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Décisions

CA Dijon, 2e ch. civ., 17 juin 2021, n° 21/00019

DIJON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

New Stefal Holding (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vautrain

Conseillers :

M. Wachter, Mme Dumurgier

Avocats :

Me Guigue, Me Girardot, Me Thurel, Me Deur

Chalon sur Saône, JME, du 18 déc. 2020, …

18 décembre 2020

FAITS ET PROCÉDURE :

Par acte d'huissier du 12 mars 2020, Madame Z A assigne la SAS NEW STEFAL HOLDING devant le tribunal judiciaire de Chalon sur Saône aux fins d'obtenir sa condamnation à titre principal à lui verser les sommes principales de 49 500 €, 156 000 € et 168 000 €, outre celle de 5 026,10 € en indemnisation de son préjudice matériel.

Subsidiairement, elle demande l'annulation de l'intégralité des commandes passées auprès de cette société et la condamnation de cette dernière à lui rembourser la somme de 5 026,10 €.

En tout état de cause, elle demande la condamnation de la société NEW STEFAL HOLDING à lui verser 3 000 € de dommages intérêts en indemnisation de son préjudice moral et 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, le tout avec exécution provisoire.

Elle expose que, pendant plusieurs années, elle a reçu des courriers publicitaires de PHYDERMA PARIS, marque dont la SAS NEW STEFAL HOLDING est la titulaire, ces courriers l'invitant à commander des produits de la gamme PHYDERMA en lui expliquant qu'elle serait la grande gagnante d'une somme de 156 000 € puis de 49 500 € si elle renvoyait les bons de commande accompagnés de la vignette jointe au courrier ; que, bénéficiaire d'une très faible retraite et de la pension de réversion de son défunt époux, elle souhaitait laisser à des enfants et petits-enfants un héritage ; que les courriers ne comportaient aucun aléa et affirmaient qu'elle avait été tirée au sort et était bénéficiaire de chèques de banque de grande valeur et qu'il suffisait de renvoyer la vignette ; qu'elle a ainsi dépensé des milliers d'euros pour acheter des produits de beauté entassés chez elle et dont elle n'avait aucune utilité et en timbres postaux.

Elle soutient que la société a profité de la confiance aveugle d'une dame âgée de 91 ans ; qu'elle est fondée à demander sur le fondement de l'article 1300 du code civil le paiement des sommes de 156 000 € et 49 500 € promises, ainsi que l'indemnisation de son préjudice matériel. Subsidiairement elle demande l'annulation des commandes passées pour dol.

La SAS NEW STEFAL HOLDING saisit le juge de la mise en état de conclusions d'incident, soutenant que le tribunal judiciaire de Chalon sur Saône est incompétent au profit de celui de Y.

Elle expose que, dès lors que l'instance porte sur l'attribution d'un prix mis en jeu dans le cadre de loteries publicitaires sur le fondement des articles 1300 et suivants du code civil, l'option de compétence prévue à l'article 46 du code de procédure civile n'est pas applicable s'agissant d'une action quasi contractuelle sans lien avec le contrat conclu par ailleurs avec Madame A; que l'option de compétence prévue à l'article L. 145-5 du code de la consommation devenu R. 613-3 du même code ne peut pas plus être invoquée, le litige n'étant ni contractuel, ni délictuel.

Elle demande en conséquence le renvoi du dossier devant le tribunal judiciaire de Grasse et la condamnation de Madame A à lui verser 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Madame Z A conclut au rejet de l'exception d'incompétence et à la condamnation de la SAS NEW SETFAL HOLDING à lui verser 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient qu'en sa qualité de consommatrice elle doit pouvoir bénéficier de l'option de compétence de l'article L. 145-5 du code de la consommation pour attraire la société devant la juridiction de son lieu de résidence, et ajoute que, si sa demande principale est fondée sur l'article 1300 du code civil , elle invoque les articles 1137 et suivants du code civil et L. 121-36 du code de la consommation au soutien de ses demandes subsidiaires, ce qui lui permet de saisir le tribunal de Chalon sur Saône.

Par ordonnance du 18 décembre 2020, le juge de la mise en état déclare le tribunal judiciaire de Chalon sur Saône territorialement incompétent, ordonne le dessaisissement de ce tribunal au profit de celui de Y, renvoie les parties devant cette juridiction, et condamne Madame A aux dépens de l'incident.

Les demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sont rejetées.

Le tribunal relève que le fondement de la demande principale de Madame A est l'article 1300 du code civil, donc le quasi contrat, et ne concerne pas les commandes passées par la demanderesse auprès de la société ; que l'action quasi contractuelle n'ouvre pas droit à l'option de compétence prévue tant par l'article R. 631-3 du code de la consommation que par l'article 46 du code de procédure civile, et qu'il n'y a pas lieu d'apprécier la compétence du tribunal judiciaire de Chalon sur Saône au titre des demandes subsidiaires qui demeurent purement éventuelles.

******

Madame Z X veuve A fait appel par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel le 6 janvier 2021.

