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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 2 juin 2022, n° 21/06149

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

CEF Nord (SAS)

Défendeur :

Mayekawa France (SARL), Artic Industrie (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard

Conseillers :

M. Gilles, Mme Mimiague

Avocats :

Me Laurent, Me Heyte, Me Leroy, Me Le Roy, Me Tournade, Me Breteche

T. com. Lille Métropole Ordonnance, du 1…

17 décembre 2021

EXPOSÉ DU LITIGE

Au mois de mars 2018 la société Artic industrie a vendu à la société CEF Nord un groupe de production d'eau glacée avec récupération de chaleur moyennant le prix de 197 000 euros HT.

Arguant d'un retard de livraison lui ayant causé un préjudice, la société CEF Nord a assigné en paiement la société Artic industrie devant le tribunal de commerce de Lille.

Par jugement du 17 novembre 2021 le tribunal de commerce de Lille Métropole :

- a dit recevable et bien fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société Artic industrie,

- s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Nantes,

- a dit que chacune des parties conservera à sa charge les frais irrépétibles engagés dans la présente procédure,

- a mis les dépens de l'incident à la charge de la société CEF Nord, taxés et liquidés à la somme de 73,24 euros (en ce qui concerne les frais de greffe).

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 9 décembre 2021 la société CEF Nord a relevé appel de tous les chefs de ce jugement, intimant la société Artic industrie (déclaration enregistrée sous le numéro de répertoire général 21/6149). Le 13 décembre 2021 la société CEF Nord a remis au greffe une déclaration d'appel rectificative intimant la société « Mayekawa France SARL », venant aux droits de la société Artic industrie (déclaration enregistrée sous le numéro de répertoire général 21/6186).

Par ordonnance du 17 décembre 2021 l'appelante a été autorisée à assigner à jour fixe pour l'audience du 6 avril 2022. La société Mayekawa France SARL, venant aux droits de la société CEF Nord, a été assignée par acte d'huissier de justice du 3 janvier 2022.

Les deux dossiers ont été joints par ordonnance du 6 janvier 2022, sous le numéro unique 21/6149.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 11 février 2022 la société CEF Nord demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, et, statuant à nouveau de :

- à titre principal, juger que le tribunal de commerce de Lille métropole est compétent pour statuer sur ses demandes,

- juger que les conditions générales d'achat de la société CEF Nord sont opposables à la société Mayekawa France SARL,

- débouter la société Mayekawa France SARL de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- à titre subsidiaire, dire et juger le tribunal de commerce d'Arras seul compétent en application de l'article 46 du code de procédure civile,

- condamner la société Mayekawa France SARL à lui verser la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner au paiement des entiers frais et dépens de première instance et d'appel avec faculté de recouvrement direct selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 19 janvier 2022 la société Mayekawa France SARL demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée,

- déclarer la société CEF Nord irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes,

- la débouter de toutes ses demandes,

- en conséquence, confirmer la décision rendue par le tribunal de commerce en toutes ses dispositions,

- en tout état de cause, condamner la société CEF Nord à payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens.

Le délibéré, initialement fixé au 12 mai 2022 a été prorogé au 2 juin 2022 en raison de problèmes de santé d'un magistrat.

MOTIFS

Le premier juge a considéré, sur le fondement de l'article L. 441-6 (I) du code de commerce, qu'il y avait lieu de retenir la compétence de la juridiction du siège social de la société Artic industrie, devenue Mayekawa France SARL, conformément aux conditions générales de vente du contrat passé entre les parties.

La société CEF Nord fait valoir que les dispositions de l'article L. 441-1 du code de commerce n'impliquent pas nécessairement que les conditions générales de vente doivent primer sur les conditions générales d'achat ; selon elle, dès lors que la société venderesse a accepté le bon de commande auquel étaient annexées les conditions générales d'achat, lequel constituait une contre-proposition, sans négocier ces conditions et en exécutant le contrat sans les remettre en cause, celles-ci trouvent à s'appliquer, notamment la clause attributive de juridiction au profit du tribunal de commerce de son siège social, à savoir le tribunal de commerce de Lille Métropole. Subsidiairement, elle soutient qu'il y aura lieu de considérer qu'il n'y a pas d'accord entre les parties et, en application de l'article 46 du code procédure civile, de retenir la compétence du tribunal du lieu de livraison du bien, soit le tribunal de commerce d'Arras.

La société Mayekawa France SARL fait valoir que les conditions générales de vente, transmises avec l'offre initiale, prévalent sur les conditions générales d'achat qui ne sont jamais entrées dans le champ contractuel, qu'en outre les relations contractuelles des parties s'inscrivent dans la continuité et que lors d'une précédente commande en février 2018, elle avait expressément écarté l'application des conditions générales d'achat en retournant l'accusé de réception de commande de sorte que les conditions générales de vente trouvaient à s'appliquer, comme l'a d'ailleurs retenu le tribunal de commerce de Nantes dans le litige opposant par ailleurs les parties sur ce premier contrat.

