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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 15 juin 2022, n° 20/18046

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Becton Dickinson France (Sasu)

Défendeur :

Grenoble Logistique Distribution (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Lignières

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Danis, Me Fromantin, Me Du Gardin, Me Chauleur, Me Bucki

T. com. Lyon, du 19 nov. 2020, n° 2019J3…

19 novembre 2020

FAITS ET PROCEDURE
 
La société S.A.S.U Becton Dickinson France (ci-après « la société BD ») a pour activité la commercialisation et la distribution de produits médicaux et d'équipements pour les hôpitaux, laboratoires d'analyses et pharmacies d'officine.
 
La société S.A.S Grenoble logistique distribution (ci-après «'la société GLD'») a pour activité le transport, l'entreposage, le stockage et la distribution de produits dans le secteur de Grenoble. Pour ce faire, elle dispose de plusieurs entrepôts de stockage.
 
Depuis 1998, les sociétés BD et GLD ont conclu trois contrats portant sur la réalisation de différentes prestations logistiques d'entreposage et de transport :
 
- un premier contrat a été conclu le 28 avril 1998, avec effet rétroactif le 1er janvier 1998, pour une durée déterminée d'un an avec tacite reconduction, renouvelé jusqu'au 31 décembre 2001. L'objet du contrat était de confier à la société GLD des prestations de réception de livraisons de la part des fournisseurs de la société BD ainsi que leur stockage et la préparation des commandes pour les clients finaux.
 
- un deuxième contrat a été conclu le 8 avril 2003, avec prise d'effet au 14 avril 2003, pour une période initiale de 3 ans, avec tacite reconduction, et résilié à l'initiative de la société GLD au 30 septembre 2009. Ce contrat reprenait les prestations ayant fait l'objet du premier contrat et y ajoutait la prestation de « transport par navette » consistant à assurer le transport des matières premières et des produits entre les entrepôts de la société GLD et le site de la société BD.
 
- un troisième contrat a été conclu le 16 mars 2010, avec prise d'effet au 1er janvier 2010, pour une durée initiale de 3 ans, avec tacite reconduction par période successive d'un an.
Ce contrat a pris fin le 31 décembre 2018. Ce dernier contrat portait sur les mêmes prestations que le précédent en y ajoutant la prestation de destruction de produits de la société BD sur autorisation de cette dernière.
 
Le litige s'est noué entre les parties dans le cadre de ce dernier contrat.
 
 
Le 6 décembre 2016, après entretien, la société BD a informé la société GLD de sa volonté de recourir à une procédure d'appel d'offres sur les prestations réalisées par la société GLD dès janvier 2017. La société GLD a répondu à cet appel d'offres par une proposition commerciale du 17 février 2017. L'appel d'offres a finalement été abandonné par la société BD en mai 2017 et les relations contractuelles entre les sociétés BD et GLD ont continué selon les modalités du contrat qui les liait.
 
Un nouvel appel d'offres sur les prestations de transport distribution a été organisé le 21 avril 2017. Au moins une partie de cette prestation a été confiée à la société GLD pour une durée contractuelle de 2 ans, à compter du 1er janvier 2018. Malgré l'absence de contrat signé, la prestation de transport distribution a bien été délivrée par la société GLD.
 
Un deuxième appel d'offres portant sur la gestion du centre de distribution des produits finis et semi-finis et leur transport par navette entre l'usine et le centre de distribution a été organisé par la société BD en novembre 2017.
 
La société GLD a transmis une offre le 20 décembre 2017, qui a été écartée.
 
Un dernier appel d'offres a été organisé par la société BD le 7 juin 2018, à nouveau sur les prestations de transport-distribution. La société GLD a décidé de ne pas soumissionner à ce nouvel appel d'offres.
 
C'est dans ce contexte que la société BD a fait savoir, par courrier du 20 février 2018, à la société GLD qu'elle comptait rompre ses relations contractuelles avec elle le 31 décembre 2018.
 
La société GLD a estimé que le préavis était trop court. S'en est suivie une série de négociations. Si les parties n'ont pas pu se mettre d'accord sur la durée nécessaire de préavis, elles ont convenu après le 12 octobre 2018 d'une période transitoire s'étalant du 1er janvier 2019 au 30 juin 2019.
Le 28 février 2019, la société Grenoble Logistique Distribution a assigné la société Becton Dickinson France devant le tribunal de commerce de Lyon afin d'obtenir le paiement de diverses sommes au titre de perte de marge sur le fondement d'une rupture brutale de la relation portant sur les prestations logistiques de stockage et de transport navettes et d'une rupture abusive de la relation portant sur la prestation transport distribution.
 
