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Décisions

CJUE, 1re ch., 22 juin 2022, n° C-267/20

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Question préjudicielle

PARTIES

Demandeur :

Volvo AB (publ.), DAF Trucks NV

Défendeur :

RM

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Arabadjiev (rapporteur)

Juges :

Mme Ziemele, M. von Danwitz, M. Xuereb, M. Kumin

Avocat général :

M. Rantos

Avocats :

Me Gómez Bernardo, Me Murillo Tapia, Me Gual Grau, Me de Monchy, Me de Pree, Me Sarmiento Ramírez-Escudero, Me Vidal Martínez, Mme Picón González, Me San Primitivo Arias

CJUE n° C-267/20

21 juin 2022

LA COUR (première chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 101 TFUE, des articles 10 et 17 et de l’article 22, paragraphe 2, de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne (JO 2014, L 349, p. 1), ainsi que du principe d’effectivité.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Volvo AB (publ.) et DAF Trucks NV à RM au sujet d’un recours en dommages et intérêts intenté par RM et ayant pour objet la réparation du préjudice résultant d’une infraction à l’article 101 TFUE, constatée par la Commission européenne, laquelle a été commise par plusieurs constructeurs de camions, parmi lesquels figurent Volvo et DAF Trucks.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Le considérant 47 de la directive 2014/104 énonce :

« Pour remédier à l’asymétrie de l’information et à certaines difficultés liées à la quantification du préjudice dans des affaires relevant du droit de la concurrence, et pour garantir l’effectivité des actions en dommages et intérêts, il convient de présumer que les infractions sous forme d’entente causent un préjudice, en particulier en générant un effet sur les prix. En fonction des éléments factuels de l’affaire, les ententes entraînent une hausse des prix ou empêchent une baisse des prix qui se serait produite si l’entente n’avait pas existé. Cette présomption ne devrait pas porter sur le montant réel du préjudice. Les auteurs de l’infraction devraient avoir le droit de renverser la présomption. Il convient de limiter cette présomption réfragable aux ententes, compte tenu de leur nature secrète, qui accroît l’asymétrie de l’information et rend plus difficile pour les demandeurs l’obtention des preuves nécessaires pour démontrer l’existence d’un préjudice. »

4 L’article 10 de cette directive, intitulé « Délais de prescription », dispose :

« 1. Les États membres arrêtent, conformément au présent article, les règles relatives aux délais de prescription applicables aux actions en dommages et intérêts. Ces règles déterminent le moment à partir duquel le délai de prescription commence à courir, la durée de ce délai et les circonstances dans lesquelles il est interrompu ou suspendu.

2. Les délais de prescription ne commencent pas à courir avant que l’infraction au droit de la concurrence ait cessé et que le demandeur ait pris connaissance ou puisse raisonnablement être considéré comme ayant connaissance :

a) du comportement et du fait qu’il constitue une infraction au droit de la concurrence ;

b) du fait que l’infraction au droit de la concurrence lui a causé un préjudice ; et

c) de l’identité de l’auteur de l’infraction.

3. Les États membres veillent à ce que les délais de prescription applicables aux actions en dommages et intérêts soient de cinq ans au minimum.

4. Les États membres veillent à ce qu’un délai de prescription soit suspendu ou, selon le droit national, interrompu par tout acte d’une autorité de concurrence visant à l’instruction ou à la poursuite d’une infraction au droit de la concurrence à laquelle l’action en dommages et intérêts se rapporte. Cette suspension prend fin au plus tôt un an après la date à laquelle la décision constatant une infraction est devenue définitive ou à laquelle il a été mis un terme à la procédure d’une autre manière. »

5 L’article 17 de ladite directive, intitulé « Quantification du préjudice », prévoit :

« 1. Les États membres veillent à ce que ni la charge ni le niveau de la preuve requis pour la quantification du préjudice ne rendent l’exercice du droit à des dommages et intérêts pratiquement impossible ou excessivement difficile. Les États membres veillent à ce que les juridictions nationales soient habilitées, conformément aux procédures nationales, à estimer le montant du préjudice, s’il est établi qu’un demandeur a subi un préjudice, mais qu’il est pratiquement impossible ou excessivement difficile de quantifier avec précision le préjudice subi sur la base des éléments de preuve disponibles.

2. Il est présumé que les infractions commises dans le cadre d’une entente causent un préjudice. L’auteur de l’infraction a le droit de renverser cette présomption.

3. Les États membres veillent à ce que, dans le cadre d’une procédure relative à une action en dommages et intérêts, une autorité nationale de concurrence puisse, à la demande d’une juridiction nationale, aider ladite juridiction nationale en ce qui concerne la quantification du montant des dommages et intérêts lorsque cette autorité nationale de concurrence estime qu’une telle aide est appropriée. »

6 L’article 21, paragraphe 1, de la même directive est libellé comme suit :

« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 27 décembre 2016. Ils communiquent immédiatement à la Commission le texte de ces dispositions.

Lorsque les États membres adoptent ces dispositions, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les États membres. »

7 L’article 22 de la directive 2014/104, intitulé « Application temporelle », énonce :

« 1. Les États membres veillent à ce que les dispositions nationales adoptées en application de l’article 21 afin de se conformer aux dispositions substantielles de la présente directive ne s’appliquent pas rétroactivement.

2. Les États membres veillent à ce qu’aucune disposition nationale adoptée en application de l’article 21, autre que celles visées au paragraphe 1, ne s’applique aux actions en dommages et intérêts dont une juridiction nationale a été saisie avant le 26 décembre 2014. »

8 L’article 25, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), prévoit :

« La prescription court à compter du jour où l’infraction a été commise. Toutefois, pour les infractions continues ou répétées, la prescription ne court qu’à compter du jour où l’infraction a pris fin. »

9 Aux termes de l’article 30 de ce règlement, intitulé « Publication des décisions » :

« 1. La Commission publie les décisions qu’elle prend en vertu des articles 7 à 10 et des articles 23 et 24.

