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Décisions

CA Orléans, 5 février 2009, n° 08/01216

ORLÉANS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

E.U.R.L PGM (PASCAL GODEAU MENUISERIE)

Défendeur :

SAS EDENA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Jean-Pierre REMERY

Conseillers :

Alain GARNIER, Thierry MONGE

Avoués :

SCP LAVAL-LUEGER, SCP DESPLANQUES - DEVAUCHELLE

Avocats :

SCP GROGNARD-LEPAGE-BAUDRY-SIMONNEAU, SELARL DUVIVIER-BLAYE

Tribunal de Grande Instance de TOURS, 29…

29 novembre 2007

DÉBATS :

A l'audience publique du 07 Janvier 2009, à laquelle, sur rapport de Monsieur RÉMERY, Magistrat de la Mise en Etat, les avocats des parties ont été entendus en leurs plaidoiries.

ARRÊT :

PRONONCE publiquement le 05 Février 2009 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

EXPOSÉ :

La Cour statue sur l'appel interjeté le 21 avril 2008 par l'E.U.R.L. Pascal Godeau Menuiserie (la société PGM) contre le jugement du tribunal de grande instance de Tours du 29 novembre 2007 qui a déclarée recevable l'action en contrefaçon exercée par la S.A.S. EDENA, qui a dit que PGM avait commis le délit de contrefaçon en présentant dans son catalogue de meubles 2005 des photographies de meubles et en présentant dans son magasin d'exposition des meubles reproduisant ceux fabriqués par EDENA sur la base de dessins et modèles que cette dernière est en droit d'exploiter, qui a condamné la société PGM à verser 3.000€ de dommages et intérêts à EDENA, lui a fait interdiction de fabriquer tous meubles dont les dessins ont été conçus par ou pour la société EDENA et lui a enjoint sous astreinte de retirer de son magasin d'exposition les meubles contrefaisants, et qui a mis à sa charge les dépens de l'instance ainsi qu'une indemnité de procédure de 2.500€.

Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions des plaideurs, signifiées et déposées

* le 13 novembre 2008 par la société PGM

* le 3 décembre 2008 par la société EDENA

* le 4 décembre 2008 par Jean-Pierre ALLAUX, intervenant volontaire en cause d'appel.

Dans le présent arrêt il sera seulement rappelé que la société EDENA a confié entre 2000 et 2002 à l'E.U.R.L. PGM la fabrication de mobilier médical et d'hébergement qu'elle commercialise à destination des collectivités hospitalières, sanitaires et sociales ; qu'EDENA a fait assigner PGM par acte du 22 mars 2006 devant le tribunal de grande instance de Tours au vu d'un procès-verbal de saisie contrefaçon dressé le 23 février 2006 afin de voir juger que celle-ci s'était rendue coupable du délit de contrefaçon à son préjudice pour avoir exposé dans ses locaux et reproduit dans son catalogue des meubles correspondant à ceux qu'elle avait fabriqués pour elle, et afin d'obtenir la cessation de ces agissements et l'indemnisation de son préjudice; qu'en se prévalant de l'attestation d'un sieur ALLAUX, ancien salarié d'EDENA se disant l'auteur des meubles litigieux, la société PGM a invoqué au principal l'irrecevabilité de cette action au motif qu'EDENA ne prouverait pas être titulaire des droits patrimoniaux d'exploitation afférents aux meubles prétendument contrefaits, et a conclu subsidiairement sur le fond au rejet de la demande en contestant la contrefaçon et encore plus subsidiairement l'existence d'un préjudice quelconque; et que c'est dans ces conditions qu'est intervenu le jugement entrepris.

L'E.U.R.L. PGM demande à la cour de confirmer la décision en ce qu'elle a rejeté la demande d'indemnisation formée par EDENA à hauteur d'une somme de 11.000€ mais de l'infirmer pour le surplus et, au principal, de déclarer la S.A.S. EDENA irrecevable en son action, dans la mesure où celle-ci n'est pas l'auteur des oeuvres litigieuses -celles-ci ayant pour unique auteur Jean-Pierre ALLAUX- et où elle n'est pas à même d'invoquer la présomption de titularité des droits d'auteur instituée, à l'égard des tiers poursuivis comme contrefacteurs, au profit de la personne morale qui exploite ou commercialise l'oeuvre sous son nom, car cette présomption n'opère pas lorsqu'un tiers revendique la propriété intellectuelle sur la création litigieuse, ce qui est le cas en l'espèce de monsieur ALLAUX, valablement intervenu à l'instance par voie d'intervention accessoire afin de soutenir la position défendue par PGM et qui revendique précisément les droits afférents aux modèles de meuble litigieux par voie d'action en justice.