Par jugement du 19 novembre 2020, le tribunal de commerce de Lyon a':
 
DIT que la société BECTON DICKINSON FRANCE est responsable d'une rupture brutale des relations commerciales établies avec la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION depuis 2003 pour les prestations logistiques de stockage et de transport navettes,
 
DIT que la société BECTON DICKINSON FRANCE était engagée avec la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION sur la réalisation de prestations « transport distribution » jusqu'au 31 décembre 2019 et qu'elle a rompu de manière abusive cet engagement,
 
DIT que l'ancienneté et les caractéristiques propres de la relation commerciale entre la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION et la société BECTON DICKINSON FRANCE justifient qu'un préavis de 19 mois soit accordé à la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION préalablement à la rupture de la relation,
 
DIT que le point de départ du préavis doit être fixé à la date de notification de la rupture des relations commerciales au 20 février 2018,
 
DIT que le délai de préavis de 10 mois accordé à la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION par la société BECTON DICKINSON FRANCE est manifestement insuffisant,
 
CONDAMNE la société BECTON DICKINSON FRANCE à payer à la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION la somme de 1.514.511 euros en réparation de la perte de marge sur coûts variables subie par la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION au titre des prestations logistiques de stockage suite à la rupture brutale de la relation commerciale par la société BECTON DICKINSON FRANCE,
 
CONDAMNE la société BECTON DICKINSON FRANCE à payer à la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION la somme de 1.251 euros en réparation de la perte de marge sur coûts variables subie par la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION au titre des prestations transport navette suite à la rupture brutale de la relation commerciale par la société BECTON DICKINSON FRANCE,
 
DÉBOUTE la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION de sa demande de compensation des charges liées à l'entrepôt de [Localité 7],
 
CONDAMNE la société BECTON DICKINSON FRANCE à payer à la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION la somme de 2 217 euros en réparation de la perte de marge sur coûts variables subie par la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION pour l'année 2019 au titre de la prestation transport distribution,
 
REJETTE l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la société BECTON DICKINSON FRANCE,
 
CONDAMNE la société BECTON DICKINSON FRANCE à payer à la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
 
CONDAMNE la société BECTON DICKINSON FRANCE à payer les entiers dépens de l'instance,
 
ORDONNE l'exécution provisoire, nonobstant appel et sans caution.
 
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 17 mars 2022, la société Becton Dickinson France, demande à la Cour de :
 
Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, dans sa version applicable avant l'entrée en vigueur de l'Ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019,
Vu la réforme intervenue en matière de rupture brutale des relations commerciales établies intervenue en avril 2019 et la pratique jurisprudentielle récente en la matière,
Vu l'article 1186 du Code civil,
Vu l'article 700 du Code de procédure civile,
 
 
 
 
À titre principal :
 
CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 dans l'affaire qui oppose les sociétés Becton Dickinson France et Grenoble Logistique Distribution en ce qu'il a considéré que la relation commerciale portant sur les Prestations Logistiques a été établie au moment de la prise d'effet du deuxième contrat conclu entre les parties, soit le 14 avril 2003 ;
 
INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Becton Dickinson France du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie avec la société Grenoble Logistique Distribution portant sur les Prestations Logistiques ainsi que sur le fondement de la rupture abusive du contrat à durée déterminée conclu le 1er janvier 2018 et portant sur les Prestations de Transport Distribution ;
 
INFIRMER en conséquence le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il :
 
« DIT que la société BECTON DICKINSON FRANCE est responsable d'une rupture brutale des relations commerciales établies avec la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION depuis 2003 pour les prestations logistiques de stockage et de transport navettes.
 
DIT que la société BECTON DICKINSON FRANCE était engagée avec la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION sur la réalisation de prestations « transport distribution » jusqu'au 31 décembre 2019 et qu'elle a rompu de manière abusive cet engagement.
 
DIT que l'ancienneté et les caractéristiques propres de la relation commerciale entre la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION et la société BECTON DICKINSON FRANCE justifient qu'un préavis de 19 mois soit accordé à la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION préalablement à la rupture de la relation.
 
DIT que le point de départ du préavis doit être fixé à la date de notification de la rupture des relations commerciales au 20 février 2018.
 
DIT que le délai de préavis de 10 mois accordé à la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION par la société BECTON DICKINSON FRANCE est manifestement insuffisant.
 
CONDAMNE la société BECTON DICKINSON FRANCE à payer à la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION la somme de 1 514 511 euros en réparation de la perte de marge sur coûts variables subie par la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION au titre des prestations logistiques de stockage suite à la rupture brutale de la relation commerciale par la société BECTON DICKINSON FRANCE.
 
CONDAMNE la société BECTON DICKINSON FRANCE à payer à la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION la somme de 1 251 euros en réparation de la perte de marge sur coûts variables subie par la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION au titre des prestations transport navette suite à la rupture brutale de la relation commerciale par la société BECTON DICKINSON FRANCE.
 
CONDAMNE la société BECTON DICKINSON FRANCE à payer à la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION la somme de 2.217 euros en réparation de la perte de marge sur coûts variables subie par la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION pour l'année 2019 au titre de la prestation transport distribution ».
 
