Cass. com., 14 novembre 2019, n° 18-14.502
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Marlange et de La Burgade
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Jige international que sur le pourvoi incident relevé par la société Depanoto ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Depanoto, exploitant une activité de dépannage automobile, a acquis une dépanneuse auprès de la société Jige international ; qu'invoquant des dysfonctionnements, elle a assigné cette dernière, au vu des conclusions d'une expertise judiciaire, en résolution de la vente et en paiement de dommages-intérêts, sur le fondement de la garantie des vices cachés ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal :
Attendu que la société Jige international fait grief à l'arrêt de prononcer la résolution de la vente pour vices cachés alors, selon le moyen :
1°/ que le vice caché s'entend du défaut caché de la chose vendue qui la rend impropre à l'usage auquel elle était destinée ou qui en diminue tellement l'usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix ; que le vice caché s'entend du défaut qui rend la chose impropre à sa destination normale ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'expert, à la suite des essais de remorquage réalisés, sur un véhicule similaire à celui figurant sur la notice descriptive établie par la société Jige international, avait indiqué que « la progression du véhicule ACMAT, sur les trois étages de remontée du parking, n'a pas permis de mettre en évidence de telles anomalies de traction, de maniabilité, de prise en charge du véhicule, à l'exception du ripage avant dans les virages très serrés » et que, s'agissant de l'utilisation du véhicule en mode 4x4, le défaut provenait d'un manque de confort dans les manoeuvres ; qu'aussi bien, en retenant que la dépanneuse était affectée de vices qui en diminuent tellement l'usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, cependant qu'il résultait de ses constatations que la dépanneuse était apte à remplir sa fonction et que les difficultés n'étaient que de l'ordre du confort, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 1641 du code civil ;
2°/ que le vice caché s'entend du défaut caché de la chose vendue qui la rend impropre à l'usage auquel elle est destinée ou qui en diminue tellement l'usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix ; que le vice caché s'apprécie ainsi au regard de la destination du bien vendu ; qu'en se fondant, pour conclure à l'existence de vices cachés, sur les conclusions de l'expert selon lesquelles l'utilisation du véhicule était limitée à un usage très restreint au niveau du poids tracté et du pilotage suivant le mode d'utilisation, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les véhicules ALTV Mid City vendus par la société Jige international n'étaient pas ouvertement des véhicules légers, aux capacités de traction réduites, précisément pour permettre un dépannage dans des endroits exigus, de sorte que les limitations constatées des véhicules, qui constituaient des caractéristiques structurelles du bien vendu, ne le rendaient pas impropre à sa destination normale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1641 du code civil ;
3°/ que la garantie des vices cachés est exclue lorsque les défauts sont connus de l'acquéreur lors de la vente ; qu'en se contentant d'énoncer, pour exclure la connaissance par la société Depanoto des faiblesses du véhicule ALTV Mid City qu'elle a considérées comme des vices au sens de l'article 1641 du code civil, que cette connaissance ne pouvait résulter de sa qualité de professionnel, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la connaissance par la société Depanoto des caractéristiques et contraintes techniques du véhicule ne résultait pas des informations qui lui avaient été transmises par la société Jige international récapitulant les caractéristiques du véhicule, y compris quant à ses limitations de charges, et de l'attestation qu'elle avait signée indiquant qu'elle en avait pris connaissance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1641 et 1642 du code civil ;
4°/ que le vice caché s'entend du défaut caché de la chose vendue qui la rend impropre à l'usage auquel elle était destinée ou qui en diminue tellement l'usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix ; que le vice caché ne peut entraîner la résolution de la vente s'il est possible d'y remédier ; qu'en l'espèce, en prononçant la résolution de la vente du véhicule pour vice caché, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, s'il n'était pas possible de remédier aux difficultés constatées lors de l'utilisation du véhicule en mode 4x4, par le démontage de la transmission avant ou encore par le système de crabot qui avait été développé par la société Jige international, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1641 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève que le véhicule litigieux présentait une fissuration des jantes causée par de très fortes contraintes subies en roulage ainsi qu'une panne d'embrayage à raison de sa surchauffe anormale et que son utilisation, particulièrement en virage, faisait subir à la transmission des efforts mettant en danger sa résistance mécanique ; qu'il retient que ces désordres résultent d'un défaut de conception du véhicule qui n'était pas équipé à l'origine d'un système de décrabotage et qui présentait une faiblesse structurelle, principalement sur la transmission de mouvement et sur le sous-dimensionnement des pièces mécaniques de la cinématique ; que l'arrêt retient encore que ces désordres, entraînant un usage très restreint du véhicule au niveau du poids tracté et du pilotage selon son mode d'utilisation, sont apparus lors de l'utilisation du véhicule et n'étaient pas décelables, même par un acquéreur professionnel ; que de ces constatations et appréciations procédant de son pouvoir souverain, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer les recherches invoquées par les deuxième et troisième branches, que ces constatations rendaient inopérantes, a pu déduire que les désordres relevés constituaient un vice caché ;
Attendu, en second lieu, que le choix entre l'action estimatoire et l'action redhibitoire prévu par l'article 1644 du code civil appartient à l'acheteur et non au juge qui n'a pas à motiver sa décision sur ce point ; qu'ayant relevé que les vices affectant le véhicule en diminuaient tellement l'usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquis s'il les avaient connus, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche sur la possibilité de réparer les défauts, que ses constatations relatives à l'existence d'un vice rédhibitoire rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi incident :
Vu l'article 1645 du code civil ;
Attendu que pour limiter la condamnation de la société Jige international à la restitution du prix de vente et rejeter la demande de la société Depanoto en paiement de dommages-intérêts, l'arrêt relève qu'aucun élément ne permet de retenir que la société Jige international avait, à la date de la vente, connaissance des vices affectant le véhicule ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le vendeur professionnel est présumé connaître les vices de la chose vendue, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
Sur le pourvoi principal :
Le REJETTE ;
Sur le pourvoi incident :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute la société Depanoto de sa demande tendant à ce que la société Jige international soit condamnée à lui payer les frais accessoires déboursés pour l'acquisition de la dépanneuse ACMAT type ALTV 4x4, correspondant à 9 415,29 euros pour les intérêts de l'emprunt contracté pour l'achat du véhicule, 66,42 euros hors taxes, pour la fourniture d'une antenne complète, 1 300 euros hors taxes, pour la peinture et 278 euros hors taxes pour la pose du lettrage adhésif, ainsi que la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour son préjudice moral et commercial, l'arrêt rendu le 30 janvier 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Limoges.