années suivantes, de sorte que ce n'est qu'en 2016 que le CA réalisé auprès de ce client a pu retrouver son niveau habituel d'avant la crise.

Elle en veut pour preuve un message électronique de son client qui, le 5 novembre 2013, lui a reproché des retards de livraison.

Cependant, la cour observe que la réclamation de la société Picard ne concerne en rien les produits litigieux, mais un retard de livraison de foie gras ainsi que de tartelettes aux asperges.

Il n'est pas non plus établi que la société Picard ait reçu des produits contenant du beurre contaminé, ni même qu'elle ait été informée des incidents dont la société TP a été victime au cours du mois de septembre 2013.

En d'autres termes, ce n'est pas à raison de la "crise du beurre" que le client a diminué ses commandes auprès de la société TP en 2014, mais du fait d'un manque de réactivité de son fournisseur à mettre en production, à la fin 2013, deux nouveaux produits attendus avec impatience par la société Picard dans la perspective des fêtes de fin d'année (cf en ce sens les termes mêmes du message du 5 novembre 2013).

Ainsi, faute de justifier d'une perte de chiffre d'affaires réalisé auprès de la société Picard en rapport avec la « crise du beurre », la société TP ne pourra qu'être déboutée de sa demande indemnitaire pour perte d'exploitation, de même que pour perte de chance de réaliser cette exploitation supplémentaire.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société TP de sa demande indemnitaire formée à ce titre.

J - Préjudice d'image :

La société TP réclame à ce titre une indemnité de 150.000 euros, expliquant en effet que la « crise du beurre » a terni son image auprès des clients qu'elle n'a pas pu satisfaire, notamment de la société Picard, mais également que cette crise a été à l'origine du désengagement d'un établissement bancaire auprès duquel elle était alors entrée en négociation exclusive dans la perspective de l'émission d'obligations convertibles.

Ces affirmations sont contestées par les sociétés [H] et Allianz qui, en substance, font valoir que la société TP ne justifie pas du préjudice bancaire qu'elle allègue, alors par ailleurs que le sinistre a été très vite circonscrit et qu'il n'y a pas eu de rappel ou de retrait de produits contaminés, de sorte que les clients n'ont pas eu connaissance de cet incident.

La cour observe cependant qu'il est justifié au moins d'un retrait de produits contaminés déjà livrés chez un client, en l'occurrence le Groupe Carrefour qui, en date du 12 septembre 2013, a été invité à les détruire, opération qu'il a refacturée à la société TP pour « retrait de la vente de produits impropres à la consommation » (cf pièce n° 39 de l'appelante).

Ce client, acteur majeur de la grande distribution en France comme à l'étranger, a donc été informé du sinistre et de ses causes, ce qui constitue objectivement une très mauvaise publicité pour la société TP.

En revanche, il n'est pas justifié que la « crise du beurre » ait donné lieu à une campagne médiatique ni, fort heureusement, que des consommateurs aient été intoxiqués par les produits contaminés.

Ainsi, le préjudice d'image subi par la société TP, bien que caractérisé, a été relativement limité.

En conséquence et au vu de ces différents éléments, la cour limitera à 30.000 euros le montant de l'indemnité allouée à la société TP en réparation de ce préjudice, le jugement devant être infirmé en ce sens.

Récapitulatif :

La société TP est fondée à obtenir la fixation au passif du plan de sauvegarde de la société [H] des indemnités suivantes :

- Coût de revient des produits stockés et/ou détruits : 143.687 euros.

- Frais de stockage : 52.932 euros.

- Frais de destruction : 5.505 euros.

- Surcoût d'approvisionnement en beurre : 2.042 euros.

- Frais de destruction de produits contaminés livrés à un client : 374 euros.

- Charges exceptionnelles de personnel : 13.116 euros.

- Préjudice d'image : 30.000 euros.

- Total : 247.656 euros.

V - Sur la garantie due par l'assureur :

La société TP ne sollicite aucune condamnation directe de l'assureur, demandant seulement à la cour de « dire et juger que la société Allianz doit garantir la société [H] de la réparation de l'ensemble des préjudices subis par la société TP ».