Statuant à nouveau,
 
FIXER le point de départ de la période de préavis à la date à laquelle la société Becton Dickinson a notifié à la société Grenoble Logistique Distribution le second appel d'offres portant sur la réalisation des Prestations Logistiques pour la période commençant le 1er janvier 2019, soit le 22 novembre 2017 ;
 
DECLARER que la période de transition exécutée par les parties entre le 1er janvier et le 30 juin 2019 doit être prise en compte dans l'appréciation de la Cour ;
 
DECLARER qu'au regard de la durée de la relation commerciale portant sur les Prestations Logistiques et de ses caractéristiques propres, le préavis dont la société Grenoble Logistique Distribution a bénéficié était suffisant ;
 
DECLARER que quand bien même le point de départ du préavis serait fixé à la date de notification du résultat du second appel d'offres portant sur la réalisation des Prestations Logistiques (20 février 2018) et/ou la Période de Transition ne serait pas prise en compte, la société Grenoble Logistique Distribution a bénéficié d'un préavis suffisant au regard de la durée et des caractéristiques de la relation commerciale établie entre les parties concernant les Prestations Logistiques ;
 
DECLARER que dès lors que le délai de préavis effectivement octroyé par la société Becton Dickinson France à la société Grenoble Logistique Distribution était suffisant, la rupture de la relation commerciale portant sur les Prestations Logistiques ne peut pas être qualifiée de « brutale » au sens de l'ancien article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et écarter toute responsabilité de la société Becton Dickinson France à ce titre ;
 
DEBOUTER en conséquence la société Grenoble Logistique Distribution de ses demandes indemnitaires au titre de la rupture prétendue brutale de la relation commerciale portant sur les Prestations Logistiques ;
 
DECLARER que le contrat d'une durée déterminée de deux ans conclu entre les parties le 1er janvier 2018 et portant sur la réalisation des Prestations de Transport Distribution est devenu sans objet, et donc caduc, à la suite du déplacement du centre logistique de la société Becton Dickinson France ;
 
DEBOUTER la société Grenoble Logistique Distribution de ses demandes indemnitaires au titre d'une prétendue rupture abusive du contrat portant sur les Prestations Transport Distribution ;
 
À titre subsidiaire,
 
Si par extraordinaire la Cour d'appel de Paris estimait que la responsabilité de la société Becton Dickinson devait être engagée du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies portant sur les Prestations Logistiques et/ou du fait de la rupture abusive du contrat portant sur les Prestations Transport Distribution,
 
CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il a considéré que la relation commerciale portant sur les Prestations Logistiques a été établie au moment de la prise d'effet du deuxième contrat conclu entre les parties, soit le 14 avril 2003 ;
 
CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il a considéré que le préjudice de la société Grenoble Logistique Distribution devait être calculé sur la base des marges sur coûts variables au lieu des marges brutes ;
 
 
CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il a considéré que le rapport d'expertise présenté par M. [H] [R], expert de partie mandaté par la société Becton Dickinson, était plus proche de la réalité économique et qu'il fallait donc fonder le calcul du préjudice de la société Grenoble Logistique Distribution sur la méthodologie proposée par M. [R] ;
 
FAIRE DROIT à la demande formulée par la société Grenoble Logistique Distribution tendant à ce que la Cour d'appel de Paris confirme le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il a débouté la société Grenoble Logistique Distribution de sa demande de réparation de chargés liées à l'entrepôt de Villard-Bonnot ;
 
CONFIRMER en conséquence le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il :
« DEBOUTE la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION de sa demande de compensation des charges liées à l'entrepôt de [Localité 7] ».
 
INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 dès lors qu'il a accordé à la société Grenoble Logistique Distribution une indemnisation excessive au regard du préjudice réellement subi ;
 
INFIRMER en conséquence le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il :
 
« DIT que l'ancienneté et les caractéristiques propres de la relation commerciale entre la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION et la société BECTON DICKINSON FRANCE justifient qu'un préavis de 19 mois soit accordé à la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION préalablement à la rupture de la relation.
DIT que le point de départ du préavis doit être fixé à la date de notification de la rupture des relations commerciales au 20 février 2018.
DIT que le délai de préavis de 10 mois accordé à la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION par la société BECTON DICKINSON FRANCE est manifestement insuffisant.
CONDAMNE la société BECTON DICKINSON FRANCE à payer à la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION la somme de 1.514.511 euros en réparation de la perte de marge sur coûts variables subie par la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION au titre des prestations logistiques de stockage suite à la rupture brutale de la relation commerciale par la société BECTON DICKINSON FRANCE.
CONDAMNE la société BECTON DICKINSON FRANCE à payer à la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION la somme de 1.251 euros en réparation de la perte de marge sur coûts variables subie par la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION au titre des prestations transport navette suite à la rupture brutale de la relation commerciale par la société BECTON DICKINSON FRANCE.
CONDAMNE la société BECTON DICKINSON FRANCE à payer à la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION la somme de 2.217 euros en réparation de la perte de marge sur coûts variables subie par la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION pour l'année 2019 au titre de la prestation transport distribution ».
 
