CA Reims, ch. civ. sect. instance, 14 décembre 2021, n° 21/00123
REIMS
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pety
Conseillers :
Mme Lefèvre, Mme Magnard
Avocat :
Me de Campos
Exposé des faits
Le 28 mars 2019, Mme A D a acquis auprès de M. X C un véhicule de marque Renault Clio immatriculé BN 612 GQ dont le kilométrage affichait 241 216 km, pour un prix de 1 550 euros.
Se prévalant d'une panne survenue dès le 11 avril 2019, Mme A D a fait réaliser une expertise amiable contradictoire.
Le rapport d'expertise met en avant trois désordres majeurs : un choc avant antérieur à l'achat ayant endommagé plusieurs organes de la face avant, une courroie de distribution à remplacer, une défaillance moteur importante.
Mme D a attrait son vendeur devant le tribunal d'instance de Châlons en Champagne par acte d'huissier du 10 octobre 2019, sur le fondement de l'article 1641 du code civil relatif à la garantie des vices cachés, réclamant, outre la résolution de la vente, le remboursement de ses frais d'assurance et de gardiennage, outre dommages et intérêts.
M. C a conclu au débouté de l'ensemble des demandes.
Par jugement en date du 8 décembre 2020, le tribunal d'instance de Châlons en Champagne a, notamment :
- ordonné la résolution de la vente intervenue le 28 mars 2019 entre Mme D et M. C,
- condamné M. C à restituer à Mme D la somme de 1500 euros,
- ordonné à M. C de prendre en charge le véhicule et ce à ses frais, dans un délai de 15 jours après avoir procédé au remboursement du prix de vente, à défaut de quoi toute mesure utile pourra être prise à l'initiative de Mme D ou du gardien du véhicule, aux frais de M. C,
- débouté Mme D de ses demandes au titre des frais d'assurance, des frais de gardiennage et de dommages et intérêts,
- condamné M. C à payer à Mme D la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Mme D a régulièrement interjeté appel de cette décision suivant déclaration du 25 janvier 2021, recours portant sur l'entier dispositif hormis la condamnation en frais irrépétibles et aux dépens.
Suivant conclusions du 23 avril 2021, Mme D demande à la cour de confirmer le jugement rendu le 8 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Châlons en Champagne en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens, et de l'infirmer pour le surplus de ses dispositions, et, statuant à nouveau de ces chefs,
A TITRE PRINCIPAL
Vu les articles 1603 et suivants du Code civil,
Prononcer la résolution de la vente du véhicule de marque Renault Clio immatriculé BN-612- GQ intervenue le 28 mars 2019 en raison du manquement du vendeur à son obligation de délivrance conforme dudit véhicule et de ses accessoires,
Ordonner à M. C de prendre en charge le véhicule litigieux et ce à ses frais, après avoir procédé au remboursement du prix de vente, dans un délai de quinze jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir, à défaut de quoi toute mesure utile pourra être prise à l'initiative de Mme D ou du gardien du véhicule aux frais de M. C,
A TITRE SUBSIDIAIRE
Vu les articles 1112-1 et 1130 et suivants du code civil,
Annuler la vente du véhicule de marque Renault Clio immatriculé BN-612- GQ intervenue le 28 mars 2019 en raison du manquement du vendeur à son obligation d'information et de la réticence dolosive dont il s'est rendu coupable,
Ordonner à M. C de prendre en charge le véhicule litigieux et ce à ses frais, après avoir procédé au remboursement du prix de vente, dans un délai de quinze jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir, à défaut de quoi toute mesure utile pourra être prise à l'initiative de Mme D ou du gardien du véhicule aux frais de M. C,
A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE
Vu les articles 1641 et suivants du Code civil,
Prononcer la résolution de la vente du véhicule de marque Renault Clio immatriculé BN-612- GQ intervenue le 28 mars 2019 compte tenu de l'existence de vices cachés antérieurs à la vente rendant ledit véhicule impropre à l'usage auquel il était destiné, dont le vendeur avait nécessairement connaissance,
Ordonner à M. C de prendre en charge le véhicule litigieux et ce à ses frais, après avoir procédé au remboursement du prix de vente, dans un délai de quinze jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir, à défaut de quoi toute mesure utile pourra être prise à l'initiative de Mme D ou du gardien du véhicule aux frais de M. C,
EN TOUT ETAT DE CAUSE
Condamner M. C à lui payer la somme de 1 550 euros en remboursement du prix de vente du véhicule Renault Clio immatriculé BN-612- GQ,
Le condamner à lui payer la somme de 1 538,08 euros TTC (889,80 euros TTC + 648,28 euros TTC) correspondant aux cotisations d'assurance des mois d'avril 2019 à mars 2021,
Le condamner à lui payer la somme de 5 990,40 euros TTC correspondant aux frais de gardiennage du 11 avril 2019 au 5 mars 2021, outre la somme de 14,40 euros TTC par jour à compter du 6 mars 2021 jusqu'à reprise du véhicule par M. X C à ses frais auprès du garage Delaitre,
Le condamner à lui payer la somme de 1 153,20 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance subi,
Le condamner à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés à hauteur d'appel, et aux entiers dépens d'appel.