2. La publication mentionne le nom des parties intéressées et l’essentiel de la décision, y compris les sanctions imposées. Elle doit tenir compte de l’intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d’affaires ne soient pas divulgués. »

Le droit espagnol

10 Aux termes de l’article 74, paragraphe 1, de la Ley 15/2007 de Defensa de la Competencia (loi 15/2007, relative à la protection de la concurrence), du 3 juillet 2007 (BOE no 159, du 4 juillet 2007, p. 28848), telle que modifiée par le Real Decreto-ley 9/2017, por el que se transponen directivas de la Unión Europea en los ámbitos financiero, mercantil y sanitario, y sobre el desplazamiento de trabajadores (décret-loi royal 9/2017, portant transposition de directives de l’Union européenne en matière financière, commerciale et de santé, ainsi que sur le détachement de travailleurs), du 26 mai 2017 (BOE no 126, du 27 mai 2017, p. 42820) (ci-après la « loi 15/2007, telle que modifiée par le décret-loi royal 9/2017 ») :

« Le délai de prescription de l’action en responsabilité pour le préjudice résultant d’une infraction au droit de la concurrence est de cinq ans. »

11 L’article 76, paragraphes 2 et 3, de la loi 15/2007, telle que modifiée par le décret-loi royal 9/2017, prévoit :

« 2. S’il est établi qu’un requérant a subi un préjudice, mais qu’il est pratiquement impossible ou excessivement difficile de quantifier avec précision le préjudice subi sur la base des éléments de preuve disponibles, les tribunaux sont habilités à estimer le montant de la réparation du préjudice.

3. Les infractions commises dans le cadre d’une entente sont présumées, jusqu’à preuve du contraire, causer un préjudice. »

12 La première disposition transitoire du décret-loi royal 9/2017 transposant dans le droit espagnol la directive 2014/104, intitulée « Régime transitoire en matière d’actions en dommages et intérêts résultant d’infractions au droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne », dispose :

« 1. Les dispositions de l’article 3 du présent décret-loi royal ne s’appliquent pas rétroactivement.

2. Les dispositions de l’article 4 du présent décret-loi royal ne s’appliquent qu’aux procédures engagées après son entrée en vigueur. »

13 L’article 1902 du Código Civil (code civil) énonce :

« Quiconque par son action ou son omission cause un dommage à autrui, par faute ou négligence, est tenu de réparer le dommage causé. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14 Au cours des années 2006 et 2007, RM a acheté à Volvo et à DAF Trucks trois camions fabriqués par ces sociétés.

15 Le 19 juillet 2016, la Commission a adopté la décision C(2016) 4673 final relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire AT.39824 – Camions) et a publié un communiqué de presse à cet égard. Le 6 avril 2017, conformément à l’article 30 du règlement no 1/2003, cette institution a publié le résumé de cette décision au Journal officiel de l’Union européenne.

16 Par ladite décision, la Commission a constaté que plusieurs constructeurs de camions, parmi lesquels figurent Volvo et DAF Trucks, ont enfreint l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3), en s’entendant, d’une part, sur la fixation des prix et l’augmentation des prix bruts des camions pesant entre 6 tonnes et 16 tonnes, à savoir des utilitaires moyens, ou pesant plus de 16 tonnes, à savoir des poids lourds, dans l’Espace économique européen et, d’autre part, sur le calendrier et la répercussion des coûts afférents à l’introduction des technologies en matière d’émissions imposées par les normes Euro 3 à Euro 6. En ce qui concerne Volvo et DAF Trucks, l’infraction a duré du 17 janvier 1997 au 18 janvier 2011.

17 Le 27 mai 2017, soit cinq mois après l’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, le décret-loi royal 9/2017 transposant cette directive dans le droit espagnol est entré en vigueur.

18 Le 1er avril 2018, RM a introduit, devant le Juzgado de lo Mercantil de León (tribunal de commerce de León, Espagne), un recours contre Volvo et DAF Trucks. Ce recours tend à la réparation du préjudice que RM aurait subi en raison des pratiques anticoncurrentielles auxquelles ces deux sociétés s’étaient livrées. Ledit recours est fondé, à titre principal, sur les dispositions pertinentes de la loi 15/2007, telle que modifiée par le décret-loi royal 9/2017, et, à titre subsidiaire, sur le régime général de la responsabilité civile extracontractuelle, notamment sur l’article 1902 du code civil. Ce même recours constitue une action en dommages et intérêts introduite à la suite d’une décision définitive de la Commission constatant une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen.

19 Volvo et DAF Trucks se sont opposées à ce recours en faisant valoir, notamment, qu’il était prescrit et que RM n’avait pas prouvé qu’il y avait un lien de causalité entre l’infraction constatée dans la décision C(2016) 4673 final et l’augmentation du prix des camions.

20 Par jugement du 15 octobre 2019, le Juzgado de lo Mercantil de León (tribunal de commerce de León) a partiellement accueilli le recours de RM et a condamné Volvo et DAF Trucks à verser à RM une réparation correspondant à 15 % du prix d’acquisition des camions, majoré des intérêts légaux, sans pour autant condamner ces sociétés aux dépens. Cette juridiction a rejeté l’exception de prescription invoquée par Volvo et DAF Trucks, au motif, notamment, que le délai de cinq ans prévu à l’article 74 de la loi 15/2007, telle que modifiée par le décret-loi royal 9/2017, qui transpose l’article 10, paragraphe 3, de la directive 2014/104, était en vigueur au moment de l’introduction de l’action et était donc applicable en l’espèce. En outre, en considérant que l’article 76, paragraphes 2 et 3, de cette loi, qui transpose l’article 17, paragraphes 1 et 2, de cette directive, est une disposition procédurale, ladite juridiction s’est appuyée, en premier lieu, sur la présomption de préjudice établie à l’article 76, paragraphe 3, de la loi 15/2007, telle que modifiée par le décret-loi royal 9/2017, pour retenir l’existence d’un préjudice causé à RM et, en second lieu, sur l’article 76, paragraphe 2, de cette loi pour quantifier le montant de ce préjudice.

