Livv
Décisions

CA Grenoble, 1re ch., 6 juillet 2021, n° 21/01179

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Mutuelle d’Assurance Corps Santé Français (MACSF)

Défendeur :

Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections Iatrogènes et des Infections Nosocomiales (ONIAM)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Combes

Conseillers :

Mme Blatry, Mme Lamoine

Avocats :

Me Grimaud, Me Phan, Me Goarant, Me Saumon

Grenoble, JME, du 2 mars 2021, n° 19/051…

2 mars 2021

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. X a subi plusieurs interventions chirurgicales en 2012 et 2013 suite à la mise en place d’une prothèse totale de genou gauche le 18 janvier 2012. Plusieurs infections sont survenues au décours de ces interventions.

Les médecins experts désignés par la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux « CRCI » saisie par M. X ont conclu à trois infections nosocomiales, avec trois portes d’entrée différentes et trois germes différents acquises selon eux :

• pour l’infection détectée le 16 février 2012 et celle détectée le 1er août 2012 : à des actes opératoires pratiqués par le Dr Y à la clinique Belledonne de Grenoble,

• pour l’infection détectée le 12 août 2013 : survenue 9 mois après une nouvelle prothèse posée par le Dr Z du CHU de Grenoble : d’origine cutanée et associée au picc-line posé au cours de cette intervention pour le traitement de la 2e infection.

La CRCI a conclu à une prise en charge de l’intégralité du préjudice, partagée entre le Dr Y, le Dr A anesthésiste, et la clinique Belledonne.

La société Mutuelle d’Assurance Corps de Santé Français – MACSF – assureur du Dr Y a fait savoir le 4 septembre 2017 à M. X et à l’ONIAM qu’elle n’entendait pas faire droit à l’avis de la CRCI en l’absence notamment de différenciation entre les préjudices imputables aux diverses infections successives.

L’ONIAM a indemnisé M. X selon protocole transactionnel partiel du 28 novembre 2017 à hauteur de 15 876 '.

L’ONIAM a alors émis, dans le cadre de son recours subrogatoire, un titre exécutoire en date du 25 mai 2018 à l’encontre de la société MACSF pour la somme de 15 876 ' en principal.

La société MACSF a saisi, en opposition à ce titre exécutoire, la juridiction administrative qui s’est déclarée incompétente le 4 octobre 2019 au profit du juge judiciaire.

Par acte du 22 novembre 2019, la société MACSF a assigné l’ONIAM devant le tribunal de grande instance de Grenoble en annulation du titre exécutoire n° 149 bordereau n° 135 du 25 mai 2018 émis à son encontre par le directeur de l’ONIAM, faute de démonstration d’une faute causale commise par son assuré le Dr Y dans la prise en charge du patient.

Par conclusions d’incidents, l’ONIAM a demandé au juge de la mise en état de déclarer le tribunal judiciaire de Grenoble incompétent au profit du tribunal judiciaire de Bobigny lieu de son siège social, et subsidiairement de saisir la Cour de cassation d’une demande d’avis sur l’application au litige de l’article 46 du code de procédure civile.

La société MACSF s’y est opposée en invoquant les dispositions de l’article 46 du code de procédure civile compte-tenu du lieu du dommage, en raison du caractère subrogatoire de son action.

Par ordonnance juridictionnelle du 2 mars 2021, le juge de la mise en état a :

• déclaré le tribunal judiciaire de Grenoble territorialement incompétent au profit de celui de Bobigny,

• dit que le dossier de l’affaire sera transmis par le greffe à la juridiction désignée conformément à l’article 82 du code de procédure civile,

• réservé les dépens et dit qu’ils suivront le sort de l’instance principale,

• dit n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration au greffe en date du 16 mars 2021, la société MACSF a interjeté appel de cette ordonnance.

Après y avoir été autorisée par ordonnance du président de chambre délégué par le premier président de la cour, elle a fait assigner le 31 mars 2021 l’ONIAM à jour fixe pour voir statuer sur son appel.

Par conclusions n° 2 notifiées le 18 juin 2021, elle demande à la cour d’infirmer l’ordonnance déférée, et de :

• rejeter l’exception d’incompétence territoriale soulevée par l’ONIAM,

• confirmer la compétence territoriale du tribunal judiciaire de Grenoble en application de l’article 46 du code de procédure civile, l’action relevant de la matière délictuelle et du lieu du fait dommageable et subsidiairement de la matière contractuelle et du lieu d’exécution de la prestation de service relevant de ce tribunal,

• constater que l’instance ainsi introduite, ainsi que celle engagée devant le tribunal judiciaire de Grenoble sur assignation de la CPAM de l’Isère contre le Dr Y et son assureur en remboursement de ses débours, enrôlée sous le n° RG 21/1310, sont connexes et présentent un lien tel qu’il se les de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire et ordonner en conséquence la jonction de ces deux instances,