À titre subsidiaire, sur le fond, l'appelante conclut au rejet des prétentions adverses en soutenant en substance d'une part, que la contrefaçon n'est pas constituée en l'absence d'exploitation commerciale et de communication au public du mobilier litigieux car elle s'est contentée d'en fabriquer un exemplaire unique à titre de copie privée détenue à l'intérieur même de l'usine à seule fin de démontrer son savoir faire, et d'autre part qu'EDENA ne justifie d'aucun préjudice réparable puisque le dommage invoqué n'est qu'éventuel, qu'aucun justificatif de perte ou manque à gagner n'est produit et qu'en fait de droit d'auteur, il n'existe pas de préjudice postulé par l'acte de contrefaçon en soi.

En toute hypothèse, la société PGM sollicite la condamnation d'EDENA à lui verser 11.521,07€ de dommages et intérêts pour procédure abusive en réparation du préjudice financier et de l'atteinte à son image que lui cause le procès, ainsi que 8.000€ d'indemnité de procédure.

La S.A.S. EDENA demande à la cour de déclarer l'intervention volontaire de Jean-Pierre ALLAUX irrecevable en ce qu'elle a pour effet de soumettre à la cour un litige nouveau sur sa qualité prétendue d'auteur des meubles litigieux qui n'a pas subi l'épreuve du premier degré de juridiction et de confirmer la décision déférée en y ajoutant le bénéfice de la capitalisation des intérêts sur l'indemnité allouée ainsi qu'une nouvelle indemnité de procédure pour la couvrir de ses frais irrépétibles en cause d'appel.

L'intimée indique être en droit de se prévaloir de la titularité des droits d'auteur sur les meubles litigieux en vertu de la présomption de titularité reconnue, à l'égard des tiers poursuivis comme contrefacteurs, au profit de la personne morale qui divulgue une oeuvre et l'exploite sous son nom, dès lors que n'a été exercée aucune revendication de ce droit par une personne physique s'en prétendant auteur, et elle soutient à cet égard que monsieur ALLAUX n'a jamais exercé d'action en revendication, son attestation invoquée par l'appelante n'étant nullement assimilable à une quelconque revendication, et son intervention, à la tenir même pour recevable ce qu'elle conteste, ne pouvant contraindre la cour à reconnaître de facto et sans débat contradictoire sa qualité d'auteur sur le mobilier litigieux.

Elle estime la contrefaçon caractérisée au motif, en substance, que l'E.U.R.L. PGM, a sans son autorisation, reproduit en les exposant, et représenté dans ses catalogues publicitaires, des meubles identiques ou similaires à ceux qu'elle commercialise, dans l'un et l'autre cas sous forme de communication avec le public et pas du tout de copie privée puisque les catalogues sont diffusés et que le hall d'exposition est ouvert à la clientèle et visible depuis la voie publique, et elle justifie sa demande d'indemnisation par le détournement de sa clientèle, par la dépréciation de ses modèles due à la moindre qualité de leurs copies, et par le préjudice inhérent à l'atteinte même aux droits dont elle est titulaire.

Jean-Pierre ALLAUX est intervenu à l'instance en cause d'appel par conclusions signifiées et déposées le 13 novembre 2008, et demande à la cour dans le dernier état de ses écritures récapitulatives de juger recevable son intervention volontaire, de lui donner acte de cette intervention volontaire accessoire au soutien de l'argumentation de PGM en ce que cette dernière tend à établir qu'EDENA n'est titulaire d'aucun droit ni titre sur les modèles de meubles litigieux, de lui donner également acte de ce qu'il se réserve, en sa qualité d'auteur et de seul titulaire des droits d'auteur afférents aux modèles de meubles litigieux, la possibilité d'agir ultérieurement à l'encontre de la société EDENA aux fins de voir cesser l'exploitation contrefaisante de ses oeuvres, et enfin de condamner la S.A.S. EDENA à lui verser 1.500€ d'indemnité de procédure.

