CA Montpellier, 1re ch. D, 23 mai 2019, n° 18/03497
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Chantier Catana Sasu (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Muller
Conseillers :
Mme Grégori, Mme Sarret
Avocats :
Me Roussel, Me Laporte, Me Bernie
EXPOSE DU LITIGE :
Le 9 octobre 2015, Monsieur E B résidant en Turquie a commandé un navire à la SASU Chantier CATANA ayant son siège social à Y en Roussillon (Pyrénées Orientales) en France pour une livraison prévue au 30 mai 2017.
La SASU Chantier Catana a transmis le 10 juin 2017 pour notification ou signification à l'autorité compétente turque selon les dispositions de l'article 684 du CPC une assignation devant le tribunal de grande instance de Perpignan à Monsieur E B aux fins notamment :
de voir constater que E B a conclu une vente ferme le 9 octobre 2015, que cette vente a été résiliée aux torts et à l'initiative de celui-ci le 9 janvier 2017 et que l'acompte de 169.5000,00 euros payé à la société venderesse est acquis à cette dernière
• de l'entendre condamner en conséquence au paiement de la somme de 300.500 € au titre du solde restant dû, sur le fondement de l'article 1134 du Code civil, majorée des intérêts au taux légal avec capitalisation dans les termes de l'article 1153 du Code civil à compter de la délivrance de l'assignation.
• Parallèlement, le 12 septembre 2017, Monsieur B a saisi le Tribunal de consommateurs d'Istanbul aux fins d'obtenir la condamnation de la société CATANA à lui rembourser la somme de 169.500 euros versée à titre d'avance.
Par procès-verbal d'audience du 6 mars 2018, le tribunal de consommateurs d'Istanbul s'est déclaré compétent pour connaître du présent litige.
Saisi d'un incident introduit par M. B, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Perpignan, par ordonnance du 21 juin 2018, a notamment :
- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par E B ;
- déclaré la juridiction française compétente pour connaître du litige opposant la société Chantier Catana à E B et en particulier le tribunal de grande instance de Perpignan ;
- dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer et rejeté en conséquence l'exception de sursis à statuer
- réservé les dépens.
Par acte reçu au greffe de la Cour le 4 juillet 2018, Monsieur B a interjeté appel de cette ordonnance.
Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 1er février 2019, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, Monsieur E B demande à la Cour :
- de constater la recevabilité de l'appel
- d'infirmer l'ordonnance du 21 juin 2018 en ce que le Tribunal de Grande Instance de Perpignan a été déclaré compétent pour connaître du litige opposant la société Chantier Catana à M. B
- de déclarer le Tribunal de Grande Instance de Perpignan incompétent pour statuer sur ce litige au profit des tribunaux d'Istanbul
- de condamner la SASU Chantier Catana à lui payer la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Au dispositif de ses dernières écritures transmises par voie électronique le 7 février 2019, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, la SASU Chantier Catana demande à la Cour de :
- dire et juger caduque la déclaration d'appel formalisée par M. B au visa de l'article 84 alinéa 2 du code de procédure civile
- dire et juger irrecevable ladite déclaration au visa de l'article 85 alinéa 1 du code de procédure civile
- en toute hypothèse, confirmer l'ordonnance entreprise
- condamner Monsieur E B à lui verser la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
MOTIFS :
Il convient de préciser que l'appel est limité aux dispositions de l'ordonnance relatives à la compétence du Tribunal de Grande Instance de Perpignan.
Sur la caducité de l'appel
La SASU Chantier Catana soulève la caducité de l'appel en application de l'article 84 alinéa 2 du code de procédure civile qui prévoit que lorsque le juge s'est prononcé exclusivement sur la compétence, l'appelant doit, à peine de caducité de la déclaration d'appel, saisir dans le délai d'appel le premier président en vue, selon le cas, d'être autorisé à assigner à jour fixe ou de bénéficier d'une fixation prioritaire de l'affaire. Elle soutient que les articles 83 et suivants du code de procédure civile doivent recevoir application en ce qu'il s'agit de dispositions spéciales relatives à l'appel des décisions statuant exclusivement sur la compétence et dérogent aux articles 905 et 776 du code de procédure civile qui se réfèrent plus largement aux exceptions de procédure.
Or, en l'espèce, il ressort des pièces de la procédure et il n'est pas contesté que l'appelant n'a pas saisi dans le délai de quinze jours le président de la présente chambre ou son délégué d'une demande d'autorisation à assigner à jour fixe ou d'une fixation prioritaire de l'affaire.