21 Volvo et DAF Trucks ont interjeté appel de ce jugement devant l’Audiencia Provincial de Léon (cour provinciale de Léon, Espagne). Ces deux entreprises font valoir que la directive 2014/104 n’est pas applicable en l’espèce parce qu’elle n’était pas en vigueur à l’époque de la commission de l’infraction en cause, cette dernière ayant pris fin le 18 janvier 2011. Selon lesdites entreprises, c’est la date de commission de cette infraction qui est pertinente pour déterminer le régime applicable au recours en dommages et intérêts de RM.

22 Volvo et DAF Trucks maintiennent, partant, que le recours en dommages et intérêts de RM est prescrit. À cet égard, DAF Trucks fait valoir que c’est non pas le délai de prescription de cinq ans prévu à l’article 10 de la directive 2014/104 transposé à l’article 74, paragraphe 1, de la loi 15/2007, telle que modifiée par le décret-loi royal 9/2017, qui est applicable, mais celui d’un an prévu à l’article 1968 du code civil. En outre, ce délai de prescription d’un an aurait commencé à courir à compter de la publication du communiqué de presse de la Commission concernant la décision C(2016) 4673 final. Pour cette raison, cette société fait valoir que, à la date à laquelle RM a introduit son recours en dommages et intérêts, à savoir le 1er avril 2018, ledit délai de prescription avait expiré.

23 Volvo et DAF Trucks ajoutent que, cette directive n’étant pas applicable, il faudrait prouver, en l’occurrence, tant l’existence que le montant du préjudice, faute de quoi ce recours devrait être rejeté.

24 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi s’interroge sur le champ d’application temporel de l’article 10 et de l’article 17, paragraphes 1 et 2, de la directive 2014/104. Elle considère que ce champ d’application est précisé à l’article 22 de cette directive.

25 Afin de déterminer si l’article 10 et l’article 17, paragraphes 1 et 2, de ladite directive, qui établissent respectivement des règles régissant le délai de prescription, l’existence du préjudice résultant d’une entente et la quantification de ce préjudice, sont applicables au litige au principal, la juridiction de renvoi se demande, d’une part, si ces dispositions sont de nature substantielle ou de nature procédurale.

26 D’autre part, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir quel est le moment pertinent par rapport auquel il convient d’examiner l’application temporelle desdites dispositions afin de déterminer si elles sont applicables en l’occurrence.

27 Dans ces conditions, l’Audiencia Provincial de León (cour provinciale de Léon) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 101 TFUE et le principe d’effectivité doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une interprétation de la règle nationale qui, en fixant le point de référence de la rétroactivité à la date de la sanction et non à celle de l’introduction de l’action, considère que le délai d’exercice de l’action de cinq ans prévu à l’article 10 de la directive [2014/104] et l’article 17 [de cette directive], relatif à l’évaluation judiciaire du préjudice, ne sont pas applicables rétroactivement ?

2) [L]’article 22, paragraphe 2, de la directive 2014/104 et le terme “rétroactivement” doivent-ils être interprétés en ce sens que l’article 10 de cette directive s’applique à une action telle que celle exercée dans le litige au principal, qui, bien qu’introduite après l’entrée en vigueur de ladite directive et de la norme de transposition, porte néanmoins sur des faits ou des sanctions antérieures ?

3) Dans le cadre de l’application d’une disposition telle que l’article 76 de la [loi 15/2007], l’article 17 de la directive 2014/104 concernant l’évaluation judiciaire du préjudice doit-il être interprété en ce sens qu’il s’agit d’une règle de nature procédurale qui s’applique au litige au principal, c’est-à-dire à une action exercée après l’entrée en vigueur de la disposition nationale de transposition ? »

Sur les questions préjudicielles

28 Selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. La circonstance qu’une juridiction nationale a, sur un plan formel, formulé une question préjudicielle en se référant à certaines dispositions du droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse à cette juridiction tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, qu’elle y ait fait ou non référence dans l’énoncé de ses questions. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications, C‑637/17, EU:C:2019:263, point 35 et jurisprudence citée).

29 En l’occurrence, eu égard à l’ensemble des éléments fournis par la juridiction de renvoi, il y a lieu, en vue d’apporter à cette juridiction une réponse utile, de reformuler les questions préjudicielles.

30 En effet, il ressort de la décision de renvoi que, par ses trois questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi s’interroge, en substance, sur l’application temporelle de l’article 10 et de l’article 17, paragraphes 1 et 2, de la directive 2014/104, conformément à l’article 22 de celle-ci, à un recours en dommages et intérêts qui, bien que portant sur une infraction au droit de la concurrence qui a pris fin avant l’entrée en vigueur de cette directive, a été introduit après l’entrée en vigueur des dispositions la transposant dans le droit national.

Observations liminaires

31 Il convient de rappeler que, à la différence des règles de procédure qui sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur (arrêt du 3 juin 2021, Jumbocarry Trading, C‑39/20, EU:C:2021:435, point 28 et jurisprudence citée), les règles de l’Union de droit matériel doivent être interprétées, en vue de garantir le respect des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, comme ne visant des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur que dans la mesure où il ressort clairement de leurs termes, de leur finalité ou de leur économie qu’un tel effet doit leur être attribué [arrêt du 21 décembre 2021, Skarb Państwa (Couverture de l’assurance automobile), C‑428/20, EU:C:2021:1043, point 33 et jurisprudence citée].

32 Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que, en principe, une règle de droit nouvelle s’applique à compter de l’entrée en vigueur de l’acte qui l’instaure. Si elle ne s’applique pas aux situations juridiques nées et définitivement acquises sous l’empire de la loi ancienne, elle s’applique aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la règle ancienne, ainsi qu’aux situations juridiques nouvelles. Il n’en va autrement, et sous réserve du principe de non-rétroactivité des actes juridiques, que si la règle nouvelle est accompagnée de dispositions particulières qui déterminent spécialement ses conditions d’application dans le temps [arrêt du 21 décembre 2021, Skarb Państwa (Couverture de l’assurance automobile), C‑428/20, EU:C:2021:1043, point 31 et jurisprudence citée].

