Livv
Décisions

CA Paris, 4e ch., 23 septembre 1998, n° D19980074

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

CA Paris n° D19980074

22 septembre 1998

La société de droit américain OAKLEY INC. a créé plusieurs modèles de lunettes dont :

- un modèle dénommé commercialement BLADES enregistré à l'Institut National de la Propriété Industrielle les 13 février 1987 et 23 juin 1988 sous les n 87 0789 et 88 4121 sous priorité de deux dépôts effectués aux Etats unis les 15 août 1986 et 23 décembre 1987

- un modèle dénommé commercialement TRIGGER (RAZOR BLADES) enregistré à l'Institut National de la Propriété Industrielle le 15 novembre 1989 sous le N 88 6891 sous priorité d'un dépôt effectué aux Etats Unis le 16 mai 1988

- un modèle dénommé commercialement M-FRAME H enregistré à l'Institut National de la Propriété Industrielle le 17 septembre 1990 sous le n 90 5756 et portant le n 291914 sous priorité d'un dépôt effectué aux Etats Unis le 30 mars 1990 ;

La société OAKLEY EUROPE commercialise ces modèles en France ;

Ayant eu connaissance que la société ROYAL PLASTIC exposerait au salon SILMO à la Porte de Versailles un modèle de lunettes qui reproduirait la forme du modèle M- FRAME et les branches des lunettes RAZOR BLADES, les sociétés OAKLEY et OAKLEY E ont fait procéder le 29 octobre 1994 à une saisie contrefaçon sur le stand de cette société après y avoir été autorisée par ordonnance ;

C'est dans ces circonstances qu'elles ont, par exploit en date du 10 novembre 1994 assigné devant le tribunal de commerce de Paris la société ROYAL PLASTIC pour contrefaçon de modèles et parasitisme ;

Elles sollicitaient outre des mesures d'interdiction sous astreinte, de confiscation et de publication, la condamnation de la société ROYAL PLASTIC à payer à chacune d'elles la somme de 200 000 francs à titre de dommages et intérêts outre une somme globale de 40 000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;

La société ROYAL PLASTIC concluait au rejet des prétentions des sociétés OAKLEY et réclamait paiement d'une somme de 30 000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;

Le tribunal statuant au regard des modèles RAZOR BLADES, BLADES et F et après avoir retenu d'une part que ceux-ci étaient protégeables et avaient été contrefaits s'agissant du modèle BLADES par le modèle 143 de ROYAL PLASTIC et s'agissant des modèles RAZOR BLADES et F par le modèle ULTIMA 4153 CBS, d'autre part que la société ROYAL PLASTIC s'était placée dans le sillage d'une marque à succès sans en assumer les frais et avait banalisé les modèles de OAKLEY a :

- dit que la société ROYAL PLASTIC s'était rendue coupable d'actes de contrefaçon et de concurrence déloyale en copiant les modèles de la société OAKLEY

- condamné la société ROYAL PLASTIC à payer la somme de 100 000 francs à la société OAKLEY INC au titre de la contrefaçon et la même somme à la société OAKLEY EUROPE au titre de la concurrence déloyale outre une somme de 40 000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile,

- prononcé des mesures d'interdiction sous astreinte de 1.000 francs par infraction constatée,

- ordonné la confiscation de tous les modèles contrefaisants (ULTIMA et 143) en la possession de la société ROYAL PLASTIC et la publication du jugement dans trois revues dans la limite de 100 000 francs au choix des demandeurs et aux frais de ROYAL PLASTIC,

- ordonné l'exécution provisoire sans constitution de garantie, sauf pour les publications ;

Les sociétés OAKLEY ayant fait procéder à des mesures de publication et la société ROYAL PLASTIC estimant que l'exécution provisoire n'était pas applicable de ce chef, cette dernière a présenté le 2 février 1996 une requête en interprétation du jugement ;

Par jugement en date du 29 mars 1996 le tribunal de commerce a "constaté que les termes du jugement en ce qu'il exclut les publications de l'exécution provisoire et ceci tant que le jugement n'est pas définitif, est clair, donc cette disposition se trouve maintenue pendant que le jugement est soumis à la Cour d'appel" ;

Le 1er mars 1996 la société ROYAL PLASTIC a interjeté appel du jugement du 3 janvier 1996 ;

Dans le dernier état de ses écritures, elle demande à la Cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et de :