Indiquant qu'il est effectivement le seul auteur des modèles de meubles litigieux et qu'il revendique en cette qualité les droits d'auteur y afférents, qu'il indique n'avoir jamais entendu céder à EDENA, monsieur ALLAUX, en réponse au moyen développé par l'intimée, justifie la recevabilité de son intervention en faisant valoir par référence aux articles 554 et 325 du Code de procédure civile que l'intervention volontaire en cause d'appel est subordonnée à la seule existence d'un intérêt pour celui qui la forme et d'un lien suffisant avec les prétentions originaires, ce qui est selon lui le cas en l'espèce où il agit pour la conservation de ses droits en appuyant le moyen de défense soulevé dès la première instance par PGM.

L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 19 décembre 2008, ainsi que les avoués des parties en ont été avisés.

A l'issue des débats, le président d'audience a indiqué aux parties que l'arrêt serait prononcé le 05 février 2009, par sa mise à disposition au greffe de la Cour.

MOTIFS DE L'ARRÊT :

* sur la recevabilité de l'intervention volontaire de Jean-Pierre ALLAUX

Attendu que l'intervention volontaire de monsieur ALLAUX est réellement faite à titre accessoire au sens de l'article 330 du Code de procédure civile puisqu'elle vient appuyer la prétention de l'E.U.R.L. PGM à faire juger la S.A.S. EDENA irrecevable à agir en contrefaçon à son encontre ; qu'elle ne contient aucune demande, de condamnation ou autre, faite à titre personnel et non soumise aux premiers juges ; qu'elle se rattache assurément par un lien suffisant au sens de l'article 325 du Code de procédure civile aux prétentions des parties, puisque la question de la titularité des droits de propriété incorporelle sur les meubles est litigieuse et que monsieur ALLAUX vient personnellement confirmer la prétention soutenue par l'appelante selon laquelle l'intimée ne serait pas titulaire des droits d'auteur sur ces meubles ; qu'enfin, son auteur justifie bien d'un intérêt personnel à intervenir ainsi, au titre de la conservation des droits d'auteur qu'il déclare expressément revendiquer sur les meubles en question, la thèse articulée par la société EDENA s'avérant en contradiction avec cette position ainsi exprimée ; que cette intervention est donc recevable ;

* sur la recevabilité de la S.A.S. EDENA à exercer l'action en contrefaçon

Attendu que la société EDENA indique expressément (cf page 6 de ses conclusions) qu'elle ne se prévaut pas de la qualité d'auteur des meubles litigieux mais de la titularité des droits d'auteur sur ces meubles à laquelle elle considère pouvoir prétendre par l'effet de la présomption de titularité du droit d'auteur reconnue en jurisprudence au profit de la personne morale qui divulgue une oeuvre et l'exploite sous son nom, dès lors qu'aucune revendication de ce droit par les personnes physiques prétendument créatrices n'a été exercée ;

Or attendu que s'il est exact que l'exploitation d'une oeuvre par une personne morale sous son nom fait présumer à l'égard des tiers recherchés pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l'oeuvre, qu'elle soit collective ou non, du droit de propriété incorporelle de l'auteur, c'est à la condition de l'absence de revendication du ou des auteurs ;

Et attendu que Jean-Pierre ALLAUX indique explicitement dans ses conclusions d'intervention 'qu'il est effectivement seul auteur des modèles de meubles litigieux, et revendique en cette qualité les droits d'auteur y afférents, qu'il n'a pour le surplus jamais entendu céder à la société EDENA' ;

Qu'ainsi, il existe bien sur les oeuvres considérées une revendication formulée par une personne physique s'en disant l'auteur ;

Qu'à considérer même qu'il s'agisse là d'un critère requis pour la prendre en considération, comme le soutient l'intimée, cette revendication est exprimée en justice ;

Que pour le reste, la règle est que la présomption est rendue inopérante par l'existence d'une revendication et, non par hypothèse, par la reconnaissance judiciaire du bien fondé de la revendication ;