33 En ce qui concerne, plus particulièrement, les directives, ce ne sont, en règle générale, que les situations juridiques acquises postérieurement à l’expiration du délai de transposition d’une directive qui peuvent être rattachées au champ d’application ratione temporis de cette directive (ordonnance du 16 mai 2019, Luminor Bank, C‑8/18, non publiée, EU:C:2019:429, point 32 et jurisprudence citée).

34 Il en va a fortiori ainsi des situations juridiques nées sous l’empire de la règle ancienne qui continuent à produire leurs effets postérieurement à l’entrée en vigueur des actes nationaux pris pour la transposition d’une directive après l’expiration du délai de transposition de celle-ci.

35 Dans ce contexte, s’agissant de l’application ratione temporis de la directive 2014/104, il convient de rappeler que cette directive contient une disposition particulière, qui détermine expressément les conditions d’application dans le temps des dispositions substantielles et non substantielles de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications, C‑637/17, EU:C:2019:263, point 25).

36 En particulier, d’une part, en vertu de l’article 22, paragraphe 1, de la directive 2014/104, les États membres devaient veiller à ce que les dispositions nationales adoptées en application de l’article 21 de celle-ci afin de se conformer aux dispositions substantielles de cette directive ne s’appliquent pas rétroactivement (arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications, C‑637/17, EU:C:2019:263, point 26).

37 D’autre part, en vertu de l’article 22, paragraphe 2, de la directive 2014/104, les États membres devaient veiller à ce qu’aucune disposition nationale adoptée afin de se conformer aux dispositions non substantielles de cette directive ne s’applique aux actions en dommages et intérêts dont une juridiction nationale avait été saisie avant le 26 décembre 2014 (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications, C‑637/17, EU:C:2019:263, point 27).

38 Dès lors, afin de déterminer l’applicabilité temporelle des dispositions de la directive 2014/104, il convient d’établir, en premier lieu, si la disposition concernée constitue une disposition substantielle ou non.

39 À cet égard, il convient de préciser que le point de savoir quelles sont, parmi les dispositions de cette directive, celles qui sont substantielles et celles qui ne le sont pas doit, en l’absence, à l’article 22 de la directive 2014/104, de renvoi au droit national, être apprécié au regard du droit de l’Union et non pas au regard du droit national applicable.

40 En outre, bien que ledit article ne précise pas pour chaque disposition si elle est substantielle ou non, il ressort sans équivoque du libellé de cet article, dont le paragraphe 1 se réfère aux « dispositions substantielles de la présente directive », que ce sont les dispositions de cette directive et non pas les mesures nationales adoptées pour s’y conformer qui sont visées comme étant soit substantielles soit non substantielles.

41 Au demeurant, octroyer une marge d’appréciation aux États membres en ce qui concerne la détermination du caractère substantiel ou non des dispositions de la directive 2014/104 serait susceptible de nuire à l’application effective, cohérente et uniforme de ces dispositions sur le territoire de l’Union.

42 Une fois le caractère substantiel ou non de la disposition concernée déterminé, il convient de vérifier, en second lieu, si, dans des circonstances telles que celle en cause au principal, dans lesquelles cette directive a été transposée de manière tardive, la situation en cause, pour autant qu’elle ne puisse être qualifiée de nouvelle, a été acquise avant l’expiration du délai de transposition de ladite directive ou si elle a continué à produire ses effets après l’expiration de ce délai.

Sur l’applicabilité temporelle de l’article 10 de la directive 2014/104

43 S’agissant, en premier lieu, de la nature substantielle ou non de l’article 10 de la directive 2014/104, il convient de rappeler que, aux termes de son paragraphe 1, cet article établit des règles relatives aux délais de prescription applicables aux actions en dommages et intérêts pour les infractions au droit de la concurrence. Les paragraphes 2 et 4 dudit article déterminent, en particulier, le moment auquel le délai de prescription commence à courir et les circonstances dans lesquelles il peut être interrompu ou suspendu.

44 L’article 10, paragraphe 3, de cette directive précise la durée minimale du délai de prescription. Selon cette disposition, les États membres veillent à ce que les délais de prescription applicables aux actions en dommages et intérêts pour les infractions au droit de la concurrence soient de cinq ans au minimum.

45 Le délai de prescription, prévu à l’article 10, paragraphe 3, de la directive 2014/104, a notamment pour fonction, d’une part, d’assurer la protection des droits de la personne lésée, celle-ci devant disposer de suffisamment de temps pour rassembler des informations appropriées en vue d’un recours éventuel, et, d’autre part, d’éviter que la personne lésée puisse retarder indéfiniment l’exercice de son droit à dommages et intérêts au détriment de la personne responsable du dommage. Ce délai protège, dès lors, en définitive, tant la personne lésée que la personne responsable du dommage (voir, par analogie, arrêt du 8 novembre 2012, Evropaïki Dynamiki/Commission, C‑469/11 P, EU:C:2012:705, point 53).

46 Dans ce contexte, il convient de relever qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que, à la différence des délais de procédure, le délai de prescription, en entraînant l’extinction de l’action en justice, se rapporte au droit matériel puisqu’il affecte l’exercice d’un droit subjectif dont la personne concernée ne peut plus se prévaloir effectivement en justice (voir, par analogie, arrêt du 8 novembre 2012, Evropaïki Dynamiki/Commission, C‑469/11 P, EU:C:2012:705, point 52).

47 Dès lors, ainsi que M. l’avocat général l’a, en substance, relevé aux points 66 et 67 de ses conclusions, il y a lieu de considérer que l’article 10 de la directive 2014/104 est une disposition substantielle, au sens de l’article 22, paragraphe 1, de cette directive.

48 En second lieu, dès lors que, en l’occurrence, il est constant que la directive 2014/104 a été transposée dans l’ordre juridique espagnol cinq mois après l’expiration du délai de transposition prévu à son article 21, le décret-loi royal 9/2017 transposant cette directive étant entré en vigueur le 27 mai 2017, il convient, afin de déterminer l’applicabilité temporelle de l’article 10 de ladite directive, de vérifier si la situation en cause au principal était acquise avant l’expiration du délai de transposition de la même directive ou si elle continue à produire ses effets après l’expiration de ce délai.

