CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 21 juin 2022, n° 21/00473
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Airbus Helicopters Italia SRL (Sté)
Défendeur :
Airbus Helicopters (SAS), Airbus Helicopters Deutschland GmBH (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ancel
Conseillers :
Mme Schaller, Mme Aldebert
Avocats :
Me Boccon Gibod, Me Brillat-Capello, Me Fedida, Me Filhol, Me Reynaud, Me de Maria, Me Ndiaye, Me Madesclair, Me Callet
I / FAITS ET PROCÉDURE
1- La société AIRBUS HELICOPTERS ITALIA SRL qui a succédé à la société AERSUD ELICOTTERI SRL (ci-après désignée « la société Aersud ») est une société de droit italien dont l'activité principale est la commercialisation et la vente d'hélicoptères.
2- Les sociétés AIRBUS HELICOPTERS SAS et AIRBUS HELICOPTERS DEUTSCHLAND GmbH (ci-après désignées « les sociétés Airbus ») sont respectivement immatriculées en France et en Allemagne. Elles sont spécialisées dans le domaine de la construction d'hélicoptères à usage civil et militaire.
3- Les sociétés Aersud et Airbus (ci-après « les parties ») ont conclu depuis 1973 plusieurs accords de représentation pour la promotion d'hélicoptères en Italie.
4- En septembre 2014, le groupe Airbus a pris la décision de procéder à un audit de l'intégralité de ses relations avec ses partenaires commerciaux dans le cadre de la lutte anti-corruption et a gelé les paiements à ses intermédiaires dans l'attente du résultat de l'audit.
5- Suite à ce premier audit, le 13 février 2015, les parties ont signé un nouveau contrat d'agent commercial et de distribution à titre exclusif sur le territoire italien et à titre non exclusif sur d'autres territoires (ci-après désigné « le contrat ») aux termes duquel la société Aersud était désignée comme agent commercial pour certains modèles d'hélicoptères et distributeur pour d'autres pour des ventes sur un territoire déterminé.
6- Le 18 septembre 2015, les parties ont signé un engagement complémentaire intitulé « Representation Form » (ci-après désigné « Représentation ») intégré au contrat en vertu de ses articles 23.3 et 23.4, aux termes duquel la société Aersud s'engageait à respecter diverses normes relatives à la prohibition de la corruption, qui contenait une clause de résiliation unilatérale sans indemnité en cas de risque de violation par Aersud de ses obligations en matière de conformité.
7- Un second audit a été engagé par les sociétés Airbus, entrainant un nouveau gel des rémunérations.
8- Le 16 mars 2017, Airbus a annoncé dans un communiqué de presse coopérer avec le Parquet National Financier dans le cadre d'une enquête préliminaire.
9- Par courrier en date du 23 mars 2018 les sociétés Airbus ont résilié le contrat avec Aersud en se référant aux conclusions de ce nouvel audit et elles ont refusé tout paiement des factures émises par Aersud entre juillet 2016 et février 2018.
10- Des pourparlers étant en cours pour la cession des parts sociales de la société Aersud, les parties ont conclu un accord de Stand-Still en date du 21 juin 2018, par lequel la société Aersud a continué à distribuer les hélicoptères des sociétés Airbus en Italie, renouvelé jusqu'à l'acquisition des parts sociales d'Aersud par Airbus le 4 juin 2019.
11- Parallèlement, le 11 février 2019, la société Aersud a mis en demeure les sociétés Airbus de lui payer la somme de 10.556.022,82 EUR correspondant à l'ensemble de ses commissions restées impayées en exécution de ses contrats, ainsi qu'aux pénalités et intérêts de retard. La société Aersud a réitéré cette mise en demeure par courrier d'avocat en date du 8 mars 2019.
12- Le 2 avril 2019, la société Aersud a initié une procédure d'arbitrage devant la CCI en application de la clause compromissoire prévue à l'article 22 du contrat, sollicitant le paiement de factures, commissions, intérêts et diverses sommes.
13- Le 4 juillet 2019, M. le Professeur [U] [N] [B] [D] a été désigné comme arbitre unique. Il a rendu sa sentence le 20 novembre 2020, aux termes de laquelle il a rejeté toutes les demandes de la société Aersud.
14- Le 28 décembre 2020, la société Aersud a formé un recours en annulation contre cette sentence.
15- Les parties ont accepté que la procédure soit conduite en application du protocole de procédure de la chambre commerciale internationale.
