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Décisions

Cass. crim., 14 février 1995, n° 94-80.797

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

M. Joly

Avocat général :

M. Libouban

Avocat :

SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez

Colmar, ch. corr., du 17 déc. 1993

17 décembre 1993

Joignant les pourvois, vu la connexité ;

I. Sur le pourvoi de Thierry Y... :

Attendu qu'aucun moyen n'est produit à l'appui du pourvoi ;

II. Sur le pourvoi d'André X... ;

Vu les mémoires ampliatif et complémentaire produits ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 4, 42 et 174 du Code pénal et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré André X..., demandeur, coupable du délit de concussion par un fonctionnaire, officier public ou percepteur, et a prononcé à son encontre les peines de 6 mois d'emprisonnement avec sursis, de 20 000 francs d'amende et de l'interdiction des droits civiques prévue à l'article 42-1°, 2° et 3° du Code pénal pour une durée de 2 années ;

" aux motifs notamment, d'une part, qu'il était constant que André X..., maire de la commune d'Illkirch-Graffenstaden depuis 1971 et député du Bas-Rhin depuis 1978, ne pouvant plus, à compter de 1983, en vertu de l'article L. 123-9 du Code des communes, continuer à percevoir, dans sa totalité, l'indemnité de maire, avait délégué à Y... partie de ses fonctions et la moitié de son indemnité de maire ; que Y... avait, par ordre de virement périodique interne, effectué un "transfert indemnité" des sommes qu'il percevait au titre de sa délégation sur le compte de X... ; que ces reversements eurent lieu jusqu'en mars 1992, date d'entrée en vigueur de la loi du 3 février 1992, instituant une nouvelle réglementation du cumul des indemnités ; que, ce faisant, il s'était rendu coupable du délit de concussion ; qu'en effet, la loi donne une définition très large de la concussion et, en visant les perceptions illicites de "droits, taxes, contributions, deniers, salaires ou traitements", pose en principe que tout prélèvement financier indu, à l'occasion de l'exercice d'une fonction publique, constitue le délit de concussion ; qu'il existe sur ce point une jurisprudence bien établie ; qu'ainsi, il importe peu que l'indemnité du maire soit une rémunération ou une indemnité représentative de frais pour que le délit de concussion soit constitué, dès lors que les sommes perçues ont été obtenues indûment ;

" et aux motifs notamment, d'autre part, qu'il résulte des déclarations de X... à l'audience, selon lesquelles Y... n'a rien fait de plus lorsqu'il a eu cette délégation et qu'il ne l'utilisait pas, que celle-ci était fictive, si bien que, en lui attribuant une délégation qu'il n'exerçait pas, X... lui a procuré des indemnités de fonctions qui n'étaient pas dues ;

" alors que, d'une part, les dispositions pénales ne peuvent être étendues et doivent être interprétées restrictivement ; qu'en décidant que tout prélèvement financier indu, à l'occasion de l'exercice d'une fonction publique, constituait le délit de concussion, l'arrêt attaqué a étendu et généralisé ce que la loi avait restrictivement désigné comme des sommes susceptibles de constituer ce délit, à savoir des "droits, taxes, contributions ou deniers ou salaires ou traitements" ; qu'il a ainsi violé les articles 4 et 174 du Code pénal ;

" alors que, d'autre part et en tout état de cause, ne pouvait constituer un " prélèvement financier indu " constitutif de concussion le reversement à un maire par son adjoint d'indemnités que ce dernier avait légalement perçues, dès lors que ce reversement non seulement n'était pas exigé comme un droit, mais encore revêtait la nature d'une libéralité ;