Les documents ayant valeur contractuelle sont ceux qui ont fait l'objet d'un accord des deux parties, qu'ils aient été établis d'un commun accord entre elles, ou qu'il s'agisse de document établi par l'une d'elles dès lorsqu'ils ont recueilli l'accord exprès ou implicite de l'autre partie.

Si les conditions générales de vente constituent, en application de l'article L. 441-6 du code de commerce, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2017-484 du 6 avril 2017, « le socle unique de la négociation commerciale », à défaut de négociation, elles ont valeur de contrats s'ils elles sont acceptées sans modification par l'acheteur.

Il ressort des pièces versées aux débats que :

- par courrier électronique du 11 mars 2018 la société Artic industrie a transmis à la société CEF Nord une « offre commerciale n° 201800628-3 » concernant la vente d'une « unité chiller à air MACC.3-87 » moyennant le prix de 197 000 euros, le document incluant des 'conditions de paiement' prévoyant notamment que « tout litige opposant la société Artic industrie sera porté au tribunal de commerce dont relève son siège social »,

- par courrier électronique du 12 mars 2018 la société CEF Nord a transmis un document intitulé « commande », daté du 9 mars 2018, relative à une « unité chiller à air MACC.3-876 » pour le prix de 197 000 euros, le document mentionnant « selon votre offre technique n° 201800628-3 » ; le bon de commande stipulait que « la présente commande est soumise par ordre décroissant d'importance :

1- aux conditions du contrat cadre lorsque celui-ci existe,

2- aux conditions particulières,

3- aux conditions générales figurant ci-après, dont le fournisseur déclare avoir pris connaissance. L'acceptation expresse ou tacite de la commande implique l'acceptation sans réserve des conditions du contrat cadre, des présentes conditions particulières figurant sur la commande ainsi que des conditions générales. Ces conditions prévalent sur toutes autres conditions figurant aux conditions générales du fournisseur, catalogues, devis, fractures, lettre ou autres papiers commerciaux du fournisseur qui ne pourra se prévaloir de tout usage ou précédent contraire ; les « conditions générales d'achat » annexées prévoyaient notamment que 'en cas de différend, le tribunal de commerce du siège social de l'acheteur sera, de convention expresse, seul compétent, y compris en cas de référé »,

- la société Artic industrie transmettait ensuite un « AR de commande » daté du 17 mars 2018, mentionnant le numéro de commande figurant sur le bon de commande, désignant l'objet du contrat avec la précision « suivant notre devis n° 2011800628 ».

Il n'apparaît pas, à la lecture des courriers électroniques échangés par les parties, que les conditions générales de vente aient fait l'objet d'une négociation entre elles. Il ne peut être admis par ailleurs que la société CEF aurait accepté la clause attributive de juridiction figurant aux conditions générales de vente alors que dans son acceptation de l'offre, elle s'est référée à ses propres conditions générales d'achat comportant elles-mêmes une clause attributive de juridiction. L'acceptation des conditions générales de vente par l'acheteur ne peut se déduire du fait que lors d'une précédente transaction la société venderesse avait, avec l'accusé de réception de commande, renvoyé le document de commande en rayant les mentions renvoyant aux conditions générales d'achat.

Par ailleurs, il ne peut être considéré que les conditions générales d'achat, qui ne peuvent être imposées par l'acheteur, aient fait l'objet d'une acceptation, même tacite, par le vendeur alors que, bien que mentionnant la référence du bon de commande sur l'accusé de réception, le document mentionne aussi le « devis » correspondant à l'offre commerciale initiale, et alors que la société venderesse n'a pas utilisé le document « AR » édité par la société CEF qui renvoyait empressement aux documents contractuels rattachés au bon de commande.

Dès lors, la cour ne peut que constater l'absence d'accord des parties sur la stipulation d'une clause attributive de juridiction.

En application de l'article 42 du code de procédure civile, la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur ; l'article 46 du même code dispose toutefois qu'en matière contractuelle le demandeur peut saisir, à son choix, outre la juridiction où demeure le défendeur, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de prestation de service.

L'invocation en premier lieu d'une clause attributive de compétence n'implique pas renonciation à se prévaloir en second lieu de l'option territoriale prévue à l'article 46, si ladite clause ne trouvait pas à s'appliquer.

Le lieu de livraison étant situé en l'espèce à Drouvin Le Marais (62 131), il convient de déclarer le tribunal de commerce de Lille Métropole incompétent et de renvoyer l'examen de l'affaire devant le tribunal de commerce d'Arras.

Il convient d'infirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile, dont le sort sera réservé, et eu égard aux circonstances du litige, il y a lieu de laisser à chacune des parties la charge de ses dépens d'appel et de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a dit recevable l'exception d'incompétence soulevée par la société Artic Industrie ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Déclare incompétent le tribunal de commerce de Lille Métropole au profit du tribunal de commerce d'Arras ;

Réserve les dépens et les frais irrépétibles de première instance ;

Y ajoutant,

Dit que chacune des parties supportera la charge de ses dépens d'appel ;

Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.