- déclarer nulle la saisie contrefaçon du 29 octobre 1994

- constater que les sociétés OAKLEY INC. et OAKLEY E n'ont jamais invoqué de façon régulière une éventuelle contrefaçon du modèle BLADES dans le cadre de la procédure ayant conduit à la décision entreprise

- subsidiairement déclarer nul le modèle BLADES n 87 0789 pour défaut de nouveauté

- déclarer nul pour le même motif le modèle M-FRAME n 90 5756

- débouter les sociétés OAKLEY de l'ensemble de leurs demandes

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois journaux ou revues de son choix et aux frais in solidum des sociétés OAKLEY pour un montant total HT pouvant atteindre 100 000 francs

- condamner in solidum les sociétés OAKLEY à lui payer la somme de 60 000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;

Les sociétés OAKLEY concluent à l'irrecevabilité et au mal fondé de la demande tendant à voir prononcer la nullité de la saisie contrefaçon ;

Pour le surplus elles poursuivent la confirmation du jugement sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts qu'elles demandent à la Cour d'élever à 200 000 francs au titre de la contrefaçon que de la concurrence déloyale et ce avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;

Par ailleurs elles sollicitent la condamnation de l'appelante à leur payer une somme de 80 000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

DECISION

I - SUR LE PROCES-VERBAL DE SAISIE-CONTREFACON

Considérant que la société ROYAL PLASTIC fait valoir que la saisie pratiquée le 29 octobre 1994 est nulle au motif que l'huissier a excédé ses pouvoirs en saisissant le modèle portant la référence 143 ;

Considérant que les sociétés intimées lui opposent que cette demande soulevée pour la première fois en cause d'appel est irrecevable ;

Qu'elles ajoutent qu'à supposer que l'huissier ait outrepassés ses pouvoirs en procédant à la saisie du modèle n 143, cette irrégularité non prévue à l'article 117 du nouveau code de procédure civile ne saurait constituer une irrégularité de fond ;

Qu'en toute hypothèse elles soutiennent que la nullité ne pourrait être que partielle ;

Considérant ceci exposé que la demande en nullité du procès verbal de saisie contrefaçon bien que formée pour la première fois en appel, est recevable sur le fondement de l'article 564 du nouveau code de procédure civile dans la mesure où elle tend à faire échec à la demande en contrefaçon du modèle BLADES n 87 0789 par le modèle référencé 143 chez ROYAL PLASTIC ;

Considérant sur le fond que selon l'article L 521-1 du Code de la Propriété Intellectuelle :

"la partie lésée peut, même avant la publicité du dépôt, faire procéder par tous huissiers à la description détaillée, avec ou sans saisie, des objets ou instruments incriminés, en vertu d'une ordonnance rendue par le président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel les opérations devront être effectuées, sur simple requête et production du certificat de dépôt" ;

Considérant que la procédure de saisie contrefaçon qui est une procédure présentant un caractère exorbitant du droit commun, justifie que les pouvoirs d'investigation de l'huissier soient strictement délimités par les termes de l'ordonnance ;

Que l'huissier autorisé à rechercher les éléments susceptibles d'établir la preuve de la contrefaçon de deux modèles, ne saurait étendre de lui même sa mission du seul fait que la société requérante est également titulaire d'un troisième modèle et rechercher les éléments qui établiraient une contrefaçon complémentaire ;

Or considérant qu'en l'espèce les sociétés OAKLEY ne s'étaient prévalues dans leur requête que des droits de la société OAKLEY INC. sur les modèles M-FRAME et RAZOR BLADES, n'avaient présenté au magistrat que les modèles déposés à l'Institut National de la Propriété Industrielle sous le n 88 6891 et 90 5756 et n'avaient incriminé que le modèle vendu par la société ROYAL PLASTIC sous la référence ULTIMA ;

Que le délégataire du président du tribunal de grande instance de Paris visant cette requête et les pièces présentées, a autorisé la société OAKLEY INC. à faire procéder à une saisie d'une copie du modèle "ULTIMA" ;

Or considérant qu'il résulte du procès verbal de saisie que l'huissier a saisi outre une paire de lunettes référencée 4153 CBS (ULTIMA), une paire de lunettes référencée 143 ;

Que ce dernier modèle serait selon les propres affirmations des intimées une contrefaçon du modèle BLADES ;

