CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 6 mars 2013, n° 10/15564
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Une pièce en plus (SAS)
Défendeur :
La compagnie du parc de Bercy (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bartholin
Conseillers :
Mme Blum, Mme Reghi
Avocats :
Me Goirand, Me Guillemain, Me Maulard, Me Martin Imperatori
Par acte du 25 octobre 1996, la s. a Compagnie du parc de Bercy a donné à bail commercial à la s.a.r. l. Mini Entrepôts, pour une durée de douze années à compter du 1er novembre 1996, des locaux et places de stationnement dans son entrepôt de la Zac du parc de Bercy à Charenton le Pont.
Par acte du 25 juin 1998, les mêmes parties ont, d'une part, résilié amiablement le bail du 25 octobre 1996, d'autre part conclu, pour les mêmes locaux et places de stationnement ainsi que pour des locaux voisins et d'autres places de stationnement, un nouveau bail d'une durée de douze années à compter du 1er juillet 1998.
Par acte extrajudiciaire du 26 décembre 2006, la s. a.r. l. Compagnie du parc de Bercy, indiquant vouloir récupérer la totalité de l'immeuble pour y réaliser une opération de démolition reconstruction nécessitant l'évacuation des locaux loués, a, au visa de l'article L 145-4 du code de commerce, donné congé à la société Une Pièce en Plus venant aux droits de Mini Entrepôts, pour la troisième échéance triennale, le 30 juin 2007, avec offre d'une indemnité d'éviction.
Le 27 septembre 2007, la société Compagnie du parc de Bercy a assigné en validité du congé la société Une Pièce en Plus qui lui en a opposé la nullité.
Par jugement rendu le 7 juin 2010, le tribunal de commerce de Créteil a : - dit que le bail a pris fin par l'effet du congé délivré le 26 décembre 2006 pour le 30 juin 2007,
- déclaré la société Une Pièce en Plus bien fondée en sa demande tendant à la fixation de l'indemnité d'éviction pouvant lui être due,
- avant dire droit sur le montant de cette indemnité et d'une éventuelle indemnité d'occupation au profit des bailleurs, ordonné une expertise,
- fixé à titre provisionnel le montant de l'indemnité d'occupation due annuellement par la société locataire à compter du 1er juillet 2007 au montant du dernier loyer contractuel, charges et taxes en sus, et ce dans l'attente de la fixation définitive du montant de ladite indemnité dans les termes de l'article L 145-28 du code de commerce,
- sursis à statuer sur la demande de compensation,
- sursis à statuer sur les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire,
- réservé les dépens,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
La s. a.s. Une Pièce en Plus a relevé appel de cette décision le 23 juillet 2010.
Par ses dernières conclusions signifiées le 28 et déposées le 29 novembre 2012, elle demande à la cour d'infirmer le jugement et de :
- déclarer nul et de nul effet le congé délivré le 26 novembre 2006 à effet du 30 juin 2007,
- dire, au visa des articles 1142 et 1155 du code civil, que la société Compagnie du parc de Bercy a implicitement mais nécessairement renoncé à la faculté de donner congé à une échéance triennale,
- dire à défaut que la société Une Pièce en Plus ne peut exciper de sa propre turpitude et dès lors annuler le congé soit pour fraude soit pour détournement de la loi, la société Compagnie du parc de Bercy utilisant sciemment une disposition de la loi qu'elle connaissait au moment où elle a prétendu s'obliger pour 30 années pour mieux la détourner en s'obligeant vis-à- vis de la société Une Pièce en Plus à lui permettre d'exploiter les locaux pendant 30 années,
- à défaut encore, dire qu'il n'existe aucun indice permettant d'attester qu'à la date de délivrance du congé, voire à celle de prise d'effet du congé, la société Compagnie du parc de Bercy était en mesure de réaliser une opération de démolition construction,
- dire que l'absence de toute action depuis cette date révèle au contraire qu'une telle opération n'était pas envisagée, aucun indice au demeurant ne permettant de vérifier d'une possibilité juridique et matérielle de démolir en l'état des occupations existant au jour de la délivrance du congé,
- dire également, en raison de la concertation engagée par la ville de Charenton, que des expropriations sont probables dans la zone où sont situés les locaux occupés par la société Une Pièce en Plus, ce qui exclut la possibilité pour la société Compagnie du parc de Bercy de réaliser elle-même la prétendue opération de démolition construction,
- à titre infiniment subsidiaire dans l'hypothèse où la validité du congé serait retenue, confirmer la décision déférée en ce qu'elle a jugé que ce congé ouvrait droit au bénéfice de la société Une Pièce en Plus à paiement d'une indemnité d'éviction et dire que les conditions de désignation d'un séquestre ne sont pas réunies,
- débouter la société Compagnie du parc de Bercy de toutes ses prétentions,
- condamner la société Compagnie du parc de Bercy à lui payer la somme de 10.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont distraction.