16- Par ordonnance du 12 avril 2022, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande d'irrecevabilité formée par les sociétés Airbus fondée sur l'article 910-4 du code de procédure civile et renvoyé devant la cour la fin de non-recevoir soulevée par les sociétés Airbus fondée sur l'article 1466 du code de procédure civile.
17- La clôture a été prononcée le 19 avril 2022.
II/ PRÉTENTIONS DES PARTIES
18- Par conclusions notifiées par voie électronique en date du 19 avril 2022, la société Airbus Helicopters Italia srl, (ex AERSUD) demande à la Cour, au visa des articles 1520, 1466, 699 et 700 du code de procédure civile, de bien vouloir :
A titre liminaire :
- Juger recevable le moyen d'Aersud tiré de l'article 4.4.5 du contrat ;
A titre principal :
- Juger que l'Arbitre unique n'a pas respecté le principe du contradictoire ;
- Juger que l'exécution ou la reconnaissance de la Sentence serait contraire à l'ordre public international.
En conséquence :
- Annuler la sentence arbitrale rendue à [Localité 4] le 20 novembre 2020 par le Professeur [U] [N] [B] [D] ;
- Condamner la société S.A.S. AIRBUS HELICOPTERS et la société AIRBUS HELICOPTERS DEUTSCHLAND au paiement de la somme de 105.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
- Condamner la société S.A.S. AIRBUS HELICOPTERS et la société AIRBUS HELICOPTERS DEUTSCHLAND au paiement des entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL LEXAVOUE PARIS VERSAILLES en vertu de l'article 699 du Code de procédure civile.
19- Par conclusions notifiées par voie électronique en date du 15 avril 2022, les sociétés Airbus Helicopters SA et Airbus Helicopters Deutschland GmbH demandent à la cour, au visa des articles 789 6°, 907, 1466, 1520 et 122 du code de procédure civile, de bien vouloir :
A titre liminaire :
- JUGER IRRECEVABLE le grief de la société AIRBUS HELICOPTERS ITALIA SRL relatif à la clause 4.4.5 du Contrat et l'en DEBOUTER ;
A titre principal et en tout état de cause :
- JUGER que l'Arbitre unique a respecté le principe du contradictoire ;
- JUGER que l'exécution ou la reconnaissance de la Sentence n'est pas contraire à l'ordre public international ;
- DEBOUTER la société AIRBUS HELICOPTERS ITALIA SRL de son recours en annulation ;
- CONDAMNER la société AIRBUS HELICOPTERS ITALIA SRL au paiement de la somme de 150.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
20- Le ministère public a émis un avis par voie électronique en date du 14 décembre 2021 au terme duquel il est d'avis que la Cour juge que l'arbitre unique a respecté le principe du contradictoire et que l'exécution ou la reconnaissance de la Sentence n'est pas contraire à l'ordre public international en déboutant la société AIRBUS HELICOPTERS ITALIA SRL de son recours en annulation.
21- Lors de l'audience, la cour a entendu Monsieur [H] [Y], professeur agrégé des Facultés de droit, Université Lyon 2 Lumière, à la demande de la société Airbus Helicopters Italie SRL, sur la base de la consultation datée du 7 février 2022, versée comme pièce communiquée aux débats et Monsieur [J] [K], professeur à l'Université [5], à la demande des sociétés Airbus, sur la base de la consultation datée du 13 avril 2022.
22- Le professeur [Y] a soutenu en substance qu'en rejetant les prétentions d'Airbus Helicopters Italia, sur le fondement de la corruption, alors que les faits allégués ne présentaient aucun lien avec les créances impayées, l'arbitre a mis en œuvre des clauses déséquilibrées du contrat contraires à une loi de police et a violé l'ordre public international. Il a préconisé la possibilité pour le juge de l'annulation d'exercer un contrôle plein afin de rééquilibrer l'asymétrie du contrôle en matière de corruption, en suggérant un contrôle de la dénaturation, exempt de révision au fond. Le professeur [K] a soutenu en substance que la règle invoquée relative au déséquilibre significatif n'est pas applicable en qualité de loi de police à une situation qui demeure sans contact pertinent avec la France au regard des objectifs portés par cette règle. Il a rappelé que le recours en annulation n'a pas vocation à autoriser une nouvelle instruction au fond de l'affaire et conteste la nécessité d'un contrôle plein en matière de corruption à double sens, le déséquilibre du contrôle étant justifié précisément selon que les arbitres ont ou non considéré la corruption.