Considérant qu'en saisissant ce modèle, l'huissier a donc outrepassé ses pouvoirs ;

Qu'un tel excès constitue une irrégularité de fond affectant la validité de la saisie ;

Que toutefois la nullité n'en sera prononcée qu'en ce qui concerne la saisie réelle du modèle référencé 143, celle concernant le modèle ULTIMA 4153 CBS étant parfaitement régulière et le dépliant constituant un document commercial dont la saisie a été autorisée par l'ordonnance ;

II - SUR LA CONTREFACON DU MODELE BLADES

Considérant que la société appelante fait tout d'abord valoir que ni le tribunal, ni la Cour n'ont été régulièrement saisis d'une demande en contrefaçon du modèle BLADES par le modèle 143 ;

Qu'elle ajoute que l'extrait du catalogue ROYAL PLASTIC sur lequel se fondent les sociétés OAKLEY pour rapporter la preuve de la contrefaçon n'a jamais été versé aux débats ;

Considérant qu'elle prétend enfin que le modèle BLADES doit être annulé pour défaut de nouveauté en se fondant principalement sur les figures du brevet n 86 13226 ;

Considérant que les sociétés intimées lui opposent que le tribunal a été régulièrement saisi d'une demande en contrefaçon du modèle BLADES ;

Qu'elles soutiennent que les antériorités invoquées ne sont pas pertinentes, que la société OAKLEY INC. est cessionnaire des droits sur le brevet 86 13226 lequel au surplus a été publié postérieurement au dépôt du modèle n 87 0789 le 13 février 1987 ;

Considérant sur la contrefaçon qu'elles exposent que l'écran du modèle incriminé reprend les caractéristiques essentielles de l'écran du modèle BLADES et notamment l'opposition entre la forme arrondie du bord supérieur de l'écran et celle rectiligne et droite s'inscrivant dans un rectangle des bords inférieurs ;

Considérant ceci exposé que, s'agissant de la saisine du tribunal relativement au modèle BLADES, si dans l'acte introductif d'instance le modèle BLADES n'était pas opposé, en revanche dans les conclusions déposées par les sociétés OAKLEY pour l'audience du 4 septembre 1995, celles-ci se sont prévalues d'une seconde contrefaçon, à savoir celle du modèle BLADES par le modèle 143 de ROYAL PLASTIC ;

Qu'il importe peu que cette demande, dont il n'est pas contesté qu'elle se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant, ne soit pas expressément reprise dans le dispositif desdites conclusions dès lors que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties, quel que soit leur emplacement matériel dans les motifs ou dans le dispositif ;

Considérant par ailleurs que la société ROYAL PLASTIC est mal fondée à soutenir qu'elle n'a pas eu connaissance du dépliant dont se prévalent les sociétés OAKLEY dès lors qu'il résulte du procès-verbal de dépôt au greffe des objets saisis que l'huissier a effectivement déposé deux paires de lunettes et un dépliant ;

Que la société appelante n'a pas sollicité du conseiller de la mise en état, comme elle en avait la possibilité, l'ouverture des scellés avant le prononcé de l'ordonnance de clôture ;

Que leur ouverture à l'audience des plaidoiries a confirmé la présence de ce dépliant ;

Considérant que le modèle dénommé commercialement BLADES déposé le 13 février 1987 sous le n 87 0789 sous priorité d'un modèle américain du 15 août 1986 comporte :

- un écran vu de face et de l'arrière, monobloc et très large dont le bord supérieur légèrement arrondi est équipé d'une barre épousant la forme de l'écran et qui présente à chaque extrémité une encoche formant avec la barre un triangle

- des bords latéraux et inférieurs de l'écran sont rectilignes et légèrement inclinés du haut vers le bas s'agissant des seconds,

- un étrier nasal arrondi

- des branches droites ;

Considérant que la date de priorité revendiquée étant le 15 août 1986, il convient de rechercher si, à cette date, le modèle dont se prévalent les sociétés intimées était nouveau, observation étant faite qu'il résulte des conclusions signifiées le 17 mars 1998, qu'elles n'entendent plus se prévaloir des textes régissant le droit d'auteur ;

Considérant que devant la Cour, la société ROYAL PLASTIC n'oppose à titre d'antériorités que deux brevets américains 2 444 498 et 2 472 731, un modèle japonais et un brevet français 86 13226 ;