Par ses dernières conclusions du 30 décembre 2011, la s. a.r. l. Compagnie du parc de Bercy demande à la cour de : - débouter la société Une Pièce en Plus de l'ensemble de ses prétentions,
- confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes relatives au séquestre de l'indemnité d'éviction et à l'indexation de l'indemnité d'occupation,
- condamner la société Une Pièce en Plus aux dépens dont distraction et à lui payer la somme de 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE,
Considérant que le contrat de bail conclu le 25 juin 1998 entre les parties stipule à sa clause "Durée" que : "La présente location est consentie et acceptée pour une durée de douze années entières et consécutives à compter du 1er juillet 1998 pour se terminer le 30 juin 2010.
Par application conventionnelle des dispositions de la loi n° 85-1408 du 30 septembre 1985 considérée comme essentielle et déterminante à défaut de laquelle le Bailleur n'aurait pas consenti et accepté le présent bail, il est expressément stipulé que le Preneur ne pourra pas mettre fin au présent bail à l'issue des trois premières périodes triennales, le présent bail ayant une durée ferme de douze années.
Il résulte de ce qui précède que le Preneur ne pourra en aucune façon, fut ce en versant une indemnité de quelque montant que ce soit, mettre fin au bail avant son terme.
Le Bailleur s'engage irrévocablement dans l'hypothèse où le preneur demanderait le renouvellement du présent contrat à l'issue des douze premières années à accepter ce renouvellement pour deux périodes successives de neuf années, pour autant que le Preneur soit aux dates respectives à jour de l'intégralité de ses obligations locatives.
Le Bailleur renonce expressément au déplafonnement du loyer lié à la durée du bail à l'issue de la première période de douze ans" ;
Considérant que pour conclure à l'infirmation du jugement et à la nullité du congé qui lui a été délivré, la société Une Pièce en Plus soutient en premier lieu que la société Compagnie du parc de Bercy a renoncé à la faculté de donner congé pour une échéance triennale et qu'à défaut elle a commis une fraude manifeste aux droits du preneur ;
Qu'elle expose qu'en résiliant le précédent bail du 1er novembre 1996 à la date du 30 juin 1998 à minuit, bailleur et preneur se sont entendus pour que la location ait une durée de 12 années à compter du 1er juillet 1998 avec prorogation de deux fois neuf ans à la libre initiative du preneur et que la pérennité des rapports locatifs, condition déterminante de la volonté des parties, résulte des termes mêmes de l'article "Durée" du bail du 25 juin 1998 ;
Qu'elle fait valoir que sauf à priver de tout sens cet accord et à méconnaître les dispositions de l'article 1157 du code civil, il est manifeste que le bailleur a, implicitement mais nécessairement, renoncé à la faculté de donner congé à l'expiration d'une période triennale et contracté une obligation de ne pas faire qu'il a violée en délivrant congé, que le bailleur a pu valablement renoncer à un possible congé triennal relevant d'un ordre public de protection, compte tenu de l'indivisibilité existant entre la résiliation du premier bail et la conclusion du second car au moment où les parties ont transigé, le nouveau bail se substituant à l'ancien, les droits du bailleur à délivrer un congé refus de renouvellement était nés, qu'au demeurant le bailleur a renoncé à délivrer congé à l'échéance de 2001 et 2004 ;
Qu'elle ajoute que la thèse du bailleur selon laquelle il n'aurait pas renoncé à la possibilité de donner congé à l'expiration de la période triennale alors même qu'il s'est engagé irrévocablement envers le preneur à deux renouvellements successifs, procéderait d'un manquement à l'obligation de loyauté dans l'exécution du contrat, d'une mauvaise foi et d'une fraude aux droits du preneur par détournement de l'article L 145-4 du code de commerce de son objet, que la fraude est d'autant plus avérée que la société mère de la société Une Pièce en Plus n'aurait pas racheté les parts de la société Mini Entrepôts, filiale du bailleur et titulaire du bail d'origine sans l'assurance de la pérennité de l'exploitation, que selon le bailleur, ses engagements seraient intervenus de manière potestative puisqu'il se serait réservé le bénéfice de la loi qu'il invoque dans le cadre de la délivrance du congé, pour ne pas respecter ses obligations ; qu'elle précise que pour éviter toute discussion, elle a formé une demande de renouvellement du bail ;
Mais considérant qu'en vertu du 3ème alinéa de l'article L 145-4 du code de commerce, le bailleur a la faculté de donner congé à l'expiration d'une période triennale, dans les formes et délai de l'article L. 145-9, "s'il entend invoquer les dispositions des articles L. 145-18, L. 145-21, L. 145-23-1 et L. 145-24 afin de construire, de reconstruire ou de surélever l'immeuble existant..." ; que cette disposition relève des règles d'ordre public du statut des baux commerciaux dès lors que l'article L 145-15 du code de commerce dit nuls et de nul effet toutes clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet d'y faire échec ;