III/ MOTIFS DE LA DECISION
1. Sur la fin de non-recevoir fondée sur l'article 1466 du code de procédure civile.
23- Les sociétés Airbus soutiennent que le nouveau grief tiré du déséquilibre significatif issu de la clause 4.4.5 du contrat invoqué par la société Aersud dans ses dernières conclusions est irrecevable en vertu de l'article 1466 du code de procédure civile au motif que la société Aersud ne l'avait pas soulevé devant l'arbitre et n'avait jamais formulé aucune demande sur le fondement de l'article L. 442-1, I, 2° (ancien article L. 442-6, I, 2°) du code de commerce dans le cadre de l'arbitrage et qu'en s'abstenant, sans aucun motif légitime, d'invoquer ce grief devant l'arbitre et en n'émettant aucune réserve au sujet de la clause 4.4.5 du contrat, la société Aersud est réputée y avoir renoncé, aucune comparaison ne pouvant être faite avec l'arrêt Schooner puisque le grief n'a été ni soulevé, ni débattu et ni tranché par l'arbitre. Elles font également valoir que l'exception à la renonciation présumée, s'appliquant à la violation de l'ordre public international, telle qu'elle ressort de la jurisprudence invoquée par la société Aersud, ne vaut pas en l'espèce puisqu'elle ne s'applique que pour l'ordre public international de fond et non pas pour l'ordre public de procédure ou de protection dont relève le déséquilibre significatif.
24- En réponse, la société Aersud soutient que l'article 1466 du code de procédure civile ne s'applique pas aux moyens fondés sur l'article 1520, 5° du code de procédure civile tirés de la violation de l'ordre public international de fond qui peuvent être relevés d'office par le juge et soulevés pour la première fois devant lui, qu'ainsi, il importe peu qu'elle n'ait formé aucun grief à l'encontre de la clause 4.4.5 devant l'arbitre unique dans la mesure où cet argument se rattache au moyen d'annulation tiré de la contrariété à l'ordre public international et qu'elle peut dès lors s'en prévaloir devant la cour, au soutien de son moyen d'annulation fondé sur l'article 1520, 5°. Elle ajoute qu'en tout état de cause, elle n'a pas pu renoncer à invoquer l'applicabilité de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce puisque cette question avait été débattue pendant la procédure arbitrale.
Sur ce,
25- Selon l'article 1466 du code de procédure civile « la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir ».
26- Ce texte ne vise pas les seules irrégularités procédurales mais tous les griefs qui constituent des cas d'ouverture du recours en annulation des sentences, à l'exception des moyens tirés de ce que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence violerait l'ordre public international de fond.
27- En l'espèce, même si devant l'arbitre la société Aersud n'a sollicité que le paiement de ses factures et commissions et ne demandait ni l'annulation du contrat ni l'allocation de dommages-intérêts, la question du déséquilibre significatif et de la validité de la clause 4.4.5 du contrat a été posée par la société Aersud (cf. §231 et s. de la sentence qui fait référence à la position défendue par Aersud : « ces stipulations seraient réputées non écrites conformément au droit français » et cf. note en bas de page n° 224 faisant référence au mémoire d'Aersud §192 « se référant aux dispositions de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce français dans sa rédaction applicable à l'époque des faits ») et les sociétés Airbus y ont répondu (cf. §239 et s. de la sentence : « les Défendeurs soutiennent que toute autre interprétation des stipulations invoquées les priverait de sens », (§240) faisant référence au « principe de l'exception d'inexécution du droit français », et (§241) « les Défendeurs font néanmoins valoir qu'en tout état de cause, les stipulations du Formulaire de Déclaration ne créent pas de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des Parties au sens du droit français »).
28- L'arbitre ayant retenu qu'il « n'est pas possible de ne pas tenir compte de la rédaction claire du Formulaire » (§243) étant précisé qu' « une telle clause peut être invoquée abusivement pour résilier le contrat », il a précisé qu'il n'était pas saisi d'une demande d'indemnisation à ce titre, et il a rappelé qu'une telle faculté de résiliation pourrait (§246) « en tout état de cause être soumis à un contrôle a posteriori ; ainsi, la décision des Défendeurs de résilier le contrat pourrait tout à fait être remise en cause devant l'autorité juridictionnelle disposant d'une compétence générale ».
29- C'est au regard de cette argumentation sur les clauses du contrat, même si le demandeur à l'arbitrage n'a formulé aucune demande à ce titre, et même s'il n'est fait référence dans la sentence à l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce que dans une note de bas de page, qu'il convient de considérer qu'aucune renonciation à se prévaloir d'un déséquilibre significatif ne peut résulter de ces éléments, ce grief ayant été débattu par les parties, même si elles ne s'en sont pas prévalues pour fonder leurs demandes.