Statuant à nouveau,
 
FIXER le point de départ de la période de préavis à la date à laquelle la société Becton Dickinson a notifié à la société Grenoble Logistique Distribution le second appel d'offres portant sur la réalisation des Prestations Logistiques pour la période commençant le 1er janvier 2019, soit le 22 novembre 2017 ;
 
DECLARER que la période de transition exécutée par les parties entre le 1er janvier et le 30 juin 2019 doit être prise en compte dans l'appréciation de la Cour ;
 
 
 
DECLARER que le délai de préavis de 19 mois fixé par le Tribunal de commerce de Lyon est manifestement excessif au regard de la durée de la relation commerciale établie entre les sociétés Becton Dickinson France et Grenoble Logistique Distribution portant sur les Prestations Logistiques et de ses caractéristiques propres ainsi que de la pratique jurisprudentielle récente ;
 
LIMITER le délai de préavis à une durée raisonnable au regard de la durée de la relation commerciale portant sur les Prestations Logistiques, ses caractéristiques propres et la pratique jurisprudentielle récente ;
 
FONDER le calcul des marges sur coûts variables moyennes applicables tant aux Prestations Logistiques qu'aux Prestations de Transport Distribution uniquement sur le dernier exercice comptable précédant la rupture des relations commerciales entre les parties au lieu des trois derniers exercices ;
 
DEDUIRE des marges mensuelles sur coûts variables utilisées pour calculer le préjudice de la société Grenoble Logistique Distribution en relation avec la rupture brutale de la relation portant sur les Prestations Logistiques de stockage l'économie de charges de 29 000 euros correspondant aux salariés du personnel précédemment dédié à la réalisation de ces prestations ;
 
FONDER le calcul du préjudice de la société Grenoble Logistique Distribution au titre des Prestations Logistiques et des Prestations Transport Distribution sur les marges mensuelles sur coûts variables établies dans le rapport de M. [R], expert de partie mandaté par la société Becton Dickinson, qui sont les suivantes ;
 
En conséquence,
 
DECLARER que la société Grenoble Logistique Distribution n'a subi aucun préjudice au titre de la rupture brutale de la relation commerciale portant sur les Prestations Logistiques de transport navette et de la rupture anticipée du contrat portant sur les Prestations de Transport Distribution, ces deux activités ayant été déficitaires ;
 
LIMITER le montant des dommages-intérêts accordés à la société Grenoble Logistique Distribution par le Tribunal de commerce de Lyon au titre de la rupture brutale de la relation commerciale portant sur les Prestations Logistiques de stockage ;
 
En tout état de cause :
 
INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il :
« REJETTE l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la société BECTON DICKINSON FRANCE.
CONDAMNE la société BECTON DICKINSON FRANCE à payer à la société GRENOBLE LOGISTIQUE DISTRIBUTION la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE la société BECTON DICKINSON FRANCE à payer les entiers dépens de l'instance.
ORDONNE l'exécution provisoire, nonobstant appel et sans caution. »
 
Statuant à nouveau,
 
DECLARER IRRECEVABLE la demande très subsidiaire de la société Grenoble Logistique Distribution tendant à la contestation de l'existence et de la validité du préavis dont elle a bénéficié en lien avec la rupture de la relation commerciale portant sur les Prestations Logistiques dès lors qu'il s'agit d'une demande nouvelle en cause d'appel ;
 
DEBOUTER la société Grenoble Logistique Distribution de l'ensemble de ses demandes formulées à titre d'appel incident ;
 
DEBOUTER, plus généralement, la société Grenoble Logistique Distribution de l'ensemble de ses demandes et prétentions, à l'exception de sa demande tendant à ce que la Cour d'appel de Paris confirme le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il a débouté la société Grenoble Logistique Distribution de sa demande de réparation de chargés liées à l'entrepôt de Villard-Bonnot ;
 
CONDAMNER la société Grenoble Logistique Distribution à payer à la société Becton Dickinson France la somme de 50.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en première instance et en appel ;
 
CONDAMNER la société Grenoble Logistique Distribution aux entiers dépens de l'instance.
 
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 28 février 2022, la société Grenoble Logistique Distribution demande à la Cour de :
 
Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce,
Vu les articles 1103, 1104 et 1231-1 du code civil du code civil
Vu l'article 565 du code de procédure civile
Vu l'article 700 du code de procédure civile
 
A titre principal':
 
CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il a retenu la responsabilité de BD au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies avec GLD pour les prestations logistiques de stockage et de transport navette ;
 
CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il a retenu la responsabilité de BD au titre de la rupture abusive des engagements au titre des prestations de transport distribution ;
 
CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il a dit que le point de départ du préavis doit être fixé à la date de notification de la rupture des relations commerciales au 20 février 2018 ;
 
CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il a dit que le délai de 10 mois accordé par BD était manifestement insuffisant ;
 
CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il a dit que la période de transition entre le 1er janvier 2019 et le 30 juin 2019 ne devait pas être prise en compte dans l'évaluation du préavis ;
 
CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il a retenu la moyenne des trois dernières années du chiffre d'affaires réalisé entre BD et GLD pour déterminer l'évaluation du préjudice ;
 
 
CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il a considéré que le préjudice de GLD devait être calculé sur la marge sur coûts variables ;
 
CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il a débouté GLD de sa demande de compensation des charges liées à l'entrepôt de Villard-Bonnot ;
 
CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il a condamné BD à payer les entiers dépens de l'instance et les frais irrépétibles ;
 
CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il a débouté BD de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
 
A titre incident':
 
INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il a dit que la relation commerciale portant sur les prestations logistiques de stockage et de transport navette datait depuis 2003 ;
 
INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il a dit l'ancienneté et les caractéristiques propres de la relation commerciale entre GLD et BD justifient qu'un préavis de 19 mois soit accordé à GLD préalablement à la rupture de la relation ;
 
INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il a dit que le rapport d'expertise de Monsieur [R] diligenté par BD était plus proche de la réalité économique et qu'il fallait fonder le calcul du préjudice subi par GLD en partie sur la base de ce rapport ;
 
INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il a condamné BD à payer à GLD la somme de 1 514 511 euros en réparation de la perte de marge sur coûts variables subie par GLD au titre des prestations logistiques de stockage suite à la rupture brutale de la relation commerciale par BD ;
 
INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il a condamné BD à payer à GLD la somme de 1.251 euros en réparation de la perte de marge sur coûts variables subie par GLD au titre des prestations transport navette suite à la rupture brutale de la relation commerciale par BD ;
 
INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il a condamné BD à payer à GLD la somme de 2.217 euros en réparation de la perte de marge sur coûts variables subie par GLD pour l'année 2019 au titre de la prestation transport distribution ;
 
INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2020 en ce qu'il a limité la condamnation de BD à payer à GLD la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
 
Et en statuant à nouveau':
 
DIRE ET JUGER que les relations commerciales entre les parties sont établies depuis 1998 ;
 
DIRE ET JUGER que l'ancienneté, le comportement abusif de BD et les caractéristiques propres de la relation commerciale justifient qu'un préavis de 34 mois soit accordé à la société GLD préalablement à la rupture de la relation ;
 
DIRE ET JUGER que le rapport d'expertise de Monsieur [N] diligenté par GLD est pertinent pour fonder le calcul du préjudice subi par GLD,
 
En conséquence :
 
CONDAMNER BD à payer à GLD la somme de 4.101.032 euros en réparation de la perte de la marge sur coûts variables subie par la société GLD au titre des prestations logistiques de stockage suite à la rupture brutale de la relation commerciale par la société BD ;
 
CONDAMNER BD à payer à GLD la somme de 15 000 euros en réparation de la perte de la marge sur coûts variables subie par la société GLD au titre des prestations logistiques de « transport navette » suite à la rupture brutale de la relation commerciale par la société BD ;
 
CONDAMNER à payer à société GLD la somme de 12 000 euros en réparation de la perte de la marge sur coûts variables subie par la société GLD pour l'année 2019 au titre de la prestation « transport distribution » ;
 
A titre subsidiaire :
 
Si par extraordinaire, la Cour d'appel de Paris estime que le plan de transition du 1er janvier au 30 juin 2019 s'inscrit comme faisant partie d'une prestation régulière et établie ;
 
DECLARER recevable la demande de GLD tendant à contester le préavis accordé par BD dès lors qu'elle tend aux mêmes fins indemnitaires, sur le fondement de l'article L.442-6 du code commerce, que celles soumises devant le Tribunal de commerce de Lyon ;
 
DIRE ET JUGER que le maintien des relations au-delà du terme initialement fixé laisse subsister la relation commerciale de sorte que seule une seconde notification doit faire courir un nouveau délai de préavis ;
 
DIRE ET JUGER que l'annonce par BD de l'arrêt des relations commerciales au 31 décembre 2018 puis la poursuite de la relation avec GLD au-delà de ce terme a rendu le préavis initialement notifié par BD sans effet ;
 
DIRE ET JUGER que BD a rompu les relations commerciales établies depuis 1998 sans préavis ;
 
DIRE ET JUGER que l'ancienneté et les caractéristiques propres de la relation commerciale entre GLD et BD justifient qu'un préavis de 34 mois soit accordé à la GLD préalablement à la rupture de la relation ;
 
En conséquence :
CONDAMNER BD à payer à GLD la somme de 5.809.512 euros en réparation de la perte de la marge sur coûts variables subie par GLD au titre des prestations logistiques de stockage suite à la rupture brutale de la relation commerciale par BD ;
 
CONDAMNER BD à payer à GLD la somme de 21.964 euros en réparation de la perte de la marge sur coûts variables subie par GLD au titre des prestations logistiques de « transport navette» suite à la rupture brutale de la relation commerciale par BD ;
 
A titre très subsidiaire,
CONFIRMER le montant des dommages et intérêts retenus par le Tribunal de commerce de Lyon dans son jugement du 19 novembre 2020 au titre des prestations de stockage, de transport navette et de transport distribution suite à la rupture des relations commerciales par BD ;
 
En tout état de cause ,
DEBOUTER BD de toutes les demandes, fins et prétentions formulées à l'encontre de GLD ;
CONDAMNER BD à payer à GLD la somme de 100 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
CONDAMNER la société BD à payer les entiers dépens de l'instance.
 