Considérant qu'en conséquence, la société Une Pièce en Plus n'est pas fondée à soutenir que dès la signature du contrat de bail du 25 juin 1998 à effet au 1er juillet 1998, le bailleur avait la faculté de renoncer à son droit à délivrer congé à l'expiration d'une période triennale en vertu de l'article L 145- 4 et qu'il a, lors de la conclusions de ce contrat de bail, implicitement mais nécessairement renoncé à ce droit compte tenu des engagements de renouvellement du bail qu'il prenait; que le bail à effet du 1er juillet 1998 est un nouveau bail ; que le bailleur ne pouvait renoncer au bénéfice de la règle légale, qui n'est pas né de circonstances ou contrats antérieurs, qu'après la signature du contrat ;
qu'il n'est pas justifié qu'après la conclusion dudit contrat, il ait renoncé sans équivoque à un droit qui lui était acquis ; qu'une telle renonciation ne saurait résulter de sa seule inaction et le simple fait de n'avoir donné congé pour démolir et reconstruire que pour la troisième échéance triennale, ne caractérise pas la renonciation sans équivoque du bailleur à l'exercice de son droit ;
Considérant qu'il a été vu que la société Compagnie du parc de Bercy ne pouvait renoncer dans l'acte lui même à la faculté qui lui était offerte en vertu de l'article L 145-4 ;
qu'il ne peut donc lui être fait grief d'avoir fait preuve de déloyauté dans l'exécution du contrat ou de mauvaise foi en n'y renonçant pas ; qu'en outre, la fraude alléguée aux droits du preneur par détournement de l'article L 145-4 de son objet n'est pas caractérisée à la date du contrat de bail ;
qu'enfin l'argument tiré du caractère prétendument potestatif des engagements pris par le bailleur est ici sans portée, la nullité de ces engagements n'étant pas soulevée ;
Considérant que la société Une Pièce en Plus fait valoir ensuite que le bailleur dont la bonne foi est présumée, doit être néanmoins en mesure de démontrer par des éléments factuels ou juridiques que son intention est bien de démolir pour reconstruire, que la faculté exceptionnelle pour le bailleur de donner congé à l'échéance triennale doit être nécessairement justifiée, qu'il est donc nécessaire de vérifier en l'espèce l'existence d'une possible démolition dès le 26 décembre 2006 et au plus tard à la date du 30 juin 2007, que l'affirmation du bailleur est une pétition de principe alors même qu'il a tenté une première fois de faire résilier le bail, que l'absence de projet communiqué interdit au preneur et à la cour de vérifier si les conditions de l'article L 145-4 du code de commerce sont effectivement remplies, qu'un constat d'huissier dressé le 25 mars 2009 démontre qu'à cette date le bailleur continuait à proposer à la location trois lots dépendants du même ensemble immobilier, que plus de 5 ans après la date d'effet du congé, il n'existe ni projet ni a fortiori travaux, que l'ouverture d'une concertation préalable décidée par la ville de Charenton le Pont révèle que le bailleur n'entend pas personnellement démolir pour reconstruire puisqu'il ne disposera pas de cette possibilité s'il est exproprié, que le bailleur ne poursuit donc qu'un intérêt financier étranger au législateur ;
Mais considérant qu'il est de principe que le bailleur est présumé sincère lorsqu'il donne congé avec offre d'une indemnité d'éviction pour reconstruire l'immeuble existant ; que la charge de la preuve contraire et d'un détournement des dispositions légales pèse sur le locataire ; qu'en l'espèce, ni l'existence d'une procédure de résiliation antérieure ni la procédure de concertation préalable sur le projet d'aménagement du secteur ouverte en 2009 par le conseil de la communauté de communes de Charenton Saint Maurice ne permettent de mettre en doute la sincérité de l'intention du bailleur à la date de délivrance du congé fin 2006 ou à sa date d'effet en 2007 ; que par ailleurs si la société Une Pièce en Plus a fait dresser constat de l'offre de location, en 2009, de 3 lots à usage de stockage dans le parc d'activité, l'agent immobilier a attesté qu'il n'avait en réalité plus mandat pour ce faire depuis 2003 ; qu'il n'est justifié d'aucun obstacle juridique ou matériel à l'opération pour laquelle la société Compagnie du parc de Bercy a délivré congé, étant relevé que les locaux loués font partie d'un ensemble immobilier à usage d'entrepôts s'étendant sur plus de 44.000 m² en bordure du boulevard périphérique parisien et qu'il ne peut être fait grief au bailleur de vouloir participer à la réhabilitation de cette zone en y développant de nouvelles installations ni d'avoir été retardé dans son entreprise notamment par la procédure en cours ;
Considérant que pour ces motifs et ceux pertinents des premiers juges, le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions y compris en ce qu'il a débouté la société Compagnie du parc de Bercy de sa demande de séquestre et d'indexation de l'indemnité d'occupation, le montant de l'indemnité d'éviction n'ayant pas été fixée et l'indemnité d'occupation n'ayant été fixée qu'à titre provisionnel ;
Considérant que la société Une Pièce en Plus qui succombe sur son recours sera condamnée aux dépens d'appel ; qu'il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement ;
Déboute les parties de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Une Pièce en Plus aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.