30- Il y a lieu par conséquent de rejeter la fin de non-recevoir soulevée.
2. Sur le moyen d'annulation de la sentence tiré de la violation du principe du contradictoire (art. 1520 4° CPC).
31- La société Aersud soutient que le principe du contradictoire n'a pas été respecté, l'arbitre ayant fondé sa décision pour se prononcer sur la question de la conformité de la clause de résiliation contenue dans la Representation Form à l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, sur des moyens de droit qui n'ont pas été soulevés par les parties ni débattus par elles et sans recueillir leurs observations.
32- Ainsi, la société Aersud fait valoir que, pour motiver son raisonnement sur cette question, l'arbitre s'est fondé sur des jurisprudences et des articles de doctrine non débattus par les parties, qu'il aurait dû rouvrir les débats sur l'applicabilité de divers moyens de droit soulevés d'office dont il comptait se servir et qui étaient déterminants.
33- Elle fait notamment valoir que la violation du contradictoire est d'autant plus grave que la décision laisse présumer qu'elle s'est rendue complice d'actes de corruption, ce qui est très grave et qu'elle n'a pu s'en défendre.
34- Elle soutient tout d'abord que l'arbitre s'est fondé sur un arrêt de la cour de cassation du 20 novembre 2019 sans en avoir débattu, pour fonder son raisonnement sur la licéité de la clause de résiliation unilatérale et qu'il en a déduit sans débat que « la clause de résiliation litigieuse ne pouvait impliquer de déséquilibre significatif dès lors qu'il s'agissait de lutter contre la corruption », faisant application d'une solution jurisprudentielle en matière de rupture brutale rappelant que le droit français est favorable aux clauses relatives à la lutte contre la corruption.
35- Elle ajoute qu'il ne s'agissait pas d'une question surabondante mais d'une question déterminante car si la clause avait été invalidée, la décision aurait été complètement différente. En réponse au ministère public, elle soutient que le fait que cette jurisprudence n'apparaisse qu'en note de bas de page est indifférent.
36- Ensuite, elle soutient que l'arbitre unique a substitué au fondement juridique soulevé par les sociétés Airbus de l'ordre public international français un fondement juridique qui n'avait été ni soulevé ni débattu, à savoir celui de l'ordre public transnational, ce que l'arbitre reconnait, tout en affirmant que la solution aurait été la même que sous le visa de l'ordre public international français. Elle fait donc valoir, d'une part, que les parties n'ont pas été invitées à débattre de l'existence de l'ordre public transnational, de son contenu ou de son application, et d'autre part, n'ont pas été invitées à débattre de l'équivalence entre l'ordre public transnational et international français alors que si le premier ne repose sur aucun ordre juridique particulier, le second repose sur l'ordre juridique français et ne sauraient donc être assimilés. Elle soutient que, contrairement à ce qu'allèguent les sociétés Airbus et le ministère public, si un arbitre peut requalifier des faits, ce n'est qu'à la condition qu'il ne soulève pas de nouveau moyen, et qu'en l'espèce l'arbitre a substitué un fondement juridique, l'ordre public transnational à l'ordre public international français, violant ainsi le principe du contradictoire.
37- En réponse, les sociétés Airbus font valoir que le principe du contradictoire a bien été respecté par l'arbitre. Tout d'abord, elles soutiennent que l'arbitre a l'obligation de soumettre au principe du contradictoire, en vertu de l'article 16 du code de procédure civile, seulement les moyens de droit soulevés d'office et ayant servi à fonder la décision de l'arbitre. Or la jurisprudence de la Cour de cassation du 20 novembre 2019 n'est pas un moyen de droit au sens de cet article et n'a pas été soulevée d'office par l'arbitre. Elles ajoutent que, hormis sa mention en note de bas de page et le fait qu'elle vise en partie l'article L. 442-6, I, 2°, cette jurisprudence n'a pas servi de fondement à la décision de l'arbitre. Elles considèrent que cette jurisprudence ainsi que les sources doctrinales mentionnées ne sont donc que des constatations surabondantes sans impact sur la décision de l'arbitre.
38- Sur l'utilisation de la référence à l'ordre public transnational, elles soutiennent que la société Aersud n'explique pas de quel droit matériel l'arbitre aurait fait une application directe. Elles ajoutent que la société Aersud s'étant référée dans ses mémoires à l'ordre public transnational, ce terme figurait dans les débats et qu'elle avait donc la possibilité, à ce moment-là, de le commenter ou de le contester, ce qu'elle n'a pas fait et ne saurait donc aujourd'hui s'en prévaloir. Elles estiment qu'en tout état de cause l'arbitre avait le pouvoir de requalifier juridiquement les faits litigieux, dès lors que ceux-ci ont été effectivement discutés par les parties sans violer le principe du contradictoire.