La déclaration d'appel a été signifiée à M. C à personne le 15 mars 2021.
Les conclusions lui ont été signifiées à domicile le 23 avril 2021.
Il n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 octobre 2021.
Motifs
Sur ce, la cour,
Si le premier juge a ordonné la résolution de la vente, sur le fondement de l'article 1641 du code civil, il a débouté Mme D de l'ensemble de ses demandes indemnitaires, en application de l'article 1646, en relevant qu'aucun élément ne permettait d'établir que le vendeur, profane, ait eu connaissance du vice affectant le véhicule préalablement à la réalisation de la vente.
L'expertise amiable, qui s'est déroulée en présence de M. C (et du père de Mme D représentant cette dernière), donc de façon contradictoire, et dont les conclusions ont pu être contradictoirement débattues, a mis en évidence trois désordres majeurs sur le véhicule :
.un choc avant antérieur à l'achat ayant endommagé plusieurs organes de la face avant,
.une courroie de distribution à remplacer,
.une défaillance moteur importante, ayant pour origine probable la destruction progressive de la pompe à carburant entraînant une pollution nuisible du circuit d'alimentation par des copeaux ferreux.
#1 L'expert conclut qu'il apparaît évident que ces défauts étaient présents ou en germe au moment de la vente, qu'en effet ces défaillances ne pouvaient pas entraîner des désordres dans des proportions aussi importantes en seulement 183 km, c'est- à- dire la distance parcourue par le véhicule entre la vente et son immobilisation.
A l'appui de son recours, Mme D modifie le fondement juridique de ses demandes, et agit, à titre principal, sur le fondement de l'obligation de délivrance, et, plus subsidiairement, sur le fondement d'un vice du consentement.
Ce n'est qu'à titre infiniment subsidiaire qu'elle réitère une demande fondée sur la garantie des vices cachés.
a) Sur l'obligation de délivrance
Par application de l'article 1610 du code civil 'si le vendeur manque à faire la délivrance dans le temps convenu entre les parties l'acquéreur pourra, à son choix, demander la résolution de la vente ou la mise en possession, si le retard ne vient que du fait du vendeur'. L'article 1611 précise que, dans tous les cas, le vendeur doit être condamné aux dommages et intérêts, s'il résulte un préjudice pour l'acquéreur du défaut de délivrance au terme convenu.
Enfin, l'article 1615 dispose que l'obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel.
L'appelante soutient qu'en application de ce texte, en s'abstenant de remettre à l'acheteur les documents administratifs relatifs au véhicule vendu, indispensables à une utilisation normale, le vendeur manque à son obligation de délivrance conforme de la chose et de ses accessoires.
Elle rappelle qu'en application de l'article 5 du décret du 4 octobre 1978, le vendeur d'un véhicule, qu'il soit ou non un professionnel, doit remettre à l'acheteur, avant la conclusion du contrat, le procès-verbal de visite technique établi depuis moins de six mois ainsi que les procès-verbaux des éventuelles contre visites.
Mme D fait valoir :
- d'une part, que l'annonce passée par M. C sur le site « lebon coin. Fr » stipulait que le véhicule était en bon état tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, mention qui s'est révélée inexacte dès lors que le véhicule litigieux présentait un choc avant antérieur à l'achat ayant endommagé plusieurs organes, une courroie de distribution à remplacer, et une défaillance moteur importante, qui n'étaient pas mentionnés dans l'annonce,
- d'autre part, que M. C s'est abstenu de lui remettre, lors de la vente, le procès-verbal de contrôle technique datant de moins de six mois, précisant que, le jour de la vente, il s'était engagé verbalement à lui transmettre ce document, ce qu'il n'a jamais fait en dépit de plusieurs relances, de sorte qu'elle n'a jamais pu faire établir un certificat d'immatriculation à son nom.