Considérant que les brevets américains 2 444 498 et 2 472 731 des 6 juillet 1948 et 7 juin 1949 montrent des écrans monobloc larges mais dont tant le bord supérieur que les bords latéraux et inférieurs sont arrondis ;

Considérant que le modèle japonais n 156 142 publié le 26 août 1960 divulgue une paire de lunettes comportant un large écran mais dont le bord et la barre supérieurs sont parfaitement rectilignes alors que les bords inférieurs sont légèrement arrondis ;

Que ces documents ne constituent donc pas des antériorités pertinentes ;

Considérant en revanche que si la société ROYAL PLASTIC fait valoir avec raison que la forme de l'écran du modèle BLADES est reproduite à la figure 2 du brevet français 2 588 673 ayant pour titre "lunettes de soleil à composants amovibles", il demeure que cette demande de brevet a été déposée le 22 septembre 1986 et mise à la disposition du public le 17 avril 1987 soit postérieurement au 15 août 1986 date à laquelle il faut se placer pour apprécier la nouveauté du modèle BLADES ;

Qu'aucune pièce ne permettant de déterminer si les dessins de la demande du brevet américain 78 7242 du 15 octobre 1985 dont la priorité est revendiquée par le brevet français susvisé, sont identiques à la demande française, la nouveauté du modèle 870789 n'est pas détruite et la société ROYAL PLASTIC sera en conséquence déboutée de sa demande en nullité dudit modèle ;

Considérant sur la matérialité de la contrefaçon que l'examen comparatif d'un exemplaire du modèle BLADES et la reproduction photographique du modèle 143 sur le dépliant saisi par l'huissier montre que les caractéristiques essentielles du premier se retrouvent sur le second ;

Qu'en effet l'écran du modèle 143 est également monobloc et large ;

Que le bord supérieur est légèrement arrondi de même que la barre qui le recouvre ;

Que les bords latéraux et inférieurs sont rectilignes et que l'étrier nasal est arrondi ;

Que la seule différence apparente existant entre les deux modèles, à savoir l'absence d'une encoche sur les côtés de l'écran des lunettes 143, n'est pas de nature à en modifier l'aspect d'ensemble s'agissant d'un simple détail ;

Considérant en conséquence que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a dit que le modèle 143 de la société ROYAL PLASTIC constituait une contrefaçon du modèle BLADES enregistré sous le n 87 0789 ;

III - SUR LA CONTREFACON DU MODELE M-FRAME

Considérant que la société appelante fait valoir que ce modèle n'est pas nouveau et se prévaut pour ce faire des deux brevets américains des 6 juillet 1948 et 7 juin 1949, d'un modèle japonais du 26 août 1960 et d'un brevet 86 13226 déjà cités ;

Qu'elle ajoute que le modèle incriminé ne présente pas une monture en forme de M stylisé et que la forme de l'écran n'est pas davantage identique à celle du modèle M- FRAME ;

Considérant que les sociétés intimées répliquent que les dessins reproduits dans les brevets américains ne présentent aucun rapport avec le modèle M-FRAME et que le brevet 86 13226 ne constitue pas davantage une antériorité pertinente au modèle M- FRAME ;

Que selon elles, le modèle critique référencé ULTIMA 4153 CBS reprend la découpe caractéristique "en aile de papillon" du modèle M-FRAME et notamment les découpes en arrondi convexe des bords inférieurs et du côté de l'écran ainsi que la barre centrale supérieure en M stylisé caractéristique ;

Considérant les moyens des parties étant ainsi exposés que le modèle commercialisé sous la référence F a été déposé le 17 septembre 1990 à l'Institut National de la Propriété Industrielle et enregistré sous le n 905756 sous priorité d'un modèle américain du 30 mars 1990 ;

Qu'il se caractérise selon les intimées par les éléments suivants :

- un écran monobloc large inséré dans une monture en forme de M stylisé et reposant sur un étrier nasal amovible

- ledit écran se caractérisant au niveau inférieur par une forme d'aile de papillon coupée de chaque côté en ligne transversale du milieu de la joue jusque vers les tempes tandis que la ligne supérieure de l'écran est découpée en M stylisé afin de s'intégrer dans la monture ;

Considérant que la date de priorité étant le 30 mars 1990, il convient de rechercher si à cette date, le modèle dont se prévalent les sociétés OAKLEY était nouveau ;