39- Le ministère public est d'avis que le tribunal arbitral n'a pas tranché le litige sur l'article L. 442-6, I, 2° puisqu'il n'est cité à aucun moment dans le corps de sa décision, mais une seule fois en note de bas de page, et d'autre part, que l'arbitre n'a pas substitué de fondement juridique puisqu'il n'a fait que qualifier juridiquement les faits allégués et débattus devant lui sans soulever de nouveau moyen et en a tiré les conséquences. Il est donc d'avis qu'il n'y a pas eu violation du principe du contradictoire par l'arbitre et que ce moyen doit être rejeté.
Sur ce,
40- Il résulte de l'article 1520, 4° du code de procédure civile que le recours en annulation est ouvert si le principe de la contradiction n'a pas été respecté.
41- Le principe de la contradiction exige seulement que les parties aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leur adversaire de telle sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n'ait échappé à leur débat contradictoire.
42- De plus, si le tribunal arbitral n'est pas tenu de soumettre au préalable l'argumentation juridique qui étaye sa motivation aux parties, celui-ci ne peut fonder sa décision sur des moyens de droit non invoqués.
43- En l'espèce, la société Aersud soutient qu'elle n'a découvert qu'à la lecture de la sentence que l'arbitre aurait fait état, dans sa motivation, d'éléments non débattus relatifs au déséquilibre significatif affectant la licéité de la clause de résiliation contenue dans la « Representation Form », et qu'il aurait substitué l'ordre public transnational à l'ordre public international français pour justifier le rejet des demandes.
44- Or, il convient tout d'abord de noter que l'arbitre n'était saisi d'aucune autre demande que celle en paiement de diverses factures demeurées impayées à hauteur de 7.396.558 € outre des pénalités de retard et de commissions à hauteur de 901.200 € pour la vente d'un hélicoptère livré le 18 décembre 2018 et de 903.000 € pour la vente d'un appareil non encore livré à la date de l'arbitrage. L'arbitre n'était pas saisi d'une demande relative à la licéité de la clause de résiliation unilatérale du contrat, au regard de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce.
45- L'arbitre n'a statué que sur les demandes en paiement dont il était saisi et les a rejetées sans faire référence à un déséquilibre significatif de la clause de résiliation dont la société Aersud ne l'avait pas saisi, fondant sa décision uniquement sur la réunion d'indices suffisamment graves de manquements aux règles de « compliance » pour considérer que ces manquements empêchaient tout paiement.
46- L'arbitre a ainsi rappelé tout d'abord que « les signaux d'alertes (« Red flags ») et les indices de corruption sont des éléments de preuve couramment utilisés dans l'arbitrage commercial international pour évaluer les demandes impliquant une certaine forme d'illégalité » (§204).
47- Et après avoir examiné en détail les éléments caractérisant ces indices (§207), l'arbitre a conclu qu'« à la lumière des éléments mis en exergue ci-dessus » (') « les Défendeurs ont établi de manière convaincante l'existence de préoccupations sérieuses concernant les activités du Demandeur » et « qu'il existe des preuves suffisantes, précises et concordantes permettant de présumer une série de graves manquements à la conformité en lien avec les activités du Demandeur », rejetant les demandes sans faire référence à la clause de résiliation de la « Representation Form ».
48- Le tribunal arbitral a considéré que ces manquements suffisaient pour rejeter les demandes, précisant au §247 de la sentence qu'« il est parvenu à la conclusion qu'il ne pouvait pas condamner les Défendeurs au paiement (même partiel) des sommes sollicitées compte tenu des circonstances de l'affaire », renvoyant par une note en bas de page aux motifs énoncés aux paragraphes 220 à 222 selon lesquels « compte tenu des circonstances de l'affaire, il ne peut pas prononcer de condamnation au paiement de quelque somme que ce soit ».
