Cass. com., 22 juin 2022, n° 21-84.020
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Rapporteur :
Mme Chafaï
Avocat général :
Mme Mathieu
Avocats :
Me Balat, SCP Buk Lament-Robillot
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Saisie de plaintes émanant de différentes sociétés, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur a adressé le 7 juin 2013 au procureur de la République d'Aix-en-Provence un signalement portant à sa connaissance des faits susceptibles d'être qualifiés d'escroqueries, de faux et usage de faux, commis par la société [2], devenue [3], dans le cadre de son activité de location de photocopieurs.
3. Une information judiciaire a été ouverte le 2 octobre 2015 des chefs de faux et usage, escroquerie, pratiques commerciales trompeuses.
4. Il ressort des investigations que la société [2] proposait des photocopieurs en location en s'engageant à verser, contre l'émission d'une facture, une « participation commerciale » ayant pour effet de faire baisser très fortement le montant du loyer. Plusieurs sociétés clientes se sont plaintes de n'avoir pas perçu le nouveau versement qui leur avait été promis au bout d'une durée de vingt mois. Les contrats étaient rédigés de façon ambiguë, la mention relative au renouvellement de la « participation commerciale » aux conditions équivalentes étant interprétée par la société [2] comme un versement en cas de signature d'un nouveau contrat de location, correspondant à une montée en gamme.
5. Par un courrier en date du 2 mai 2017, les sociétés [1] et [4] se sont constituées partie civile.
6. Le 14 mars 2018, le juge d'instruction a adressé aux parties un avis de fin d'information.
7. Le 19 décembre 2018, la société cabinet [S]-[C], M. [I] [S] et Mme [F] [C], cogérants de ladite société, se sont constitués partie civile.
8. Le 12 novembre 2019, le juge d'instruction a ordonné un non-lieu pour insuffisance de charges.
9. Les sociétés [1], [4] et cabinet [S]-[C] ont relevé appel de cette décision.
Examen de la recevabilité du mémoire proposé pour la société cabinet [S]-[C], M. [S] et Mme [C]
10. Le mémoire est irrecevable en ce qu'il est proposé pour M. [S] et Mme [C], qui ne se sont pas pourvus en cassation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen proposé pour les sociétés [1] et [4], pris en sa première branche, le second moyen proposé pour les sociétés [1] et [4], et le moyen unique proposé pour la société cabinet [S]-[C], pris en sa première branche
11. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le premier moyen proposé pour les sociétés [1] et [4], pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
12. Le moyen, en sa seconde branche, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance rendue le 12 novembre 2019 par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Lyon disant n'y avoir charges suffisantes contre quiconque d'avoir commis les délits visés à la prévention, alors « que les pratiques commerciales trompeuses prévues et réprimées par le code de la consommation peuvent viser des professionnels ; qu'en décidant, pour confirmer l'ordonnance de non-lieu, que les dispositions protectrices du code de la consommation relatives aux pratiques commerciales trompeuses ne s'appliquent pas aux transactions entre professionnels, la chambre de l'instruction a violé l'article L. 121-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, ensemble l'article 591 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 121-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
13. Aux termes du paragraphe 3 de ce texte, les pratiques commerciales trompeuses définies par le paragraphe 1 de ce même texte sont applicables aux transactions entre professionnels.
14. Pour confirmer l'ordonnance de non-lieu du juge d'instruction du chef de pratiques commerciales trompeuses, l'arrêt attaqué énonce que les dispositions du code de la consommation réprimant les pratiques commerciales déloyales sont relatives aux pratiques des entreprises qui portent directement atteinte aux intérêts économiques des consommateurs et ne s'appliquent pas aux transactions entre professionnels.
15. Les juges ajoutent que les contrats conclus par les sociétés [1] et [4] avec la société [2] devenue [3] sont des contrats conclus entre professionnels qui n'entrent pas dans le champ d'application du code de la consommation.
16. Ils en concluent qu'il ne peut être fait application aux sociétés [1] et [4] des dispositions protectrices relatives aux pratiques commerciales trompeuses.
17. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
18. La cassation est par conséquent encourue.
Et sur le moyen unique proposé pour la société [S]-[C], pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
19. Le moyen, en ses deuxième et troisième branches, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable l'appel dirigé contre l'ordonnance du juge d'instruction du tribunal judiciaire de Lyon du 12 novembre 2019, alors : « 2°/ que les juges ne peuvent soulever d'office un moyen d'irrecevabilité de l'appel, à l'exception des dispositions d'ordre public relatives aux formes et délais d'appel, ou d'irrecevabilité d'une constitution de partie civile sans avoir permis aux parties d'en débattre ; qu'en retenant d'elle-même l'irrecevabilité de l'appel dès lors que la constitution de partie civile des exposants visait des faits étrangers à ceux dont le juge d'instruction était saisi, sans permettre aux parties civiles de présenter leurs observations sur ce point, la chambre de l'instruction a violé l'article 6, §1, de la Convention européenne des droits de l'homme ; 3°/ la constitution de partie civile incidente devant la juridiction d'instruction n'est recevable qu'à raison des seuls faits pour lesquels l'information est ouverte, ou de faits indivisibles ; qu'en affirmant, pour déclarer l'appel irrecevable, que la constitution de partie civile des exposants était étrangère aux faits dont le juge d'instruction avait été saisi cependant que ce dernier était saisi de faits de faux et usages de faux commis sur le territoire national entre le 1er janvier 2011 et le 2 octobre 2015 et que les exposants se plaignaient précisément de tels faits
commis en France en 2014, la chambre de l'instruction a violé l'article 87, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire et 87 du code de procédure pénale :
20. Il résulte des deux premiers de ces textes que la chambre de l'instruction, saisie de l'appel d'une ordonnance de non-lieu, ne peut relever d'office l'irrecevabilité de l'appel de la partie civile tirée de l'irrecevabilité de sa constitution sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.
21. Il résulte du troisième que la constitution de partie civile peut avoir lieu à tout moment au cours de l'instruction et elle est recevable à raison des faits pour lesquels l'information est ouverte.
22. Pour déclarer irrecevable l'appel de M. [S], Mme [C] et de la société cabinet [S]-[C], l'arrêt énonce notamment que leur plainte avec constitution de partie civile incidente, postérieure à la notification de l'avis de fin d'information, dénonce des faits nouveaux étrangers à la saisine du juge d'instruction dont ce dernier n'a pas été valablement saisi.
23. Les juges en concluent que M. [S], Mme [C] et la société cabinet [S]-[C] n'ont pas qualité pour interjeter appel de l'ordonnance de non-lieu, qui ne porte pas sur les faits dont ils se disent victimes.
24. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
25. En premier lieu, elle a déclaré irrecevable l'appel des parties civiles en raison de l'irrecevabilité de leur constitution sans avoir invité les parties à présenter leurs observations.
26. En second lieu, la constitution des parties civiles est intervenue avant la clôture de l'information, et les faits dénoncés étaient inclus par le réquisitoire introductif en date du 2 octobre 2015 dans ceux objet de l'instruction.
27. La cassation est par conséquent de nouveau encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, en date du 11 mai
2021, mais en ses seules dispositions ayant ordonné non-lieu des chefs de pratiques commerciales trompeuses à l'égard des sociétés [1] et [4] et ayant déclaré l'appel de la société cabinet [S]-[C] irrecevable, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.