• condamner l’ONIAM à lui payer la somme de 3 000 ' sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir :

• que l’article 46 du code de procédure civile a bien vocation à s’appliquer,

• que son recours est subrogatoire et repose sur la faute délictuelle du médecin assuré par la société MACSF, subsidiairement sur la mauvaise qualité de l’acte de soin engageant la responsabilité contractuelle de celui-ci,

• que la circonstance que l’ONIAM ait émis un titre exécutoire en recouvrement de sa créance importe peu, le conseil d’état ayant considéré, dans un avis du 9 mai 2019, que le recours du débiteur tendant à la décharge de la somme ainsi mise à sa charge conduira le juge à se prononcer sur la responsabilité du débiteur à l’égard de la victime aux droits de laquelle l’office est subrogé, et que, dès lors, le tribunal administratif compétent est celui du lieu où s’est produit le fait générateur du dommage,

• que de nombreuses juridictions judiciaires de fond ont tranché dans le même sens récemment, en particulier la cour d’appel de Lyon le 11 mars 2021 saisie d’un appel d’une ordonnance du juge de la mise en état, ces juridictions considérant qu’il convient de s’attacher au fondement de la demande, déterminant la nature ou la matière du litige, et non pas à son objet (en l’espèce l’annulation d’un titre exécutoire.

L’ONIAM, par uniques conclusions notifiées le 17 juin 2021, indique s’en rapporter à justice quant à l’opportunité de joindre l’affaire avec celle initiée par la CPAM devant le tribunal judiciaire de Grenoble.

Elle conclut pour le surplus au débouté de la société MACSF de toutes ses demandes, et réclame sa condamnation à lui payer la somme de 3 000 ' en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Il fait valoir que le juge de la mise en état a justement retenu que l’article 46 du code de procédure civile n’avait pas vocation à s’appliquer, s’agissant de l’opposition à un titre exécutoire émis par lui en tant qu’établissement public administratif.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la compétence du tribunal judiciaire de Grenoble

Le juge de la mise en état a justement rappelé qu’aucun texte spécifique du Code de la santé publique ou du code de procédure civile ne régissait particulièrement la compétence territoriale en matière d’opposition à un titre exécutoire émis par l’ONIAM, de sorte que les règles de compétence de droit commun de la procédure civile trouvaient à s’appliquer.

Si l’article 42 du code de procédure civile prévoit que la juridiction compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur, l’article 46 du même code édicte que le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, en matière contractuelle la juridiction du lieu de la livraison de la chose ou de l’exécution de la prestation de services, et en matière délictuelle la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi.

Contrairement à ce qu’a considéré le juge de la mise en état, il ne s’agit pas d’une exception mais d’une option offerte au demandeur en fonction de la matière objet du litige.

En l’espèce, l’opposition au titre exécutoire formée par la société MACSF repose non pas sur la forme de ce titre mais sur son fondement à savoir la créance objet du titre, le moyen invoqué à l’appui de sa demande d’annulation étant l’absence de preuve, selon son assureur demandeur à l’instance, d’une faute du Dr Y à l’origine des infections subies par M. X et par conséquent l’absence de toute créance de nature à fonder le titre.

Dès lors que les interventions pratiquées par le Dr Y susceptibles d’avoir été à l’origine des infections nosocomiales en cause l’ont été à la clinique Belledonne, cette clinique, située à

Grenoble, est le lieu tant du fait dommageable invoqué que de la prestation contractuelle attendue.

Il en résulte que le tribunal judiciaire de Grenoble saisi est bien territorialement compétent pour en connaître, ce qui conduit à l’infirmation de l’ordonnance déférée.

Sur la demande de jonction

Cette demande ne relève pas des pouvoirs de la présente cour, saisie par l’effet dévolutif de l’appel de la seule question de la compétence de la juridiction saisie et des demandes annexes.

Il reviendra à toute partie qui y aura intérêt d’en saisir la juridiction de première instance.

Sur les demandes accessoires

L’ONIAM, qui succombant en son moyen d’incompétence, devra supporter les dépens de première instance et d’appel en application de l’article 696 du code de procédure civile et il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile en sa faveur.

Il n’est pas équitable de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la société MACSF.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire,

Infirme en toutes ses dispositions l’ordonnance déférée et statuant à nouveau,

Dit le tribunal judiciaire de Grenoble compétent territorialement pour connaître de la demande.

Déclare irrecevable en tant que formée devant la présente cour la demande aux fins de jonction de l’instance avec celle engagée par la CPAM de l’Isère fondée sur les mêmes faits.

Renvoie les parties à mieux se pourvoir de ce chef.

Rejette les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile ainsi que toutes les autres demandes.

Condamne l’ONIAM aux dépens de l’incident et de l’appel.

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

Signé par Madame COMBES, Président, et par Madame BUREL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.