49- Aucun des motifs décisoires contenus dans ces paragraphes rejetant la demande en paiement ne fait référence à des éléments qui n'auraient pas été débattus, relatifs notamment à la licéité de la clause de résiliation, seule la section D) de la sentence, dont l'arbitre lui-même note qu'elle est surabondante, portant sur la faculté unilatérale pour les défendeurs de cesser le paiement et de résilier le contrat. Le tribunal a d'ailleurs précisé au §246 que cette question pourrait faire l'objet d'un contrôle a posteriori devant l'autorité juridictionnelle disposant d'une compétence générale en matière de litiges contractuels, soulignant dans une note de bas de page n° 254 « qu'en tout état de cause, le Tribunal Arbitral n'a pas besoin de se pencher davantage sur cette question compte tenu des conclusions auxquelles il est préalablement parvenu », soulignant ainsi, en tant que de besoin, le caractère surabondant de cette section D), donnant pour toute explication que le tribunal arbitral a estimé « approprié d'exposer sa vision sur la question spécifique du droit des Défendeurs de cesser le paiement et de résilier le contrat, bien qu'il ait conclu ne pas pouvoir ordonner le paiement dans le cadre du présent Arbitrage » (§224).
50- Les motifs critiqués n'ont, au mieux, qu'enrichi la sentence d'éléments complémentaires.
51- Il en est de même pour l'ordre public transnational, dont l'arbitre note qu'il a été évoqué dans le mémoire des sociétés Airbus sans que la société Aersud n'estime nécessaire de contester cette référence. Dans ces conditions, l'Arbitre a relevé dans la sentence, §209, que les différentes terminologies employées dans les écritures des parties sont « ordre public, ordre public international ou ordre public transnational » et il a décidé d'employer le terme « ordre public transnational », estimant que « le raisonnement exposé ci-dessous, s'il se réfère à l'ordre public transnational, serait identique à l'aune de la conception française de l' « ordre public international », ce qui ne saurait faire l'objet de critique au titre du respect du contradictoire puisque la notion d'ordre public transnational avait été mentionnée par la société Airbus dans ses mémoires devant l'Arbitre, et relève tout au plus de la critique du contenu de la motivation de la sentence arbitrale qui échappe au contrôle du juge de l'annulation.
52- En tout état de cause, la référence à une jurisprudence de la cour de cassation du 20 novembre 2019, ou la référence à l'ordre public transnational font partie du raisonnement juridique de l'arbitre qui n'a pas à être débattu préalablement par les parties.
53- Le moyen tiré de la violation du contradictoire devra dès lors être rejeté.
3. Sur le moyen d'annulation de la sentence tiré de ce que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence violerait l'ordre public international (art. 1520 5° CPC).
54- La société Aersud soutient que l'arbitre a mis en œuvre des dispositions déséquilibrées figurant au contrat et dans la Representation Form pour refuser de condamner les société Airbus à lui payer ses factures et que ce faisant, il a violé une loi de police, l'article L. 442-1, I, 2° du code de commerce, inclus dans l'ordre public international français.
55- Elle rappelle que la violation de l'ordre public international est établie dès lors qu'est reconnue la méconnaissance par l'arbitre des dispositions impératives d'une loi de police, en l'espèce l'article L. 442-6, I, 2° ancien du code de commerce, qui a été porté par la Cour de cassation au rang des lois de police au sens de l'article 9 du règlement Rome I et de l'article 16 du règlement Rome II (cf. arrêt Expedia du 8 juillet 2020), la qualification de loi de police ne dépendant pas du contexte de l'affaire ni des modalités procédurales de sa mise en œuvre, selon que l'action est exercée ou non par le Ministre de l'Economie.
56- Elle soutient qu'en l'espèce la sentence doit être annulée en ce que sa reconnaissance ou/et son exécution contreviendraient à l'article L. 442-6, I,2° (ancien) du code de commerce puisqu'elle donne effet à une clause de résiliation contenue dans la Representation Form et à la clause 4.4.5 du contrat qui créent un déséquilibre significatif au sens dudit article, ce déséquilibre significatif étant caractérisé par trois conditions, à savoir que la société Aersud relève bien de la catégorie des partenaires commerciaux d'Airbus puisqu'elles sont engagées dans des relations commerciales, que les différentes clauses insérées en lien avec les obligations de la société Aersud n'ont pas fait l'objet de négociations et lui ont été imposées, et enfin que les sociétés Airbus ont un droit unilatéral de résilier le contrat, sans indemnité, dans le cas d'un simple risque de violation des obligations de la société Aersud en matière de conformité sans que cette notion de risque ne soit définie, et qu'il y a une absence de réciprocité flagrante puisque la société Aersud ne dispose pas d'un tel droit.
57- Elle soutient que, le droit français, applicable en l'espèce, retenant la prohibition de telles clauses, l'arbitre aurait dû faire application immédiate de cette loi de police, et prononcer la nullité de ces clauses, en examinant préalablement l'existence d'un déséquilibre significatif, ce qu'il n'a pas fait, renvoyant simplement les parties sur ce point à un contrôle a posteriori devant l'autorité juridictionnelle, et donnant ainsi effet à des clauses nulles, en violation de l'ordre public international.
