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Décisions

Cass. com., 22 juin 2022, n° 21-14.230

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

SCP LGA (ès qual.), Esnault Eurofruit Méditerranée (Sté)

Défendeur :

Leader Price exploitation (SAS), Distribution Leader Price (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Poillot-Peruzzetto

Avocat général :

M. Douvreleur

Avocats :

SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Delamarre et Jehannin

T. com. Bordeaux, du 15 juin 2018, n° 20…

15 juin 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 janvier 2021), la société Esnault Eurofruit Méditerranée (la société Esnault), spécialisée dans la commercialisation de fruits et légumes, approvisionnait certains magasins exerçants sous l'enseigne Leader Price.

2. La société Leader Price exploitation (la société LPE), appartenant au groupe Franprix Leader Price, exploite des magasins sous l'enseigne Leader price ou en détient des participations.

3. Reprochant à la société LPE la rupture brutale de la relation commerciale établie qu'elle entretenait avec elle, la société Esnault l'a assignée sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.

4. La société Esnault ayant été placée en redressement judiciaire puis, par un jugement du 12 octobre 2017, en liquidation judiciaire, son liquidateur, la société Pimouguet-Leuret-[V], devenue la société LGA, prise en la personne de Mme [V], est intervenue volontairement à la procédure.

5. Après avoir interjeté appel du jugement rendu, la société LGA, ès qualités, a appelé en intervention forcée la société Distribution Leader Price (la société DLP).

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxièmes branches

Enoncé du moyen

6. La société LGA, ès qualités, fait grief à l'arrêt de dire que l'appel en intervention forcée de la société DLP est irrecevable et de rejeter toutes ses demandes, alors :

« 1°/ que doit répondre de la rupture brutale des relations commerciales établies avec un partenaire la société qui a imposé cette rupture à des entités qui, bien que juridiquement distinctes d'elle, n'étaient pas autonomes à son égard dans la décision de rompre ces relations ; qu'au cas d'espèce, le liquidateur de la société Esnault recherchait la responsabilité de la société LPE, dont il faisait valoir qu'elle avait imposé aux franchisés ou établissements exerçant sous licence la rupture des relations commerciales établies avec la société Esnault, ces établissements n'ayant pas, à l'égard de la société LPE, d'autonomie dans le choix des fournisseurs ; qu'en affirmant, pour débouter le liquidateur de la société Esnault de ses demandes, que "selon ses propres conclusions, ces 43 magasins étaient, au moment de la rupture alléguée, exploités par 36 sociétés différentes pourvues de personnalités juridiques autonomes et distinctes de la société Leader Price Exploitation", cependant que la circonstance que les établissements en cause aient eu une personnalité juridique distincte de celle de la société LPE n'excluait pas que celle-ci doive répondre d'une rupture des relations commerciales qu'elle leur aurait, de fait, imposé, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable à la cause ;

2°/ que doit répondre de la rupture brutale des relations commerciales établies avec un partenaire la société qui a imposé cette rupture à des entités qui, bien que juridiquement distinctes d'elle, n'étaient pas autonomes à son égard dans la décision de rompre ces relations ; qu'en se bornant, pour retenir que la responsabilité de la société LPE ne pouvait être engagée du fait de la rupture brutale des relations nouées avec la société Esnault , à énoncer que les 36 sociétés franchisées Leader Price qui avaient rompu leurs relations avec la société Esnault en 2015 étaient exploitées par des "sociétés différentes pourvues de personnalités juridiques autonomes et distinctes de la société Leader Price Exploitation", que le liquidateur de la société Esnault n'établissait pas et n'alléguait pas que la société Esnault avait adressé ses factures à la société LPE elle-même, que n'était pas apportée la preuve d'un contrat de franchise entre les magasins concernés et "la société Esnault [lire Leader Price Exploitation]" et que certains des magasins concernés étant en réalité des concessionnaires indépendants, ils devaient répondre personnellement d'une éventuelle rupture brutale de relations commerciales établies dont ils se seraient rendus responsables, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si ces sociétés disposaient, quels que soient leurs statuts, d'une autonomie de décision quant au choix de leurs fournisseurs, ce qu'excluait notamment la concomitance entre les achats effectués auprès de la société Esnault et la rupture des relations nouées avec ces dernières par l'ensemble des magasins à enseigne Leader Price qu'elle fournissait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 :

7. Aux termes de ce texte, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

8. Pour rejeter les demandes du liquidateur judiciaire de la société Esnault, l'arrêt retient que les quarante-trois magasins en cause étaient exploités, au moment de la rupture, par trente-six sociétés différentes pourvues de personnalités juridiques autonomes et distinctes de la société LPE et retient en outre que, s'agissant des établissements sous enseigne LPE, les factures produites sont émises à l'adresse des multiples établissements sous enseigne, sans qu'il soit allégué ni établi que certaines auraient été adressées par la société Esnault à la société LPE et que, s'agissant de magasins sous l'enseigne Leader Price, la preuve de l'existence d'un contrat de franchise liant ces magasins sous l'enseigne Leader Price et la société Esnault n'est pas rapportée et que plusieurs sociétés exploitant ces magasins sont des concessionnaires indépendants, par conséquent personnellement responsables de toute rupture brutale de relations commerciales établies commises au préjudice de la société Esnault.

9. En se déterminant ainsi, alors que la circonstance que les établissements en cause aient eu une personnalité juridique distincte de celle de la société LPE n'excluait pas que celle-ci doive répondre d'une rupture des relations commerciales qu'elle leur aurait, de fait, imposée, de sorte qu'il lui appartenait de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si ces sociétés disposaient, quel que soit leur statut, d'une autonomie de décision quant au choix de leurs fournisseurs et, le cas échéant, la poursuite de leur relation commerciale avec ceux-ci, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.