Considérant que les dessins des brevets américains 2 444 498 et 2 472 731 montrent des écrans monobloc larges mais sans découpe en forme d'aile de papillon et qui s'insèrent dans une monture rectiligne ;

Considérant que le modèle japonais n 156 142 reproduit une paire de lunettes dont l'écran est également large et monobloc mais sans aucune découpe en forme d'aile de papillon ;

Que le bord supérieur de l'écran est droit ;

Considérant que les figures du brevet français 86 13226 ne constituent pas davantage une antériorité de toute pièce du modèle M-FRAME dès lors que les bords inférieurs et latéraux de l'écran ne présentent pas non plus la forme d'une aile de papillon et que la monture ne figure pas un M stylisé ;

Considérant enfin que les extraits de catalogue datés de 1896 et 1987 mis aux débats par la société ROYAL PLASTIC s'ils montrent des lunettes avec un large écran monobloc inséré dans une monture uniquement au niveau supérieur avec un pont nasal amovible, ne reproduisent aucun écran présentant les mêmes découpes que celui du modèle M- FRAME ;

Que la combinaison spécifique d'un écran monobloc large dont le pont nasal est amovible avec une découpe en forme d'aile de papillon à la partie inférieure et sur les côtés latéraux et avec une monture en forme de M stylisé disposée uniquement au niveau supérieur confère au modèle M-FRAME un caractère de nouveauté ;

Que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a dit que celui-ci était protégeable sur le fondement des dispositions de l'article L 511-3 du Code de la Propriété Intellectuelle ;

Considérant sur la matérialité de la contrefaçon que l'examen comparatif d'un exemplaire du modèle M-FRAME et d'un exemplaire des lunettes référencées 4153 ULTIMA/CBS, objet de la saisie contrefaçon, révèle que ceux-ci présentent en commun la particularité d'être formés d'un écran monobloc large inséré dans une monture uniquement au niveau supérieur et de comporter un étrier nasale amovible ;

Mais considérant que la nouveauté du modèle OAKLEY ne réside pas dans cet agencement mais dans la combinaison d'un écran monobloc aux découpes spécifiques en forme d'aile de papillon avec une monture disposée à la partie supérieure de l'écran et qui évoque un M aplati aux jambages coupés ;

Que la société OAKLEY INC. qui seule agit en contrefaçon, ne saurait sous peine de revendiquer la protection d'un genre étendre le droit privatif qu'elle tient de son modèle à toute paire de lunettes comportant un écran monobloc large avec un étrier nasal amovible et une monture disposée uniquement à la partie supérieure ;

Considérant que si la contrefaçon s'apprécie par les ressemblances et non d'après les différences, il demeure qu'elle ne peut être retenue lorsque, comme en l'espèce, les seules ressemblances existant entre les deux modèles relèvent de la reprise d'un genre et non de la reproduction des caractéristiques conférant au modèle opposé une physionomie propre et nouvelle ;

Considérant que la réalisation d'un écran comportant tant au niveau du bord inférieur que sur les côtés des découpes aux contours arrondis de forme convexe, et d'une monture présentant au niveau de l'insertion dans l'écran trois courbures dont celle du milieu a sensiblement la même largeur que l'encoche nasale confère au modèle 4153 une configuration distincte du modèle M-FRAME ;

Que les formes particulières données par OAKLEY à son écran et à sa monture ne sont pas reproduites ;

Considérant en conséquence que le jugement sera infirmé en ce qu'il a dit que le modèle M-FRAME était contrefait par le modèle ULTIMA 4153 CBS ;

IV - SUR LA CONTREFACON DU MODELE RAZOR BLADES

Considérant que la société ROYAL PLASTIC tout en faisant valoir que des montures de lunettes comportant des branches en ligne brisée étaient commercialisées au moins depuis 1978, soutient que le modèle RAZOR BLADES n'est pas contrefait par le modèle ULTIMA 4153 CBS ;

Considérant que la société OAKLEY INC. lui oppose que les modèles ULTIMA 4153 CBS et 143 reproduisent les branches "en gâchette" du modèle 88 6891 et que les antériorités invoquées ne sont pas pertinentes ;