58- Elle conteste qu'elle ne serait plus autorisée à soulever ce moyen devant la cour puisqu'elle l'avait soulevé devant l'arbitre et que s'agissant du contrôle de l'ordre public international, la cour n'est pas tenue par les moyens soulevés devant les arbitres.
59- Elle soutient que l'arbitre a écarté l'application de l'article L. 442-6, I, 2° pour juger de la licéité des clauses litigieuses, et que la section de la sentence portant sur la décision prise par l'arbitre relative aux clauses litigieuses n'est pas surabondante.
60- Enfin, elle s'oppose à l'avis du ministère public qui fait prévaloir le principe d'ordre public international relatif à l'interdiction de la corruption sur celui relatif à l'application d'une loi de police, rappelant, selon la consultation du professeur [Y], que l'ordre public international ne se réduit pas à la corruption et que la cour a ainsi la faculté de corriger l'asymétrie « contestable » du contrôle exercé par le juge de l'annulation sur la corruption.
61- En réponse, les sociétés Airbus font valoir à titre principal que le moyen tenant à la violation de l'ordre public international tend à obtenir la révision au fond de la sentence et non pas seulement son annulation. A ce titre, elles soutiennent que la société Aersud se prévaut des mêmes arguments qui ont déjà fait l'objet d'un débat et que l'arbitre a déjà tranchés. Elles ajoutent que le contrôle approfondi sollicité par la société Aersud, ainsi que le contrôle de la dénaturation, ou l'invocation d'une loi de police, est contraire au principe de non-révision des sentences et entrainerait un excès de pouvoir manifeste du juge de l'annulation.
62- A titre subsidiaire, elles soutiennent que le moyen doit être rejeté en ce qu'il porte sur une partie surabondante de la sentence dans laquelle l'arbitre n'a pas écarté l'article L. 442-6, I, 2°. Elles ajoutent que si la société Aersud a tenté de se prévaloir de cet article, elle n'a pourtant sollicité aucun dommages et intérêts sur ce fondement et n'a pas demandé à ce que la clause du Representation Form soit réputée non écrite. Elles ajoutent que la décision de la sentence est fondée uniquement sur l'ordre public international et non pas sur les clauses contractuelles qui ont été examinées à titre surabondant.
63- A titre plus subsidiaire, elles font valoir que la sentence ne viole pas de manière manifeste, effective et concrète l'ordre public international. Tout d'abord, elles soutiennent que l'article L. 442-6, I, 2° ne peut être qualifié de loi de police en l'espèce quand bien même cette qualification a été retenue dans l'arrêt Expedia car il s'agissait d'un contexte très particulier et différent impliquant une action d'un ministre de l’Économie à la suite d'une enquête de la DGCCRF ayant exercé des pouvoirs exorbitants et non pas de la protection d'un agent commercial. Elles soulignent qu'il y a lieu de faire une distinction entre l'ordre public de direction et l'ordre public de protection, seul ce dernier étant concerné en l'espèce.
64- De même, elles distinguent lois de police et ordre public international, rappelant qu'il est nécessaire qu'il y ait un consensus international sur la nécessité de la protection.
65- Enfin, elles soutiennent que les clauses contractuelles litigieuses ne violent pas la disposition invoquée. Elles considèrent que cet article ne pose pas d'interdiction générale et absolue des clauses de résiliation unilatérale mais sanctionne uniquement un comportement abusif d'un droit qui a des conséquences nocives pour le commerce. Elles ajoutent qu'en l'espèce, la société Aersud ne démontre pas qu'elle aurait tenté de négocier les clauses ni même qu'elles lui auraient été imposées, d'autant que les sociétés Airbus sont soumises à d'importantes restrictions en matière de lutte contre la corruption ce qui les oblige à être très vigilantes avec leurs partenaires commerciaux. Elles font également remarquer que c'est le conditionnel qui est employé dans les clauses ce qui signifie qu'il ne s'agit que d'une éventualité et non pas d'un mécanisme automatique. Elles soutiennent que la clause n'est pas asymétrique puisque la société Aersud bénéficie de la clause résolutoire de droit commun lui permettant également de résoudre unilatéralement le contrat.
66- A titre infiniment subsidiaire, elles font valoir que ce serait l'annulation de la sentence qui violerait l'ordre public international alors qu'il s'agit d'une sentence aux termes de laquelle au regard des red flags retenus par l'arbitre, le moindre paiement fait à la société Aersud provoquerait un risque élevé de donner effet à un pacte corruptif.