49 À cette fin, au vu des spécificités des règles de prescription, de leur nature ainsi que de leur mécanisme de fonctionnement, notamment dans le contexte d’une action en dommages et intérêts introduite à la suite d’une décision définitive constatant une infraction au droit de la concurrence de l’Union, il y a lieu de rechercher si, à la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, à savoir le 27 décembre 2016, le délai de prescription applicable à la situation en cause au principal s’était écoulé, ce qui implique de déterminer le moment auquel ce délai de prescription a commencé à courir.

50 Or, concernant le moment à partir duquel ledit délai de prescription a commencé à courir, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, lorsqu’aucune réglementation de l’Union en la matière n’est applicable ratione temporis, il appartient à l’ordre juridique de chaque État membre de régler les modalités d’exercice du droit de demander réparation du préjudice résultant d’une violation des articles 101 et 102 TFUE, y compris celles relatives aux délais de prescription, pour autant que les principes d’équivalence et d’effectivité sont respectés, ce dernier principe exigeant que les règles applicables aux recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l’effet direct du droit de l’Union ne rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications, C‑637/17, EU:C:2019:263, points 42 et 43).

51 En l’occurrence, il ressort du dossier dont la Cour dispose que, avant la transposition de ladite directive dans le droit espagnol, le délai de prescription applicable aux recours en dommages et intérêts pour les infractions au droit de la concurrence était régi par le régime général de la responsabilité civile extracontractuelle et que, en vertu de l’article 1968, paragraphe 2, du code civil, ce délai de prescription d’une durée d’un an ne commençait à courir qu’à partir du moment où le requérant concerné avait pris connaissance des faits générateurs de responsabilité. S’il ne ressort pas expressément de la décision de renvoi quels sont, selon le droit espagnol, les faits générateurs de responsabilité dont la connaissance fait courir le délai de prescription, le dossier dont dispose la Cour semble indiquer que ces faits impliquent la connaissance des informations indispensables pour l’introduction d’un recours en dommages et intérêts. C’est à la juridiction de renvoi qu’il incombe de le déterminer.

52 Il n’en reste pas moins que, lorsqu’une juridiction nationale doit trancher un litige entre particuliers, il incombe à cette juridiction, le cas échéant, d’interpréter les dispositions nationales en cause au principal, dans toute la mesure possible, à la lumière du droit de l’Union et, plus particulièrement, du texte et de la finalité de l’article 101 TFUE, sans toutefois procéder à une interprétation contra legem de ces dispositions nationales (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2021, Whiteland Import Export, C‑308/19, EU:C:2021:47, points 60 à 62).

53 À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’une réglementation nationale fixant la date à laquelle le délai de prescription commence à courir, la durée et les modalités de la suspension ou de l’interruption de celui-ci doit être adaptée aux spécificités du droit de la concurrence et aux objectifs de la mise en œuvre des règles de ce droit par les personnes concernées, afin de ne pas réduire à néant la pleine effectivité des articles 101 et 102 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications, C‑637/17, EU:C:2019:263, point 47).

54 En effet, l’introduction des actions en dommages et intérêts pour infraction au droit de la concurrence de l’Union nécessite, en principe, la réalisation d’une analyse factuelle et économique complexe (arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications, C‑637/17, EU:C:2019:263, point 46).

55 Il convient également de tenir compte du fait que les litiges concernant des infractions au droit de la concurrence de l’Union et au droit national de la concurrence se caractérisent, en principe, par une asymétrie d’information au détriment de la personne lésée, ainsi que rappelé au considérant 47 de la directive 2014/104, ce qui rend plus difficile pour celle-ci d’obtenir les informations indispensables pour intenter une action en dommages et intérêts que pour les autorités de concurrence d’obtenir les informations nécessaires aux fins de l’exercice de leurs pouvoirs d’appliquer le droit de la concurrence.

56 Dans ce contexte, il y a lieu de considérer que, à la différence de la règle applicable à la Commission, figurant à l’article 25, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, selon laquelle le délai de prescription pour l’imposition de sanctions commence à courir à compter du jour où l’infraction a été commise ou, pour les infractions continues ou répétées, du jour où l’infraction a pris fin, les délais de prescription applicables aux recours en dommages et intérêts pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union ne sauraient commencer à courir avant que l’infraction n’ait cessé et que la personne lésée n’ait pris connaissance ou ne puisse raisonnablement être considérée comme ayant pris connaissance des informations indispensables pour l’introduction de son action en dommages et intérêts.

57 Dans le cas contraire, l’exercice du droit de demander réparation serait rendu pratiquement impossible ou excessivement difficile.

58 En ce qui concerne les informations indispensables pour l’introduction d’un recours en dommages et intérêts, il convient de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que toute personne est en droit de demander réparation du préjudice subi lorsqu’il existe un lien de causalité entre ledit préjudice et une infraction au droit de la concurrence de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 5 juin 2014, Kone e.a., C‑557/12, EU:C:2014:1317, point 22 ainsi que jurisprudence citée, et du 28 mars 2019, Cogeco Communications, C‑637/17, EU:C:2019:263, point 40).

59 En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’il est indispensable, pour que la personne lésée puisse introduire une action en dommages et intérêts, qu’elle sache quelle est la personne responsable de l’infraction au droit de la concurrence (arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications, C‑637/17, EU:C:2019:263, point 50).

60 Il s’ensuit que l’existence d’une infraction au droit de la concurrence, l’existence d’un préjudice, le lien de causalité entre ce préjudice et cette infraction ainsi que l’identité de l’auteur de celle-ci font partie des éléments indispensables dont la personne lésée doit disposer afin d’introduire un recours en dommages et intérêts.

