Livv
Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 3 mai 2006, n° 05/09529

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

MEC (S.A.R.L.)

Défendeur :

BELINE (S.A.R.L.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Alain CARRE-PIERRAT

Conseillers :

Marie-Gabrielle MAGUEUR, Dominique ROSENTHAL-ROLLAND

Avoués :

SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, SCP DUBOSCQ - PELLERIN

Avocats :

Me Corinne CHAMPAGNER KATZ, Me Jean Christophe GUERRINI

Tribunal de Commerce de PARIS, 17 Mars 2…

17 mars 2005

Vu l'appel interjeté le 22 avril 2005, par la société MEC d'un jugement rendu le 17 mars 2005 par le tribunal de commerce de Paris qui a :

* dit l'action engagée par la société MEC, exploitant sous le nom commercial LOCT, recevable et la saisie valide,

* dit n'y avoir lieu à contrefaçon de la part de la société BELINE,

* dit que les modèles de la société MEC constituent des contrefaçons du modèle SMBOUST de la société BELINE,

* condamné la société MEC à payer à la société BELINE la somme de un euro de dommages et intérêts au titre de cette contrefaçon,

* dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts pour procédure abusive,

* fait interdiction à la société MEC de continuer à produire et vendre les modèles reprenant les caractéristiques du modèle de la société BELINE sous astreinte de 500 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement,

* ordonné la saisie et la destruction en présence d'un huissier désigné par le tribunal, du stock de modèles contrefaisants aux frais de la société MEC, sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard, à compter de la signification du jugement,

* dit que la liquidation de l'astreinte sera du ressort du juge de l'exécution,

* dit n'y avoir lieu à publication du jugement,

* débouté les parties de leurs autres demandes,

* condamné la société MEC à payer à la société BELINE la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles ;

Vu les dernières écritures en date du 3 août 2005, par lesquelles la société MEC, poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, demande à la Cour de :

* dire qu'elle est titulaire des droits de création du modèle référencé ZOE dans sa collection,

* dire ce modèle original et digne de protection sur le fondement des Livres I et III du Code de la propriété intellectuelle,

* dire que la société BELINE s'est rendue coupable de contrefaçon à son préjudice,

* condamner la société BELINE au paiement de la somme de 200.000 euros à titre de dommages et intérêts,

* dire que la société BELINE s'est rendue coupable de concurrence déloyale,

* condamner la société BELINE au paiement de la somme de 150.000 euros à titre de dommages et intérêts,

* ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans quatre journaux ou publications professionnels de son choix, aux frais de la société BELINE, sans que le coût global de ces publications n'excède la somme de 30.000 euros HT,

* condamner la société BELINE au paiement d'une somme de 15.000 euros au titre des frais irrépétibles ;

Vu les uniques écritures en date du 20 janvier 2006, aux termes desquelles la société BELINE, formant appel incident, prie la Cour de:

* débouter la société MEC de ses demandes,

* prononcer la nullité du modèle n°03.2303 en application des dispositions des articles L.512-4 et L.512-6 du Code de la propriété intellectuelle,

* ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux ou revues de son choix, aux frais avancés de la société MEC, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard passé un délai de 8 jours à compter de la réception des 'bons à tirer',

* condamner la société MEC au paiement de la somme de 15.000 euros au titre des frais irrépétibles ;

SUR CE, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il suffit de rappeler que :

* la société MEC et la société BELINE ont pour activité la création, la fabrication et la commercialisation de vêtements de prêt à porter,

* arguant des droits de création sur un modèle de chemisier, référencé ZOE, qu'elle commercialiserait depuis le mois de novembre 2002, et a déposé à l'Institut National de la Propriété Industrielle le 22 avril 2003, enregistré sous len°032303, la société MEC, dûment autorisée par ordonnance présidentielle du 7 juillet 2003, a fait pratiquer le 8 juillet 2003, une saisie contrefaçon dans les locaux de la société BELINE laquelle, selon elle, offrirait à la vente un chemisier reproduisant les caractéristiques du modèle ZOE,

* c'est dans ces circonstances, que la société MEC a assigné la société BELINE en contrefaçon ;

Sur la contrefaçon :

Considérant que la société BELINE ne critique pas devant la Cour les dispositions du jugement déféré qui ont validé le procès-verbal de saisie contrefaçon ;

Considérant que les parties ne contestent ni l'originalité ni la ressemblance des chemisiers en présence, qu'elles caractérisent par la combinaison :

- d'un col en pointe,

- d'une fermeture sur le devant au moyen de pressions fixées sur une patte de boutonnage,