En revanche, la société [H] prétend quant à elle voir condamner la société Allianz à la garantir de l'intégralité des indemnités mises à sa charge, sous réserve seulement d'une exclusion de garantie dont la société [H] admet le principe à hauteur d'une somme de 4.988 euros.

Aux termes de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à l'époque de la conclusion du contrat d'assurance souscrit entre la holding de la société [H] et la société Gan (aux droits de laquelle vient désormais la société Allianz), les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Les relations entre l'assureur et l'assuré sont donc régies par les conditions générales et particulières souscrites entre les parties, notamment par l'article 2-1 des conditions particulières (« Objet de la garantie ») qui prévoient que « sont garanties les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile de l'assuré, en raison des dommages corporels, matériels et immatériels causés aux tiers, y compris aux clients de l'assuré, à l'occasion des activités de l'entreprise telles que définies à la police, y compris connexes ou annexes ».

Dès lors, il est constant que les conséquences dommageables de la mise en cause de la responsabilité civile de la société [H] du fait de la livraison d'un produit défectueux sont garanties par le contrat d'assurance souscrit auprès de la société Allianz.

En revanche, les conditions particulières du contrat d'assurance prévoient, d'une part certaines exclusions de garantie, d'autre part des plafonnements de garantie ainsi que des franchises.

A - Sur les exclusions de garantie :

L'article 2-2-3-3 des conditions particulières exclue notamment toute prise en charge des « frais de remboursement, remplacement, réparation et remise dans l'état où ils se trouvaient lors de leur livraison ou réparation des produits ou travaux défectueux livrés par l'assuré ».

Il en résulte que la société Allianz est fondée à refuser de prendre en charge le coût du beurre contaminé vendu par la société [H] à la société TP.

Si la société [H] n'en disconvient pas, en revanche elle diverge avec l'assureur sur la quantité de beurre contaminé dont la valorisation doit être exclue de la garantie, attendu par ailleurs que cette valeur a été incluse par l'expert judiciaire dans le poste de préjudice n° 1 (coût de revient des produits stockés et/ou détruits).

A cet égard, la société [H] considère, par référence au rapport d'expertise, que seule peut être retenue, pour l'exclusion de la garantie, une quantité de beurre contaminé de 1.960 kilos.

Cependant, cette affirmation n'est pas corroborée par la lecture du rapport d'expertise, l'expert n'ayant en effet retenu ce chiffrage qu'à titre « d'exemple de calcul » de ce poste de préjudice. En d'autres termes, les 1.960 kilos auxquels l'expert fait référence ne correspondent qu'à une partie seulement des lots de beurre contaminé (cf en ce sens les explications figurant en page 22 du rapport).

D'ailleurs, il convient de rappeler que l'ensemble des lots de beurre fournis par la société [H] à la société TP étaient susceptibles d'être contaminés, à la seule exception du premier lot fourni, le lot 13225.

Dès lors, le principe de précaution commandait de se débarrasser de la totalité des produits fabriqués par la société TP au moyen du beurre issu des lots 13233 et suivants, soit 4.200 kilos pour le lot 13233, 430 kilos pour le lot 13240, 3.570 et 750 kilos pour le lot 13241, enfin 2.810 kilos pour le lot 13245.

La société Allianz serait donc fondée à voir exclure de sa garantie le prix d'achat de l'ensemble de ces lots (à la seule exception du lot 13225), et dès lors, de voir retrancher ce prix du poste de préjudice afférent au coût de revient des produits stockés et/ou détruits.

Toutefois, la cour prend acte de ce que l'assureur se prévaut d'une exclusion de garantie de la valeur d'achat de 7.055 kilos de beurre seulement, soit, pour un prix unitaire non contesté par la société [H] de 4,30 €, d'une somme totale de 30.336,50 euros.

En conséquence, le premier poste de préjudice (coût de revient des produits stockés et/ou détruits) sera garanti par la société Allianz, mais dans la seule limite d'une somme de 113.350,50 euros (143.687 - 30.336,50).