61 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que les délais de prescription applicables aux recours en dommages et intérêts pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union ne sauraient commencer à courir avant que l’infraction n’ait pris fin et que la personne lésée n’ait pris connaissance ou ne puisse raisonnablement être considérée comme ayant pris connaissance du fait qu’elle avait subi un préjudice en raison de cette infraction ainsi que de l’identité de l’auteur de celle-ci.

62 En l’occurrence, l’infraction a pris fin le 18 janvier 2011. Or, en ce qui concerne la date à laquelle il peut raisonnablement être considéré que RM a pris connaissance des éléments indispensables lui permettant d’introduire une action en dommages et intérêts, Volvo et DAF Trucks estiment que la date pertinente est celle de la publication du communiqué de presse relatif à la décision C(2016) 4673 final, à savoir le 19 juillet 2016, et que, en conséquence, le délai de prescription prévu à l’article 1968 du code civil a commencé à courir le jour de cette publication.

63 En revanche, RM, le gouvernement espagnol et la Commission soutiennent qu’il faut retenir comme date pertinente le jour de la publication du résumé de la décision C(2016) 4673 final au Journal officiel de l’Union européenne, à savoir le 6 avril 2017.

64 S’il n’est pas exclu que la personne lésée puisse prendre connaissance des éléments indispensables pour l’introduction de l’action en dommages et intérêts bien avant la publication au Journal officiel de l’Union européenne du résumé d’une décision de la Commission, voire avant la publication du communiqué de presse concernant cette décision, même dans une affaire d’entente, il ne ressort pas du dossier dont dispose la Cour que tel est le cas en l’occurrence.

65 Il convient donc de déterminer laquelle de ces deux publications constitue celle qui permet raisonnablement de considérer que RM a pris connaissance des éléments indispensables lui permettant d’introduire une action en dommages et intérêts.

66 À cette fin, il y a lieu de tenir compte de l’objet et de la nature des communiqués de presse concernant les décisions de la Commission et des résumés de ces décisions qui sont publiés au Journal officiel de l’Union européenne.

67 Ainsi que M. l’avocat général l’a, en substance, relevé aux points 125 à 127 de ses conclusions, tout d’abord, les communiqués de presse contiennent, en principe, des informations moins détaillées sur les circonstances de l’affaire concernée et sur les raisons pour lesquelles un comportement restrictif de la concurrence peut être qualifié d’infraction que les résumés des décisions de la Commission publiés au Journal officiel de l’Union européenne lesquels, selon l’article 30 du règlement no 1/2003, mentionnent le nom des parties intéressées et l’essentiel de la décision en cause, y compris les sanctions imposées.

68 Ensuite, les communiqués de presse ne sont pas destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers, notamment les personnes lésées. En revanche, ils constituent des documents courts destinés, en principe, à la presse et aux médias. Il ne saurait donc être considéré qu’il existe un devoir général de diligence de la part des personnes lésées par une infraction au droit de la concurrence leur imposant de suivre la publication de tels communiqués de presse.

69 Enfin, contrairement aux résumés des décisions de la Commission, qui, selon le point 148 de la communication de la Commission concernant les bonnes pratiques relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE, sont publiés au Journal officiel de l’Union européenne dans toutes les langues officielles de l’Union peu après l’adoption de la décision en cause, les communiqués de presse ne sont pas nécessairement publiés dans toutes les langues officielles de l’Union.

70 En l’occurrence, ainsi que M. l’avocat général l’a, en substance, relevé aux points 129 à 131 de ses conclusions, le communiqué de presse ne semble pas identifier avec la précision du résumé de la décision C(2016) 4673 final l’identité des auteurs de l’infraction concernée, sa durée exacte et les produits concernés par cette infraction.

71 Dans ces conditions, il ne peut raisonnablement être considéré que, en l’occurrence, RM a pris connaissance des éléments indispensables lui permettant d’introduire son action en dommages et intérêts à la date de la publication du communiqué de presse relatif à la décision C(2016) 4673 final, à savoir le 19 juillet 2016. En revanche, il peut raisonnablement être considéré que RM a pris une telle connaissance à la date de la publication du résumé de la décision C(2016) 4673 final au Journal officiel de l’Union européenne, à savoir le 6 avril 2017.

72 En conséquence, la pleine effectivité de l’article 101 TFUE exige de considérer que, en l’occurrence, le délai de prescription a commencé à courir le jour de cette publication.

73 Ainsi, dans la mesure où le délai de prescription a commencé à courir après la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, à savoir après le 27 décembre 2016, et a continué à courir même après la date d’entrée en vigueur du décret-loi royal 9/2017 pris pour la transposition de cette directive, à savoir après le 27 mai 2017, ce délai se serait nécessairement écoulé postérieurement à ces deux dates.

74 Il apparaît donc que la situation en cause au principal continuait à produire ses effets après la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, voire après la date d’entrée en vigueur du décret-loi royal 9/2017 transposant celle-ci.

75 Dans la mesure où tel serait le cas dans le litige au principal, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, l’article 10 de ladite directive est applicable ratione temporis en l’occurrence.

76 Il convient de rappeler dans ce contexte que, selon une jurisprudence constante, une directive ne peut pas par elle-même créer d’obligations pour un particulier et ne peut donc être invoquée en tant que telle contre lui. En effet, étendre l’invocabilité d’une disposition d’une directive non transposée, ou incorrectement transposée, au domaine des rapports entre les particuliers reviendrait à reconnaître à l’Union le pouvoir d’édicter avec effet immédiat des obligations à charge des particuliers alors qu’elle ne détient cette compétence que là où lui est attribué le pouvoir d’adopter des règlements (arrêt du 7 août 2018, Smith, C‑122/17, EU:C:2018:631, point 42 et jurisprudence citée).

77 Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que, dans le cadre d’un litige entre particuliers tel que celui en cause au principal, la juridiction nationale est tenue, le cas échéant, d’interpréter le droit national, dès l’expiration du délai de transposition d’une directive non transposée, de façon à rendre la situation en cause immédiatement compatible avec les dispositions de cette directive, sans toutefois procéder à une interprétation contra legem du droit national (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 2018, Klohn, C‑167/17, EU:C:2018:833, points 45 et 65).

