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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch. civ., 25 novembre 2021, n° 18/04126

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Conseillers :

M. Desalbres, Mme Lèques

Avocats :

Me Hoepffner, Me Puybaraud, Selarl Cosset-Grossias

TGI Angoulème, du 5 juill. 2018, n° 14/0…

5 juillet 2018

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Le 28 avril 2011, Mme F... G... a acquis auprès de Mme I... H..., pour le prix de 6 000 euros, un véhicule de marque Renault modèle Megane Scenic immatriculé AW 868 YB.

Le 3 juin 2011, une panne a obligé Mme G... à changer la courroie d'accessoires, la poulie d'alternateur et un support de boîte de vitesses pour un coût total de 218,25 euros.

Le 14 septembre 2011, la nouvelle propriétaire de l'engin a dû remplacer les plaquettes de frein pour un coût de 97,26 euros et le roulement de la roue arrière gauche, soit un coût de 131,94 euros.

Le 25 septembre 2011, Mme G... indique avoir constaté un claquement et des vibrations anormales au niveau du moteur. Elle a alors saisi son assureur protection juridique qui a confié l'expertise du véhicule à M. A....

Au vu des conclusions du rapport de celui-ci du 9 novembre 2011 démontrant un kilométrage du véhicule bien supérieur à celui affiché lors de la vente et l'impossibilité d'utiliser le véhicule, Mme G... a obtenu du juge des référés, par ordonnance du 1er octobre 2012, l'organisation d'une mesure d'expertise judiciaire. Celle-ci a été étendue, suivant une nouvelle décision de ce magistrat du 4 janvier 2013, à la société à responsabilité limitée Auto Styl Service qui avait antérieurement cédé l'automobile à Mme C..., venderesse du véhicule à Mme H....

M. E..., désigné pour y procéder, a déposé son rapport le 12 septembre 2013.

Par actes des 31 mars et 5 avril 2014, Mme G... a assigné Mme H... et la S.A.R.L. Auto Styl Service devant le tribunal de grande instance d'Angoulème afin d'obtenir le prononcé de la résolution de la vente du véhicule intervenue le 28 avril 2011.

Le jugement rendu le 5 juillet 2018 par le tribunal de grande instance d'Angoulême a :

- prononcé la résolution de la vente du véhicule de marque Renault type Scenic immatriculé

AW 868 YB intervenue le 28 avril 2011 entre Mme H... et Mme G... ;

- condamné in solidum Mme H... et la société Auto Styl Service à payer à Mme G... en remboursement du prix de vente du véhicule la somme de 6 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation ;

- dit que Mme G... devra tenir ledit véhicule à la disposition de Mme H...

et/ou de la S.A.R.L. Auto Styl Service, qui devront le faire enlever à leurs frais, après restitution du prix de vente et des intérêts ;

- condamné in solidum Mme H... et la société Auto Styl Service à verser à Mme G... les sommes de :

- 5 368,68 euros en réparation des préjudices subis, avec intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation ;

- 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum Mme H... et la société Auto Styl Service aux dépens qui comprendront le coût de l'expertise.

Mme H... épouse J... a relevé appel de cette décision le 13 juillet 2018 uniquement à l'encontre de Mme G....

Dans ses dernières conclusions en date du 11 avril 2019, l'appelante réclame l'entière réformation du jugement attaqué. Elle demande à la cour de :

- débouter Mme G... de l'ensemble de ses prétentions ;

- lui allouer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme G... aux entiers dépens.

Elle fait notamment valoir que :

- sur le jugement entrepris : le kilométrage du véhicule ne peut avoir été déterminant dans le choix de Mme G... d'acquérir le véhicule alors même que le kilométrage ne lui a pas été garanti ; l'absence de prise en compte de cet élément constitue une erreur d'appréciation dans le manquement qui lui est reproché relativement à son obligation de délivrance ;

- sur la résolution de la vente fondée sur le kilométrage : l'article 1603 du code civil dispose que le vendeur est tenu de deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend ; la garantie due par le vendeur peut faire l'objet d'une limitation notamment dans la vente d'un véhicule d'occasion dont le kilométrage peut être non garanti par le vendeur ; l'acquéreur du véhicule qui a procédé à son achat en toute connaissance de cause ne peut pas demander la résolution de la vente pour défaut de conformité de la chose vendue (CA Lyon 20 mai 2010, n° 09/01485) ;

- sur la demande d'annulation de la vente pour prétendue erreur sur les qualités substantielles de la chose : aucune dissimulation de sa part n'a été réalisée permettant de fonder une prétendue erreur sur les qualités substantielles de la chose.