Considérant ceci exposé que le modèle commercialisé sous la référence RAZOR BLADES et enregistré à l'Institut National de la Propriété Industrielle le 15 novembre 1988 sous le n 88 6891 sous priorité d'un dépôt américain du 16 mai 1988 porte plus particulièrement sur une monture de lunettes dont les branches présentent trois sections formant entre elles un angle droit, les deux premières étant rectilignes alors que la troisième est recourbée vers le bas ;

Considérant que le seul document invoqué à titre d'antériorité par la société appelante, à savoir une monture de lunettes reproduite à la page 48 du magazine "INFORM' OPTIQUE" de mars/avril 1978 n'est pas pertinent dès lors que les branches de cette monture comportent quatre sections ne formant pas entre elles un angle droit et dont la dernière n'est pas recourbée vers le bas ;

Que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a dit que le modèle 88 6891 bénéficie de la protection de l'article L 511-3 du Code de la Propriété Intellectuelle ;

Mais considérant sur la contrefaçon que les branches de la monture du modèle ULTIMA 4153/CBS ne reproduisent pas les caractéristiques du modèle 886891 ;

Qu'en effet ces branches ne sont pas constituées de trois sections formant une ligne brisée mais présentent simplement à leur base inférieure deux courbes concaves tandis qu'à chaque extrémité, la branche est recourbée pour pouvoir se placer derrière l'oreille ;

Que le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a dit que le modèle ULTIMA 4153 CBS constituait une contrefaçon du modèle RAZOR BLADES ;

Considérant s'agissant du modèle 143, que le seul élément d'appréciation valable, à savoir le dépliant photographique (la saisie réelle du modèle 143 étant annulée), ne montre celui-ci que de face et ne permet pas de déterminer la forme des branches ;

Que la société OAKLEY INC. sera en conséquence déboutée de sa demande en contrefaçon de ce chef ;

V - SUR LA CONCURRENCE DELOYALE

Considérant que la société ROYAL PLASTIC fait valoir qu'il ne saurait lui été fait grief d'avoir voulu se placer dans le sillage des sociétés OAKLEY et que les modèles incriminés ne constituent nullement des copies serviles des modèles invoqués ;

Qu'ils appartiennent simplement à un même genre sur lequel les sociétés intimées ne peuvent détenir un monopole ;

Considérant que la société OAKLEY EUROPE distributeur en France des lunettes OAKLEY et notamment du modèle BLADES lui oppose à juste titre que la commercialisation du modèle 143 qui en reproduit les caractéristiques essentielles constitue à son égard des actes de concurrence déloyale ;

Considérant en revanche que la société OAKLEY INC. ne justifie d'aucun acte de concurrence déloyale distinct des faits invoqués à l'appui de sa demande en contrefaçon de modèles, le risque de confusion existant entre les modèles BLADES et 143 n'étant que la conséquence de la contrefaçon et non un acte de concurrence déloyale distinct ;

VI - SUR LES MESURES REPARATRICES

Considérant que seul doit donner lieu à indemnisation le préjudice subi par la société OAKLEY INC. du fait de la contrefaçon du modèle BLADES et celui causé à la société OAKLEY EUROPE par la commercialisation du modèle 143 ;

Considérant que chacune de ces sociétés sollicite paiement d'une somme de 200 000 francs ;

Considérant que la société OAKLEY INC. n'exploitant pas en France le modèle contrefait, son préjudice résulte de l'atteinte à ses droits privatifs sur le modèle BLADES et du fait que la société ROYAL PLASTIC a profité sans contrepartie financière des recherches et études menées par OAKLEY INC. pour mettre au point ce modèle ;

Que ce préjudice sera réparé par une indemnité de 100 000 francs ;

Considérant que la société OAKLEY EUROPE rapporte la preuve que le modèle BLADES a représenté en volume en :

- 1991 14, 17% de ses ventes avec 7621 paires vendues

- 1992 6, 51% de ses ventes avec 3677 paires vendues

- 1993 2, 59% de ses ventes avec 2199 paires vendues

- 1994 0, 30% de ses ventes avec 339 paires vendues ;

Qu'il apparaît donc que ce modèle n'était pas particulièrement recherché par la clientèle, qu'il n'a jamais généré un chiffre d'affaires très important et que manifestement à partir de 1994, année ou précisément la société ROYAL PLASTIC a présenté le modèle 143 au salon "SILMO", il n'était plus vendu qu'en infimes quantités ;

