CA Saint-Denis de la Réunion, ch. civ., 11 juillet 2014, n° 13/00340
SAINT-DENIS DE LA RÉUNION
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gesbert
Conseillers :
M. Szysz, M. Faissolle
Avocat :
Me De Boisvilliers
FAITS ET PROCEDURE
Par contrat du 4/07/1998, la succession Mamode Cassim DESSAYE a donné à bail à Mr K.C.L. un local à usage commercial sis à Saint Paul, 24 rue Marius et Ary Leblond pour l'exploitation d'un fonds de commerce d'articIes cadeaux et de photos.
Par acte extra judiciaire du 16/09/2004, la SCI 3A venant aux droits de la succession DESSAYE a donné congé au preneur avec effet au 20/03/2005, avec offre de renouvellement différé du bail pour surélévation en application de I'articie L145-21 du Code de Commerce.
N'ayant pu obtenir de renseignements suffisants sur les travaux envisagés, Mr K.C.L. a saisi le Tribunal de Grande Instance de Saint Denis lequel par jugement du 8/11/2006 a : - constaté la validité du congé délivré par la bailleresse le 16/09/2004, - débouté Mr K.C.L. de sa demande tendant à I'annuIation du congé, - condamné la bailleresse à verser au locataire une indemnité équivalente à 3 années des loyers, hors charges et taxes, en cours au jour du jugement, - dit que l'éviction temporaire du preneur ne pourra excéder 3 années à compter de la libération des lieux par le locataire et que Mr K.C.L. devra être réintégré dans les locaux objets du bail renouvelé dès que les travaux de surélévation seront terminés, - dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de Procédure civile, - rejeté le surplus des demandes et partagé les dépens par moitié.
Mr K.C.L. a quitté les lieux le 2/04/2008, et a précisé le 27/05/2008 qu'iI entendait réintégrer les lieux dès la fin des travaux moyennant le loyer de 1173 € proposé dans le congé.
Le 4 septembre 2012, Philippe K.C.L., exerçant sous l'enseigne PHOTO PHIL , a fait assigner la SCI 3A devant le tribunal de grande instance.
Par jugement réputé contradictoire du 26 décembre 2012, le tribunal de grande instance de Saint Denis a : - donné acte à Philippe K.C.L. de ce qu'il entend réintégrer les lieux dès que le local sera mis à sa disposition par la SCI 3A, - dit que Philippe K.C.L. n'a pu réintégrer les lieux au plus tard le 3 avril 2011 en raison de la faute commise par sa bailleresse - condamné la SCI 3A à lui payer les sommes de : 30 000 € de dommages et intérêts pour le préjudice lié à sa perte d activité du 3 avril 2011 au 3 avril 2012 , 2 500 € par mois à compter du 4 avril 2012 au titre de son préjudice lié à sa perte d'activité et ce jusqu'à sa réintégration effective dans les lieux dont la délivrance est due, 2 000 € du chef de l'article 700 du code de procédure civile, - débouté Philippe K.C.L. du surplus de ses demandes - condamné la SCI 3A aux dépens avec distraction, - ordonné l'exécution provisoire.
Par déclaration enregistrée au greffe le 4 mars 2013, la SCI 3A a régulièrement interjeté appel de cette décision.
MOYENS ET PRETENTIONS
Par conclusions récapitulatives régulièrement notifiées et déposées par voie électronique le 28 janvier 2014, la SCI 3A demande à la cour , au visa de l'arrêt de la cour d'appel de Saint Denis du 8 février 2013 et des articles L. 143 17, 21 et 27 du code de commerce : - d'infirmer le jugement dont appel et statuant à nouveau, - de débouter Philippe K.C.L. de toutes ses demandes, fins et conclusions - de condamner Philippe K.C.L. exerçant sous l'enseigne PHOTO PHIL à lui payer la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu' aux entiers dépens avec distraction.