La société Allianz demande également que soit exclue de sa garantie la somme de 2.042 euros correspondant au prix du beurre que la société TP a dû racheter pour remplacer le beurre vicié.

De fait ce coût correspond aux frais de « remplacement » du produit défectueux, au sens de l'article 2-2-3-3 des conditions particulières du contrat portant exclusion de garantie.

En conséquence, l'assureur ne sera pas tenu de garantir la société [H] de ce chef de préjudice.

B - Sur les plafonnements de garantie et franchises :

L'article 1er des conditions particulières distingue plusieurs types de dommages, notamment :

- Les « dommages matériels », contractuellement définis comme « toute détérioration, altération, vol, disparition ou destruction d'une chose ou d'une substance, toute atteinte physique à des animaux » ; la garantie de ces dommages est plafonnée à 2.000.000 euros par année d'assurance, sous réserve d'une franchise de 800 euros par sinistre ;

- Les « dommages immatériels consécutifs », contractuellement définis comme « tout préjudice pécuniaire résultant de la privation de jouissance d'un droit, de l'interruption d'un service rendu par une personne ou un bien meuble ou immeuble, ou de la perte d'un bénéfice directement consécutif à la survenance de « dommages matériels » garantis par le présent contrat » ; la garantie de ces dommages est également plafonnée à 2.000.000 euros par année d'assurance, sous réserve d'une franchise de 800 euros par sinistre ;

- Les « dommages immatériels non consécutifs », contractuellement définis comme « tout préjudice pécuniaire résultant de la privation de jouissance d'un droit, de l'interruption d'un service rendu par une personne ou un bien meuble ou immeuble, ou de la perte d'un bénéfice, en l'absence de dommages corporels ou matériels ; sont également considérés comme « dommages immatériels non consécutifs les préjudices immatériels consécutifs à un vice caché ou erreur de livraison touchant les travaux exécutés ou les produits ou marchandises livrés, non couverts par le contrat » ; la garantie de ces dommages est plafonnée à 460.000 euros par année d'assurance, sous réserve d'une franchise de 3.050 euros par sinistre.

1 - Sur les dommages matériels et immatériels consécutifs relevant d'un plafond de garantie de 2.000.000 euros et d'une franchise de 800 euros par sinistre :

La société Allianz reconnaît elle-même que relèvent de cette catégorie :

- Le coût de revient des produits stockés et/ou détruits tels que retenus par l'expert judiciaire et que la cour a arrêté à la somme de 143.687 euros, sous déduction seulement de la somme de 30.336,50 euros correspondant au prix d'achat du beurre contaminé, par là même exclu de la garantie (cf supra), d'où une garantie de l'assureur limitée à la somme de 113.350,50 euros (143.687 - 30.336,50) ;

- Les frais de stockage des produits finis contaminés dont la cour a arrêté le montant à la somme de 52.932 euros ;

- Les frais de destruction des stocks contaminés dont la cour a arrêté le montant à la somme de 5.505 euros ;

- Les frais de retrait des produits livrés à la société Carrefour dont la cour a arrêté le montant à la somme de 374 euros ;

- Les charges exceptionnelles de personnels exposées par la société TP dont la cour a arrêté le montant à la somme totale de 13.116 euros.

En conséquence, la société Allianz sera tenue de garantir la société [H] de ces condamnations, dont le montant cumulé n'atteint pas le plafond de garantie, sous déduction seulement d'une franchise de 800 euros.

1  - Sur les dommages immatériels non consécutifs relevant d'un plafond de garantie de 460.000 euros et d'une franchise de 3.050 euros par sinistre :

Cette distinction, que l'assureur prétend opérer entre dommages consécutifs et dommages non consécutifs, ne concerne plus que le seul préjudice d'image, puisque la société TP a été déboutée de ses demandes indemnitaires au titre de ses prétendues ruptures de commande et pertes d'exploitation.