Sur le premier point, l'annonce mentionne très exactement :
« E Y 1,5 dci 106 ch 5 p 240 000 km intérieur/extérieur en bonne état boîte manuel 6 vitesse
Siège iso fixe B Z contrôle technique OK
2 pneus avant en très bonne état et les 2 arrière bonne état
Les deux ailes ne sont pas de la même couleur que la voiture
Il y a le double des clefs
Curieux s'abstenir ».
Il ne peut se déduire de ce libellé, pas plus que d'aucun autre élément, que M. C, vendeur profane, ait eu connaissance des vices affectant des éléments non apparents du véhicule.
Sur le second point, si Mme D soutient qu'aucun procès-verbal de contrôle technique ne lui a été remis lors de la vente, M. C a contesté ce point lors des opérations d'expertise.
Si Mme D soutient avoir relancé son vendeur à plusieurs reprises à ce sujet, elle ne le démontre nullement, aucun courrier en ce sens n'étant versé à la procédure.
Dans ces conditions, il n'est pas établi que ce document ne lui ait pas été remis.
En tout état de cause, si tel a été le cas, tout acquéreur, même profane, est en mesure de tirer les conclusions d'une telle carence, qui plus est au regard du coût modique de ce véhicule.
#2 En tout état de cause, l'expert a été mis en possession des deux contrôles techniques effectués préalablement à la vente. Si le premier, en date du 21 février 2019, mentionne trois défaillances majeures (système ABS : dispositif d'alerte indique un mauvais fonctionnement du système; opacité : contrôle impossible des émissions à l'échappement; et perte de liquide : fuite excessive de liquide autre que de l'eau), le procès-verbal de contre visite effectué le 1er mars 2019 ne mentionne plus qu'un défaut mineur (opacité : le relevé du système OBD indique une anomalie du dispositif antipollution, sans dysfonctionnement important). Il s'en déduit que le contrôle technique était effectivement « OK », et que les désordres constatés par l'expert n'étaient pas de ceux visibles par les points de vérification prévus pour un contrôle technique, et donc, encore moins, par un non professionnel.
Il s'ensuit que la responsabilité de M. C ne peut être recherchée sur le fondement du défaut de respect de l'obligation de délivrance.
b) Sur l'annulation de la vente pour vice du consentement
L'appelante fait encore valoir les dispositions de l'article 1112-1 du code civil, aux termes duquel « celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son contractant (...) Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans le conditions prévues aux articles 1130 et suivants », c'est-à-dire le dispositif légal relatif aux vices du consentement.
#3 Mme D fait valoir que M. C, a commis une réticence dolosive en dissimulant, au moment de la vente, des informations dont l'importance était déterminante de son consentement, et qu'elle n'a donc pas été en mesure de contracter en toute connaissance de cause.
Les motifs ci-dessus exposés montrent que le vendeur, profane, avait en possession un procès-verbal de contre visite technique qui ne faisait pas état des défauts majeurs mis en évidence par l'expertise amiable, dont rien ne démontre qu'il pouvait par ailleurs avoir connaissance. Il ne pouvait donc à l'évidence en avertir l'acquéreur, de sorte qu'aucune réticence dolosive ne peut être caractérisée.
Ce moyen sera également rejeté.
c) Sur la garantie de vices cachés
Les dispositions des articles 1641 et 1646 ont été rappelées ci-dessus, de même que les conclusions de l'expertise amiable contradictoire, qui n'ont, au demeurant, jamais été contestées, et qui établissent à l'évidence l'existence de vices cachés.
Dès lors qu'il n'est pas établi que M. C, vendeur profane, ait eu connaissance des vices mis en évidence par l'expertise amiable, il ne peut être tenu qu'à la restitution du prix et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente. Ces frais s'entendent des dépenses directement liées à la conclusion du contrat.
#4 Les frais d'assurance et de gardiennage du véhicule ne peuvent être considérés comme des frais occasionnés par la vente (comme l'eussent été, par exemple, les frais d'établissement du certificat d'immatriculation), de sorte que c'est à juste titre que le premier juge a débouté Mme D de ces chefs de demande, ce en quoi il est confirmé.
II Sur les frais irrépétibles et les dépens
Mme D, succombant en son recours, est déboutée de sa demande en frais irrépétibles et conservera la charge des dépens d'appel qu'elle a exposés.
Dispositif
Par ces motifs,
Déboute Mme A D de ses demandes fondées sur les dispositions des articles 1603 et 1112-1 du code civil,
Confirme le jugement rendu le 8 décembre 2020 en toutes ses dispositions querellées,
Y ajoutant,
Déboute Mme A D de sa demande en frais irrépétibles,
Dit que Mme A D conservera la charge des dépens exposés en cause d'appel.