Suivant ses dernières écritures du 11 octobre 2021, Mme G... demande à la cour de :

- dire mal fondé l'appel interjeté par Mme H... ;

- confirmer en conséquence en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

A titre subsidiaire, si par impossible il était considéré que Mme H... n'a pas manqué à son obligation de délivrance :

- prononcer, en application de l'article 1110 du code civil, la nullité de la vente pour erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue ;

En tout état de cause :

- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :

- prononcé la résolution de la vente du véhicule intervenue le 28 avril 2011 entre elle-même et Mme H... ;

- condamné in solidum Mme H... et la S.A.R.L. Auto Styl Service à lui payer en remboursement du prix de vente du véhicule la somme de 6 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation ;

- dit qu'elle devra tenir le dit véhicule à la disposition de Mme H... et/ou de la société Auto Styl Service, qui devront le faire enlever à leurs frais, après restitution du prix de vente et des intérêts ;

- condamné in solidum Mme H... et la société Auto Styl Service à lui verser les sommes de :

- 5 368,68 euros en réparation des préjudices subis, avec intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation ;

- 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum Mme H... et la société Auto Styl Service aux dépens qui comprendront le coût de l'expertise.

Y ajoutant :

- condamner Mme H... à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme H... aux dépens d'appel ;

- dire que ceux-ci pourront être recouvrés directement par la société Michel Puybaraud, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Elle fait notamment valoir que :

- sur la résolution de la vente pour délivrance non conforme : aux termes de l'article 1603 du code civil, le vendeur est tenu de délivrer la chose conforme aux spécifications convenues entre les parties ; l'indication d'un kilométrage erroné caractérise un manquement du vendeur à l'obligation de délivrer une chose conforme aux spécifications convenues par les parties (1ère Civ., 16 juin 1993 ; 1ère Civ., 8 octobre 2009, n° 08-20882), peu important que l'inexactitude du kilométrage ait été ignorée par le vendeur (1ère Civ., 8 février 2000, n° 08-20882) ; la mention « non garanti » portée sur le formulaire CERFA de cession n'est pas de nature à exonérer le vendeur de sa responsabilité dans la mesure où cette clause ne relève pas de la libre volonté des parties ; la notion de conformité ou non conformité est inhérente à l'obligation de délivrance (3ème Civ., 10 octobre 2012, n° 10-28.309, n° 10-28.310) ;

- subsidiairement, sur l'annulation de la vente pour erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue : l'erreur est une cause de nullité de la convention quand elle porte sur la substance même de la chose ; l'importance de la différence entre le kilométrage déclaré et le kilométrage effectif, constitue une erreur déterminante de l'engagement de l'acheteur justifiant que soit prononcée la nullité de la vente, dans la mesure où le kilométrage est naturellement pris en compte par l'acheteur d'un véhicule d'occasion, celui-ci lui permettant d'apprécier si le véhicule a été beaucoup utilisé, le temps pendant lequel il pourra l'être, les dépenses qu'il y aura lieu d'effectuer pour le maintenir en état de fonctionnement (CA Nancy 14 septembre 2009 n° 06/01626 07/01451 , CA Angers, 3 juin 2014, n° 12/02335) ; la bonne ou mauvaise foi du vendeur est indifférente dans l'action engagée sur le fondement de l'article 1110 du code civil et l'annulation de la vente exige que les choses soient remises en l'état initial ainsi que l'indemnisation des préjudices de tous ordres subis par l'acquéreur dès lors que ceux-ci sont établis et en lien direct et certain avec la vente (CA Bourges, 11 août 2011, n° 10/01632) ; la clause de non-garantie du kilométrage porté sur le certificat de cession en application de l'article 2ter du décret n°78-993 du 4 octobre 1978, ne fait obstacle ni à une action en résolution de la vente pour manquement à l'obligation de délivrance, ni à une action en nullité fondée sur l'erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue (Com 29 nov, 2016, n° 15-17.497).

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 octobre 2021.

MOTIVATION

Aux termes des articles 1603 et 1604 du code civil, tout vendeur d'une chose est tenu d'une obligation de délivrance conforme.

Mme H... ne conteste pas que le caractère erroné du kilométrage du véhicule de marque Renault mentionné sur le certificat de vente.

