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Décisions

Cass. com., 2 juin 2022, n° 19-17.778

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Défendeur :

Garden Max (Sasu), Simco Cash (SARL), Polyflame Europe (SAS), Aimé Byttebier-Michels (Sté), Clisson (SAS), LCL Partners (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Bessaud

Avocats :

SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Thomas Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier

Cass. com. n° 19-17.778

1 juin 2022

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 mars 2019), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 4 octobre 2016, pourvoi n° 14-22.245), la commune de [Localité 12], connue pour ses couteaux ornés d'une abeille et pour son fromage bénéficiant d'une appellation d'origine contrôlée, soutenant que son nom constitue une indication de provenance pour certaines catégories de produits et qu'il fait l'objet depuis 1993 d'une spoliation en raison de nombreux dépôts de marques, a, en 2010, assigné MM. [I] et [J] [A] et la société [Localité 12], anciennement dénommée GTI - GIL technologies internationales, titulaires, en tout, de vingt-sept marques verbales ou semi-figuratives françaises, communautaires et internationales comportant le nom « [Localité 12] », assorti pour certaines de la représentation d'une abeille, la société [Localité 12] licences, qui a pour activité le bail de licences ou de sous-licences sur les produits ou services de quelque nature que ce soit, ainsi que les sociétés Polyflame Europe, Garden Max et LCL Partner, la société Tendance séduction, devenue TSP, la société Byttebier Home textiles, aux droits de laquelle vient la société Aimé Byttebier-Michels, et les sociétés Simco Cash, Lunettes Folomi et Clisson, qui commercialisent des produits sous les marques ou nom « [Localité 12] », le catalogue de leurs produits étant mis en ligne sur le site « www.[011].tm.fr » et, pour la société Polyflame Europe, sur le site « www.polyflame.com », pour pratiques commerciales trompeuses et parasitisme, ainsi qu'en nullité des marques et, subsidiairement, en déchéance des droits des titulaires sur les marques.

Examen des moyens

Sur les premier et second moyens du pourvoi incident, chacun pris en leur seconde branche, ci-après annexés

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

3. La commune de [Localité 12] fait grief à l'arrêt de rejeter les demandes d'injonction et d'interdiction formées au titre des pratiques commerciales trompeuses, alors :« 1°/ que la seule utilisation, pour désigner un produit, du nom d'une commune de 1 300 habitants connue par 47 % de la population française est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement du consommateur en lui faisant croire que ces produits sont originaires de cette commune ; que pour écarter toute pratique commerciale trompeuse, la cour d'appel s'est bornée à relever que le site internet www.[011].tm.fr" ne contenait pas d'informations erronées, que le texte établi par la société [Localité 12] SA le 3 mars 2004, repris sur le site de certains des licenciés, informait suffisamment le consommateur sur le fait que les produits concernés étaient produits à l'étranger et que les mentions des catalogues des sociétés licenciées, se référant à l'environnement de la commune de [Localité 12], étaient insuffisantes à caractériser de telles pratiques ; qu'en statuant par de tels motifs sans rechercher, comme cela lui était demandé, si l'utilisation du nom de [Localité 12] pour désigner les produits qui n'avaient rien à voir avec la commune connue par 47 % de la population française n'était pas, à elle seule, indépendamment des mentions des sites internet et du contenu des catalogues des différents intimés, susceptible d'induire en erreur le consommateur moyen, en lui faisant croire que ces produits étaient originaires de ladite commune, et si elle n'était pas, en outre, de nature à altérer de manière substantielle son comportement, en l'amenant à prendre une décision d'achat qu'il n'aurait pas prise autrement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 121-1 et L. 121-2 du code de la consommation.2°/ que le juge ne peut pas dénaturer les documents de la cause ; que le texte établi par la société [Localité 12] SA le 3 mars 2004, repris sur le site de certains des licenciés, tout en désignant la commune de [Localité 12] comme notre village", se bornait à exposer que certains couteaux [Localité 12] "étaient produits aussi bien à [Localité 12] depuis 1981, à [Localité 19], que dans des sites à l'étranger, citons l'Espagne, le Pakistan, la Chine" ; que ce dernier passage ne visait ni les produits spécifiquement commercialisés par les intimés, ni même d'autres produits que les couteaux ; qu'en jugeant pourtant que ce texte informait suffisamment le consommateur de ce que les produits en question sont fabriqués dans des sites à l'étranger", la cour d'appel l'a dénaturé, en méconnaissance de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause. »

Réponse de la Cour

4. Doit être qualifiée de trompeuse une pratique qui, d'une part, contient des informations fausses ou est susceptible d'induire en erreur le consommateur moyen, l'empêchant de faire un choix en connaissance de cause et donc de façon efficace et, d'autre part, est de nature à amener le consommateur à prendre une décision