- au niveau de la poitrine et de chaque côté de la bande de boutonnage, de trois bandes de dentelles cousues, séparées par trois petits rubans satinés, ces bandes n'étant plus cousues, mais libres, dépassant du vêtement, à hauteur du tiers inférieur ;

Considérant en revanche, qu'elles revendiquent, l'une et l'autre, l'antériorité des droits de création sur ce modèle ;

Considérant que la société MEC, exerçant sous l'enseigne LOCT, se prévaut de la date du dépôt de son modèle référencé ZOE, le 22 avril 2003, et de parutions dans la presse attestant de la commercialisation, sous son nom, du chemisier revendiqué ;

Qu'elle verse aux débats un magazine espagnol 'LECTURA' paru le 28 février 2003; que toutefois, ce document ne permet pas d'affirmer que le chemisier porté par la personne photographiée, sujet du reportage de ce magazine, ait été fabriqué et commercialisé par la société MEC ;

Que les parutions presse divulguant le chemisier vendu sous la dénomination LOCT, ESPRITFEMME, PLEINE VIE, ELLE, GALA sont toutes postérieures au mois de septembre 2003 ;

Qu'elle produit également des factures adressées à des clients, lesquels confirment par attestations leurs achats du chemisier ZOE, lequel aurait été à leur connaissance créé par la société MEC, exerçant sous l'enseigne LOCT ;

Que ces factures sont datées des mois de décembre 2002, juin, septembre et novembre 2003, janvier 2005 ;

Considérant que la société BELINE soutient avoir commercialisé le modèle litigieux dès le mois de mars 2001, sous la référence SMBOUST ;

Qu'elle produit plusieurs factures de vente de chemisiers référencés BOUST et SMBOUST datées du mois de mars 2001 ;

Que la société MEC prétend que ces factures ne permettraient pas d'identifier le modèle, la mention SM correspondant seulement à un modèle sans manche du chemisier BOUST, distinct du modèle ZOE, de sorte, selon elle, que ces documents ne peuvent démontrer l'antériorité de la commercialisation par la société BELINE du modèle litigieux ;

Mais considérant que la société BELINE démontre que la référence SMBOUST correspond effectivement au chemisier revendiqué en produisant aux débats l'original du bon à tirer, signé le 3 octobre 2000, d'un document publicitaire qu'elle a fait réaliser par la société NOUVEL AXE au cours de l'année 2000, présentant deux modèles distincts de chemisiers, déclinés en différentes couleurs :

* les premiers, en partie haute du document, référencés SMBOUST, comportant une fermeture sur le devant au moyen de pressions fixées sur une patte de boutonnage, au niveau de la poitrine et de chaque côté de la bande de boutonnage, des bandes de dentelles cousues, séparées par des petits rubans satinés, ces bandes n'étant plus cousues, mais libres, dépassant du vêtement, à hauteur du tiers inférieur,

* les seconds, en partie inférieure de ce document, sous la référence BOUST, ne comportant aucun bouton pression, aucune dentelle et bande satinée, mais des boutons de couleur contrastant avec celle du tissu du chemisier ;

Que la date de création de ce document publicitaire est corroborée par la production des ektas utilisés pour sa réalisation, lesquels portent la date du mois de septembre 2000, apposée par le développeur des photographies ;

Qu'en outre, Alexandre LEWKOWICZ, photographe, atteste avoir pris ces photographies au mois de septembre 2000 ;

Que Alexandra TALAYA atteste également avoir posé en septembre 2000, en qualité de mannequin, pour réaliser les photos qui ont servies à la réalisation du document publicitaire de la société BELINE et avoir porté les chemisiers imprimés avec de la dentelle et des bandes satinées sur le devant du chemisier ;

Que le bon à tirer ayant été validé, ce document publicitaire a été livré à la société NOUVEL AXE le 11 octobre 2000 ;

Considérant que la société MEC ne peut d'autant moins prétendre à l'antériorité des droits de création de la société BELINE sur le modèle SMBOUST , faute d'être identifiable alors que sont produits aux débats :

- une facture établie à l'ordre de la société NATAC le 31 mars 2001, ainsi que l'attestation de la vendeuse de ce cette société, Natacha NACCACHE, laquelle confirme avoir acheté la chemise référencée SMBOUST à la société BELINE, reconnaissable par ses applications de rubans de dentelle et de satin,

- une facture établie le 26 mars 2001, à l'ordre de la société YOUNG, portant sur la vente de chemisiers BOUST et SMBOUST et une attestation de sa gérante qui affirme que les modèles, objets de cette facture, sont ceux représentés au document publicitaire précité, le chemisier BOUST étant une chemise plissée avec des boutons nacrés, le chemisier SMBOUST comportant des bandes de satin et de dentelle de chaque côté du devant,