Considérant au demeurant que la société OAKLEY EUROPE ne démontre pas avoir engagé des frais pour promouvoir le modèle BLADES, les justificatifs produits ne concernant que les modèles M-FRAME et SUB ZERO ou autres références ;

Considérant enfin qu'aucun élément n'est communiqué permettant de déterminer l'importance des ventes réalisées par la société ROYAL PLASTIC avec le modèle 1483 ;

Que le préjudice de la société OAKLEY EUROPE sera dans ces conditions suffisamment réparé par le versement d'une indemnité de 50 000 francs ;

Considérant qu'il y a lieu par ailleurs de confirmer les mesures d'interdiction et de confiscation ordonnées par les premiers juges mais uniquement en ce qui concerne le modèle 143 ;

Considérant qu'il sera fait droit aux mesures de publication dans les conditions ci-après définies ;

VII - SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE

Considérant que la société ROYAL PLASTIC fait valoir qu'en faisant publier le jugement en dépit de l'absence d'exécution provisoire sur ce point, les sociétés intimées ont porté atteinte à sa réputation ;

Qu'en répartition du préjudice par elle subi de ce chef, elle sollicite la publication de l'arrêt dans trois revues de son choix et aux frais des sociétés OAKLEY ;

Considérant que les sociétés intimées répliquent que la publication du jugement n'a engendré aucun préjudice particulier à l'égard de la société ROYAL PLASTIC ;

Considérant ceci exposé qu'en faisant procéder dans la revue SPORT PREMIERE de février 1996 à la publication du jugement rendu le 3 janvier 1996 par le tribunal de commerce de Paris alors que dès le 2 février 1996 le conseil de la société appelante avait avisé celui des sociétés OAKLEY de son intention de déposer une requête en interprétation, estimant que celles-ci n'avaient pas le droit de procéder à la publication immédiate, et que par jugement en date du 29 mars 1996 le tribunal a confirmé que la mesure de publication n'était pas assortie de l'exécution provisoire, les sociétés OAKLEY ont manifestement cherché à exercer des pressions sur la société ROYAL PLASTIC et ont violé les termes d'une décision de justice ;

Que la publication ayant eu lieu dans un journal professionnel, il en est résulté une atteinte au prestige et à la réputation de la société appelante d'autant plus grave que le présent arrêt infirme pour l'essentiel le jugement ;

Considérant en conséquence qu'il convient de faire droit aux mesures de publication sollicitées par la société ROYAL PLASTIC dans les conditions ci-après définies au dispositif ;

VIII - SUR L'ARTICLE 700 DU NCPC

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile à l'une ou l'autre des parties.

PAR CES MOTIFS

Prononce la nullité du procès verbal de saisie contrefaçon du 29 octobre 1994 en ce que l'huissier a procédé à la saisie d'un exemplaire du modèle de lunettes référencé 143,

Dit la société OAKLEY INC. recevable en sa demande en contrefaçon du modèle dénommé BLADES

Confirme le jugement du tribunal de commerce de Paris du 3 janvier 1996 en ce qu'il a :

- dit que la société ROYAL PLASTIC avait commis des actes de contrefaçon du modèle de la société OAKLEY INC. dénommé BLADES et des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société OAKLEY EUROPE en commercialisant des lunettes référencées 143

- fait interdiction à la société ROYAL PLASTIC de poursuivre la commercialisation de ce modèle sous astreinte de 1 000 francs par infraction constatée et ordonné la confiscation des modèles 143 en sa possession sous la même astreinte

Le réformant pour le surplus, statuant à nouveau et y ajoutant

Déboute la société OAKLEY INC. de sa demande en contrefaçon des modèles dénommés M-FRAME et RAZOR BLADES par les modèles 4153. CBS ULTIMA et 143

Condamne la société ROYAL PLASTIC à payer à la société OAKLEY INC. la somme de CENT MILLE FRANCS (100.000 francs) à titre de dommages et intérêts et à la société OAKLEY EUROPE la somme de CINQUANTE MILLE FRANCS (50.000 francs)

Autorise la société ROYAL PLASTIC à faire publier le dispositif intégral du présent arrêt dans trois journaux ou revues de son choix et aux frais in solidum des sociétés OAKLEY dans la limite de 30 000 francs HT par insertion,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes

Condamne la société ROYAL PLASTIC aux dépens de première instance et d'appel

Admet la SCP FISSELIER CHILOUX BOULAY titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.