L'intimé fait valoir cependant que les dispositions invoquées ne s'appliquent pas à l'appel des ordonnances rendues par le juge de la mise en état qui statuent sur une exception de procédure, appel régi par l'article 776 du code de procédure civile et par voie de conséquence par l'article 905 du même code qui prévoit notamment que le président de chambre saisi par l'appel d'une ordonnance du juge de la mise en état fixe l'affaire à bref délai lorsqu'elle semble présenter un caractère d'urgence ou en état d'être jugée, ces dispositions spéciales dérogeant à celles générales de l'article 84.
Il convient, en effet, de relever que les articles 83 et suivants, tels que leur rédaction est issue du décret du 6 mai 2017, et situés dans la sous-section relative aux 'jugements statuant sur la compétence' ont remplacé la procédure spécifique du contredit applicable alors à ce type de jugements, que ces dispositions n'ont pas vocation à s'appliquer à l'appel formé contre une ordonnance du juge de la mise en état statuant sur une exception d'incompétence qui reste régie par les dispositions des articles 776 et 905 du même code, qui n'ont pas été modifiées sur ce point par le décret du 6 mai 2017 et qui n'ont donc pas à suivre la procédure des décisions visées par les articles 83 et suivants précités.
Il convient donc de dire que la déclaration d'appel formée par M. B n'est pas caduque et de rejeter cette demande formée par la SASU Chantier CATANA.
Sur la recevabilité de l'appel
La SASU Chantier Catana soulève l'irrecevabilité de l'appel aux motifs que la déclaration d'appel, qui se contente de dire que son appel tend à la réformation de l'ordonnance entreprise, n'est pas motivée, contrairement aux exigences de l'article 85 du code de procédure civile.
Pour les mêmes motifs que précédemment, il convient de dire que l'appel de l'ordonnance du juge de la mise en état obéit au régime procédural déterminé aux articles 905 et suivants et non aux dispositions des articles 83 et suivants du même code. Dès lors l'exigence de motivation prévue à l'article 85 du code de procédure civile ne saurait s'appliquer, en l'espèce et il suffit que M. B ait fait mention dans sa déclaration d'appel de sa demande de réformation partielle de l'ordonnance du juge de la mise en état du 21 juin 2018 en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence.
L'appel doit, en conséquence être déclarée parfaitement recevable et il y a lieu de rejeter cette fin de non-recevoir soulevée par la SASU Chantier CATANA.
Sur l'exception d'incompétence
M. B soutient que la Juridiction d'Istanbul, lieu de son domicile, est compétente pour connaître du litige en vertu de l'article 18 § 2 du règlement européen dit « Bruxelles 1 bis » ayant une vocation universelle et qui dispose que l'action intentée contre le consommateur par l'autre partie au contrat ne peut être portée que devant les juridictions de l'Etat membre sur le territoire duquel est domicilié le consommateur. Il ajoute que l'article 14 du code civil relatif au privilège de nationalité n'a pas vocation à s'appliquer, cette règle de compétence ne s'appliquant que subsidiairement lorsque les traités aux règlements communautaires ne prévoient pas de règle de compétence spécifique.
La SASU Chantier Catana sollicite la confirmation de l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence territoriale soulevée par M B en application de l'article 6 du règlement précité qui dispose que lorsque le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un état membre, ce qui est le cas de M. B, la compétence est réglée dans chaque état membre par la loi de cet état membre, en l'occurrence, en l'espèce, de la France, l'article 18 §2 du règlement ne s'appliquant pas. Elle ajoute que de manière plus générale dans l'ordre international, dès lors que le droit communautaire n'est pas applicable, ce sont les règles usuelles du droit international privé qui doivent recevoir application et notamment l'article 14 du code civil relatif au privilège de nationalité. Subsidiairement, elle invoque l'application de l'article 46 du code de procédure civile sur le lieu de livraison, située, en l'espèce, à Y en Roussillon.