5. Après avoir relevé que le texte qui figure sur le site internet «www.[011].tm.fr », présentant les produits revêtus des marques utilisant le nom [Localité 12], fait expressément référence à « la ville de [Localité 12] », décrite comme « notre village », l'arrêt, par motifs propres et adoptés, retient que son auteur, qui cherche à établir l'histoire de la marque [Localité 12] en relation avec le couteau éponyme, originaire de la commune du même nom, conclut son propos en indiquant qu'« il n'y a pas de vrais ou de faux couteaux [Localité 12], qu'il n'existe que de vrais ou faux fabricants, des couteaux de qualité ou de valeur médiocre, des sites de production français, aussi bien à [Localité 12] depuis 1981, à [Localité 19] que dans des sites à l'étranger, citons l'Espagne, le Pakistan et la Chine ». Il en déduit que le consommateur moyen, informé de ce que les produits en question sont fabriqués aussi dans des sites à l'étranger, ne croira pas que ceux-ci sont originaires de la ville de [Localité 12], de sorte que les références multiples sur les catalogues et sur les sites internet litigieux, au nom « [Localité 12] » mais également au lieu, à l'histoire, à l'artisanat traditionnel, aux matériaux et plus généralement à l'environnement de la commune de [Localité 12] sont insuffisantes pour caractériser des pratiques commerciales trompeuses.

6. En l'état de ces constatations et appréciations, c'est sans dénaturer le texte en cause que la cour d'appel, qui, contrairement à ce que postule la première branche, ne pouvait se borner à rechercher si le consommateur moyen serait amené à établir un lien entre des produits du seul fait de leur commercialisation sous le nom d'une commune, fût-elle connue de 47 % de la population française, a apprécié concrètement, au regard de l'ensemble des éléments pertinents de l'espèce, s'il existait un risque d'erreur du consommateur sur l'origine du produit, justifiant ainsi légalement sa décision.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

8. La commune de [Localité 12] fait grief à l'arrêt de la débouter de l'ensemble de ses demandes en déchéance des droits des propriétaires de toutes les marques invoquées pour usage trompeur, alors « que le premier moyen a permis de caractériser que c'était à tort que les juges du fond avaient écarté l'existence de pratiques trompeuses imputables aux intimés ; que pour écarter le moyen tiré de la déchéance des droits des titulaires des marques pour usage trompeur, les juges du fond ont renvoyé à la motivation écartant l'existence de pratiques trompeuses, attaquée par le premier moyen ; que par conséquent, la cassation à intervenir sur le fondement du premier moyen justifie la cassation du chef de dispositif attaqué par le présent moyen, par application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

9. Le rejet du premier moyen rend le moyen sans portée.

Sur le troisième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

10. La commune de [Localité 12] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes d'indemnité formées au titre des pratiques commerciales trompeuses, alors :« 1°/ que le premier moyen a permis de caractériser que c'était à tort que les juges du fond avaient écarté l'existence de pratiques trompeuses imputables aux intimés ; que pour écarter la demande indemnitaire formée au titre des pratiques commerciales trompeuses, la cour d'appel a renvoyé à la motivation écartant l'existence de pratiques trompeuses, attaquée par le premier moyen ; que par conséquent, la cassation à intervenir sur le fondement du premier moyen justifie la cassation du chef de dispositif attaqué par le présent moyen, par application de l'article 624 du code de procédure civile ;2°/ que le préjudice économique, subi en suite de pratiques commerciales trompeuses, ne se limite pas au seul gain manqué ; qu'en se bornant à relever, pour écarter toute indemnisation du préjudice économique de la commune, que celle-ci n'allègue pas utilement et précisément avoir été empêchée d'exercer une activité qui lui aurait procuré un gain, sans examiner plus avant les autres composantes du préjudice économique dont il était demandé réparation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu l'article 1240, du code civil. 3°/ qu'en se bornant, pour écarter l'indemnisation sollicitée, à énoncer par motifs éventuellement adoptés que la notoriété de la commune de [Localité 12] n'était pas établie, motif impropre à établir que cette commune de 1 300 habitants, connue par 47 % de la population française, n'avait subi aucun préjudice économique du fait des pratiques commerciales trompeuses reprochées aux intimées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu l'article 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

11. En premier lieu, le rejet du premier moyen rend le moyen, pris en sa première branche, sans portée.

12. En second lieu, la cour d'appel ayant exactement écarté l'existence de pratiques commerciales trompeuses, le motif, critiqué par la deuxième branche, par lequel elle a rejeté la demande d'indemnisation, est surabondant et la recherche, invoquée par la troisième branche, était inopérante.