67- Le ministère public a indiqué que la qualification de loi de police de l'article L. 442-6, I, 2° (nouveau L. 442-1, I, 2°) correspond à un cas bien particulier d'une action du ministre de l’Économie sur le territoire français et que les circonstances de l'espèce ne correspondent pas à ce cas particulier. Il a ajouté qu'en présence d'une contrariété entre deux principes de l'ordre public international à savoir l'interdiction de la corruption et le caractère de loi de police de l'article L. 442-6, I, 2° (nouveau L. 442-1, I, 2°), le premier doit prévaloir sur le second de sorte qu'en l'espèce, en présence de « red flags » caractérisant les pratiques de corruption, la sentence qui a retenu les red flags pour débouter la société Aersud n'est pas contraire à l'ordre public international.
Sur ce,
68- En application de l'article 1520, 5° du code de procédure civile, le recours en annulation est ouvert si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est contraire à l'ordre public international.
69- L'ordre public international au regard duquel s'effectue le contrôle du juge de l'annulation s'entend de la conception qu'en a l'ordre juridique français, c'est-à-dire des valeurs et des principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance même dans un contexte international.
70- En l'espèce, outre le fait que la méconnaissance d'une loi de police n'avait pas été invoquée devant le tribunal arbitral, la violation alléguée tend en réalité à obtenir la révision au fond de la sentence, interdite au juge de l'annulation, puisque la société Aersud demande de faire rejuger sa demande en paiement en tentant de faire reconnaitre son droit à rémunération fondé sur le contrat, sans se voir opposer une exception d'inexécution fondée sur une clause contractuelle qu'elle considère comme étant illicite, alors que la décision de l'arbitre ayant rejeté la demande en paiement n'est pas fondée sur la validité des clauses litigieuses, mais uniquement sur l'impossibilité de rémunérer une activité entachée de corruption.
71- L'arbitre a cru devoir évoquer à titre surabondant dans la section D) de la sentence, comme déjà mentionné ci-dessus, la faculté de résiliation unilatérale prévue au Contrat en renvoyant à l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce par une note de bas de page n° 224, sans prendre position, ni sur la qualification de loi de police d'une telle disposition, ni sur la validité de la clause de résiliation, justifiant cette discussion uniquement pour « exposer sa vision sur la question spécifique du droit des Défendeurs de cesser le paiement et de résilier le contrat », sans que cela ne change rien à sa décision puisqu'il a indiqué avoir « conclu ne pas pouvoir ordonner le paiement dans le cadre du présent arbitrage » (§224), rappelant qu'« il est parvenu à la conclusion qu'il ne pouvait pas condamner les Défendeurs au paiement (même partiel) des sommes sollicitées compte tenu des circonstances de l'affaire» (§247), cette discussion renvoyant aux « red flags » qu'il a estimé établis.
72- Ainsi, la sentence rendue ne donne en tout état de cause aucun effet à une clause prétendument illicite au regard de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce dont elle n'en a donc pas méconnu les termes puisque le tribunal arbitral n'était saisi d'aucune demande relative à la validité ou à la résiliation du contrat au regard de ce texte.
73- Il ne peut être soutenu qu'il aurait dû annuler d'office le contrat ou la clause de résiliation unilatérale en application de ce texte, ce qui reviendrait à contrôler la motivation de l'arbitre sous couvert de la qualification de loi de police invoquée et à faire rejuger au fond la demande, la nature de loi de police de l'article susrappelé, à la supposer établie, étant en en tout état de cause sans incidence sur la solution retenue par l'arbitre au visa des « red flags ».
74- Par conséquent, il n'est pas démontré que l'exécution ou la reconnaissance de la sentence emporte une violation caractérisée de l'ordre public international.
75- Il s'ensuit que le moyen doit être rejeté.
4. Sur les frais et dépens.
76- Il y a lieu de condamner la société Aersud, partie perdante, aux dépens.
77- En outre, elle doit être condamnée à verser aux sociétés Airbus, qui ont dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir leurs droits, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 150 000 euros.
IV/ DISPOSITIF
La cour, par ces motifs,
1- Déclare la société Airbus Helicopters Italia SRL recevable en son moyen tiré de l'article 4.4.5 du contrat ;
2- Rejette le recours en annulation contre la sentence rendue à [Localité 4] le 20 novembre 2020 ;
3- Condamne la société Airbus Helicopters Italia SRL à payer aux sociétés Airbus Helicopters et Airbus Helicopters Deutschland GmbH la somme globale de 150 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
4- Condamne la société Airbus Helicopters Italia SRL aux dépens.