Aux termes de l'article 6 du règlement « Bruxelles I bis » n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, relatif à la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale , « si le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un Etat membre, la compétence est, dans chaque Etat membre, réglée par la loi de cet Etat membre, sous réserve de l'application de l'article 18 §1, de l'article 21 §2 et des articles 24 et 25. »
Il est constant que M. B de nationalité turque réside en Turquie, pays non-membre de l'union européenne, tandis que la société Chantier Catana, personne morale de droit français a son siège social à Y en Roussillon en France. L'article 6 du règlement précité a donc vocation à s'appliquer, sous réserve, en particulier , de l'article 18 § 1 du même règlement, lequel ne concerne néanmoins que les actions intentées par un consommateur contre l'autre partie, ce qui n'est pas le cas, en l'espèce, puisque dans le cadre du litige opposant les parties et portant sur la vente d'un navire, c'est la société Chantier Catana, entreprise commerciale venderesse qui intente un procès à l'encontre de M. B, son acheteur, lequel a seul la qualité de consommateur dans le contrat en cause.
L'article 18 § 1 qui prévoit la compétence des juridictions sur le territoire duquel est domicilié le consommateur ne s'appliquant donc pas à l'action en cause, et les articles 21 § 2 , 24 et 25 visés par l'article 6 du règlement précité ne s'appliquant pas davantage au cas d'espèce, ce qui n'est d'ailleurs pas invoqué par M. B, la compétence est bien régie, en l'espèce, par la loi de l'Etat français en vertu de l'article 6. A ce titre, M. B ne saurait se prévaloir de l'application de l'article 18 § 2 du règlement qui, s'il donne effectivement compétence aux juridictions de l'Etat sur le territoire duquel est domicilié le consommateur pour les actions intentées contre lui par l'autre partie au contrat, n'est pas visé par l'article 6 du règlement, comme exception, à la règle de principe de l'application de la loi de l'Etat membre. L'article 18 § 2 n'est donc applicable qu'à un consommateur défendeur domicilié dans un Etat membre, ce qui n'est pas le cas de M. C
C'est donc de manière pertinente que le premier juge a fait application des dispositions du droit interne français et en particulier des articles 14 du code civil et 46 du code de procédure civile.
L'article 14 du code civil dispose, en effet : « L'étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l'exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français ; il pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en payes étranger envers des Français. ». Contrairement aux allégations de M. B, ce privilège de juridiction fondée sur la nationalité française d'une des parties, et applicable également à une société ayant son siège social en France n'est pas exclu par les dispositions du règlement Bruxelles 1 bis et particulièrement par l'article 18 §2 non applicable au cas d'espèce, ainsi qu'il vient d'être dit, ni par aucun autre traité ou règlement communautaire.
En outre, si l'article 42, al. 1, du code de procédure civile prévoit que « la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur », il ressort de l'article 46 du même code qu'en matière contractuelle, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service.
En l'espèce, le litige portant sur un bon de commande faisant apparaître un lieu de livraison à Y en Roussillon, la société Chantier Catana en assignant M. B devant le Tribunal de Grande Instance de Perpignan, dans le cadre du contrat de vente en cause, a usé valablement de la faculté qui lui était offerte par les dispositions de l'article 46 précité de choisir la juridiction du lieu de livraison effective de la chose vendue, plutôt que celle du lieu de domicile du défendeur.
L'ordonnance entreprise sera donc confirmée en ses dispositions en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par Monsieur B au profit de la juridiction d'Istanbul et a déclaré la juridiction française et en particulier le Tribunal de Grande Instance de Perpignan compétent pour connaître du litige opposant les parties.
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Il est inéquitable de laisser à la charge de la SASU Chantier Catana les sommes non comprises dans les dépens. M. B sera condamnée à lui payer la somme de 2000 € en application de l'article 700 code de procédure civile.
M. B, qui succombe dans le cadre de la présente instance, sera débouté, en revanche, de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
L'appelant, qui succombe à l'ensemble de ses demandes, supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt rendu publiquement et contradictoirement,
- dit que la déclaration d'appel formée par M. E B n'est pas caduque
- rejette, en conséquence, cette demande formée par la SASU Chantier CATANA
- déclare l'appel formé par M. E B recevable,
- rejette, en conséquence, la fin de non-recevoir soulevée par la SASU Chantier CATANA et tirée de l'irrecevabilité de l'appel,
- confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par Monsieur B au profit de la juridiction d'Istanbul et a déclaré la juridiction française et en particulier le Tribunal de Grande Instance de Perpignan compétente pour connaître du litige opposant les parties,
Et y ajoutant,
- condamne Monsieur E B à payer à la SASU Chantier Catana la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- déboute Monsieur E B de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile
- condamne Monsieur E B aux dépens d'appel.