13. Pour partie inopérant, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.

Sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche, dont l'examen est préalable au quatrième

Moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

14. Les sociétés [Localité 12] et [Localité 12] licences, ainsi que MM. [A], font grief à l'arrêt de prononcer la nullité des marques n° 3 468 615, 3 468 616, 3 518 815, 3 614 716, 3 568 289, 3 402 440, 3 624 569, 3 628 607, 3 633 406 et 3 642 134 et de condamner MM. [A] et la société [Localité 12] in solidum à verser la somme de 50 000 euros à la commune de [Localité 12], alors « que le caractère frauduleux d'un dépôt de marque doit s'apprécier globalement, en tenant compte de l'ensemble des circonstances factuelles pertinentes du cas d'espèce et en se plaçant au jour du dépôt ; qu'il convient ainsi, tout particulièrement, de prendre en considération l'intention du déposant à cette dernière date ainsi que le degré de protection juridique du signe invoqué par le tiers ; qu'en retenant que les dépôts des marques litigieuses, comprenant le terme [Localité 12]", seraient entachés de fraude, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, à la date de ces dépôts, soit entre 2006 et 2009, en l'état de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 3 novembre 1999, qui avait définitivement rejeté les demandes de la commune de [Localité 12] tendant à l'annulation des cinq premières marques déposées par les exposants, constituées des termes [Localité 12]", "[Localité 12] la légende" et [Localité 12] International" et couvrant de nombreux produits, les exposants ne pouvaient pas légitimement penser être en droit d'exploiter la marque [Localité 12]" et de déposer d'autres marques composées de ce terme, et s'ils n'ont pas déposé les marques litigieuses, avec l'intention légitime de poursuivre et de développer ses activités commerciales, autour de déclinaisons de ses marques [Localité 12]" reconnues définitivement valables, et non dans l'intention de méconnaître les droits de la commune, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 711-1 et L. 712-1 du code de la propriété intellectuelle, ensemble le principe selon lequel la fraude corrompt tout. »

Réponse de la Cour

15. La cour d'appel, ayant apprécié globalement l'ensemble des circonstances pertinentes du litige, a retenu qu'à la date des multiples dépôts, MM. [A] et la société [Localité 12] avaient cherché à monopoliser le nom de la commune « [Localité 12] » pour désigner de nombreux produits et services, sans lien de rattachement avec cette commune, et que ces dépôts s'inscrivaient dans une stratégie commerciale visant à priver celle-ci ou ses habitants, actuels ou futurs, de l'usage de ce nom nécessaire à leur activité.

16. Par ces motifs, suffisant à caractériser la mauvaise foi de MM. [A] et de la société [Localité 12], la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche, inopérante, invoquée par le moyen, a légalement justifié sa décision.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le quatrième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

18. La commune de [Localité 12] fait grief à l'arrêt de limiter à 50 000 euros la réparation qui lui a été allouée en réparation du préjudice subi à la suite du dépôt frauduleux des marques annulées, alors « que le préjudice économique, subi en suite du dépôt frauduleux de marques, ne se limite pas au seul gain manqué ; qu'en se bornant à relever, pour écarter toute indemnisation du préjudice économique de la commune, que celle-ci n'allègue pas utilement et précisément avoir été empêchée d'exercer une activité qui lui aurait procuré un gain, sans examiner plus avant les autres composantes du préjudice économique dont il était demandé réparation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu l'article 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

19. En l'état des conclusions d'appel de la commune de [Localité 12] qui se bornait à invoquer une entrave à son action dans ses projets économiques et sociaux et une économie de frais de développement et d'investissements réalisée par MM. [A] et la société [Localité 12], par l'appropriation de son image et de sa notoriété, c'est exactement que la cour d'appel a retenu que cette commune, faute de justifier avoir été empêchée d'exercer une activité qui lui aurait procuré un gain, ne démontrait pas la réalité du préjudice économique allégué.

20. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

21. Les sociétés [Localité 12] et [Localité 12] licences, ainsi que MM. [A], font grief à l'arrêt de prononcer la nullité des marques françaises n° 97 674 962, 98 762 002, 98 762 001, 99 794 586, 99 803 625, 3 018 629, 3 136 619, 3 255 629, 3 263 291 et 3 262 288, alors « que pour retenir que les marques litigieuses ont été déposées de mauvaise foi et écarter, en conséquence, la fin de non-recevoir tirée de la forclusion par tolérance, la cour d'appel s'est référée à sa motivation sur la fraude ; que la cassation à intervenir sur le premier moyen du pourvoi incident entraînera, par voie de conséquence, la cassation du chef visé par le présent moyen et ce, par application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

22. Le rejet du premier moyen du pourvoi incident rend le moyen sans portée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.