78 En tout état de cause, compte tenu du fait que moins de douze mois se sont écoulés entre la date de la publication du résumé de la décision C(2016) 4673 final au Journal officiel de l’Union européenne et l’introduction du recours en dommages et intérêts de RM, ce recours ne semble pas, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, être prescrit au moment de son introduction.

79 Eu égard aux développements qui précèdent, il y a lieu de considérer que l’article 10 de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens qu’il constitue une disposition substantielle, au sens de l’article 22, paragraphe 1, de cette directive, et que relève de son champ d’application temporel un recours en dommages et intérêts pour une infraction au droit de la concurrence qui, bien que portant sur une infraction au droit de la concurrence qui a pris fin avant l’entrée en vigueur de ladite directive, a été introduit après l’entrée en vigueur des dispositions la transposant dans le droit national, dans la mesure où le délai de prescription applicable à ce recours en vertu des anciennes règles ne s’est pas écoulé avant la date d’expiration du délai de transposition de la même directive.

Sur l’applicabilité temporelle de l’article 17, paragraphes 1 et 2, de la directive 2014/104

80 S’agissant, en premier lieu, de l’applicabilité temporelle de l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2014/104 en l’occurrence, il convient de rappeler qu’il ressort du libellé de cette disposition que les États membres veillent à ce que ni la charge ni le niveau de la preuve requis pour la quantification du préjudice ne rendent l’exercice du droit à des dommages et intérêts pratiquement impossible ou excessivement difficile. Ces États veillent également à ce que les juridictions nationales soient habilitées, conformément aux procédures nationales, à estimer le préjudice résultant d’une infraction aux règles du droit de la concurrence, s’il est établi qu’un demandeur a subi un préjudice, mais qu’il est pratiquement impossible ou excessivement difficile de quantifier avec précision le préjudice subi sur la base des éléments de preuve disponibles.

81 Ainsi, ladite disposition vise à garantir l’effectivité des actions en dommages et intérêts pour les infractions au droit de la concurrence, notamment dans des situations particulières dans lesquelles il serait pratiquement impossible ou excessivement difficile de quantifier avec précision le montant exact du préjudice subi.

82 En effet, la même disposition a pour objectif d’assouplir le niveau de preuve exigé aux fins de la détermination du montant du préjudice subi et de remédier à l’asymétrie d’information existant au détriment de la partie requérante concernée ainsi qu’aux difficultés résultant du fait que la quantification du préjudice subi nécessite d’évaluer la manière dont aurait évolué le marché concerné en l’absence d’infraction.

83 Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 73 de ses conclusions, l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2014/104 n’établit pas des nouvelles obligations de fond pesant sur l’une ou l’autre des parties au litige concerné. Cette disposition, et, plus particulièrement, sa seconde phrase, vise, en revanche, conformément aux « procédures nationales » auxquelles elle se réfère, à conférer aux juridictions nationales une faculté particulière dans le cadre des litiges portant sur les recours en dommages et intérêts pour les infractions au droit de la concurrence.

84 Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que les règles relatives à la charge de la preuve et au niveau de preuve requis sont, en principe, qualifiées de règles procédurales (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, Eturas e.a., C‑74/14, EU:C:2016:42, points 30 à 32).

85 Il y a donc lieu de considérer que l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2014/104 constitue une disposition procédurale, au sens de l’article 22, paragraphe 2, de cette directive.

86 À cet égard, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 31 du présent arrêt, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur.

87 Il y a lieu également de rappeler que, en vertu de l’article 22, paragraphe 2, de la directive 2014/104, les États membres devaient veiller à ce qu’aucune disposition nationale adoptée afin de se conformer aux dispositions non substantielles de cette directive ne s’applique aux actions en dommages et intérêts dont une juridiction nationale avait été saisie avant le 26 décembre 2014.

88 En l’occurrence, le recours en dommages et intérêts a été introduit le 1er avril 2018, soit après le 26 décembre 2014 et après la date de la transposition de la directive 2014/104 dans l’ordre juridique espagnol. En conséquence, sans préjudice des considérations figurant aux points 76 et 77 du présent arrêt, l’article 17, paragraphe 1, de cette directive est applicable ratione temporis à un tel recours.

89 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens qu’il constitue une disposition procédurale, au sens de l’article 22, paragraphe 2, de cette directive, et que relève de son champ d’application temporel un recours en dommages et intérêts qui, bien que portant sur une infraction au droit de la concurrence qui a pris fin avant l’entrée en vigueur de ladite directive, a été introduit après le 26 décembre 2014 et après l’entrée en vigueur des dispositions nationales la transposant dans le droit national.

90 S’agissant, en second lieu, de l’applicabilité temporelle de l’article 17, paragraphe 2, de la directive 2014/104, il y a lieu, d’emblée, de rappeler que, selon les termes de cette disposition, il est présumé que les infractions commises dans le cadre d’une entente causent un préjudice. L’auteur de l’infraction a toutefois le droit de renverser cette présomption.

91 Il ressort du libellé de ladite disposition qu’elle établit une présomption réfragable relative à l’existence du préjudice résultant d’une entente. Ainsi qu’il ressort du considérant 47 de la directive 2014/104, le législateur de l’Union a limité cette présomption aux affaires d’entente, compte tenu de leur nature secrète, qui accroît l’asymétrie de l’information et rend plus difficile pour les personnes lésées l’obtention des preuves nécessaires pour démontrer l’existence d’un préjudice.

92 Ainsi que M. l’avocat général l’a, en substance, relevé aux points 78, 79 et 81 de ses conclusions, bien que l’article 17, paragraphe 2, de la directive 2014/104 régisse nécessairement la répartition de la charge de la preuve puisqu’il établit une présomption, cette disposition n’a pas une finalité purement probatoire.

93 À cet égard, ainsi qu’il ressort des points 58 à 60 du présent arrêt, l’existence d’un préjudice, le lien de causalité entre ce préjudice et l’infraction au droit de la concurrence commise ainsi que l’identité de l’auteur de cette infraction font partie des éléments indispensables dont la personne lésée doit disposer afin d’introduire un recours en dommages et intérêts.