Par ordonnance de Madame la première présidente de la cour d'appel du 20 janvier 2020 (lire 2021), elle est autorisée à assigner la SAS NEW STEFAL HOLHING en vue de l'audience du 15 avril 2021.

Par des conclusions jointes à la requête saisissant la première présidente, elle demande à la cour, au visa des articles L. 141-5 devenu R. 631-3 du code de la consommation, 1300 et 1137 du code civil, et 83 et suivants du code de procédure civile, de réformer l'ordonnance, de juger que le tribunal judiciaire de Chalon sur Saône doit retenir sa compétence et de condamner la société à lui verser 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient que, contrairement à ce que le juge de la mise en état a retenu, l'article R. 631-3 du code de la consommation n'exclut pas expressément les actions quasi contractuelles et quasi délictuelles de l'option de compétence ; qu'il convient par ailleurs de se référer à l'esprit de la loi qui a introduit cette option dans le but de rendre plus accessible la juridiction en permettant au consommateur de saisir le tribunal du lieu où il demeure.

Elle souligne qu'elle est âgée de 90 ans et qu'elle est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle ; qu'elle est consommatrice et a passé à de multiples reprises des commandes à la SAS NEW STEFAL HOLDING ; qu'elle est donc incontestablement liée contractuellement avec cette société, et qu'à tort le premier juge a retenu que le fondement de sa demande principale ne concernait pas les commandes passées alors que c'est parce qu'elle les a passées en espérant obtenir le gain promis qu'elle est recevable et fondée à attraire la société en justice.

Elle souligne que le raisonnement du premier juge aboutit à considérer que le justiciable doit être moins bien traité que s'il agissait sur un fondement contractuel ou délictuel, ajoutant que ses demandes subsidiaires ont un fondement contractuel.

Par conclusions déposées le 26 février 2021, la SAS NEW STEFAL HOLDING demande à la cour d'appel de :

« Vu les articles 75 et suivants du code de procédure civile,

Vu l'article 42 du code de procédure civile,

- Dire et juger infondé l'appel interjeté par Madame A,

- Confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 18 décembre 2020 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Chalon sur Saône ayant fait droit à l'exception d'incompétence soulevée par la société NEW STEFAL HOLDING,

- Renvoyer la cause et les parties à devant le Tribunal Judiciaire de Grasse,

- Condamner l'appelante aux entiers dépens d'appel ainsi qu'au paiement d'une somme de 1.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. »

Elle confirme que Madame A a été destinataire de trois propositions de participation à un jeu prenant la forme d'une loterie publicitaire dotée respectivement d'un prix principal de 49 500 €, 156 000 € puis 168 000 €, loteries auxquelles elle dit avoir participé.

Elle ajoute que, si l'envoi de ses catalogues s'accompagne de propositions de participation à de jeux concours, les caractéristiques principales de ces jeux sont leur gratuité totale et l'absence d'obligation d'achat.

Elle souligne que son siège social est situé à ... dans le ressort du tribunal judiciaire de Grasse ; que Madame A fondé sa demande de condamnation à l'attribution des prix mis en jeu sur les dispositions de l'article 1300 du code civil relatives aux quasi-contrats, et que, de jurisprudence constante, la cour de cassation retient que l'option de compétence prévue à l'article 46 du code de procédure civile n'était pas applicable à de telles actions.

Elle ajoute que l'option de compétence prévue à l'article L. 141-5 du code de la consommation devenu R. 631-3 du même code ne peut être invoquée que si le consommateur a passé un contrat, et si son litige porte sur l'exécution de ce contrat ou, en matière délictuelle, s'il a subi un fait dommageable, ce qui n'est manifestement pas le cas en l'espèce ; que si Madame A a effectivement passé commande de produits, le litige ne porte pas sur la vente des dits produits, mais sur une prétendue promesse de gain.

Elle invoque plusieurs décisions de cours d'appel ayant retenu que cette option de compétence ne s'applique pas en matière de quasi-contrat.

MOTIVATION :

C'est par une exacte analyse des prétentions de Madame Z X veuve A que le premier juge a retenu que l'action principale engagée sur le fondement de l'article 1300 du code civil s'analysait en une action quasi contractuelle.

C'est également par une exacte analyse des textes visés par Madame X au soutien de son argumentation que la cour fait sienne que le premier juge a retenu que, contrairement à ce qu'elle affirme, elle ne dispose ni de l'option de compétence prévue à l'article 46 du code de procédure civile, ni de celle figurant sous l'actuel article R. 631-3 du code de la consommation qui ne concerne que les litiges liés à l'exécution d'un contrat et, en matière délictuelle, ceux résultant d'un fait dommageable subi par le demandeur et dont l'application est stricte.

A juste titre par ailleurs le premier juge a souligné que la compétence de la juridiction ne peut pas s'apprécier au regard de demandes subsidiaires qui ne sont qu'hypothétiques.

PAR CES MOTIFS :

Confirme l'ordonnance du juge de la mise en état en toutes ses dispositions,

Condamne Madame Z X veuve A aux dépens de la procédure d'appel

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre des frais liés à la procédure d'appel.