S'agissant du préjudice d'image, dont la cour a ordonné l'indemnisation à hauteur d'une somme de 30.000 euros, il ne relève pas d'un « dommage immatériel non consécutif » au sens des conditions particulières du contrat d'assurance, dès lors en effet :

- Que le contrat qualifie de tel « tout préjudice pécuniaire résultant de la privation de jouissance d'un droit, de l'interruption d'un service rendu par une personne ou un bien meuble ou immeuble, ou de la perte d'un bénéfice, en l'absence de dommages corporels ou matériels ; or, le préjudice d'image subi par la société TP est bien la conséquence d'un dommage matériel ; en effet, son image a été ternie auprès de l'un de ses clients, en l'occurrence le Groupe Carrefour, à la suite de la livraison de fondants au chocolat qui avaient été contaminés par la limaille de fer présente dans le beurre utilisé pour les fabriquer ;

- Que si le contrat répute également « dommages immatériels non consécutifs » les « préjudices immatériels consécutifs à un vice caché ou erreur de livraison touchant les travaux exécutés ou les produits ou marchandises livrés », ce n'est qu'à la condition que ces dommages soient « non couverts par le contrat » ; or, la société Allianz ne conteste pas qu'elle garantit également le préjudice d'image subi par la société TP, prétendant seulement, dès lors à tort, en voir plafonner la garantie à 460.000 euros, prétention au demeurant sans objet puisque l'indemnité allouée à la société TP n'excède pas 30.000 euros ; en revanche et dans la mesure où ce préjudice relève bien d'un « dommage immatériel consécutif », il n'y a pas lieu à application de la franchise particulière de 3.050 euros.

En définitive, la société Allianz sera tenue de garantir la société [H] à hauteur des indemnités mises à sa charge, mais dans la seule limite d'une somme totale de 215.277,50 euros (soit 185.277,50 + 30.000), sous déduction d'une franchise de 800 euros.

V - Sur les autres demandes :

L'assureur sera également tenu de garantir la société [H] des sommes mises à la charge de celle-ci au titre de l'article 700 du code de procédure civile, soit :

- Une somme de 5.877 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, le jugement étant confirmé sur ce point ;

- Une somme complémentaire de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

Il n'y a pas lieu de condamner la société TP à quelque remboursement que ce soit, le dispositif du présent arrêt se suffisant à lui-même pour parfaire les comptes entre les parties.

Enfin, étant responsable des causes du dommage ainsi que de ses suites procédurales, la société [H] supportera les entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise judiciaire, à charge pour la société Allianz de l'en relever indemne.

PAR CES MOTIFS,

La cour :

- Confirme le jugement en ce qu'il a dit n'y avoir lieu d'écarter des débats le rapport d'expertise judiciaire, en ce qu'il a condamné la société Etablissements [I] [H] à payer à la société Traiteur de Paris une somme de 5.877 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, enfin en ce qu'il a condamné la société Etablissements [I] [H] aux entiers dépens de première instance, en ce compris les frais d'expertise judiciaire ;

- L’infirmant pour le surplus de ses dispositions, statuant à nouveau et y ajoutant :

* Déclare la société Traiteur de Paris recevable en son action tendant à la fixation de sa créance au passif du plan de sauvegarde de la société Etablissements [I] [H] ;

* Fixe au passif de la procédure collective, au profit de la société Traiteur de Paris, une créance d'un montant total de 247.656 euros en réparation de ses différents préjudices ;

* Déboute la société Traiteur de Paris du surplus de ses demandes indemnitaires ;

* Condamne la société Allianz à garantir la société Etablissements [I] [H] de ces condamnations à hauteur d'une somme totale de 215.277,50 euros, sous réserve encore d'une franchise de 800 euros ;

* Déboute les parties du surplus de leurs demandes principales ou incidentes ;

* Condamne la société Etablissements [I] [H] à payer à la société Traiteur de Paris une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et condamne la société Allianz à la garantir de cette condamnation ;

* Condamne la société Etablissements [I] [H] aux entiers dépens de la procédure d'appel ;

* Condamne la société Allianz à garantir la société Etablissements [I] [H] de sa condamnation aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise judiciaire.

Le greffier Le président