94 En outre, dès lors que l’article 17, paragraphe 2, de la directive 2014/104 prévoit qu’il n’est pas nécessaire pour les personnes lésées par une entente interdite par l’article 101 TFUE de démontrer l’existence d’un préjudice résultant d’une telle infraction et/ou un lien de causalité entre ledit préjudice et cette entente, il y a lieu de considérer que cette disposition porte sur les éléments constitutifs de la responsabilité civile extracontractuelle.

95 En présumant l’existence d’un préjudice subi en raison d’une entente, la présomption réfragable établie par ladite disposition est directement liée à l’engagement de la responsabilité civile extracontractuelle de l’auteur de l’infraction concernée et, en conséquence, affecte directement la situation juridique de celui-ci.

96 Il convient donc de considérer que l’article 17, paragraphe 2, de la directive 2014/104 constitue une règle étroitement liée à la naissance, à l’engagement et à l’étendue de la responsabilité civile extracontractuelle des entreprises qui ont enfreint l’article 101 TFUE par leur participation à une entente.

97 Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 81 de ses conclusions, une telle règle peut être qualifiée de règle de fond.

98 Il y a donc lieu de considérer que l’article 17, paragraphe 2, de la directive 2014/104 revêt une nature substantielle, au sens de l’article 22, paragraphe 1, de cette directive.

99 Ainsi qu’il ressort du point 42 du présent arrêt, afin de déterminer l’applicabilité temporelle de l’article 17, paragraphe 2, de la directive 2014/104, il convient de vérifier, en l’occurrence, si la situation en cause au principal a été acquise avant l’expiration du délai de transposition de cette directive ou si elle continue à produire ses effets après l’expiration de ce délai.

100 À cette fin, il convient de tenir compte de la nature et du mécanisme de fonctionnement de l’article 17, paragraphe 2, de la directive 2014/104.

101 Cette disposition établit une présomption réfragable selon laquelle, pour autant qu’il y ait une entente, l’existence d’un préjudice résultant de cette entente est automatiquement présumée.

102 Dès lors que le fait identifié par le législateur de l’Union comme permettant de présumer l’existence d’un préjudice est l’existence d’une entente, il convient de vérifier si la date à laquelle l’entente concernée a pris fin précède la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, cette dernière n’ayant pas été transposée dans le droit espagnol dans ce délai.

103 En l’occurrence, l’entente a duré du 17 janvier 1997 au 18 janvier 2011. Ainsi, cette infraction a pris fin avant la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104.

104 Dans ces conditions, eu égard à l’article 22, paragraphe 1, de la directive 2014/104, il convient de considérer que la présomption réfragable qui est établie à l’article 17, paragraphe 2, de cette directive ne saurait être applicable ratione temporis à un recours en dommages et intérêts qui, bien qu’introduit après l’entrée en vigueur des dispositions nationales transposant tardivement ladite directive dans le droit national, porte sur une infraction au droit de la concurrence qui a pris fin avant la date d’expiration du délai de transposition de celle-ci.

105 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées :

– L’article 10 de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens qu’il constitue une disposition substantielle, au sens de l’article 22, paragraphe 1, de cette directive, et que relève de son champ d’application temporel un recours en dommages et intérêts qui, bien que portant sur une infraction au droit de la concurrence qui a pris fin avant l’entrée en vigueur de ladite directive, a été introduit après l’entrée en vigueur des dispositions la transposant dans le droit national, dans la mesure où le délai de prescription applicable à ce recours en vertu des anciennes règles ne s’est pas écoulé avant la date d’expiration du délai de transposition de la même directive.

– L’article 17, paragraphe 1, de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens qu’il constitue une disposition procédurale, au sens de l’article 22, paragraphe 2, de cette directive, et que relève de son champ d’application temporel un recours en dommages et intérêts qui, bien que portant sur une infraction au droit de la concurrence qui a pris fin avant l’entrée en vigueur de ladite directive, a été introduit après le 26 décembre 2014 et après l’entrée en vigueur des dispositions la transposant dans le droit national.

– L’article 17, paragraphe 2, de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens qu’il constitue une disposition substantielle, au sens de l’article 22, paragraphe 1, de cette directive, et que ne relève pas de son champ d’application temporel un recours en dommages et intérêts qui, bien qu’introduit après l’entrée en vigueur des dispositions transposant tardivement ladite directive dans le droit national, porte sur une infraction au droit de la concurrence qui a pris fin avant la date d’expiration du délai de transposition de celle-ci.

Sur les dépens

106 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

L’article 10 de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il constitue une disposition substantielle, au sens de l’article 22, paragraphe 1, de cette directive, et que relève de son champ d’application temporel un recours en dommages et intérêts qui, bien que portant sur une infraction au droit de la concurrence qui a pris fin avant l’entrée en vigueur de ladite directive, a été introduit après l’entrée en vigueur des dispositions la transposant dans le droit national, dans la mesure où le délai de prescription applicable à ce recours en vertu des anciennes règles ne s’est pas écoulé avant la date d’expiration du délai de transposition de la même directive.

L’article 17, paragraphe 1, de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens qu’il constitue une disposition procédurale, au sens de l’article 22, paragraphe 2, de cette directive, et que relève de son champ d’application temporel un recours en dommages et intérêts qui, bien que portant sur une infraction au droit de la concurrence qui a pris fin avant l’entrée en vigueur de ladite directive, a été introduit après le 26 décembre 2014 et après l’entrée en vigueur des dispositions la transposant dans le droit national.

L’article 17, paragraphe 2, de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens qu’il constitue une disposition substantielle, au sens de l’article 22, paragraphe 1, de cette directive, et que ne relève pas de son champ d’application temporel un recours en dommages et intérêts qui, bien qu’introduit après l’entrée en vigueur des dispositions transposant tardivement ladite directive dans le droit national, porte sur une infraction au droit de la concurrence qui a pris fin avant la date d’expiration du délai de transposition de celle-ci.