Cass. com., 18 février 2004, n° 02-17.421
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Attendu, selon l'arrêt partiellement confirmatif attaqué (Paris, 10 mai 2002), que M. X et M. Y ont inventé un dispositif de sauvegarde à distance de données numériques, et déposé une demande de brevet ; que la société France Télécom, employeur de M. X, lui a notifié, le 29 septembre 1994, son intention de se faire attribuer, par application de l'article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle, la propriété des droits attachés à cette invention ; qu'un "acte de cession" a été signé le 6 octobre 1994, et un acompte payé à M. X ; que la société France Télécom ayant renoncé à l'exploitation de cette invention, et proposé à M. X de lui restituer ses droits, celui-ci l'a assignée en paiement de dommages-intérêts pour réparer le préjudice causé par le manquement à son obligation d'exploiter le brevet ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société France Télécom fait grief à l'arrêt d'avoir accueilli cette action, alors, selon le moyen :
1°) que si, selon les critères définis au paragraphe 2 de l'article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle et dans des conditions et délais fixés par décret en Conseil d'Etat, la loi confère à l'employeur le droit de se faire attribuer certaines inventions de salariés, en contrepartie du paiement d'un juste prix, aucune disposition légale ni réglementaire ne subordonne l'exercice de ce droit à la condition que l'employeur exploite ou fasse exploiter ces inventions hors missions attribuables, ce qui constitue un acte de gestion relevant de son pouvoir d'appréciation de l'intérêt de l'entreprise ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 611-7 2 du Code de la propriété intellectuelle ;
2°) qu'en l'espèce, aucune disposition de l'instruction FT/DRH/94/1/08 du 21 février 1994, ni aucune stipulation du contrat dit "acte de cession" conclu entre M. X et France Télécom ne met à la charge de celle-ci une obligation d'exploiter l'invention qu'elle s'est fait attribuer ; qu'elle n'a d'autre obligation que de payer le juste prix convenu ; que celui-ci se compose, d'une part, d'un acompte, définitivement acquis et fixé par référence à "l'originalité, l'intérêt technique et les perspectives d'application" (article 17 a) de l'instruction), entendus à l'alinéa 2 de l'article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle comme "l'utilité industrielle et commerciale de l'invention" ; d'autre, part, d'un intéressement sur les "résultats d'exploitation éventuels" (article 12, alinéa 3 de l'instruction) et fonction de la "valeur d'exploitation" (article 13 de l'instruction), si l'employeur fait le choix d'exploiter ou de faire exploiter l'invention qu'il s'est fait légalement attribuer, par une décision de gestion relevant du pouvoir d'appréciation de l'intérêt de l'entreprise ; que dès lors, en déclarant que "le prix étant déterminé par rapport à la valeur d'exploitation, l'employeur avait l'obligation d'exploiter", la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel s'est fondée par motifs propres et adoptés, non sur l'existence d'une obligation légale ou réglementaire incombant à l'employeur, mais sur les termes de l'acte de cession, pour en déduire que la société France Télécom s'était engagée à payer le prix de cession selon un intéressement fixé en proportion de la valeur d'exploitation, et que ce contrat l'obligeait à exploiter l'invention ;
Et attendu, d'autre part, qu'ayant constaté par motifs propres et adoptés que, selon ce contrat, la rémunération du cédant était proportionnelle au chiffre d'affaires réalisé au titre de l'exploitation commerciale de l'invention cédée, c'est par exacte application du texte prétendument violé, que la cour d'appel a déduit de ces modalités de fixation du prix que l'employeur avait contracté l'obligation d'exploiter le brevet, et ainsi caractérisé sa décision de gestion à ce propos ;
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa première branche, n'est pas fondé en sa seconde branche ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses cinq branches :
Attendu que la société France Télécom fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1°) qu'à supposer par hypothèse que la société France Télécom eût l'obligation de tout mettre en oeuvre pour parvenir à l'exploitation de l'invention, par elle-même ou par autrui, il incombait à M. X de rapporter la preuve de l'existence de faits de nature à caractériser une faute dans l'exécution d'une telle obligation de moyens et en relation directe avec le préjudice allégué, en démontrant que telle action omise par la société France Télécom aurait nécessairement conduit à une exploitation profitable de l'invention ; qu'en omettant de le constater en fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134, 1147 et 1149 du Code civil ;