La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
 
 SUR CE, LA COUR
 
Les parties ne contestent pas avoir noué entre elles des relations commerciales établies portant sur plusieurs types de prestations logistiques :
- des prestations de stockage des produits BD notamment dans les hall 7 et 8 de l'entrepôt de stockage de GLD situé à [Adresse 3],
- des prestations de transport des produits BD entre l'usine de fabrication de BD située à Pont-de-[Localité 5] d'une part, et l'entrepôt de stockage de GLD situé à [Localité 4], ci- après prestation dite de ' transport par navette',
- des prestations de transport pour la distribution de produits BD depuis l'entrepôt de stockage de GLD vers les clients de BD, ci-après prestation dite de ' transport distribution',
 
Sur la rupture des relations commerciales concernant les prestations de stockage et de transport par navette :
 
La société GLD prétend que la société BD a engagé sa responsabilité dans la rupture des relations commerciales concernant les prestations de stockage et de transport par navette sur le fondement des dispositions de l'article L.446-2, I°, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, qui dispose 'qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.'
 
- Sur le caractère établi de la relation
 
Les parties ne s'opposent pas sur le caractère établi de leur relation commerciale mais sur le point de départ de celle-ci.
 
La société GLD considère que le point de départ doit être fixé au 1er janvier 1998, date de conclusion du premier contrat, et date à partir de laquelle la relation présente un caractère suffisamment prolongé et régulier sur une période de 20 ans et qu'elle n'a été interrompue principalement qu'à des fins de renégociation des conditions financières.
 
Toutefois comme le souligne la société BD, si la relation commerciale a pu débuter par un premier contrat en 1998, celle-ci a été interrompue entre le 31 décembre 2001 et le 8 avril 2003, après la signature d'un second contrat de prestations logistiques comprenant en plus le transport par navette, relation prolongée dans les mêmes conditions par un troisième contrat signé entre les parties le 16 mars 2010. Aussi, la relation commerciale telle qu'elle se présentait lors de la rupture en décembre 2018, avait bien débuté en avril 2003. La société GLD s'est d'ailleurs elle-même présentée dans ses propositions commerciales des 17 février 2017 et 20 décembre 2017 (pièces BD n°52 et 12) comme étant partenaire depuis 2003 de la société BD pour des prestations de logistiques et de transport.
 
Dès lors, il y a lieu de retenir que les sociétés BD et GLD ont noué une relation commerciale établie portant sur des prestations logistiques de stockage et de transport navette à compter du mois d'avril 2003. Le jugement sera confirmé sur ce point.
 
- Sur la brutalité de la rupture
 
Il ressort de l'article L 442-6, I, 5° du code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou d'un préavis suffisant. Le délai de préavis suffisant, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.
 
Les parties s'opposent sur le point de départ du délai de préavis et de sa durée. En particulier, la société GLD soutient que le plan de transition mis en place pour la période de janvier à juin 2019 ne peut être qualifié de « préavis supplémentaire », d'une part parce que la relation entre les parties ne s'est pas poursuivie dans des conditions identiques notamment au regard du moindre chiffre d'affaires et d'autre part, la société GLD a été constamment tenue dans l'incertitude sur la durée de cette période de transition et des délais qui n'ont pas été respectés par la société BD, ne lui permettant pas de se réorganiser. La société BD prétend au contraire que cette période de transition a permis à la société GLD de générer un chiffre d'affaires similaire à celui observé sur l'année 2018 et que se sont les mêmes conditions que celles appliquées antérieurement qui ont continué à régir les relations entre les parties. Elle ajoute que le délai de préavis dont a bénéficié la société BD depuis la notification du second appel d'offres en novembre 2017, soit 13 mois prolongé de la période de transition, était plus que suffisant, sachant que le délai raisonnable était selon elle d'un peu plus de 8 mois seulement.
 
La relation commerciale entre les parties a été établie depuis 2003 sur la base de plusieurs contrats écrits et que ce n'est que courant 2017 que la société BD a décidé de recourir à une procédure d'appel d'offres pour les prestations logistiques de stockages et transport navette confiées depuis 2003 à la société GLD (pièces BD n°9, 10, 11) pour un projet de démarrage en janvier 2019. Il n'est pas contesté que la société GLD a répondu à ces appels d'offres par ses propositions commerciales les 17 février et 20 décembre 2017.
 
 
Toutefois, il ressort des pièces versées aux débats que la société GLD, partenaire historique de la société BD, n'a été clairement informée de la fin de leur relation commerciale que par courrier du 20 février 2018 de la société BD lui indiquant qu'elle n'avait pas été retenue dans le cadre de l'appel d'offre de stockage du 22 novembre 2017 et que le contrat du 1er janvier 2010 prenait fin au 31 décembre 2018 (pièce BD n°13).
 
Dès lors, il y a lieu de retenir ce courrier de notification du 20 février 2018 comme point de départ de préavis. Le jugement sera confirmé sur ce point.
 
Il n'est pas contesté que du 20 février 2018 au 31 décembre 2018, la relation commerciale entre les parties s'est poursuivie dans les mêmes conditions, soit pendant 10 mois de préavis effectif.
 