Qu'il sera encore relevé que la revendication exprimée par monsieur ALLAUX n'est pas manifestement dépourvue de tout sérieux, EDENA la discutant d'ailleurs longuement ; que sans préjuger de son bien ou mal fondé, sur lequel la cour n'a pas à se prononcer, il peut en effet être constaté qu'elle apparaît en cohérence d'une part, avec les mentions 'dessiné par J.P.ALLAUX' et 'vérifié par J.P. ALLAUX' figurant sur les vingt-huit dessins de meubles versés aux débats par l'intimée elle-même (cf ses pièces 4 à 31), et d'autre part avec le témoignage établi par l'ancien dirigeant de la société EDENA, en fonction à l'époque des créations litigieuses, et qui a remis à l'appelante (sa pièce n°2) une attestation aux termes de laquelle il affirme : 'monsieur J.P. ALLAUX était seul responsable de la création des produits de la S.A.S. EDENA en tant que responsable technique chargé du développement et de la conception. J'étais PDG de cette société de sa création en 2000 jusqu'en mars 2003 et que seul monsieur J.P. ALLAUX peut revendiquer la propriété des droits d'auteur sur les produits fabriqués par PGM....';

Attendu dans ces conditions que la présomption invoquée par la société EDENA est inapplicable en l'espèce, et que cette dernière s'en trouve donc irrecevable en son action en contrefaçon ;

Qu'en l'état de ces nouveaux développements en cause d'appel, le jugement sera infirmé;

* sur les demandes formulées par l'E.U.R.L. PGM

Attendu que l'E.U.R.L. PGM justifie au moyen de ses pièces 4 à 11 avoir dû affecter trois de ses salariés après la saisie contrefaçon pratiquée dans ses locaux à diverses tâches d'enlèvement des meubles et de recherche de documents, ainsi qu'avoir fait procéder à une modification de son catalogue par l'imprimeur;

Qu'au regard de sa note de service et des bulletins de salaire versés ainsi que de la facture de l'imprimeur, elle est fondée à solliciter l'indemnisation de ces dépenses pour 1.521,07€ auprès de la société EDENA, qui a pratiqué cette saisie contrefaçon et exercé l'action à ses risques et périls et répond des conséquences dommageables de la procédure qu'elle est jugée irrecevable à exercer ;

Attendu en revanche que l'appelante sera déboutée du surplus de sa réclamation indemnitaire, formulée au titre d'un préjudice commercial pour une atteinte à sa réputation dont elle ne démontre pas la réalité ;

Attendu encore qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de donner acte formulée par monsieur ALLAUX, un donner acte étant dépourvu de toute portée juridique ;

Attendu enfin qu'il n'y a pas lieu d'allouer d'indemnité de procédure à l'intervenant volontaire ;

PAR CES MOTIFS

la Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort :

INFIRME le jugement entrepris, et statuant à nouveau:

DÉCLARE recevable l'intervention volontaire à titre accessoire de Jean-Pierre ALLAUX

DÉCLARE la S.A.S. EDENA irrecevable en son action en contrefaçon contre l'E.U.R.L. Pascal Godeau Menuiserie, dite PGM

CONDAMNE la S.A.S. EDENA à payer à l'E.U.R.L. Pascal Godeau Menuiserie la somme de 1.521,07€ (MILLE CINQ CENT VINGT ET UN EUROS ET SEPT CENTIMES) à titre de dommages et intérêts

DÉBOUTE l'E.U.R.L. PGM de du surplus de ses prétentions

DIT n'y avoir lieu à faire droit à la demande de donner acte formulée par monsieur ALLAUX

CONDAMNE la S.A.S. EDENA aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à l'E.U.R.L. PGM une indemnité de procédure de 3.000€ (TROIS MILLE EUROS) en application de l'article 700 du Code de procédure civile

DIT n'y avoir lieu à indemnité de procédure au profit de Jean-Pierre ALLAUX

ACCORDE à la SCP LAVAL & LUEGER titulaire d'un office d'avoué, le droit à recouvrement direct reconnu par l'article 699 du Code de Procédure Civile.

Arrêt signé par Monsieur Jean Pierre REMERY, Président de Chambre et Madame Nadia FERNANDEZ, greffier , auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.