Dans son rapport du 12 septembre 2013, l'expert judiciaire a en effet conclu que l'automobile avait parcouru 138 230 km en 2008 alors que le chiffre de 85075 figure sur le certificat de cession du 28 avril 2011. Il ajoute que l'état général d'usure des organes moteur explique les nombreuses pannes dont a été victime Mme G....

Sans qu'il soit nécessaire de s'interroger sur la bonne foi de Mme H... où sur la connaissance par celle-ci de la différence entre la réelle distance parcourue par le véhicule et celle portée sur le certificat de cession, le caractère erroné du kilométrage constitue un défaut de conformité (arrêt de la première chambre civile de la cour de cassation du 15 mars 2005).

Pour s'opposer à la résolution de la vente, l'appelante estime que la mention « non garanti » figurant dans l'acte de cession à côté du kilométrage affiché exonère le vendeur de la garantie prévue aux articles précités.

L'obligation de l'indication d'un kilométrage « non garanti » sur un certificat de vente d'un véhicule d'occasion est imposée par l'article 2ter du décret numéro 78-993 du 4 octobre 1978 pris pour l'application de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et falsifications en matière de produits ou de services. Cette mention n'est cependant pas de nature à exonérer le vendeur de sa responsabilité dans la mesure où cette clause ne relève pas de la libre volonté des parties ; la notion de conformité ou non-conformité est inhérente à l'obligation de délivrance (arrêt de la troisième chambre civile de la cour de cassation du 10 octobre 2012, n° 10-28.309, n° 10-28.310).

Il n'est donc pas nécessaire de s'interroger, comme le soutient à tort l'appelante, sur le fait de savoir si le kilométrage constituait un élément déterminant du consentement de Mme G... à la vente.

Il convient d'ajouter que la résolution de la cession intervenue le 28 avril 2011 pourrait tout aussi bien être ordonnée sur le fondement de l'erreur sur les qualités substantielles invoquée à titre subsidiaire par l'acquéreur (arrêt de la deuxième chambre commerciale de la cour de cassation du 29 novembre 2016 n° 15.17497).

Le jugement déféré ayant prononcé la résolution de la vente qui entraîne l'obligation de la restitution de la chose vendue en contrepartie du prix sera donc confirmé sur ce point.

Mme G... réclame en outre l'indemnisation de divers préjudices.

Il doit être tenu compte du caractère rétroactif de l'annulation de la vente.

Les pannes rencontrées par le véhicule d'occasion immatriculé pour la première fois en 2003, qui ont obligé Mme G... à débourser la somme de 447,45 euros, sont consécutives à la défaillance d'éléments mécaniques sans lien direct avec le caractère erroné du kilométrage. Il en est de même du préjudice de jouissance.

Le coût de l'assurance obligatoire de tout utilisateur d'une automobile (384,41 euros) ne saurait constituer un préjudice indemnisable.

En revanche, Mme G... doit être dédommagée du montant représentant les intérêts et l'assurance de l'emprunt souscrit pour financer le véhicule. (2 377,82 euros).

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Outre la somme mise à la charge de Mme H... en première instance, il y a lieu de la condamner en cause d'appel au versement à Mme G... d'une indemnité complémentaire de 2.000 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de rejeter les autres demandes de ce chef.

PAR CES MOTIFS

- Infirme, dans les limites de l'appel, le jugement en date du 5 juillet 2018 rendu par le tribunal de grande instance d'Angoulème en ce qu'il a condamné Mme I... H..., in solidum avec la société Auto Styl Service, à verser à Mme F... G... la somme de 5 368,68 euros en réparation des préjudices subis, avec intérêts au taux légal à compter de la

date d'assignation ;

et, statuant à nouveau dans cette limite :

- Condamne Mme I... H..., in solidum avec la société Auto Styl Service à verser à Mme G... la somme de 2 377,82 euros en réparation du préjudice résultant du montant des intérêts et de l'assurance de l'emprunt souscrit pour financer le véhicule, avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation en justice ;

- Rejette les autres demandes présentées par Mme G... au titre de l'indemnisation de frais de réparation du véhicule, du coût de l'assurance et d'un préjudice de jouissance ;

- Confirme le jugement déféré pour le surplus ;

Y ajoutant ;

- Condamne Mme I... H... à verser à Mme F... G... une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rejette les autres demandes présentées sur ce fondement ;

- Condamne Mme I... H... au paiement des dépens d'appel qui pourront être directement recouvrés par la SCP Michel Puybaraud en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La présente décision a été signée par madame B... D..., présidente, et madame Annie BLAZEVIC, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.