S'agissant de la période de transition de janvier à juin 2019, il ressort des pièces versées aux débats que celle-ci a été proposée courant juillet /août 2018 dans le cadre de négociation entre les parties et finalisée par un courrier du 12 octobre 2018 (pièce BD n°20), que l'évacuation des produits BD des hall de l'entrepôt GLD a été effectif courant juin 2019 et que cette poursuite des relations a été faite, non dans le cadre d'un nouveau contrat comme a tenté de le faire la société GLD, mais suivant la même structure et nature des prestations et sans modification tarifaire si ce n'est une actualisation au regard des indices par rapport à 2018 ( cf échanges de courriers entre les parties les 29 janvier, 7 mars et 14 mars 2019, pièces BD n° 24 à 26). Même si le volume d'affaires a été en constante décroissance sur cette période, il y a lieu de considérer que le préavis a été prolongé jusqu'en juin 2019.
 
Pour déterminer la durée raisonnable de préavis, la Cour observe notamment à partir du rapport de l'expert comptable [N] ( pièce GLD n°21) que :
- la relation commerciale nouée entre les parties était ancienne de près de 15 années
- le volume de chiffre d'affaires réalisé par GLD avec BD représentait en moyenne sur les trois dernières années 17,42 % du chiffre d'affaires global, soit une part relativement significative notamment au regard de l'activité logistique ( représentant 70% de l'activité de GLD par rapport à l'activité transport),
- la spécificité de la gestion informatique par la société BD du stockage de ses produits dans l'entrepôt de la société GLD ne permettant pas à cette dernière de « re-commercialiser » les hall 7 et 8 avant le départ effectif de BD ( pièces GLD, PV Huissier n°37 et 38, n°30 et suivantes),
- la difficulté de retrouver un partenaire commercial équivalent à la société BD notamment au regard de la possibilité d'un flux d'affaires significatif dans une proximité géographique pour la prestation de stockage a plus forte marge sur coûts variables par rapport à l'activité transport,
- il n'est pas démontré d'investissement spécifique non encore amorti engagé par la société GLD pour ses prestations avec la société BD,
 
Au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer que le préavis de 10 mois, du 28 février 2018 au 31 décembre 2018, prolongé par la période dite de « transition » de 6 mois jusqu'en juin 2019, soit une période de 16 mois, était nécessaire mais suffisant pour permettre à la société GLD de se réorganiser.
 
 
Il est cependant constant, que pendant la période de préavis prolongée du 1er janvier au 30 juin 2019, la relation commerciale ne s'est pas poursuivie aux mêmes conditions de flux d'affaires, en sorte que la société GLD doit être indemnisée de sa perte de marge sur coûts variables sur cette période.
 
A partir des données du rapport [N] (notamment page 21), les moyennes annuelles de chiffre d'affaires calculée sur les trois exercices précédant la rupture pour les prestations logistique et de transport navette sont de :
 
 
En K€
 
2016
 
2017
 
2018
 
moyenne annuelle CA
 
 
CA Logistique « pure »
 
2528
 
2233
 
2070
 
2 277
(189 750 € par mois)
 
 
CA « transport navette »
 
133
 
130
 
135
 
133
(11 083 € par mois)
 
Ensuite, à partir de la pièce 23 de la société BD, la Cour retient le chiffre d'affaires moyen mensuel réalisé sur la période de janvier à juin 2019 de :
 
2019
 
janvier
 
février
 
mars
 
avril
 
mai
 
juin
 
CA moyen mensuel sur la période
 
 
CA Logistique
 
155 975
 
150 024
 
142 102
 
126 980
 
124 712
 
108 472
 
134 710 €
soit une perte de CA mensuel de 55 040 €
 
 
CA transport
 
20 241
 
[Adresse 1]
 
17 833
 
19 210
 
18026
 
17 091
 
18 235 €
soit aucune perte de CA mensuel
 
A partir des rapports respectifs des parties (notamment rapport [R] pages 9 à 11, et [N] pages 36 à 45), la Cour retient au titre des prestations logistiques un taux de marge moyen (sur les 3 exercices 2016 à 2018 précédant la rupture) sur coûts variables de 87 % en tenant compte des charges variables suivantes :
- les achats de fourniture (films, petites fournitures d'ateliers....)
- les dépenses d'électricité
- les dépenses liées aux chariots élévateurs
- la main d'oeuvre intérimaire
En revanche, le coût des 11 salariés de la société GLD dédiés à l'activité BD et dont il n'est pas démontré que leur contrat a été rompu à la suite de la baisse d'activité, sont demeurés des charges fixes et non variables comme le soutient la société BD,
 
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les pertes de marge sur coûts variables subies par la société GLD sur la période de janvier à juin 2019 sont de :
- pour la prestation logistique : une perte de marge sur coûts variables de 287 308 euros
( 55 040 x 6 x 87%)
- pour la prestation transport navette : aucune perte
 
Dès lors, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il n'a pas pris en compte la période de transition dans le calcul de la durée de préavis et sur l'évaluation des préjudices.
 
 
En conséquence, la société BD sera condamnée à payer à la société GLD la somme de 287 308 euros en réparation de la perte de marge sur coûts variables subie par la société GLD au titre des prestations logistiques de stockage au cours de la période de préavis.
 
La société GLD sera déboutée du surplus de ses demandes.
 