Elle soutient qu'en cours de travaux, il a été relevé que la surélévation du local était techniquement impossible, et qu'elle a été obligée de démolir ce local et d'en édifier un nouveau; que le permis de construire modificatif ayant été refusé, elle a contesté cette décision devant le tribunal administratif, puis déposé une nouvelle demande de permis de construire, également refusé, entraînant une nouvelle procédure de contestation; que dans l'attente de l'issue de ces 2 procédures, toujours en cours, la SCI 3A a été obligée d'arrêter les travaux d'édification de l'immeuble litigieux; qu'anticipant l'impossibilité de réintégrer Philippe K.C.L. dans les délais prévus par le jugement du 8 novembre 2006, la SCI 3A lui a proposé un autre local commercial similaire, qu'il a refusé sans même procéder à une visite du local. Elle affirme que, la restitution des lieux n'ayant pu être effectué dans les trois ans, le bail a pris fin et que le preneur ne peut solliciter des dommages et intérêts au titre de son préjudice d'exploitation, mais seulement se pourvoir en justice aux fins de solliciter une indemnité d'éviction, ce qu'il a fait puisqu'une procédure est pendante devant le tribunal de grande instance.
Dans ses conclusions régulièrement notifiées et déposées par voie électronique le 28 janvier 2014, Philippe K.C.L. demande à la cour, au visa de l'article L. 145 27 du code de commerce : - d'écarter des débats les écritures et pièces communiquées la veille de la clôture, - de dire la SCI 3A non fondée en son appel, l'action qu'il a entreprise trouvant sa source dans la reprise frauduleuse du bail, - de dire et juger que la SCI 3A a exercé frauduleusement son droit de reprise fondée sur l'article L 145 21 du code de commerce, - de dire que Philippe K.C.L. devait réintégrer les lieux au plus tard le 3 avril 2011, les ayant quittés le 2 avril 2008, - de dire et juger imputable à la SCI 3A le défaut de réalisation des travaux et la privation de lieu d'activité subie par Philippe K.C.L., - de condamner la SCI 3A à payer à Philippe K.C.L. une somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice lié à sa perte d'activité du 3 avril 2011 au 3 avril 2012, - de condamner la SCI 3A à payer à Philippe K.C.L. une somme de 2500 € par mois à compter du 4 avril 2012 au titre de son préjudice lié à sa perte d'activité et ce jusqu'à la fixation de son indemnité d'éviction, - d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Philippe K.C.L. de sa demande en réparation de préjudice moral et statuant de nouveau, - de condamner la SCI 3A à payer à Philippe K.C.L. la somme de 15 000 € en réparation de son préjudice moral.
- de condamner la SCI 3A à payer à Philippe K.C.L. la somme de 4000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens avec distraction.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 avril 2014.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.
MOTIFS DE LA DECISION
La clôture de l'instruction ayant été reportée au 23 mars 2014 il n'y a pas lieu d'écarter des débats les écritures du 28 janvier 2014.
Sur l'application de l'article L. 145 - 27 du code de commerce Il est acquis aux débats que le congé dont la validité a été constatée par le tribunal de grande instance de Saint Denis dans son jugement du 8 novembre 2006 était fondé sur l'application de l'article L 145 21 du code de commerce prévoyant la possibilité de différer le renouvellement du bail pendant une durée maximum de 3 ans pour surélever l'immeuble.
Aux termes de l'article L 145 27 du code de commerce, « au cas où il viendrait à être établi à la charge du bailleur qu'il n'a exercé les droits qui lui sont conférés aux articles L. 145 17 et suivants qu'en vue de faire échec frauduleusement aux droits du locataire, notamment par des opérations de location et de revente, que ces opérations aient un caractère civil ou commercial, le locataire a droit à une indemnité égale au montant du préjudice subi » En l'espèce, si la SCI 3A n'explique pas pourquoi la surélévation prévue s'est avérée impossible, il ressort des pièces versées aux débats qu'elle a déposé une demande de permis de construire puis de permis de construire modificatif rejetées qui ont fait l'objet de recours devant le tribunal administratif, et qu'en l'état, rien n' a été reconstruit.
En outre, constatant qu'elle ne pourrait permettre la réintégration de Philippe K.C.L. dans les locaux pour la date prévue du 3 avril 2011 compte tenu des retards administratifs, la SCI 3A a proposé à Philippe K.C.L. un autre local provisoire dans le périmètre en construction le 15 février 2011, proposition refusée le 7 mars 2011 par Philippe K.C.L. qui a estimé que ce local était trop petit et inadapté, et que le loyer en était trop cher.