- une facture établie à l'ordre de la société PINORI le 23 mars 2001 et l'attestation de sa gérante, Cécilia ORIOLI-BISSO, qui certifie avoir commandé à la société BELINE deux modèles de chemisiers distincts référencés BOUST et SMBOUST, le premier étant une chemise plissée avec des boutons de nacre, le second étant un chemisier plissé avec de la dentelle de chaque côté du devant et des bandes de satin, ainsi qu'ils sont représentés sur le document publicitaire précité, annexé à l'attestation,

- une sommation interpellative d'huissier du 1er décembre 2005, révélant que, contrairement à ce que Claudie PREZ, directrice de collection auprès de la société REMITEX, a attesté à la demande de la société MEC le 13 juillet 2000, cette société n'a jamais acheté de chemiser SMBOUST, mais le seul modèle BOUST, ce qui est au demeurant établi par la facture du 30 août 2004 ;

Considérant que la société MEC ne saurait contester la pertinence de ces documents en communiquant une première attestation de Fernando PIREIRO datée du 29 septembre 2004, et une seconde attestation du 21 février 2005, selon lesquelles les modèles BOUST et SMBOUST n'avaient vraiment rien de commun avec le modèle ZOE, dès lors que de toute évidence, il résulte de leurs calligraphies dissemblables, que ces deux attestations ont été écrites par deux personnes différentes ;

Considérant que par voie de conséquence, que de l'ensemble de ces pièces, la société BELINE démontre l'antériorité de ses droits de création sur le modèle litigieux ;

Que de sorte, la décision entreprise, qui a débouté la société MEC de son action en contrefaçon et admis la société BELINE en sa demande reconventionnelle en contrefaçon de modèles, doit être confirmée ;

Sur les mesures réparatrices :

Considérant selon les dispositions de l'article L.512-4 d) du Code de la propriété intellectuelle que l'enregistrement d'un dessin ou modèle est déclaré nul par décision de justice, s'il porte atteinte au droit d'auteur d'un tiers ;

Que de sorte, il sera fait droit à la demande de nullité de l'enregistrement du modèlen°032303 formée par la société BELINE ;

Considérant que la société BELINE ne critique pas la décision du tribunal en ce qu'elle lui a alloué la somme de un euro à titre de dommages et intérêts et dit qu'il lui appartiendra d'apporter le cas échéant, dans un délai de trois mois, les preuves d'un préjudice complémentaire pour obtenir éventuellement un complément d'indemnisation ;

Que de sorte, cette disposition sera confirmée, de même que les mesures d'interdiction et de destruction ordonnées par les premiers juges, nécessaires pour mettre un terme aux agissement illicites ;

Considérant qu'il sera fait droit à la demande de publication formée par la société BELINE selon les modalités précisées au dispositif du présent arrêt ;

Sur la concurrence déloyale :

Considérant que la société MEC reproche à la société BELINE des actes de concurrence déloyale pour avoir démarché ses clients et fait procéder dans ses locaux à une saisie contrefaçon le 1er avril 2005, postérieurement à la décision entreprise ;

Mais considérant que la société BELINE, arguant de la persistance d'actes de contrefaçon, a pu, sans comportement déloyal, pratiquer cette saisie contrefaçon alors qu'elle a été dûment autorisée par ordonnance présidentielle du 30 mars 2005; que cette nouvelle instance est pendante devant le tribunal de commerce saisi par assignation du 29 avril 2005 ;

Qu'il n'est par ailleurs, démontré aucun acte de démarchage illicite imputable à la société BELINE ;

Que par voie de conséquence, la société MEC sera déboutée de ses demandes formées au titre de la concurrence déloyale ;

Sur les autres demandes :

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à la société BELINE ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme de 15.000 euros; que la société MEC qui succombe en ses prétentions doit être déboutée de sa demande formée sur ce même fondement ;

PAR CES MOTIFS

Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, sauf sur la mesure de publication et la nullité de l'enregistrement du modèlen°032303,

Statuant à nouveau sur ces points :

Prononce la nullité de l'enregistrement du modèlen°03.2303,

Dit que la présente décision sera transmise, par les soins du greffier sur réquisition de la partie la plus diligente, à l'Institut National de la Propriété Industrielle pour être inscrite au Registre national des dessins et modèles,

Ordonne la publication du présent arrêt dans trois journaux ou revues, au choix de la société BELINE, aux frais de la société MEC, sans que le coût de chaque insertion n'excède à sa charge la somme de 3.500 euros HT,

Y ajoutant,

Condamne la société MEC à payer à la société BELINE la somme complémentaire de 15.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la société MEC aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.