 
Sur la rupture de la relation commerciale concernant la prestation ' transport distribution'
 
Au-delà des activités de prestations de stockage et de transport des produits par navette entre les entrepôts de GLD et ceux de BD, la société GLD était également en charge du transport des produits BD vers les clients de la société BD (article 4.3 du contrat du 16 mars 2010). Les premières prestations de 'transport distribution' ont été réalisées en 2011.
 
Le 27 avril 2017, la société BD a initié un appel d'offres portant sur la réalisation de cette prestation de 'transport distribution' pour le compte de BD pour une durée de deux ans à compter du 1er janvier 2018. Il n'est pas contesté que la société BD a informé la société GLD qu'elle avait remporté cet appel d'offres, lui a confirmé les termes de leurs engagements par courriels des 28 novembre 2017 et 19 décembre 2017, notamment sur la durée de deux années à compter du 1er janvier 2018.
 
La société GLD a réalisé cette prestation dès janvier 2018. Cependant, non seulement la société BD a résilié le contrat du 16 mars à effet du 31 décembre 2018, mais également a cessé de faire appel aux services de la société GLD pour cette prestation à compter de cette date et la société GLD a été privée des revenus de cette activité sur l'année 2019. En conséquence, même si des engagements de volumes n'ont pas été définis, la société BD a manqué à son obligation de confier des prestations à la société GLD jusqu'au terme de son engagement et rompu abusivement celui-ci sans qu'elle puisse invoquer la caducité de ce contrat du fait des changements d'organisation qu'elle a elle-même initié.
 
Sur l'évaluation du préjudice :
 
Il ressort que le chiffre d'affaires corrigé retenu par l'expert [N] pour l'année 2018 sur l'activité 'transport distribution' est de 207 175 euros (rapport pages 29,30 et 50).
 
Au titre des prestations de transport, la Cour retient l'identification des charges variables telle que réalisée par le rapport [N] (pages 47 à 49) comme suffisamment pertinente, sans rajouter les charges variables complémentaires analysées par le rapport [R] (pages 12 et suivantes), soit un taux de marge sur coûts variables moyen de 5,8%.
 
Le préjudice de la société GLD sur la prestation « transport distribution » est dès lors évalué à la somme de 12000 euros.
 
En conséquence, la société BD sera condamnée à payer à la société GLD la somme de 12 000 euros en réparation de la perte de marge sur la prestation « transport distribution ». Le jugement sera infirmé sur ce point.
 
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
 
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société BD aux dépens de première instance et à payer à la société GLD la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
 
La société BD, succombant partiellement, sera condamnée aux dépens d'appel.
 
En application de l'article 700 en appel, la société BD sera déboutée de sa demande et condamnée à payer à la société GLD la somme de 30 000 euros.
 
 
PAR CES MOTIFS
 
Infirme le jugement seulement en ce qu'il a :
- dit que le délai de préavis de 10 mois accordé à la société Grenoble Logistique Distribution par la société Becton Dickinson France est manifestement insuffisant et que le délai de préavis nécessaire est de 19 mois,
- condamné la société Becton Dickinson France à payer à la société Grenoble Logistique Distribution la somme de 1 514 511 euros en réparation de la perte de marge sur coûts variables subie par la société Grenoble Logistique Distribution au titre des prestations logistiques de stockage suite à la rupture brutale de la relation commerciale par la société Becton Dickinson France,
- condamné la société Becton Dickinson France à payer à la société Grenoble Logistique Distribution la somme de 1 251 euros en réparation de la perte de marge sur coûts variables subie par la société Grenoble Logistique Distribution au titre des prestations transport navette suite à la rupture brutale de la relation commerciale par la société Becton Dickinson France,
- condamné la société Becton Dickinson France à payer à la société Grenoble Logistique Distribution la somme de 2 217 euros en réparation de la perte de marge sur coûts variables subie par la société Grenoble Logistique Distribution pour l'année 2019 au titre de la prestation transport distribution,
 
Statuant de nouveau des chefs infirmés et Y ajoutant,
 
Dit que le préavis accordé par la société Becton Dickinson France à la société Grenoble Logistique Distribution à compter du 20 février 2018, prolongé de la période de transition de janvier à juin 2019, est suffisant sauf à indemniser la société Grenoble Logistique Distribution de la perte de marge sur coûts variables du fait de la diminution de l'activité sur cette période de transition ;
 
Condamne la société Becton Dickinson France à payer à la société Grenoble Logistique Distribution la somme de 287 308 euros en réparation de la perte de marge sur coûts variables subie par la société Grenoble Logistique Distribution au titre de la prestation logistique de stockage ;
 
Déboute la société Grenoble Logistique Distribution de sa demande au titre de la prestation transport navette ;
 
 
Condamne la société Becton Dickinson France à payer à la société Grenoble Logistique Distribution la somme de 12 000 euros en réparation de la perte de marge sur coûts variables subie par la société Grenoble Logistique Distribution au titre de la prestation transport distribution ;
 
Condamne la société Becton Dickinson France aux dépens d'appel ;
 
Condamne la société Becton Dickinson France à payer à la société Grenoble Logistique Distribution la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
 
Rejette toute autre demande.