En tout état de cause, il n'est nullement établi que le congé délivré en application de l'article L. 145 21 du code de commerce ne l'ait été qu' en vue de faire échec frauduleusement aux droits du locataire.
Il n'y a donc pas lieu de faire application de l'article L 145 27 du code de commerce.
Sur l'indemnisation de la perte d'activité à compter du 3 avril 2011 Il est constant que le local dont Philippe K.C.L. a été temporairement évincé n'a pu être mis à nouveau à sa disposition le 3 avril 2011 comme le prévoyait le jugement du 8 novembre 2006. La SCI 3A n'est d'ailleurs pas en mesure de permettre la réintégration de Philippe K.C.L. dans les lieux puisque les locaux qui devaient être surélevés ont été démolis, que les travaux d'édification ont été arrêtés et ne semblent pas avoir repris depuis 2011.
L'impossibilité pour Philippe K.C.L. de réintégrer son local est imputable au bailleur, mais ne peut se résoudre en dommages et intérêts pour perte d'activité après la fin de la période d'éviction de trois ans.
En effet, les locaux objet du bail n'existant plus, celui ci a pris fin et il appartient au preneur, qui par ailleurs a perçu pour les trois années d'éviction ( avril 2008 à avril 2011 ) une indemnité égale à trois années de loyer, de saisir la juridiction compétente aux fins d'obtenir l'indemnité d'éviction à laquelle il peut prétendre en raison de la perte du bail.
Il ressort d'ailleurs des pièces versées aux débats que par acte du 28 mars 2013, Philippe K.C.L. a saisi le tribunal de grande instance de Saint Denis d'une demande de fixation du montant de l'indemnité d'éviction.
Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a alloué à Philippe K.C.L. la somme de 30 000 € de dommages et intérêts pour le préjudice lié à sa perte d activité du 3 avril 2011 au 3 avril 2012 et celle de 2 500 € par mois à compter du 4 avril 2012 au titre de son préjudice lié à sa perte d'activité et ce jusqu'à sa réintégration effective dans les lieux dont la délivrance est due.
En revanche, Philippe K.C.L. est bien fondé à solliciter la condamnation de la SCI 3A à réparation de son préjudice moral résultant du congé avec offre de renouvellement différé pour surélévation de l'immeuble donné à bail alors que, bien qu'il ait quitté les lieux en avril 2008, rien n'a été entrepris pour surélever l'immeuble qui a été démoli. Il lui sera alloué à ce titre la somme de 12 000 euros.
Sur les frais irrépétibles et les dépens Compte tenu des circonstances de l'espèce, et notamment de la perte du bail imputable au bailleur, les dépens seront mis à la charge de l'appelante.
En outre il apparaît inéquitable de laisser à la charge de Philippe K.C.L. la totalité des frais, non compris dans les dépens, qu'il a dû exposer pour se défendre en cause d'appel; il lui sera alloué la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS La cour, statuant publiquement, en matière civile, contradictoirement, en dernier ressort, par mise à disposition au greffe, INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a : - condamné la SCI 3A à payer à Philippe K.C.L. la somme de 30 000 € de dommages et intérêts pour le préjudice lié à sa perte d'activité du 3 avril 2011 au 3 avril 2012, -- condamné la SCI 3A à payer à Philippe K.C.L. la somme de 2 500 € par mois à compter du 4 avril 2012 au titre de son préjudice lié à sa perte d'activité et ce jusqu'à sa réintégration effective dans les lieux dont la délivrance est due, - débouté Philippe K.C.L. de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral.
Statuant à nouveau, DÉBOUTE Philippe K.C.L. de sa demande de dommages et intérêts pour perte d'activité à compter du 3 avril 2011.
CONDAMNE la SCI 3A à payer à Philippe K.C.L. la somme de 12 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.
CONFIRME le jugement déféré pour le surplus.
Y ajoutant, CONDAMNE la SCI 3A à payer à Philippe K.C.L. la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.
CONDAMNE la SCI 3A aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.