" et alors, enfin, qu'en se fondant exclusivement sur des déclarations imprécises faites à l'audience par le prévenu pour conclure au caractère fictif de la délégation de pouvoirs consentie par le maire à son adjoint dans le cadre de l'article L. 122-11 du Code des communes, et par voie de conséquence au caractère indu de l'indemnité de fonctions reçue par celui-ci, sans rechercher si l'adjoint avait ou non effectivement, pendant la durée de cette délégation, exercé des missions et accompli des actes ressortissant à la compétence du maire en vertu des articles L. 122-19 et L. 122-20 du Code des communes, l'arrêt attaqué n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle sur le caractère indu des indemnités de fonctions reçues par X... " ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l'article 4 du Code pénal (ancien), 112-1 du Code pénal (nouveau), 174 (Code pénal ancien) et 423-10 (du Code pénal nouveau), des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré André X... coupable de concussion et, en répression, l'a condamné à la peine de 6 mois d'emprisonnement avec sursis et 20 000 francs d'amende, sur le fondement de l'article 174 du Code pénal (ancien) pour avoir reçu ou exigé, pour salaire ou traitement, partie d'une indemnité de fonction de maire indue ;

" aux motifs que la loi donne une définition très large de la concussion et, en visant les perceptions illicites de " droits, taxes, contributions, deniers, salaires ou traitements ", pose en principe que tout prélèvement financier indu, à l'occasion de l'exercice d'une fonction publique, constitue le délit de concussion ; qu'il existe sur ce point une jurisprudence bien établie ; qu'ainsi il importe peu que l'indemnité de maire soit une rémunération ou une indemnité représentative de frais pour que le délit de concussion soit constitué, dès lors que les sommes perçues ont été obtenues indûment, ce que ne peut contester le prévenu qui reconnaît qu'Antoine Y... n'a jamais rempli la fonction justifiant l'attribution de l'indemnité de maire ;

" alors que les dispositions nouvelles s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée, lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes ; que sont plus douces, et donc immédiatement applicables, les dispositions nouvelles en matière de concussion, prévues à l'article 432-10 du nouveau Code pénal, lesquelles, d'une part, en ne comprenant plus parmi les sommes indûment reçues ou exigées celles qui l'ont été à titre de traitements ou salaires comme le prévoyait l'article 174 du Code pénal, ont prévu une définition plus étroite des éléments constitutifs de l'infraction de concussion ; d'autre part, ont abaissé de 10 à 5 années le maximum de la peine d'emprisonnement encourue ; que les faits poursuivis, consistant exclusivement dans la prévention d'avoir reçu ou exigé pour salaire ou traitement une somme indue, n'étant plus incriminés par la loi nouvelle plus douce, l'arrêt attaqué doit être annulé sans renvoi " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué qu'André X..., qui cumulait les mandats de maire et de député, et ne pouvait légalement percevoir plus de la moitié de ses indemnités de maire, a délégué l'autre moitié à son adjoint, Antoine Y... ; que celui-ci la lui a reversée en exécution d'un ordre de virement permanent ;

Attendu que, pour déclarer André X... coupable de concussion, les juges du fond énoncent, notamment, que le prévenu, " en signant des arrêtés municipaux de pure forme et des délégations d'indemnités n'accompagnant pas un travail effectif, s'est fait délivrer, avec le concours d'Antoine Y..., des indemnités qui n'étaient pas dues " ; qu'ils retiennent en outre que l'intéressé " s'est livré à un montage destiné à lui permettre de continuer à percevoir la moitié de l'indemnité de maire frappée par la réglementation du cumul " ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, la cour d'appel a caractérisé en tous ses éléments matériel et intentionnel l'infraction retenue et a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

Qu'en effet, entre dans les prévisions tant de l'article 174 du Code pénal, dans sa rédaction en vigueur au moment des faits, que de l'article 432-10 du Code pénal, applicable depuis le 1er mars 1994, le fait par un maire de percevoir, au-delà de celles auxquelles il sait avoir droit, des indemnités dont l'attribution est réglementée par l'autorité publique en contrepartie de services effectués dans la fonction ;

Qu'il n'importe que les juges les aient qualifiées de salaires ou traitements, dès lors que les indemnités de fonctions d'un maire sont perçues à titre de droits, au sens des textes précités ;

D'où il suit que les moyens ne sont pas fondés ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.