2°) qu'au surplus, il résulte des propres constatations de la cour d'appel que "France Télécom a cherché dans un premier temps à contraindre une autre société exploitant un système Guardon, qu'elle estimait être une contrefaçon du brevet de M. X, à prendre une licence", et que "France Télécom a été suffisamment diligente, s'agissant de la procédure d'examen aux Etats-Unis, même si celle-ci n'a pas permis d'obtenir la délivrance du brevet" ; qu'il en résultait que France Télécom avait tenté de faire exploiter l'invention ; que dès lors, en retenant la responsabilité contractuelle de France Télécom au motif "qu'en ne procédant pas de manière fautive à l'exploitation du brevet, France Télécom avait fait obstacle à l'application de la disposition relative au prix de la cession" ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations de fait, et, par suite, a violé les articles 1134, 1147 et 1149 du Code civil ;
3°) qu'au surplus, il résulte des propres constatations de la cour d'appel que "France Télécom a cherché dans un premier temps à contraindre une autre société exploitant un système Guardon, qu'elle estimait être une contrefaçon du brevet de M. X, à prendre une licence" ; qu'à cet égard, France Télécom soutenait que la société AX 1 avait fait volte-face en prétendant que le boîtier Guardon ne serait pas une contrefaçon", que "sur demande reconventionnelle en contrefaçon formée par France Télécom, le tribunal de Paris a rendu le 21 février 2001 un jugement condamnant la société AX 1 pour contrefaçon", que "M. X a soutenu que M. Z, qui était à l'origine du boîtier Guardon, avait entrepris une exploitation de son procédé au sein d'une société Adhersis" et que "la société France Télécom a fait une proposition de licence à la société Adhersis" ;
qu'ainsi, France Télécom avait fait valoir un moyen pertinent, en ce qu'il démontrait qu'elle avait tenté de faire exploiter l'invention ; qu'en omettant d'y répondre, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
4°) qu'en se bornant à déclarer "qu'alors que M. X démontre que d'autres sociétés (telles IBM) étaient intéressées par le brevet, France Télécom n'a pris aucune initiative pour rechercher des possibilités d'exploitation", sans rechercher si l'action prétendument omise aurait nécessairement conduit à une prise de licence, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1134, 1147 et 1149 du Code civil ;
5°) qu'enfin France Télécom soutenait que "la situation de copropriété du brevet est une entrave importante dans la négociation de toute licence, en raison des notifications à faire au copropriétaire et aux possibilités qu'a celui-ci d'interférer dans la négociation" ; qu'il s'agissait d'un moyen pertinent, au regard duquel devaient être appréciées les diligences de France Télécom ; qu'en omettant d'y répondre, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que, sous couvert de manque de base légale et de défaut de réponse à conclusions, le moyen tend à remettre en cause l'appréciation souveraine par les juges du fond, qui n'étaient pas tenus suivre les parties dans le détail de leur argumentation, des éléments de preuve soumis à leur appréciation ; que ce moyen n'est fondé en aucune de ces branches ;
Et sur le troisième moyen :
Attendu que la société France Télécom fait enfin le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, qu'à compter de sa naissance, le droit conféré par la loi à l'employeur de se faire attribuer l'invention hors mission attribuable du salarié est susceptible de renonciation ; qu'il en est de même de l'exercice de ce droit par un acte juridique unilatéral de l'employeur, dont la volonté suffit à emporter les effets juridiques de l'attribution ; qu'en l'espèce, il ne résulte ni de l'instruction FT/DRH/94/1/08 ni de l'acte dit de "cession" conclu entre M. X et France Télécom que celle-ci ait entendu renoncer à son droit de rétracter sa décision d'exerce son droit d'attribution ; que dès lors, en rejetant le chef du dispositif des conclusions de France Télécom lui demandant de lui "donner acte de ce qu'elle renonce pour l'avenir au droit d'attribution qu'elle avait exercé le 29 septembre 1994" aux motifs erronés que l'acte du 6 octobre 1994 aurait "réalisé un transfert de propriété" et que l'exercice du droit d'attribution ne serait "pas un acte unilatéral que la société France Télécom pourrait retirer", la cour d'appel a violé les articles 1134 du Code civil et L. 611-7 2 du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu qu'ayant constaté que l'exercice du droit d'attribution avait été suivi de la signature d'un acte de cession entre le salarié et l'employeur, la cour d'appel a exactement décidé que cette convention avait force obligatoire et ne pouvait être unilatéralement dénoncée par la société France Télécom ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.